Wokisme et identitarisme : tous totalitaires ?

Il est une notion qui fait étrangement son chemin : celle d’un wokisme de droite. La notion de wokisme renvoie elle-même à une réalité nébuleuse et il n’est pas certain que lui découvrir un pendant de droite contribue à mieux l’identifier. Henrik Lindell, journaliste à La Vie, vient de signaler cet article de Rod Dreher, The Woke Right is coming for your sons, qui fait part de son inquiétude devant une certaine évolution de la droite américaine, jusque chez les chrétiens.

J’avais réservé mes brèves remarques à mon groupe Facebook mais, à y repenser, cet article entre en résonance particulière avec mon histoire et celle de ce blog, dont je célèbre en ce moment les 20 ans. Ceux qui me suivent ont vraisemblablement en mémoire le livre que j’ai publié il y a 8 ans, Identitaire, le mauvais génie du christianisme. Cette période a vraisemblablement été la plus éprouvante moralement de ces vingt années d’écriture, et je me demande si Rod Dreher ne s’engage pas sur un chemin comparable. La conjonction de cette nouvelle approche de sa part et du vingtième anniversaire du blog me conduisent à développer mon propos. Aussi, comme en hommage à la période la plus bloguesque de ma participation au débat public, je renoue ici avec ce qui fut longtemps ma marque de fabrique : les billets bien trop longs.

Le fait est que Rod Dreher a aussi publié dans la même période (septembre 2017 pour sa part) un petit livre qui a fait du bruit dans l’enclos paroissial : Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus – le pari bénédictin. Je prends ici le risque de résumer sommairement mon désaccord avec son propos. Pour lui, dans un monde qui n’est effectivement plus guère chrétien, et qui parfois tend à exclure et nuire à ceux qui se réclament du christianisme, il conviendrait de se regrouper, de façon à vivre dans les mêmes quartiers, à proximité de sa paroisse, travailler dans des entreprises chrétiennes, confier ses enfants à des écoles chrétiennes etc. Je crois comprendre qu’il soutenait que cela permettrait alors aux chrétiens de constituer des lieux-ressources leur permettant de préserver leurs valeurs et d’aller ensuite dans le monde pour témoigner. Je crois la démarche illusoire : il me semble bien plus probable qu’une telle démarche conduise à un isolement physique et intellectuel, à un repli dans une zone de confort, plutôt que de susciter un quelconque élan missionnaire. A l’époque, j’identifiais aussi là une variante identitaire.

Depuis, Rod Dreher a notamment soutenu Donald Trump et s’est expatrié dans la Hongrie d’Orban, avec lequel il développe des affinités. Ses défenseurs attribuent son soutien à Donald Trump davantage au campisme américain, à sa grande proximité avec le catholique Vance, à son rejet de la radicalité démocrate sur des sujets tels que l’avortement.

Aujourd’hui, il publie donc ce long article courageux, pour dénoncer les errements de son propre camp. Il est préférable de le lire mais, le monde étant ce qu’il est, je préfère vous en fournir un résumé. Ma flemme étant ce qu’elle est, c’est à une IA que j’ai demandé de s’en charger. Voici :

Dans son essai publié le 1er juin 2025 dans The Free Press, Rod Dreher, écrivain conservateur américain, met en garde contre une nouvelle menace : l’émergence d’un « wokisme de droite » aux tendances totalitaires. Après avoir longtemps dénoncé l’illibéralisme de la gauche, Dreher observe désormais des dérives similaires au sein de son propre camp politique.

Lors d’une tournée à travers les États-Unis pour présenter le documentaire Live Not by Lies, inspiré de son livre éponyme de 2020, Dreher a été confronté à des manifestations inquiétantes d’antisémitisme et de radicalisation parmi certains jeunes hommes conservateurs. Il constate que des idées extrémistes, autrefois marginales, gagnent du terrain dans des cercles qui lui sont familiers.

Dreher souligne que, bien que le wokisme de gauche ait suscité des critiques pour ses tendances autoritaires, une réaction excessive de la droite pourrait engendrer un autoritarisme similaire. Il appelle donc à une vigilance accrue face à ces évolutions au sein du mouvement conservateur.

Il insiste sur l’importance de préserver les principes fondamentaux de la démocratie et de la liberté individuelle, même lorsqu’on s’oppose à des idéologies perçues comme menaçantes. Pour Dreher, la lutte contre le wokisme ne doit pas conduire à adopter des méthodes similaires à celles qu’on dénonce.

En conclusion, Dreher exhorte ses lecteurs à ne pas céder à la tentation d’un autoritarisme de droite en réaction à celui de la gauche. Il plaide pour une résistance fondée sur des valeurs authentiques de liberté et de justice, plutôt que sur la peur et la haine.

La démarche est en effet courageuse de sa part. Le temps n’est pas exactement à l’ouverture intellectuelle outre-Atlantique.Ccomme il tendrait à le souligner lui-même, les méthodes trumpistes d’exclusion n’ont rien à envier à la cancel culture woke de gauche. Au demeurant, si cette dernière tendait à s’imposer par l’intimidation morale et intellectuelle, le pendant trumpiste le fait avec une brutalité rare et avec tous les ressorts du pouvoir fédéral. Je crains, pour lui, qu’il ne soit largement conspué et abandonné par ceux qui le suivaient hier tant il semble difficile d’entraîner quiconque avec soi. Voilà qui me le rendrait sympathique, tant j’ai constaté moi-même à l’époque que certains ont préféré imaginer que je renie tout ce que j’avais pu soutenir publiquement pendant les douze années précédentes (en ce compris ma foi, la culture française, l’amour de mon pays) plutôt que de se laisser interpeller par les interrogations qu’une personne si proche croyait de son devoir de soulever. Il arrivera probablement de même à Rod Dreher, avec peut-être plus de violence encore, ce qui justifie en soi de saluer sa démarche.

Sur le fond, il me semble intéressant de prendre en compte les mouvements irrationnels que peuvent produire les combats idéologiques. A titre d’exemple, je me fais régulièrement engueuler sur les réseaux parce que je soutiens que le masculinisme trouve aussi sa source dans la dénonciation actuelle de la masculinité comme source de tous les maux. Le masculinisme est une ânerie mais il trouve aussi sa source dans les excès inverses, qui dénoncent les hommes pour ce qu’ils sont et ne leur laissent pour seule issue que d’être moins hommes[1]. Je reste à cet égard amateur de cette phrase du cardinal Jean Honoré, qui me guide depuis de longues années : « il ne suffit pas de refuser l’erreur pour penser juste »[2]. Que la gauche ait tort ne signifie pas que la droite ait raison, et vice et versa. Que les Démocrates soient excessifs ne signifient pas que Trump soit un un recours. Bref, ainsi va l’être humain : face à une erreur, beaucoup se bornent à adopter l’erreur symétrique. Et il ne suffit pas de dire que l’erreur inverse en est une, il faut aussi comprendre en quoi sa position, par sa radicalité voire son intolérance, porte une responsabilité dans l’apparition de cette erreur.

Or il me semble que cela a quelque chose à voir avec l’identitarisme.

J’en reviens à Rod Dreher car je suis amusé de le voir pointer les politiques d’identité. Nous sommes à deux doigts de considérer que l’identitarisme est une erreur de fond… voire le mauvais génie du christianisme, auquel il souffle une approche qui le subvertit.

Je trouve donc intellectuellement stimulante la démarche de Rod Dreher, et j’ai du respect pour les risques qu’il prend afin de rester fidèle à ce que sa conscience lui dicte.

Je me permets néanmoins trois remarques :

  1. Cette analyse vient, je l’ai dit, de quelqu’un qui a soutenu Trump et qui développe des affinités avec Orban. Il n’est pourtant pas nécessaire d’être visionnaire pour discerner tout ce que leurs politiques comptent de complaisance avec une pensée totalitaire et identitaire. Il n’était pas nécessaire d’être grand clerc pour discerner chez un homme qui a lancé ses partisans à l’assaut du Capitole un homme dont l’attachement à la démocratie et au pluralisme connaît quelque faille. Il est également un peu surprenant de s’élever contre l’antisémitisme rampant dans ce milieu après avoir soutenu la candidature d’un homme dont le suprémacisme est manifeste. Et que dire du fait de voter pour un homme tel que Trump, avec son système de valeurs, au nom de considérations chrétiennes. Bref, on ne tend pas les bras au fascisme pour échapper au gauchisme ;
  2. Faut-il évoquer un « wokisme de droite » ? Retourner les concepts ne me paraît pas d’un grand secours intellectuelle. Peut-être cela peut-il avoir une vertu : signifier que ce qui concentrait la critique était moins les thèmes du wokisme que sa tendance totalitaire ? [Mise à jour à 16h15 : le titre a depuis été modifié : the « woke right » est devenu the « radical right« ]
  3. Enfin, ce sera ma minute « quand on n’a qu’un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous » : ne faut-il pas identifier, plutôt que le totalitarisme (ce qui, en soi, ne dit pas grand-chose et tend à être rejeté car il est réservé dans les esprits au nazisme et au communisme) le virus identitaire ? N’est-ce pas parce que la gauche woke ancrait son propos dans l’identité qu’elle en devenait si intolérante, si… totalitaire ? Et n’est-ce pas parce lorsque la droite, voire les chrétiens, se font identitaires qu’ils succombent à ce que dénonce Dreher ? L’identité ne se discute pas. Sa mise en cause est une agression personnelle voire intime. Il n’y a pas de dialogue possible sur le fait d’être homme, ou d’être noir. Si vous placez la source de l’erreur dans ce que l’autre est et non dans ce qu’il pense, vous ne lui laissez le choix qu’entre un impensable reniement et la radicalisation inverse. L’affrontement est inévitable. Comme l’écrit Dreher, il ne s’agit plus de ce que vous pensez mais de ce que vous êtes et cela, vous ne pouvez pas le changer. L’identitarisme se pare en outre d’une forme de quête de pureté. J’aurais alors tendance à dénoncer toujours le poison identitaire et, plutôt que pointer un « wokisme de droite« , un totalitarisme, reconnaître l’identitarisme comme le variant actuel d’un virus qui ne cessera jamais d’infecter l’humanité.[3]

Si je devais tenter de poser une idée en conclusion, autant au regard de la démarche de Rod Dreher que de celle que j’ai essayé d’adopter, et à laquelle je suis certainement parfois infidèle : rejetons le campisme. Ayons l’ambition de rechercher la vérité. Et si l’on reçoit facilement cette mise en garde : « ne te trompe pas d’ennemis« , n’oublions pas cette autre : ne nous trompons pas d’amis.

  1. Je vous remercie de ne pas venir m’expliquer que c’est plus compliqué que cela : je suis seulement en train de pointer la responsabilité des positions extrêmes réciproques, marquées par une forme de pureté militante et dépourvues du sens de la nuance qui seul permet de rendre une idée juste audible []
  2. Préface de l’Introduction à la pensée de John Henry Newman []
  3. Je ne détaillerai pas davantage mais je relève dans cet article publié par Grand Continent sur un « wokisme de droite » une profession de foi d’Elon Musk en un « christianisme culturel » : au regard de l’homme et des valeurs qu’il développe, nous retrouvons dans ce grave errement identitaire, qui dévitalise le christianisme et promeut un christianisme sans le Christ. []

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5 commentaires

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  • Suis-je vraiment ta mère ? Suis-je à la hauteur ? Ou plutôt es-tu à la même hauteur que moi : NON Cela me dérange un peu, comment accumules-tu toutes ces réflexions ? Peux-tu me prendre au sérieux, moi, ta mère ? Suis-je condamnée à toujours béer devant la chair de ma chair ? Etc…etc… Pour dire bravo pour ce retour sur le passé et good luck , NON : \ » bonne chance \ »pour ce nouveau départ pour 20 ans et plus …

    N ! Ah mais !!!!

    >

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  • si je comprends bien il y aurait une sorte de Bernanos et ses « grands cimetières sous la lune », toutes choses égales par ailleurs, dans cette tribune de Dreher. Je ne connais que très peu Dreher, et l’écho que j’en avais est plutôt négatif, mais il est courageux de penser contre ses « amis », d’accepter de « voir ce que l’on voit » comme dirait Péguy. Après comme vous dites, il reste du chemin (mais nous en avons tous, je pense) pour également lâcher Orban…(-:

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