
Des joies et des larmes. « J’étais dans un groupe de femmes malades, toutes tellement heureuses que l’aide à mourir soit votée. C’est questionnant », me confie une amie, elle-même malade, mais opposée à cette loi. Deux jours avant, j’avais accueilli les larmes d’une soignante engagée, vibrante à gauche, blessée d’être isolée dans sa dénonciation d’une approche validiste, capitaliste et antiféministe de la fin de vie. Face à la joie des premières, on doit craindre d’être dans l’erreur. Face à l’angoisse des autres, on mesure la gravité.
Les jours qui ont précédé le vote ont notamment offert une timide ouverture à la voix des personnes handicapées – les éligibiles – et à celles de leurs aidants. Elles nous disent que cette loi institutionnalise le discours qu’elles affrontent au quotidien : le regard en surplomb de la personne valide, moderne dame patronnesse, qui se croit compatissante en lâchant qu’elle préfèrerait être morte que vivante comme elles. Elles nous disent qu’il n’y a pas de liberté de mourir là où celle de vivre décemment n’existe pas. Cette percée en fauteuil, ignorée des vigies satisfaites de l’inclusion, ne doit plus être entravée. Les personnes handicapées, de naissance ou de maladie, ont été la voix et le visage de tous les vulnérables. Elles nous ont rappelé qu’il serait insupportable que notre société consente à créer deux catégories de personnes : les valides, dont on prévient le suicide et les handicapées, dont la mort serait si compréhensible que le pays s’enorgueillirait de la protocoliser. Mais également les vieux, dont on ose valider et parfois même célébrer le suicide.
Ce combat est le rendez-vous de chacun avec sa conscience. Celle que nous voulons aiguiser parfois à l’évocation des grands résistants, celle que nous avons éveillée au contact des plus grandes figures de la conscience résolue – depuis Thomas More jusqu’à Franz Jägerstätter. C’est maintenant qu’il faut la mobiliser. A chaque époque ses défis : nous n’affrontons pas une barbarie hurlante, mais une inhumanité souriante. L’abandon n’est pas une option.
Certes le texte est passé. En première lecture. Mais si la première proposition de loi Falorni en 2021 était approuvée par 80% des votants, la dernière n’en a réuni que 54%. Il reste bien des étapes législatives, à commencer par le passage au Sénat. A lui de comprendre qu’aider à mourir lorsque l’on n’aide pas à vivre est le plus cruel des aveux d’échec politique. A lui de comprendre que, dans une cordée, on ne tranche pas le lien qui retient le plus fragile – ce que notre « premier de cordée » autoproclamé n’a pas intégré. Notre époque est à l’inclusion, elle est au soin, elle est au care, pas à la suggestion insidieuse des valides aux handicapés, aux non-productifs, de s’effacer et ne pas peser. Le sens de l’Histoire se discerne lorsque se dissipe le tumulte du moment. Aux consciences fermes de garder le cap.
Photo de Rohan Makhecha sur Unsplash
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Il ne faut pas négliger la lueur d’espoir. Merci