Frontière du libéralisme

Le libéralisme est en questions. Qui est-il ? Et jusqu’où va-t-il ? Libéralisme, oui, mais libéralisme économique ou politique, ou les deux, mon Chef Economiste ? Le libéralisme, c’est avant tout la liberté, ou avant tout le marché ? Ou la liberté garantie par un fonctionnement de marché ? *

Saviez-vous que certains et pas des burnes – ainsi d’Antony Lake, conseiller à la sécurité de Bill Clinton – ont évoqué un concept de « démocratie de marché » ? Que cette expression est reprise par un économiste tel que Jean-Paul Fitoussi ? On peut bien évidemment entrer dans le vif de ce que chacun entend par là mais on peut aussi s’arrêter au seuil de l’explication, et à l’expression elle-même : il ne s’agit plus seulement d’économie de marché mais de démocratie de marché. En somme, la notion de marché, son utilisation comme instrument de (non) régulation intègrerait la société, le politique. Jean-Claude Guillebaud l’écrit, dans son dernier ouvrage : il a également été proche de mouvements pour lesquels le libéralisme est la bête noire. D’où, très probablement, dans La Refondation du Monde et, en particulier dans son chapitre 2, La nouvelle ruse de l’Histoire, un ton plus virulent, qui peut surprendre. Mais notons d’emblée ce qu’il n’affirme qu’après quelques pages :

« le marché nous a procuré plus de bienfaits qu’il n’a généré de barbarie. C’est un fait (…) Tout cela est indiscutable comme est avérée l’efficacité sans égal de l’économie de marché. De ce point de vue, les prétendus « débats » sur les avantages comparés de l’économie de marché et de l’économie administrée sont devenus risibles. Débat-on encore sur le point de savoir si la Terre est ronde ? »

Il conviendra donc, pour la suite de cette discussion, de prendre acte du fait qu’il ne s’agit pas là de contester le fonctionnement d’une économie de marché. Le fait est toutefois que Jean-Claude Guillebaud voit dans la propagation d’un certain libéralisme, d’un réflexe de marché, un puissant facteur de délitement social. Ainsi repart-il des textes fondateurs du libéralisme et, en particulier, de celui de Mandeville, publié en 1705, La fable des abeilles, sous-titré : Vices privés, bénéfice public. Cette fable souligne que, dans cette grande ruche, chaque abeille vaque à sa seule occupation personnelle, et que c’est cette somme d’activités individuelles, c’est leur affairement égoïste, qui produit le bien commun, le miel. Aussi soutient-il que les vices mêmes des hommes sont susceptibles d’être utilisés en vue d’un bien commun plus grand. Adam Smith, dans son ouvrage Enquête sur la nature et les causes de la richesse des Nations, en 1776, poursuit la même idée :

« ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur, du boulanger que nous attendons notre dîner, mais du souci de leur intérêt propre »

C’est l’origine de la si fameuse théorie de la main invisible du marché. Voilà qui serait pragmatique, réaliste. Ou bien cynique ? Dès lors que le libéralisme franchit la frontière de l’économie pour gagner le terrain de l’organisation sociale, note Guillebaud, se produit une contradiction majeure : à force de tabler sur l’égoïsme des acteurs, il finit par le valoriser et fonder l’organisation de la société sur la satisfaction égoïste des besoins individuels. Voilà qui, vous en conviendrez, est paradoxal et qui peut s’avérer générateur de délitement social.

Pourquoi s’inquiéter plus particulièrement des effets du libéralisme aujourd’hui ?

En somme, à lire Jean-Claude Guillebaud, parce que jamais le libéralisme n’a pu, comme aujourd’hui, régner sans partage. Parce que la main invisible du marché requérait, pour parvenir à un résultat harmonieux, l’existence d’une société rassemblée sur un corpus commun de valeurs. Adam Smith a écrit La Richesse des Nations, dix-sept ans après une Théorie des sentiments moraux qui passerait aujourd’hui pour passablement moralisatrice. Quant à John Locke, il proposait pas moins que d’exclure les athées de la pleine citoyenneté « au motif que, ne pouvant se fonder sur une croyance ferme, ils n’étaient pas capables de loyauté »[1]… Ainsi, lorsque les pères du libéralisme le théorisent, la main invisible déploie son action magique dans un cadre fortement marqué par des convictions morales communes qui adoucissent son effet potentiellement dévastateur. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Dans le chapitre précédent, Inventaire après naufrage, Jean-Claude Guillebaud détaille l’ensemble des valeurs (dont la confiance en l’humanité, dans le progrès, la conviction égalitaire) qui sont ressorties profondément meurtries du XXème siècle. Allié improbable ou complice involontaire mais bien réel, mai 68 et les années 70 ont conjugué leurs efforts à ceux des tenants d’un certain libéralisme pour favoriser un relativisme virant au nihilisme[2]. Inutile de détailler l’effet relativiste du 68-isme. Penchons-nous sur un effet plus méconnu du libéralisme. Comme le note un économiste américain, Lester Thurow[3],

 » Dans la morale capitaliste poussée à l’extrême, le crime est une activité économique comme une autre avec seulement un prix élevé à payer (la prison) si l’on se fait prendre. Obéir à la loi n’est pas une obligation sociale. Il n’est rien qu’on ne « doive » pas faire. Il n’y a que des transactions sur un marché »

Passons sur l’analyse du mariage comme un marché. Sachez seulement qu’elle existe. Et que ce constat n’est pas une vue de l’esprit : nombreux sont les partisans de ce qu’ils perçoivent comme étant une approche pragmatique, réaliste, dépassionnée et donc plus saine des rapports humains. Autre facteur d’expansion du libéralisme : l’heureuse faillite du communisme. Le libéralisme n’a dès lors plus d’opposants, plus de contraire, pour lutter mais aussi parfois s’amender. Idée loufoque ou point du tout, Jean-Claude Guillebaud souligne le « cousinage inavoué » entre libéralisme et communisme. Il cite Bernanos qui, en 1946, écrivait que la définition du citoyen moderne est fondée « sur une certaine conception de l’homme, commune aux économistes anglais du XVIIIème comme à Marx ou à Lénine » ! Comment diantre cela est-il concevable, osez-vous, dans un mouvement de protestation bien compréhensible ?

« A l’instar du marxisme, le libéralisme récuse, par exemple, la prééminence du politique sur l’économique « 

C’est aussi ce que note Olivier Mongin :

« Alors que l’on prenait distance par rapport à des manières de penser trop « économistes » issues du marxisme et évacuant le rôle du politique, le discours économique des libéraux a paradoxalement redonné crédit à l’idée fausse que le politique n’est qu’une malheureuse superstructure »[4]

Et ce que souligne un philosophe comme Jacques Rancière :

« Que les gouvernements soient les simples agents d’affaires du capitalisme international, cette thèse scandaleuse de Marx est aujourd’hui l’évidence sur laquelle « libéraux » et « socialistes » s’accordent »…

Parce que le marché « réclame une absolue fluidité de la demande, une souplesse maximale dans l’expression des préférencesmarchandes, un renouvellement ininterrompu des modes et des désirs », parce que la main invisible du marché a besoin d’espace pour agir, un certain libéralisme – Guillebaud dit : « les vrais libéraux » – récuse toute idée même de « normes« , comme on l’a vu plus haut. Il n’y a guère plus que des bilans coûts/avantages.

Guillebaud dénonce surtout, et accrochez-vous bien, ça arrache :

« … ce qu’on pourrait appeler le cannibalisme ontologique du marché. C’est-à-dire cette tendance à rabattre toute la complexité de l’existence humaine et de la vie en société sur le quantitatif ou le mesurable, à promouvoir un hommo oeconomicus tragiquement unidimensionnel, à faire de la loi de l’offre et de la demande un concept aussi tyrannique que pouvait l’être la lutte des classes ou la dictature du prolétariat dans la société communiste« 

*

Pourquoi donc vous entretenir de tout cela, au risque de passer pour l’antilibéral que je ne suis pas ? N’est-ce pas assez pour un seul homme d’être un suppôt supposé du sarkozysme ?!

Probablement parce que, si je conçois que notre pays est loin d’avoir abusé des ressources de la libéralisation, parvenu à un certain stade, le libéralisme m’interpelle. Est-ce, de ma part, une incapacité à concevoir un fonctionnement tout à fait libre, une société que l’on observerait fonctionner sans règles ni cadres ni valeurs ni action ?

Cela ne me paraîtrait au demeurant pas aberrant, et c’est l’une des autres questions que le libéralisme me pose : une société peut-elle fonctionner sans projet commun affirmé ? L’angoisse, la desespérance, puis la révolte de certains, ne sont-elles pas bien compréhensibles lorsque, en guise de vision commune, on leur propose l’action d’une main invisible ? Comment peut-on seulement « former société » sans une direction, même générale, commune ? La moindre entreprise s’efforce de transmettre une culture d’entreprise et la Société, elle, pourrait se satisfaire de n’être que la somme d’individualités ?

C’est ainsi la prétention du libéralisme, ou plutôt de la notion de marché, à passer la frontière économique pour agir dans le social, le moral, qui m’inquiète. Comme si le libéralisme était un donné acte au délitement social autant qu’il en serait générateur, un aveu d’impuissance, un parti pris d’abandon, par l’humanité : puisqu’il est interdit d’interdire, puisque l’on n’est plus sûr d’aucune valeur, puisque toutes les opinions sont censées se valoir, retranchons-nous derrière l’individu et son seul bilan personnel.

Qui fait l’oeuf, qui fait la poule ? Je l’ignore. L’oeuf et la poule ne sont-ils pas, de toutes façons, la avatars d’une même réalité aviaire ? Façon de dire qu’il serait vain de chercher le coupable. Au demeurant, Guillebaud démontre bien dans son premier chapitre, les agressions multiples portées contre les idées de progrès et d’égalité, contre la confiance en la civilisation, « les appels à l’oubli de soi ». Tant d’éléments ont concouru à donner un nouvel essor à un certain libéralisme.

S’agit-il du libéralisme, ou d’un libéralisme dévoyé, ou seulement du libertarianisme ? Le libéralisme d’Adam Smith et de Locke est-il lui-même applicable aujourd’hui ? Peut-on, symboliquement, séparer La Richesse des nations de La théorie des sentiments moraux ? Peut-on indéfiniment reléguer l’affirmation des sentiments moraux, des croyances laïques ou religieuses, à la sphère intime, tandis que la richesse des nations, le marché, les bilans coûts-avantages, auraient droit de cité ?

Effectivement, si l’on veut éviter un inéxorable douloureux réveil, si l’on veut seulement préserver une authentique liberté, il est urgent de refonder le monde.

Des volontaires ?

* * *

  1. Guillebaud cite là René Rémond, Religion et Société en Europe, Seuil, 1998 []
  2. sur ce point, au demeurant, je me souviens de l’analyse d’un certain candidat, qui avait fait hurler mais qui ne me semble pas si erronéé []
  3. The future of capitalism, William Morrow & cie, New York, 1996 []
  4. Olivier Mongin, L’après 1989, Les nouveaux langages du politique, hachette Littératures, 1998 []

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64 commentaires

  • Synthèse et analyse brillante, cher Koz, comme tout ce que j’ai pu lire de vous au demeurant (je sais qu’il n’est pas bon de trop flatter les blogueurs, mais tant pis), sur un sujet qui me taraude également depuis longtemps.
    Dans le droit fil de ce que vous dites, je me permets de rappeler la définition de la sociation, c’est-à-dire le regroupement des individus en société, que propose Max Weber dans « Economie et Société » : « un compromis ou une coordination d’intérêts motivés rationnellement, en valeur ou en finalité ». Ici se manifestent les deux directions qui vous préoccupent dans ce billet : d’une part, le fondement de la société sur des valeurs (protections des faibles, sauvegarde de la liberté individuelle, croyance dans au message évangélique et au comportement qui doit en découler, etc…), et d’autre part, sur une finalité, à entendre (d’après moi) au sens matériel du terme (subsistance, ordre, sécurité, confort).
    Il semble bel et bien qu’aujourd’hui, les choix de tout un chacun quant à son interaction avec le reste de la société soient de plus en plus motivés par l’analyse, pseudo-rationnelle, des bénéfices et des pertes à en retirer, parce que l’on assiste peu ou prou à un crépuscule des valeurs… La discussion, par exemple, lue dans Econoclaste au sujet d’un dilemne du prisonnier qui s’est produit en réalité, et de la façon dont il faut concevoir les sanctions pénales pour qu’elle soient dissuasives, est un bel exemple de la tendance de la discipline économique à l’arraisonnement de toutes les questions de société… Il n’y a pas là d’accusation, je pense plutôt que la science économique valide là un changement qui s’est profondément établi dans les moeurs.
    Dans le même ordre d’idée, l’ultra féminisme défendu par certains dans la sphère de la vie privée (au boulot, rien de plus normal, même compétences = même rémunération) tend à faire des rapports humains un vaste espace de marché, niant les différences sexuelles fondamentales au profit des hypothèses de la concurrence parfaite : liberté de l’offre et de la demande, atomicité et indiscernabilité des agents, entre autres…

  • J’ai lu il y a quelques temps la transcription d’une conférence de Deleuze, dans laquelle il trouvait des points communs entre la société capitaliste et la schizophrénie : les sociétés traditionnelles codaient le monde et les activités humaines (via les castes, les rites de passage, les corporations, etc, elles se comportaient de manière « perverse », en attribuant un rôle à chacun) ; au contraire le capitalisme décode en ramenant tout à une valeur monétaire, mais il ne contient pas de « personnalité », de projet propre.

  • L’intérêt de la fable de Mandeville c’est de montrer que l’efficacité du groupe n’est pas liée à la vertu des individus. Et cette déconnexion entre la politique et la vertu est caractéristique de la modernité. Le gouvernement n’aura comme objectif que les intérêts de ses membres, il n’aura pas à lui imposer des choix moraux. Le libéralisme se donne comme finalité la garantie de la liberté et de la proprieté. Ceci n’implique aucune adhésion morale. (de cette façon plusieurs religions peuvent être regroupées sous un même pouvoir politique sans se voir contraintes).

    Mais le libéralisme n’est pas la seule source de la modernité politique. la démocratie obéît à une autre logique ; elle ne s’adresse pas à l’homme d’intérêt du libéralisme. Elle réclame l’égalité et une certaine forme de vertu ; Rousseau soulignait cette exigence de civisme en parlant de la démocratie comme un régime politique réservé aux Dieux (et il était d’ailleurs favorable à une religion civile).

    Si on prend en compte ce couple libéralisme/démocratie on a pas le sentiment d’un monde abandonné au jeu glacé de l’intérêt.

  • Je ne saurais que trop vous conseiller sur ce problème crucial la lecture du dernier opuscule de Jean-Claude Michéa, L’empire du moindre mal (c’est ainsi qu’il définit la volonté libérale), qui montre bien comment:

    – d’une part libéralisme économique (le Marché) et libéralisme politique (le Droit, certains libéraux pure souche définissant d’ailleurs le libéralisme originel comme une philosophie du Droit avant toute notion économique) ne sont que les deux faces d’une seule et même pièce (avec comme conséquence que le clivage gauche-droite actuel qui repose essentiellement sur des défenseurs du libéralisme politique – la gauche voire une certaine extrême gauche – contre des défenseurs du libéralisme économique – la droite – est totalement inopératif en termes d’alternative politique et sociale) et qu’en conséquence on ne peut avoir l’un sans l’autre (donc pas d’économie de marché sans société de marché, contrairement ce qu’affirmait un certain candidat socialiste malheureux en 2002);

    – d’autre part comment la condition sine qua non de réalisation du libéralisme (tant politique qu’économique) à savoir effectivement le présupposé de l’individu égoïste et mu par ses seuls intérêts conduit aujourd’hui effectivement à formater l’individu réel, aux motivations autres que purement égoïstes (ce qu’Orwell nomme la common decency, et ce que montre brillamment Mauss et ses successeurs autour des travaux sur le don), en cet homme nouveau rêvé par le libéralisme originel, sapant par là même toute possibilité de sociabilité et de vivre ensemble. En voulant éviter la guerre de tous contre tous (le libéralisme ayant été théorisé en Europe afin de mettre fin aux guerres de religions et aux guerres civiles, vécu comme le pire des maux), on arrive aujourd’hui après 300 ans à la guerre de chacun contre tous.

  • Je ne sais pas si vous serez d’accord, mais je trouve qu’il y a une certaine convergence d’idées entre votre billet et l’article de Henri Guaino que je citais dans le billet concernant l’affaire de la Société Générale.
    http://www.jacques-jp-martin.fr/?2007/03/10/88
    Le capitalisme peut-il être moral ?
    Il parle aussi de Adam Smith et des risques à séparer l’économie de tout le reste.
    Selon lui, la moralisation du capitalisme est la condition de sa survie sociale et politique.
    Si le spéculateur, le rentier ou encore le tricheur deviennent plus riches que l’entrepreneur, alors le capitalisme est en danger car en contradiction avec les valeurs qui le fondent : initiative, effort, mérite.
    En conclusion, selon lui, non seulement le capitalisme peut être moral mais il doit l’être ( à défaut, la contestation du capitalisme risque de se radicaliser )
    Je suis de cet avis là, Polydamas et London ne sont pas d’accord…
    Bon, s’il n’y avait pas eu cette convergence, je n’aurais sans doute pas commenté votre billet dont le niveau décourage la médiocrité, il faut bien le reconnaître.

  • @ Krystoff:

    Ouais, Michéa, c’est pas mal, il développe effectivement la thèse que libéralisme et communisme sont les deux versants d’une même pièce. Là où il pêche un peu, c’est sur ce qu’il est possible de construire d’autre.

    Et pour ça on n’a toujours pas trouvé.

    Mais sa critique sur le fait, qu’à droite, il est illusoire de croire que libéralisme de marché ne peut pas s’accompagner de libéralisme des moeurs, est assez pertinente, et me pose problème.

    Pour mieux comprendre sa pensée, cet entretien est intéressant.

    Et je trouve qu’il dit tout dans ses deux dernières lignes:
    « L’égoïsme tranquille des libéraux est certes un moindre mal si on le compare à la volonté de puissance déchaînée des fanatiques du Bien. Mais une société égalitaire, solidaire et amicale, qui inviterait les hommes à donner le meilleur d’eux-mêmes, me parait toujours moralement supérieure et infiniment plus désirable. »

    And the question is:
    Cette société égalitaire solidaire et amicale, comment l’obtient-on ?

  • @Polydamas

     » Cette société égalitaire solidaire et amicale, comment l’obtient-on ?  »

    Comment les hommes qui composent la société pourraient-ils répondre à une question qu’ils ne se posent pas ?
    Autrement dit, et si la réponse était hors de portée du fait que la question est posée par une élite ?

    J’ai trouvé l’entretien de JC Michéa ( que je ne connaissais pas ) très intéressant.
    Imaginons qu’il s’exprime sur une chaîne télévisée à une heure de grande écoute, combien de téléspectateurs auraient les références nécessaires pour comprendre ses propos ?
    Redéfinir des mots ou des concepts serait nécessaire mais pas suffisant et le spectateur moyen- dont moi – serait largué.

    Il y a toujours eu et il y a encore des hommes qui décident de ce qui est bien pour les autres, pour le bien des autres, et ces  » autres  » n’ont au mieux que la possibilité de choisir qui va penser à leur place.

     » Comment ( pour le pouvoir politique ) trancher entre le droit à la caricature et celui du croyant au respect de sa religion ? entre le droit du berger à défendre l’agneau et celui de l’écologiste citadin à préférer le loup ?  »

    Posée sous cette forme, la question relève toujours de cette même démarche, décider pour le bien des autres.

    Ce qui est insoluble aujourd’hui peut ne plus l’être demain, quand tous les hommes, et pas seulement une élite, accèderont à une instruction poussée.
    La solution n’est peut-être pas qui tranche et comment, mais dans la capacité individuelle à la tolérance à travers l’ouverture et la large connaissance des autres, attitude qui rendrait inutile l’arbitraire du choix.

  • chapeau Emile ,il faut dire que les recents évenements interpellent
    On perçoit facilement qu’en économie les arbres ne peuvent monter jusqu’au ciel. Exemple : quand les magasins seront ouverts le dimanche il faudra pour assurer la progression de 5 % éternellement demandée tous les ans, passer à l’ouverture de nuit .Apres tout il y a surement un marché des insomniaques.
    Liberalisme et démocratie forment un couple qui me va bien car il implique le respect de l’autre dans un monde soumit au minimum d’entraves . Mais les récents évenements de la So GE montre les consequences pitoyables d’un capitalisme le plus brutal.La speculation ne crée pas de richesse, la technique speculative s’apparente plus à un jeu de poker à Las Vegas avec des consequences qui peuvent se réveler catastrophiques pour les individus .IL faut sauver la planète du rechauffement climatique et……… de la fièvre malsaine des speculateurs

  • Merci carredas, pour ton appréciation finale. Le niveau des commentaires interdit également de se reposer une fois mis la touche finale à ce billet…

    Sur l’idée que libéralisme et communisme sont les deux faces d’une même pièce, il me semble néanmoins qu’il ne faut pas se laisser trop facilement embarquer dans un raisonnement trop théorique, et ne pas oublier de prendre en compte leurs implications pratiques : si certains soutiendront que, creusant les inégalités, le libéralisme est responsable de morts, il n’est nul besoin d’aller chercher une causalité indirecte et si lointaine pour dénombrer les morts du communisme.

    Guillebaud, au demeurant, prend la précaution de préciser, lorsqu’il aborde un chapitre intitulé « une logique totalitaire ? » :

    « Totalitaire ? Le mot n’est-il pas excessif ? Inutilement polémique ? absurde ? Il l’est évidemment si l’on se place sur le plan de la liberté. Quelle que soit la dérive pénale des démocraties modernes, des Etats-Unis surtout, il est certain que ce totalitarisme-là n’est pas attentatoire à la liberté individuelle. Il se flatte même d’en être le plus vigilant défenseur, ce qui n’est aps contestable. La démocratie de marché ne prévoit pas, sauf exception, de s’ériger en Etat policier. Ce n’est sûrement pas un « détail » qu’on pourrait négliger »

    [tiens, c’est HS, mais je note que Guillebaud utilise le mot « détail » : ce doit être un nazi négationniste]

    Aymeric, soit, je veux bien que l’on doive prendre en compte le couple démocratie / libéralisme. Mais je trouve encore le terme de démocratie bien inconsistant. Quelles valeurs dans la démocratie ? Hein… « Liberté, que de crimes on commet en ton nom« . Je veux dire par là que la liberté est évidemment essentielle, le gouvernement du peuple par le peuple, aussi, mais c’est bien insuffisant.

    Carredas, je lirai l’article de Guaino. Guaino, que certains décrient parce que son discours virerait au lyrique inconsistant, que d’autres louangent pour mieux enfoncer Sarkozy….

    Polydamas, nous sommes d’accord : c’est bien d’affirmer l’objectif d’une société solidaire, égalitaire et amicale, c’est encore mieux d’avoir une idée de la manière d’y parvenir. En l’occurrence, c’est aussi ce que Guillebaud souligne : le XXème a fait un sort funeste à l’idéologie égalitaire. Raison pour laquelle on y croit moins.

    Emir Abel (et ça fera un peu un lien avec ce que j’écris ci-dessus à Polydamas) : perso, en matière d’altermondialisme, je connais d’autres horizons 😉

    DenysM, ne croyez pas (mais je ne pense pas que vous le croyez), que je n’ai pas lu votre com’ : je l’ai lu et je vous remercie de ce que vous y dites. Simplement… je suis d’accord.

    Azer : j’ai ce billet en tête depuis lundi dernier, bien avant donc l’épisode SoGé. Mais je suis assez d’accord également avec ce que vous écrivez sur les exigences de rentabilité. Au demeurant, cela fait aussi partie du propos de Guillebaud dans le chapitre qui suit : le futur évanoui.

  • @ Carredas:

    Pour ce qui me concerne, c’est simple, la seule société possible qui soit solidaire et amicale est une société chrétienne. Parce que vous ne pouvez pas créer cette société sans transcendance.

    Et on en est loin.

    Très loin.

  • Ton billet m’interpelle Koz !

    Je crois qu’un mot revient souvent dans les commentaires et dans tes interrogations : la morale.

    Qu’est ce que la morale ? Par définition, c’est un « caractère approprié », qui respecte les règles communes. Le libéralisme ne propose pas autre chose. Le libéralisme, et c’est en cela que cette pensée était révolutionnaire, ne peut exister que par la règle, le droit. Mais cette règle, devant être partagé par tous, ne peut pas léser un individu par rapport à un autre.
    C’est en cela qu’il s’est opposé à tout système totalitaire ou autoritaire.

    Maintenant, on ne parle que de règle de vie. On ne parle pas des pensées ou de l’opinion de l’individu. Vous pouvez être altruiste, égoiste, misanthrope, mécène, cela ne vous ouvre pas plus de droits que les autres individus. Seul l’action doit être « morale », conforme aux règles.

    Vouloir que l’individu soit en lui-même moral, c’est justement vouloir un homme nouveau. Et c’est une atteinte à la liberté, à son libre arbitre, si il y est contraint.

    Adam Smith, dans la Richesse des nations, malgré son ouvrage précédent, part de l’observation de l’homme dans la société. Il n’imagine pas une société parfaite. Il voit que les hommes ne sont ni bon ni mauvais de nature (contrairement à Rousseau) mais que l’intérêt de l’un est l’intérêt de l’autre. Il ajoute en revanche que poursuivre un but moral peut avoir des conséquences bien plus négatives. Le communisme ne l’aurait pas détrompé… Par ailleurs, une société sans intérêts particuliers est elle une société d’homme ? Quelle utilité d’une société si je peux me satisfaire moi même ?

    Je l’ai déjà dit sur un autre post : dans la devise Liberté-Egalité-Fraternité, le sens des mots est fondamental. C’est parce que nous avons tous un libre arbitre que nous sommes égaux (et responsable de nos actes). Et cette égalité de droits fonde la société et les liens que contractent les individus entre eux. Mettre fraternité ou égalité en premier, c’est prendre un risque totalitaire.

  • Le libéralisme hors limite tel qu’il est envisagé ici est ce qu’on appelle (ou en tous cas ce que moi j’appelle) le libertarianisme. Une idéologie qui se rapproche en effet d’une certaine forme d’anarchisme et du communisme, tout du moins le communisme comme stade final de l’Histoire tel qu’il aurait du aboutir dans la théorie marxiste mais qui ne s’est jamais concrétisé dans la réalité : une société sans classe et sans Etat.

    J’avais complètement oublié que Locke était considéré comme un penseur libéral. Je me souviens effectivement que dans sa Lettre sur la tolérance, il défendait la coexistence des religions et la non intervention du gouvernement dans ces questions, sauf justement pour les athées, qui ne pouvaient être tolérés car compromettant le bien public. Pour le coup, cela m’avait apparu comme bien peu tolérant, et pas libéral du tout.

    Alors, dans cette critique du libéralisme, c’est le relativisme et l’absence de projet commun affirmé qui est pointé du doigt. Au vu des précédents billets, on aurait pu croire qu’il s’agit d’un plaidoyer pour l’intervention du champ religieux dans la vie de la cité, ce qui pour le coup donnerait la démocratie chrétienne vs le libéralisme. Je note cependant l’élargissement aux sentiments moraux et aux croyances laïques. Je remarque surtout la cohérence de la pensée montrée ici.

    On recherche des volontaires pour refonder le monde ?

    J’en suis.

  • Samedi, de New Delhi où il achevait une visite officielle, le président français Nicolas Sarkozy a fustigé « un système financier qui marche sur la tête et qui perd de vue sa finalité », et permet de réaliser « des profits gigantesques » et des « pertes gigantesques en quelques heures ».

    En fait, c’est N.Sarkozy, Président de tous les français qui va adhérer à ATTAC 😉 🙂

  • « L’oeuf et la poule ne sont-ils pas, de toutes façons, la avatars d’une même réalité aviaire ? »

    C’est beau comme du Bénichou 🙂

  • @London

    « … parce que nous avons tous un libre-arbitre que nous sommes égaux…  »

    oui, à la naissance… et puis après vient le conditionnement ou l’ouverture c’est selon, de l’éducation et de l’instruction.
    A mettre liberté en premier, n’y a t-il pas un risque élitiste ?

  • Non, Carredas, je crois tout le contraire : c’est passé à l’adolescence que l’on découvre le libre-arbitre. Avant cet âge, c’est la reproduction des schémas familiaux où l’on choisit très peu ou par hasard. C’est d’ailleurs pour cette raison fondamentale, le libre arbitre, que le droit des mineurs ouvrent à des peines inférieures à celle des adultes.

    L’élitisme est-il la négation de l’égalité ? En quoi détériorer sciemment le niveau d’exigence de l’éducation ne vient pas léser l’individu et son droit à la meilleure connaissance possible ? L’élitisme, amener au plus haut les individus, est la plus grande valeur académique qui soit pour un instituteur, demandez lui.

    C’est au jour où l’école a préféré l’égalité à la liberté, ou l’élitisme, qu’elle a cassé le moteur social de l’Ecole et qu’elle a créé la discrimination par les revenus ou la classe sociale d’appartenance. Belle réussite. Les dernières statistiques de mobilités sociales sont atterrantes. Le vrai risque pour un élitisme de « classe », c’est l’élitisme méritocrate de l’Ecole.

  • @London

    Je me suis mal exprimée, je voulais dire que nous sommes tous égaux à la naissance, et ensuite vient le conditionnement de l’éducation.
    Le libre-arbitre suppose avoir accès à tous les choix pour se déterminer, il est lié à la maturité mais aussi à l’éducation et à l’instruction.
    Une fois adulte,quel est le libre-arbitre du jeune élevé dans une religion stricte coupé du reste de la société, de celui auquel les parents n’ont rien à transmettre ni valeurs ni règles ? de celui qui sait à peine lire ?

    L’élitisme est-il la négation de l’égalité ?

    Il me semble, oui, quand l’élite ne représente pas les meilleurs, les plus compétents mais une classe privilégiée par l’argent.

    Ne croyez pas que je veuille défendre une école médiocre pour tout le monde, mon idéal, c’est de tendre vers l’excellence pour tous même si tous ne sont pas excellents partout.

  • Xerbias, il est évident que je suis favorable à la libre expression des convictions religieuses. Tu l’auras bien compris, à la lecture de mes autres billets. Je pense également que cette expression doit être bien pesée, ne serait-ce même que par respect pour sa foi, et pour ne pas lui nuire en l’associant à des choix politiques qui ne seront pas forcément toujours heureux.

    Mais il est tout aussi évident, et je le répète régulièrement, que je ne plaide pas en faveur d’une régulation religieuse de la société, ni d’une implication directe dans la gestion politique quotidienne. Qu’elle s’implique dans la vie de la cité, oui, mais en veillant à ne pas être entraînée dans des polémiques trop temporelles. Mais bon, un De Gaulle, par exemple, affirmait des valeurs, sans impliquer non plus la religion…

    Ce libéralisme sans limite est-il seulement le libertarianisme ? A la lecture de Guillebaud, je pense davantage que chacun doit être vigilant à ce que le raisonnement « de marché » n’influence pas des domaines dans lesquels il ne devrait pas intervenir. Il est tellement plus facile de se référer à une seule appréciation offre/demande que de soutenir une conception morale, forcément subjective et qui ne pourra pas s’appuyer sur un raisonnement « scientifique ». Combien de fois s’entend-on répondre : « s’il y a une demande pour cela… » ?

    Je suis assez sensible à l’idée développée par Guillebaud selon laquelle ce libéralisme se développe sur les ruines du XXème, et de valeurs (estampillées de droite comme de gauche) entachées par ce siècle passé.

    Emir Abel : on a voulu dépeindre Nicolas Sarkozy en ultra-libéral (entre autres : on a vu aussi en lui un nouveau Mussolini, ce qui est pour le moins contradictoire). Je n’ai jamais cru qu’il soit foncièrement libéral alors, ses déclarations de New Delhi ne me surprennent pas. Etant précisé et souligné que, si je le critique, je ne suis pas de ceux pour lequel « libéral » est une insulte. Far from this (d’ailleurs parfois, je parle anglais).

    London, je crois que l’objection de Guillebaud est centrale : nous ne sommes plus au temps d’Adam Smith. Le libéralisme de Smith pouvait s’épanouir parce qu’il prenait place dans une société dont le système de valeurs prenait le relais nécessaire. Ce qui n’est plus guère le cas aujourd’hui.

    En ce qui concerne le droit, Guillebaud a d’autres développements que je trouve très intéressants. Notamment sur le risque d’envahissement par les règles juridiques, la vanité de l’encadrement juridique, et son insuffisance : le droit doit s’appuyer sur autre chose. Il n’est qu’un outil, n’est que la transcription des veleurs, croyances, de la morale…

  • Je crois que nous sommes d’accord sur le fond, Carredas.

    En ce qui concerne le conditionnement, je crois qu’il ne peut être entier : les hasards de la vie, la physiologie, sont autant de choses qui singularise l’individu et le différencie par rapport à un modèle pré établi. A un certain degré, l’individu fait toujours face à un choix, qu’il décide de prendre ou non (ce qui est encore un choix au sens sartrien) : le libre arbitre existe, même pour un kamikaze.

    Prenons le cas de Victor l’enfant sauvage : [http://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_de_l’Aveyron]

    Il a été coupé totalement de la société dès la naissance, n’est justement pas un homme mais un simple hominidé jusqu’à sa socialisation. L’homme se définit par rapport à la société, même dans une part congrue à la société. Et là où il y a société, il y a règles de vie communes, des valeurs.

    @Koz : je ne comprend pas bien ton objection… je comprend tout à fait que nous ne sommes plus au temps d’Adam Smith mais je ne vois pas en quoi le principe de liberté serait séculaire… Sinon, je suis d’accord justement avec le fait que les règles, pour être efficaces et respecter la liberté des individus, doivent être simples et aussi peu nombreuses que possibles. Le reste de la régulation se fait entre les individus eux mêmes.

  • Il n’est pas question de revenir sur le « principe de liberté », ou de l’estimer daté, bien évidemment. Mais on ne peut pas tout prendre sous l’invocation d’un seul principe, on en peut pas tout accepter parce que l’on invoquerait « la liberté ». On a vu notamment comment l’invocation du « principe d’égalité » a pu dégénérer. Je ne suis pas loin de penser que l’invocation de la liberté peut être tout aussi peu épanouissante pour l’être humain. Au demeurant, il faudrait s’entendre sur la conception de la liberté ainsi affirmée. Aujourd’hui, nous sommes libres. Mais si nous interrogeons un libéral, il ne considèrera probablement pas que nous soyons dans une société libérale.

    Je crains que la liberté ainsi invoquée ne vire précisément à ce que décrit Guillebaud : la légitimation de la seule recherche de l’intérêt individuel. L’intérêt commun ? La Main Invisible y pourvoiera…

  • Ok je comprend mieux ton point.

    Mais je ne vois pas quel pourrait être l’excès de liberté étant donné que la liberté n’existe pas sans règle. Je vois plutôt la liberté comme fondateur de tous les autres principes. Je ne suis pas prêt à renoncer à ma liberté, mes droits, pour un bien supérieur supposé plus « moral » puisque collectif.

    Par contre, le marché (lieu d’échange) des idées m’aide à me penser comme individu, à trouver mes propres principes, mes propres valeurs, mon propre rapport aux autres et à mon environnement : je suis libéral mais j’ai aussi en moi l’idée de respect des autres chevillé au corps, le besoin que les gens qui me sont proches aillent bien. La liberté, ce n’est pas le désintérêt pour l’autre.

    Me forcer à être solidaire, c’est le contraire de la liberté. A partir du moment où on me force, je ne suis plus responsable de mes actes envers les autres. Et si je ne suis plus responsable de mes actes, juridiquement, aucun tribunal ne peut me condamner pour un acte « immoral » : le bien et le mal n’existent que parce qu’il y a libre arbitre, liberté de choix.

  • Merci Koz, je lis un peu en retard, comme d’hab, mais j’adore. Une nouvelle fois j’ai le sentiment de lire en des termes très clairs ce que je sens confusément, sans arriver à l’exprimer clairement.
    Certes, un libéralisme sans valeurs, sans morale ne peut mener nulle part. Sans contrepoids, en fait, comme tu l’as dit…

  • Bon, il faut recadrer tout ça.

    Si l’expression n’était pas devenue insupportable à force d’être utilisée à toutes les sauces par les gôchistes, on pourrait parler d’argument de l’homme de paille. Guillebaud utilise le terme libéral pour décrire les libertariens. Un peu comme si on disait écologie pour les terroristes des droits des animaux ou religion pour fanatisme.

    Le libéralisme n’a rien d’égoïste. Il reconnaît seulement que l’égoïsme est une force essentielle qui guide les gens. On peut l’admettre ou le nier. Ca ne traduit aucune position morale. C’est une force, comme la gravité.

    Il ne vient à l’idée de personne de construire un pont en demandant avec insistance aux pierres de ne pas être attirées vers le bas, d’ignorer la gravité. Pourtant, on rencontre tous les jours des gens qui espèrent construire une société humaine en se contentant d’invoquer l’altruisme. Le libéral sait que les gens ont tendance à agir dans le sens de leurs intérêts comme les pierres ont tendance à aller vers le bas. Il tient compte de cette réalité pour construire une organisation qui, partant des égoïsmes individuels, obtient le bien collectif; de la même façon qu’un bâtisseur placera ses pierres en voûte ou en arc-boutant pour que la force de gravité serve à solidifier plutôt qu’à détruire.

    à force de tabler sur l’égoïsme des acteurs, il finit par le valoriser et fonder l’organisation de la société sur la satisfaction égoïste des besoins individuels
    Pas dans le sens où vous l’entendez. Vous confondez moyens et objectifs. L’égoïsme est une force puissante, il faut s’en servir pour atteindre le bien commun.

    On sait que généralement, des acteurs privés en concurrence permettent une meilleure utilisation des ressources et un service de meilleure qualité qu’un acteur monopolistique. Utilisons cette connaissance. Mettons en place les mécanisme qui permettent de faire régner une concurrence efficace et laissons le marché nous enrichir. En revanche, lorsque les conditions d’un fonctionnement efficace du marché ne sont pas réunies (monopoles naturels, présence de fortes externalités ou de fortes assymétries d’information…) identifions le et mettons en place un service public. Mais dans ce dernier cas, ne faisons pas semblant de croire que les fonctionnaires sont immunisés à l’égoïsme et mettons en place les bonnes méthodes de contrôle et de gestion.

    Jean-Claude Guillebaud détaille l’ensemble des valeurs (dont la confiance en l’humanité, dans le progrès, la conviction égalitaire) qui sont ressorties profondément meurtries du XXème siècle.
    Pas d’accord à deux titres. D’abord, ainsi que je l’explique plus haut, le libéralisme n’a pas besoin que les acteurs soient moraux. C’est justement sa force : proposer un système d’organisation de l’activité humaine qui soit suffisamment robuste pour tolérer l’égoïsme.

    Ensuite, je vous encourage à lire « La société de défiance » http://pepites.blogspot.com/2007/10/la-socit-de-dfiance.html de Cahuc et Algan. Les auteurs (pas des ultra-libéraux) constatent que les Français ont moins confiance les uns dans les autres que les habitants des autres pays. Ils datent le début de cet état de fait à la libération. Ils tracent les causes de cette situation au corporatisme et à l’étatisme de notre société. Bref à son illibéralisme.

    Donc, je ne pense pas que le libéralisme nécessite une morale, laquelle s’est délitée au 20e siècle. Le libéralisme au contraire n’a pas besoin que les gens soient moraux, mais en rétribuant ceux qui agissent « bien », il crée un cercle vertueux.

    De même, la critique du libéralisme qui prendrait la place du politique n’est pas convaincante (elle rejoint d’ailleurs la critique du « managerialisme » que font les éconoclastes). L’exemple du crime est éloquent.

    le crime est une activité économique comme une autre avec seulement un prix élevé à payer (la prison) si l’on se fait prendre. Obéir à la loi n’est pas une obligation sociale. Il n’est rien qu’on ne « doive » pas faire.
    « Obligation sociale », « devoir faire », tout ceci relève de l’invocation. Pour le libéral que je suis, cela s’assimile à demander à un pont de ne pas tomber. C’est gentil, mais pas très utile.

    Non, obéir à la loi n’est pas une obligation sociale. C’est beaucoup plus important que ça, c’est une condition nécessaire au bon fonctionnement de la société. Il est donc essentiel de savoir si les gens obéiront ou pas. Et ils obéiront si c’est leur intérêt. Et c’est là qu’intervient le politique. Car il y a plusieurs façons d’améliorer le respect des lois : augmenter le gain à respecter la loi, augmenter la punition à la violer, modifier la loi…

    Accessoirement, ceci nous ramène à la société de défiance. La France est un des pays occidentaux où le respect de la loi est le plus « optionnel ». On est en plein dans le cercle vicieux. Défiance – acte antisocial – plus de défiance.

    Autre exemple où le politique garde toute son importance : la redistribution. Contrairement aux caricatures, le libéralisme ne suppose pas l’absence de redistribution. On peut redistribuer beaucoup en étant libéral. Mais la redistribution libérale n’a pas grand chose à voir avec ce qu’on fait en France.

    Si on veut donner de l’argent aux pauvres, on leur donne de l’argent, on ne les force pas à accepter un service fourni par des entreprises monopolistiques, qu’ils ne demandent peut être pas (aka service public) Si on veut offrir une éducation de qualité aux pauvres, on leur paie des études, on ne les condamne pas à perdre des années dans une organisation kafkaienne notoirement inefficace (aka Education Nationale)

    La critique finale de Guillebaud reste dans le même contre-sens.

    cette tendance à rabattre toute la complexité de l’existence humaine et de la vie en société sur le quantitatif ou le mesurable, à promouvoir un hommo oeconomicus tragiquement unidimensionnel
    C’est comme si on reprochait à la science de rabattre toute la complexité de l’univers sur le quantitatif ou le mesurable. La science est là pour décrire, mesurer, améliorer la connaissance. Est elle pour autant tyrannique? Remplace-t-elle les politiques? Ne laisse-t-elle plus aucun choix?

    Le parallèle avec le marxisme est l’aboutissement de ce contre-sens. Guillebaud veut absolument faire du libéralisme ce qu’il n’est pas : une théorie du tout forcément totalitaire et ennemie de toutes les autres théories. Pourtant, il ne s’agit que d’une technique, presque un outil de gestion.

    Il ne fixe pas plus de vision, de valeur, de direction, d’objectif que la mécanique des fluides ou la géométrie. Ces questions transcendent totalement le libéralisme; elles sont du ressort des politiques et des citoyens.

  • @Libéral

    Le libéralisme que vous décrivez trouve ses limites dans l’adhésion qu’il va ou non rencontrer non ?
    Pour que ça marche, il faut que toutes les « abeilles » y trouvent leur compte, ou bien qu’elles n’aient pas la capacité de critiquer le système.
    Ce qui différencie le XXIe siècle du XIXe, c’est la large augmentation du niveau de l’instruction et de l’information.
    Les citoyens sont donc en mesure de critiquer le système et même de le contester de façon radicale.
    C’est ce à quoi se prépare la LCR en créant un nouveau parti anticapitaliste.
    C’est pourquoi l’article de H.Guaino sur le capitalisme et la morale m’a parlé
    – un mot pour préciser que Emir Abel et moi n’avons pas fondé un fan-club H.Guaino, d’autres ont peut-être évoqué cette question avant lui, mais c’est lui que j’ai lu –

    J’ai bien compris que la morale est hors-sujet du libéralisme, je suis globalement d’accord avec cette idée de l’égoïsme comme une force essentielle qui guide les gens, mais vous ne pourrez pas empêcher les citoyens-électeurs de remettre la morale au coeur du débat en leur disant  » hors-sujet  » d’autant que ces gens ne font que céder à cette même force égoïste qui leur fait dire  » et moi…?  »

    Pour Polydamas la solution est une société chrétienne seule capable de transcendance.
    Moi, j’imaginerais plutôt une transcendance de la conscience humaine par rapport au monde, une ouverture une capacité de réflexion qui ne nous est pas encore accessible et dont je fais crédit à l’homme du futur.

  • @ Carredas:

    Société chrétienne ? Oui, ça c’est mon idéal.

    Dans les faits, je ne peux qu’être d’accord avec Liberal, la société chrétienne n’étant rien d’autre qu’une utopie, c’est le libéralisme qui permet à tous de vivre avec un minimum d’harmonie. Et je suis d’accord pour dire que le libéralisme c’est presque une méthode de gestion.

  • J’attendais ta réaction, que j’imaginais évidemment argumentée.

    Entendons-nous bien :

    (1) j’ai bien conscience que les exhortations à être bon ne sont pas nécessairement les plus efficaces et, à la rigueur, je dirais que, professionnellement (en tant qu’avocat, pour ceux qui l’ignorent), je suis plus habitué à prévoir l’avenir en tablant sur les mauvais comportements qu’en tablant sur la confiance dans la nature humaine;

    (2) Guillebaud ne critique même pas l’efficacité de l’économie de marché, ce qui n’en fait pas un dangereux gauchiste. A deux reprises, il souligne qu’effectivement, elle nous a apporté de vrais bienfaits;

    (3) économiquement parlant, je pense que, sur certains points, nous ne souffririons pas d’un peu de libéralisation.

    Mais :

    (1) comme tu le dis parfaitement, le libéralisme ne nécessite pas de morale : il est censé être amoral. Mais Guillebaud n’affirme pas qu’il doive l’être. Précisément, parce qu’il est amoral, il est nécessaire qu’une morale existe par ailleurs.

    Or, effectivement, par rapport au 18ème, non seulement nous n’avons plu de corpus de valeurs communes évident mais l’invocation du sacrifice et de l' »oubli de soi » est mort dans les tranchées de 14-18, l’égalité est mort dans les goulags et les camps de rééducation politique, la confiance en la civilisation est morte à Auschwitz, lorsque la plus brute des sauvageries est sortie du « ventre fécond » d’une des nations les plus civilisées, et la confiance dans le progrès scientifique est morte à Hiroshima…

    Bref, la Main Invisible déploie son action dans un environnement qui se fait de plus en plus amoral lui-même.

    (2) il reste contradictoire de vouloir « faire société » en tablant sur la seule adjonction d’individus, d’intérêts individuels. Chemin faisant, ce fondement quitte le seul esprit des théoriciens et conquiert la société. En son sein, le message qui est transmis devient le suivant : tu peux te soucier de ton seul intérêt personnel puisque le fonctionnement de la société repose dessus.

    (3) le propos de Guillebaud – auquel, donc, je suis sensible – c’est de dire, précisément, que le « libéralisme » sort du cadre que tu décris. Le libéralisme ou le raisonnement en termes de marché. Il est en passe de cesser d’être un simple outil de gestion amoral pour devenir un outil de définition de la morale. La morale est appréciée en termes de marché.

    L’exemple de la prison, à la rigueur, est assez bon : qu’en termes de gestion, on considère qu’il est efficace de raisonner en termes de coûts pour le délinquant ou le criminel, c’est tout à fait compréhensible. Mais il ne faut pas oublier la dimension morale, expliquant la sanction. Tout cela n’est pas qu’une affaire d’appréciation personnelle du prix à payer. Si l’on exclue les crimes et les criminels qui s’extraient totalement d’une approche rationnelle, il faut, nécessairement, ce « plus » qui pourrait faire que, même après un bilan coûts/avantages, il ne reste pas moralement concevable de commettre l’acte.

    Ce que je tends à constater, c’est, précisément, que ce qui ne devrait être qu’un outil de gestion est pour certains – et peut-être bien un nombre grandissant – l’alpha et l’omega de la relation de société.

    D’où mon titre, la frontière du libéralisme : il n’a pas à dépasser une certaine frontière.

    ps : le chafouin, Guillebaud m’a grandement aidé dans la formulation claire de ce que je ressens, aussi, confusément.

  • Addendum… Même si c’est un peu parallèle au débat, et si cet épisode n’a pas été à le déclencheur de ma réflexion, je note cette intervention d’Edouard Balladur :

    « Comme je suis libéral (…) je m’inquiète de ces dérives du libéralisme car la liberté doit être toujours contrôlée, organisée et les déviations doivent être sanctionnées, sans quoi c’est la loi de la jungle et pas le libéralisme »

  • le libéralisme n’est-il pas la victime de la déchristianisation, ou plus générallement de l’absence continue de repères et de la perte de valeurs. C’est un bien joli billet que celui-ci et ta référence à Smith ou Locke est plus que jamais d’actualité car dans une société où les nouvelles croyances, ésothériques ou plus conventionnelles sont devenue légions, la question de la dialectique « valeurs/libéralisme » est cruciale. Pour connaitre quelques patrons, dont la plupart sont des croyants, je constate, de manière peut-etre naive, que l’attachement qu’ils vouent à ces valeurs rejaillit bénéfiquement sur la gestion de leur entreprise et sur leur pouvoir décisionnel en général.

    Il n’est donc pas surprenant de voir que les plus vifs opposants au Pape par exemple, soient les memes opposants au libéralisme. Il n’y a ici rien de contradictoire. Bien au contraire…Sans aller jusqu’à faire du Pape une autorité en matière de libéralisme…Mais vous l’aviez compris!

  • Bonjour Koz, un petit commentaire rapide pendant une pause au boulot. Quand tu dis:

    à force de tabler sur l’égoïsme des acteurs

    Il faut bien faire attention a ce que l’on entend par egoisme. La pyramide de Maslow illustre tres bien que les individus, une fois leur besoins materiels satisfaits, vont rechercher un certain bien etre « moral », en accord avec leur valeurs.

    On retrouve cela quand nombres de retraites donnent leur temps dans de nombreuses associations carritatives, en France comme ailleur.

    La difference avec les pays anglo-saxons, comme toujours, c’est quand on passe d’un don « noble » – temps – a un don meprisable – « l’argent ». La philanthropie, en France, ne fait pas bonne presse.

    C’est comme un reflexe de Pavlov! D’ailleur, le fait d’avoir utilise le mot moral me disqualifie au yeux d’une frange important de la population…

    Alors, bonne chance dans ton « combat » – j’essaye de me racheter un mettant un autre mot clef – Je suggere deux approches:

    Etudier ce fameux reflexe de Pavlov chez une population somme toute bien identifiee,

    Denoncer l’hypocrisie d’une societe qui se dit juste et egalitaire, mais qui a de plus en plus besoin d’acteurs exterieurs pour aider les plus defavorises – restaus du coeur, aide aux personnes agees, etc…

  • @Liberal

    Tu aurais même pu remplacer le terme « égoïsme » par « intérêt individuel » – en effet, l’égoïsme est par définition, la recherche exclusive de l’intérêt individuel. L’intérêt individuel est juste… l’intérêt individuel. C’est à ce niveau qu’il intervient comme une force aussi évidente à constater que la gravité. Après tout, le simple fait de se nourrir consiste à satisfaire son intérêt individuel. Il ne viendrait à l’idée de personne de considérer comme un acte égoïste le simple fait de s’alimenter.

    Ceci étant dit, il y a également d’autres intérêts qui agissent comme des forces tout aussi évidentes que celui-ci. L’intérêt de ses proches par exemple, de sa descendance, occupe une place naturelle dans l’existence et dans la collectivité qui ne peut être niée par personne. Il suffit de voir un kiosque à journaux pour y constater l’importance relative que l’homme attache à ce sujet. Mais, tu peux également étendre cet « intérêt » à un cercle plus large d’amis. Voir d’entreprises collective de plus en plus étendues.

    En fait, tu peux y voir comme une relation symbiotique. Le mot symbiote est un peu trop biologique pour être strictement exact mais je n’en trouve pas d’autres. Toujours est-il que si on applique cette notion de relation symbiotique à une unité individuelle on peut inclure la notion d’environnement dans un sens très large. L’homme, dans son individualité, a besoin d’un environnement sain susceptible de lui apporter l’assurance de son existence.

    Lorsque tu commences à étendre ou reconnaître ces autres aspirations, tu commences à jeter les base de l’idée de civilisation.

    Le problème avec certaines idéologies, théories morales de comportement, way of life, etc. c’est qu’elles ont nié une ou plusieurs facette de l’individu ou favorisé une facette au dépends des autres. (Le collectivisme est un exemple évident, mais on peut trouver également en Asie des endroits ou des façons de vivre où l’intérêt individuel et même collectif est sacrifié au dépends d’une spiritualité exclusive – cela donne des « sages » se promenant au beau milieu des taudis et de la misère la plus crasse).

    Nous en arrivons à la criminalité qui est le symbole même de l’intérêt individuel exclusif mais qui peut également se traduire par l’intérêt exclusif d’une collectivité aux dépends d’une majorité d’individus. Il existe une criminalité collective comme dans le cas d’une société qui procède à une entente illégale aux dépends des consommateurs. Il existe une forme de criminalité lorsque la « redistribution » consiste à saisir les revenus des individus au profit d’une caste comme l’était la noblesse à certaines époques ou la nomenklatura soviétique. Il existe même une forme subtilement pervertie de la « redistribution » dans sa phase systématique qui consisterait pour certains à nourrir ceux qui ne feraient aucun effort pour se sortir d’une situation de dépendance.

    Lorsque tu dis : « Car il y a plusieurs façons d’améliorer le respect des lois : augmenter le gain à respecter la loi, augmenter la punition à la violer, modifier la loi… » et que tu limites le respect des lois à une sorte de système de punition/récompense, tu limites par là même, cette notion de civilisation dont je parlais plus haut. Et dans une certaine mesure, tu induis une perversion du système que tu défends. En effet, dans ce cas, il faut avoir une loi pour chaque potentialité criminelle ainsi qu’une récompense et une pénalité. Cela implique presque une ingérence totale de l’état dans le comportement individuel par des textes obligatoirement imparfaits (qui a jamais prétendu écrire une loi « parfaite ») et qui enlève à l’individu sa capacité d’appréciation.

    Une société qui mets au moins autant l’accent sur les lois que sur la culture et l’éducation et qui laisse le religieux ou la philosophie dans ce qu’elle a d’humanisme s’épanouir librement, donne à l’homme la possibilité de s’autogérer sans laisser les lois du marché ou un système de punition/récompense gouverner son seul comportement. C’était je crois, les dimensions rappelées par Sarkozy dans ses discours récents mêlant les notions de politique de civilisation, la reconnaissance de l’importance des religions dans le sens large et celle de la transcendance apportée par exemple par la foi (même comme je l’ai expliqué récemment dans un autre post, si cette transcendance peut trouver sa source dans une utilisation « laïque » de la raison). C’est aussi les point 2 et 3 de Koz ci-dessus.

    C’est ce que crient, par exemple, les spécialistes de l’Afrique (africains eux-mêmes) lorsqu’ils réclament une aide pour améliorer leurs systèmes éducatifs – il ne s’agit pas d’une éducation avec une valeur ajoutée purement marchande mais une éducation des peuples suffisante pour passer de l’existence de régimes durs à des régimes plus démocratiques. Les lois à elles seules ne peuvent contrôler les masses ne serait-ce que parce que ce type de contrôle des masses atteint vite un coût prohibitif en termes de dispositifs policier et réglementaire. Les lois du marché sont bien trop restrictives pour prétendre à une régulation plus optimale du comportement humain. L’individualisme purement égoïste est d’autant moins fort que l’intérêt collectif est également compris par chaque individu. Dans ce cas, même si les lois sont nécessaires comme le souligne Koz dans sa pratique quotidienne de sa profession, il est aussi évident que l’éducation et la connaissance, globalement, améliorent la vie collective et par ricochet, la vie individuelle.

    Les fameuses frontières dont parlent Koz se vérifient aisément dans la réalité en prenant, pour rappel, deux exemples connus :

    Dans le Canard Enchaîné, la CGT avait fait fuir dans les années 80 un compte rendu d’un conseil d’administration de Thomson (dont les activités lié à l’industrie de l’armement était prépondérantes) dans lequel le PDG de l’époque déclarait « si les accords Reagan Gorbatchev sont signés (désarmements bilatéraux) et si la guerre Iran Irak s’arrête, on coule ». En fait, Thomson n’a pas coulé car on a vite vu fleurir des conflits plus localisés et d’autres marchés que celui de l’affrontement des deux blocs se sont miraculeusement ouverts. Dans le même Canard, il était révélé également, que pendant la guerre du Golfe, GIATT Industrie (fabriquant de chars et pourtant une société à l’époque totalement contrôlé par l’Etat) continuait à fournir les pièces détachées à Saddam en respect du contrat « SAV » qui liait cette société à l’Irak.

    Quid des labos pharma ? Dans le cadre de la libre concurrence, chacun mène ses recherches afin d’apporter un bienfait évident à la communauté. L’un ou plusieurs d’entre eux arrivent à trouver un médicament efficace contre le palu grâce à un échange fructueux entre les universités, les chercheurs privés, les systèmes de financement liés aux uns et aux autres. Un brevet est déposé par le labo afin de garantir la juste défense de ses intérêts et récompensant les investissements initiaux dans la recherche. Le marché africain est pauvre. Comparativement aux profits colossaux que les labos peuvent réaliser sur les marchés occidentaux, il est très peu rentable. Le palu tue des milliers d’africains chaque année. L’Afrique du Sud décide de copier et produire les médicaments anti-palu. De fait, la RSA viole les brevets. Les USA venant au secours de ses Labos menacent la RSA de sanctions économiques. La RSA interrompt la fabrication. Les Labos ne fabriquent toujours pas le médicament en question. Les africains continuent à mourir du palu.

    Quand une économie parallèle comme le trafic de drogues rapporte 60 000 pour 600 d’investissement (c’est à peu près le rapport des labos clandestins fabriquant de la methamphétamine, la DEA en a fermé 1000 en 6 mois pour le seul état du Colorado) le système de récompense/punition/risque peut difficilement s’aligner. A moins que tout le monde ait la possibilité de gagner sa vie presque aussi facilement et que la pénalité soit la peine de mort accompagnée de tortures, et encore… Dans une certaine mesure, c’est aussi ce qui se passe au sein des cités.

    Bref, si ce genre d’exemples font partie du réquisitoire habituel contre le libértarianisme voire le libéralisme, cela ne condamne pas complètement pour autant. De fait, le système peut par un phénomène d’autorégulation que tu expliques résoudre un nombre considérable de problèmes et laisser aux individus le maximum de latitude et de liberté de choix. Le libéralisme est effectivement un système de gestion, ou un simple outil presque neutre qui valorise les comportements et activités favorables à la collectivité.

    Mais puisque l’homme n’est pas une simple dimension économique, s’il n’existe aucun socle philosophique, si celui-ci est relégué à l’état d’une simple distraction intellectuelle, si les religions et/ou les philosophies humanistes sont combattues par l’état, si une société dite hédoniste ramène les notions de plaisir, de bonheur, de liberté au seul fait de pouvoir « tirer un coup avec tout ce qui bouge » à défaut de la satisfaction personnelle que peut ressentir celui qui a contribué à la construction du pont dont tu parles, le système est lui-même voué à l’échec ou voué à une dérive plus ou moins totalitaire (est-ce que les USA ne sont pas d’ailleurs un peu en état d’échec et un peu tentés par une dérive hyper-répressive ?)

    C’est pourquoi (enfin (!) vont dire ceux qui me lisent) que je rejoins les remarques de Koz comme je l’ai déjà dit, mais aussi celles de Carredas qui depuis un bon moment nous agite timidement Guaino sous le nez dès que le sujet aborde plus ou moins directement les questions d’éthique.

    Ce qu’elle veut dire, je pense, ce n’est pas qu’elle soit devenue une groupie de l’auteur d’un bon nombre des discours de Sarko, ni que c’est un penseur dont la sagesse méconnue jusqu’ici se révèle à l’occasion de ce quinquennat, mais que depuis un certain temps la politique de Sarko (au moins dans les déclarations d’intention et dans les discours) est infléchie par des considérations qui justement dépassent les simples logiques du marché :

    – La référence à une politique de civilisation d’Edgar Morin,
    – la juste place redonnée aux religions (et en dehors des diverses critiques que l’on peut leur faire et de leur caractère utopique, elles restent malgré tout des expériences collectives visant à changer en mieux la société en travaillant dans le cœur de chaque homme vs travailler à changer la société pour changer le coeur de chaque homme),
    – la transcendance dont les peuples ont besoin pour se comprendre et ne pas faire n’importe quoi,
    – la nécessité de ne pas réduire l’homme à une simple composante économique.

    Comparé à l’ancien ministre de l’intérieur et le tout répressif, celui qui a un moment souhaitait le flicage psychologique des enfants dès l’age de trois ans, et autres détails qui m’ont chiffonné, je ne peux m’empêcher d’y voir comme une évolution.

  • @Koz

    Je reprends tes « Mais »

    (1) Je te trouve exagérément pessimiste. Ca ne te ressemble pas. Je ne suis pas sur par exemple que la situation était si belle au 18e qui a enfanté les bains de sang de la révolution et de Bonaparte. En tout état de cause, il s’agit là d’une faillite de la morale. Je suis assez d’accord pour reconnaître que la morale ne se porte pas au mieux. Mais avant d’incriminer le libéralisme qui n’a rien à voir avec tout ça, j’aurais plutôt tendance à aller chercher du côté de ceux qui s’escriment à saper toute forme d’autorité, de respect, de fidélité, de religion…

    (2) Dans mon expérience, les gens n’ont pas besoin de beaucoup d’excuses pour penser avant tout à leur intérêt propre. Du coup le raisonnement que tu tiens me paraît un peu trop tiré par les cheveux. Je ne crois pas que les gens soient particulièrement encouragés à être égoïstes parce que le « système » le supporte. Je pense qu’il faut plutôt chercher du coté des raisonnements du type : « les autres le font, pourquoi pas moi? », « si je le fais pas, je suis un con », « je suis exploité, j’ai le droit de rétablir l’équilibre »…
    Accessoirement, ce n’est pas parce que le libéralisme n’a pas de dimension morale que les libéraux ignorent la morale. Je pense pour ma part que la morale est essentielle pour construire une société. On a besoin de 2 pieds : l’efficacité par le libéralisme et le « bien » par la morale.

    (3) Je suis prêt à reconnaître que certains font la confusion que tu dis, je ne suis pas sur qu’ils soient si nombreux que ça.

    @carredas,

    Loin de moi l’idée d’empêcher les citoyens-électeurs de remettre la morale au coeur du débat. Bien au contraire, ainsi que je l’explique à Koz plus haut.

    C’est amusant que vous parliez de la LCR, car je ne crois pas avoir entendu de discours plus exclusivement et violemment égoïste que chez ces gens-là.

    @Eponymus,

    Plein d’idées intéressantes dans ton post. Mais là je m’endors sur mon clavier. J’essaie de trouver un moment pour te répondre demain.

  • Liberal, le libéralisme a, tout de même, un peu à voir avec tout ça : il ambitionne tout de même de régler une bonne part des relations en société, en excluant la morale de son champ de raisonnement.

    Mais, précisément, ce que Guillebaud dit et que je reprends, c’est que c’est surtout la conjonction de la situation actuelle (faiblesse des contrepoids, et amoralité de la société) qui laisse une part trop importante au libéralisme.

    Cela ne signifie pas que les libéraux soient immoraux, ou que le libéralisme soit immoral mais bien amoral, la morale étant effectivement d’un autre domaine.

    Sur le XVIIIème, évidemment, je n’affirmerai pas que la société était était merveilleuse, morale et sans tâche. Je me souviens même d’une intervention de Robespierre justifiant la Terreur et les massacres en Vendée « par principe d’humanité« . Cela étant, il me semble qu’il était bien plus concevable de se prononcer sur un plan purement moral qu’aujourd’hui, où l’on rejette bien souvent la morale au champ purement intime, privé. Combien de fois entend-on le « c’est ton choix« , comme si la seule appréciation personnelle était suffisante ?

    Enfin, n’oublions pas que la démarche de Guillebaud est la Refondation du Monde. Il s’agit semble-t-il bien de réveiller des valeurs latentes, ou de leur donner un nouveau contenu (j’en saurais plus après les 300 prochaines pages). Ni lui ni moi n’affirmons qu’il n’y a plus aucune morale dans ce pays.

  • Salut,
    je pense qu’il faut repréciser certaines bases du courant de pensée libéral, pour pouvoir en comprendre les limites.
    1) la pensée libérale n’est pas constructiviste : elle ne présente pas un modèle de société construit de toute pièce. Le libéralisme accorde une confiance aux individus pour imaginer, construire à leur niveau, et inventer le futur
    2) la pensée libérale est basée (il faut le rappeler, parce que c’est le socle philosophique du libéralisme) sur un tryptique : liberté individuelle, propriété privée, responsabilité. Pascal Salin montre dans son ouvrage « Libéralisme » (2000) que ces trois notions sont indissociablement reliées : pas de liberté sans propriété, pas de liberté sans responsabilité. Pour aller voir un peu les arguments je vous conseille (modestement) un petit article que j’ai écrit là-dessus : Pas de liberté sans propriété
    3) il faut distinguer, précision très importante, le libéralisme humaniste du libéralisme utilitariste. Pascal Salin, à nouveau, montre comment le libéralisme est fondé sur une société de droit (respect absolu de la propriété privée). Celui qui choisit de bafouer le droit à la propriété dans certains cas, et pas dans d’autres, se remet dans la position philosophique du constructiviste, à savoir décider de manière arbitraire ce qui est applicable à telle ou telle catégorie de la population (nécessairement réductrice et à ce titre condamnable)
    4) le libéralisme est la seule manière, à mon avis, de penser une société juste, où aucun individu ne peut venir empiéter sur les droits des autres.
    à bientôt !
    Je vous recommande très vivement, pour ceux qui voudraient savoir ce qu’est le libéralisme, la lecture de « Libéralisme », grand ouvrage de philosophie politique, clair et direct.

  • @Koz:En tant qu’idéologie le libéralisme est aussi totalitaire que le communisme en ce sens qu’il voudrait régir la « totalité » du monde…
    En tant que pratique économique efffectivement çà marche quand même pas trop mal malgré des excès regrettables.
    Le point commun aux deux idéologies c’est le relativisme des valeurs.
    En fait Koz, et moi personnellement je ne te critiquerai pas la dessus, tu es assez cahtolique dans ta réflexion.
    Figure toi que le sujet a été abordé déjà dans des documents du Vatican!
    Comme quoi les gens critiquent l’opposition de foi et raison(pas toi) mais lisent ils vraiment?

    L’encyclique Centesimus Annus:
    http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_01051991_centesimus-annus_fr.html

    C’est un vrai bijou à lire je te la recommande chaudement Koz!Elle est très complète et pour moi assez visionnaire car elle prédisait même certains déréglements du marché dans les pays anciennement soumis au marxisme à l’est de l’Europe!

    Notamment ces passages:

    Enfin, une autre forme pratique de réponse est représentée par la société du bien-être, ou société de consommation. Celle-ci tend à l’emporter sur le marxisme sur le terrain du pur matérialisme, montrant qu’une société de libre marché peut obtenir une satisfaction des besoins matériels de l’homme plus complète que celle qu’assure le communisme, tout en excluant également les valeurs spirituelles. En réalité, s’il est vrai, d’une part, que ce modèle social montre l’incapacité du marxisme à construire une société nouvelle et meilleure, d’un autre côté, en refusant à la morale, au droit, à la culture et à la religion leur réalité propre et leur valeur, il le rejoint en réduisant totalement l’homme à la sphère économique et à la satisfaction des besoins matériels.

    34. Il semble que, à l’intérieur de chaque pays comme dans les rapports internationaux, le marché libre soit l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins. Toutefois, cela ne vaut que pour les besoins « solvables», parce que l’on dispose d’un pouvoir d’achat, et pour les ressources qui sont « vendables », susceptibles d’être payées à un juste prix. Mais il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché. C’est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoins humains fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas les hommes qui souffrent de ces carences. En outre, il faut que ces hommes dans le besoin soient aidés à acquérir des connaissances, à entrer dans les réseaux de relations, à développer leurs aptitudes pour mettre en valeur leurs capacités et leurs ressources personnelles. Avant même la logique des échanges à parité et des formes de la justice qui les régissent, il y a un certain dû à l’homme parce qu’il est homme, en raison de son éminente dignité. Ce dû comporte inséparablement la possibilité de survivre et celle d’apporter une contribution active au bien commun de l’humanité.

    42. En revenant maintenant à la question initiale, peut-on dire que, après l’échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l’emporte et que c’est vers lui que s’orientent les efforts des pays qui cherchent à reconstruire leur économie et leur société ? Est-ce ce modèle qu’il faut proposer aux pays du Tiers-Monde qui cherchent la voie du vrai progrès de leur économie et de leur société civile ?

    La réponse est évidemment complexe. Si sous le nom de « capitalisme » on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l’entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu’elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s’il serait peut-être plus approprié de parler d’« économie d’entreprise », ou d’« économie de marché », ou simplement d’« économie libre ». Mais si par « capitalisme » on entend un système où la liberté dans le domaine économique n’est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l’axe est d’ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative.

  • Blogblog, je pense que ton objection sur le libéralisme comme totalitarisme part d’une mauvaise base et d’une confusion sur le sens du mot :

    -Le totalitarisme a comme corollaire l’intrusion d’un système dans la vie privée des individus. Hors, le libéralisme, en tant que principe d’action, n’est pas concerné par cette dérive. Il met en avant la propriété privée et le libre arbitre, le liberté d’opinion, comme irréductibles et inaliénables.

    -Le totalitarisme part du principe que nous sommes dans tout et que tout est dans un. Un principe unitaire. Le libéralisme part de l’individu, et met au contraire en avant la différence entre les individus. Sans différences, quelles échanges sont possibles ?

  • @London:j’ai pris le soin de préciser « en tant qu’idéologie » , c’est à dire selon une définition d’idéologie proposée par wikipédia:

    Il s’agit d’une doctrine politique fournissant un principe unique d’explication du réel, susceptible d’inspirer rapidement un programme d’action et constituant un ensemble cohérent d’idées acceptées sans réflexion critique.
    L’idéologie est une notion beaucoup plus large que celle de doctrine (qui est la dimension intellectuelle de l’idéologie), car elle fait appel à la dimension des « comportements psychologiques » et s’inscrit dans un processus collectif très important : la notion d’idéologie n’existe que dans le cadre d’une « société de masses ».

    Bon maintenant je suis pas JPII, mais fait l’effort de lire mon lien STP! 😉
    Le pb disait un évèque c’est que l’Eglise écrit parfois de très bon texte, mais personne ne les lit!!

    Exemple?
    Le discours non prononcé par Benoit XVI à la Sapienza qui était le contraire de ce dont on l’accusait!

    Comique ou tragique?

    http://news.catholique.org/17593-discours-que-le-pape-aurait-du-prononcer-a

    http://plunkett.hautetfort.com/archive/2008/01/18/le-discours-que-le-pape-devait-prononcer-a-la-sapienza.html

  • Euh, blogblog, je dirais simplement que le libéralisme n’est pas une idéologie justement parce qu’il n’est pas un principe de masse, de classe, unitaire, sans différence… sinon, on peut parler de la cuisine en tant qu’idéologie, de la pêche à la sardine aussi. Mais le libéralisme, effectivement, ce n’est considéré que la marmite et la canne à pêche… pas les valeurs éternelles moralement supérieurs dont doivent être automatiquement dotés la cuisinière ou le pêcheur 🙂

    Sinon, oui j’ai lu les extraits. Toujours les mêmes reproches, dont Koz aussi se fait l’écho, et sans doute à raison car il faut toujours s’interroger, sur l’appauvrissement des valeurs morales, alors je ne les ai pas effectivement commentés davantage. Je ne suis pas sûr de cette déperdition, et pas sûr que le libéralisme en serait la cause ou la conséquence.

    L’avantage du libéralisme, c’est de ne pas mettre une morale au dessus d’une autre arbitrairement, c’est de les discuter et d’en ressortir le meilleur pour soi.

  • Billet et commentaires très intéressants et très qualitatifs sur un débat fondamental pour nos démocraties libérales avancées. Cela contraste avec le « ségo-bashing » facile avec lequel il voisine (il faut sans doute de tout pour faire un blog et en ces temps de dissipation de l’illusion sarkozyste, j’imagine que ça défoule).

    Je suis d’accord avec vous, Koz, pour considérer que le libéralisme est le meilleur moyen trouvé à ce jour d’organiser les échanges, le commerce et l’économie. Mais qu’il vire à l’idéologie quand il prétend devenir un système vertueux par essence, intouchable, quand il prétend s’affranchir de toute règle et de toute intervention de l’Etat.

    Je souhaite également insister sur le fait que la morale que vous appelez de vos voeux pour contrebalancer la toute-puissance des intérêts privés peut être laïque et républicaine, et pas forcément religieuse (même si les deux peuvent souvent se rejoindre et si la première s’est largement inspirée de la seconde).

    Pour apporter une modeste contribution au débat, je pense à cet an ancien ministre de Bill Clinton qui vient d’écrire un livre sur le « super-capitalisme » d’aujourd’hui (loin d’être un brûlot gauchiste) et nous indique au passage qu’un PDG gagnait aux Etats-Unis 40 fois plus qu’un ouvrier dans les années 80 et qu’il gagne aujourd’hui, 20 ans plus tard, 400 fois plus. Sachant que dans le même temps, le salaire moyen n’a pas progressé aux US.

    Je pense également à l’actualité, aux jeunes traders de 30 ans qui font des folies pour avoir des primes de 300 000 euros, aux deux trentenaires que je connais, qui travaillent dans la finance ou les fusions/acquisitions, et qui touchent également des bonus de cet ordre… Je me rapppelle également qu’un quotidien anglais a calculé qu’avec la somme des primes touchées par les golden boys de la City en 2007, on pourrait donner une prime de plus de 1 000 euros à chaque salarié britannique… Je pense à ce chef d’entreprise américain qui a répercuté intégralement dans sa rémunération les gains obtenus en délocalisant son usine au Mexique, avec 1 000 licenciements à la clé… Je me dis également que je gagnerais plus en louant mon appartement à la semaine qu’en travaillant… Et tout cela ne me paraît pas très « normal »…

    Le problème, c’est que le politique a complètement perdu la main, il ne peut intervenir qu’à la marge sur ce système fou, qui fonce tout seul, sans pilote et sans sens, partout dans le monde. Et que, le communisme ayant échoué dans le sang, aucune alternative crédible n’est (ne peut être) aujourd’hui proposée…

  • Jeff,

    Dans ton premier paragraphe tu opposes un système qui chercherait à être vertueux à un second qui serait donc vertueux, l’Etat et son interventionisme. Pour quelle raison ?

    D’accord avec le fait de chercher une morale, des principes, tant qu’il s’inscrit dans la liberté de choix de l’individu.

    Tu mets en paralèlle le salaire d’un trader et d’un ouvrier. Mais qui crée le plus de valeur ? Combien d’ouvrier pour combien de traders ?

    On en revient à l’analyse marxiste qui ne regarde que la valeur travail… sauf que si demain je crée avec mes petites mains un joli cendrier en terre cuite pendant 1 an, si je le vend, il faudra que je le vende au prix d’un cendrier auquel un acheteur sera prêt à me l’acheter : c’est la valeur relative qui crée la valeur de l’objet. De même, si ma perspective est de créer un objet d’art, il vaudra davantage qu’un cendrier courant car il sera considéré comme unique aux yeux des esthètes.

    Dans ton exemple de la location d’appartement, j’arbitre entre le fait d’avoir une activité plus productive et une activité de location. Si demain tout le monde fait de la location, j’ai intérêt à faire une activité plus productive car je suis sûr que la valeur relative de mon travail (ben oui je suis le seul producteur de cendrier) me permettra aisément de trouver un appartement.

  • Je ne crois pas que le libéralisme tente véritablement d’envahir la sphère des relations sociales.

    Oui certains exercices de micro-économie vont utiliser la théorie économique pour analyser le mariage, la sanction, etc…et ces exercices ont une valeur. Mais je ne pense pas que bcp sur terre croit que la logique macro-économique a plus de valeur qu’une logique morale sur ces domaines.

    Sur beaucoup de comportements moraux, je crois que c’est plus le vide laissé par:
    – la politique qui investit peu la sphère morale (si ce n’est sur le domaine de la laicité!)
    – l’influence décroissante de l’Eglise (en Europe)
    – voire une Ecole qui a voulu se débarasser de son rôle d’éducateur moral
    – voire même, si je veux faire mon réac, sur l’essor de la psycho/psycha posée en guide moral individuel (plutôt qu’en technique de résolution de difficultés psychologiques)
    …qui amène bcp d’entre nous (enfin pas nous, les autres!) à des comportements égoistes décomplexés.

    Englués dans cet égoisme, certains se justifient en brandissant des arguments de théorie économique libérale. Mais ils le font en sachant pertinement qu’ils mentent; ou bien parce qu’ils sont vraiment perdus.
    Pour prendre un exemple trivial, on a tous entendu la justification sur l’existence de Voici et des photos volées par le ‘il y a bien une demande’. Confusément, on sent bien que ceux qui utilisent cet argument n’y croient pas eux mêmes.

    Donc j’aurais tendance à récuser l’idée de ‘la poule et l’oeuf’ (cf billet).

    En revanche, je serais plus convaincu par l’argument que, passivement, le libéralisme conforte certains/beaucoup dans leur égoisme. Il ne le crée pas, il ne le justifie pas mais il peut le conforter.
    Par ex, il peut être tentant de penser que, par la redistribution magique des richesses à travers l’économie de marché, je n’ai qu’à consommer fortement en Europe pour que les pauvres de mon pays (voire des autres pays) s’enrichissent…et que je n’ai donc pas besoin de leur tendre la main directement.
    On sait que cela n’ait pas faux théoriquement mais qu’il y a des frictions (corruption), l’oubli de la notion de temps, un écart de richesse à rattraper qui demande plus que la logique de marché ne peut fournir…
    Et on voit bien la nécessité de technique comme le micro-crédit, mélange désormais classique de logique de marché et de générosité.

    Et là on pourrait dire qu’un effort pédagogique pourrait être fait pour montrer les limites connues du libéralisme et pourfendre les fausses justifications de nos égoismes.

    En conclusion, la lutte n’est pas tant de repousser l’envahisseur ‘libéraliste’ dans la sphère morale mais plutôt de
    (i) reconnaître les limites du libéralisme quand il croit stopper ‘la faim dans le monde’ et de savoir l’adapter quand nécessaire,
    (ii) de casser le carcan actuel (qui valorise plus l’égoisme malin que des valeurs plus généreuses) et d’exprimer haut et fort nos valeurs tout en exigeant des politiques ou de l’école ou de tout autre acteur d’important qu’ils relayent ses valeurs

  • Je dois préciser de nouveau que je n’attribue évidemment pas au libéralisme d’être la cause de la dépréciation des valeurs morales (pour parler en termes économiques).

    C’est ce que je veux dire dans mon billet lorsque je parle d’une même réalité aviaire (pour l’oeuf et la poule). Il faut de toutes façons toujours se méfier des tentatives de voir une cause unique à un phénomène.

    En l’occurence, je pense qu’un certain développement du libéralisme y contribue en renvoyant les décisions à un simple arbitrage individuel.

    En revanche, ce que Guillebaud dit bien, et ce que j’ai repris, c’est que c’est avant tout le contexte dans lequel le libéralisme se développe actuellement qui provoque un effet délétère. Et il me semble vain, voire malsain, d’envisager une doctrine, notamment économique, hors de son contexte humain.

    Bloglog > tu penses bien qu’avant d’écrire ce billet, j’avais contacté Rome. Plus sérieusement, je n’ai pas voulu mettre un lien vers un ancien billet du mois d’août reprenant le Compendium, notamment dans un extrait qui fait écho à notre échange avec Liberal :

    « Quand il remplit les importantes fonctions rappelées ci-dessus, le marché libre sert le bien commun et le développement intégral de l’homme, tandis que l’inversion du rapport entre les moyens et les fins peut le faire dégénérer en une institution inhumaine et aliénante, avec des répercussions incontrôlables. »

    Je n’ai pas voulu mettre ce lien d’une part parce que cette réflexion ne m’est pas dictée par un motif religieux (même si évidemment je ne peux pas écarter cette sensibilité, et ne le souhaite pas), ni par un auteur chrétien (bon, il l’est devenu, mais il ne l’était pas à l’époque de ce livre-là) et d’autre part parce que je trouve plus important que le message passe plutôt qu’il soit identifié « catho » (pour qu’il n’y ait pas de malentendu, ce n’est absolument pas un reproche que je te ferais, hein…).

    Je pense aussi qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour partager le propos.

    Enfin, sur ce sujet, je m’étonne que l’on persiste à me préciser qu’il n’est pas nécessaire d’être catholique pour avoir des valeurs. En 2 ans et demi de blog, je n’ai jamais affirmé une telle chose. Il faudrait donc prendre l’habitude de me répondre à moi et non à l’image fantasmée du catholique.

    London : reconnaître la place de l’individu, bien sûr. D’ailleurs, le Christ lui-même… Là où, à mon avis, le bât peut blesser, c’est que l’individu est nécessairement en société, et que l’on a un peu tendance à oublier cette société lorsque l’on axe trop les choses sur le primat de l’individu.

    Jeff, c’est un peu dommage de te sentir obligé de ressortir ton couplet obsessionnel sur la déception du sarkozysme sous ce billet. Ca rend d’ailleurs quelque peu moins crédible ta dénonciation du sego-bashing.

    Pour ce qui est de la morale, j’ai répondu plus haut dans ce com’. Mais j’ajouterai une chose : il se trouve que la morale peut aussi être religieuse et républicaine. Si fait.

    Pour le reste, je ne te suis pas sur l’ensemble de ton commentaire. J’ai un peu tendance à considérer, certes, que les bonus versés aux jeunes employés de banque sont un peu déraisonnables, même s’ils prennent aussi le risque de se faire mettre à la porte plus facilement qu’un ouvrier. Mon frère et ma belle-soeur ont été de ceux-là (pas traders, mais bon, gros bonus) et je me félicite qu’ils aient eu, visiblement, un système de valeurs suffisamment accroché pour ne pas partir en live. Quand on reçoit 150 000 € de prime à la fin de l’année à 27-28 ans, il faut savoir le gérer.

    Assez d’accord sur l’évolution du rapport entre les plus hautes rémunérations et les plus basses. Je ne suis pas de ceux qui critiquent le principe des hautes rémunérations mais, si ces chiffres sont avérés, ces écarts ne sont effectivement pas sains.

    Marko : c’est marrant, je suis assez d’accord avec ce que tu dis… Sur ton premier développement : je ne pense pas non plus que le libéralisme s’efforce d’investir la sphère morale. Je ne dis pas que ce soit intentionnel. Et c’est peut-être, en partie, à son corps défendant. Mais je pense néanmois que, par contagion, ses analyses sont reprises hors de sa sphère. Effectivement, certains truovent probablement dans le raisonnement libéral une justification facile à leurs propres inclinations. Mais je persiste : certains appliquent le plus sérieusement du monde l’approche de marché à d’autres sphères que la sphère économique.

    N’est-il pas étonnant et frappant qu’un Antony Lake ou un Jean-Paul Fitoussi emploient une expression comme « démocratie de marché » ? Instinctivement, ne réalise-t-on pas que cette expression opère un mélange des genres ?

  • En fait, même si ça parait étrange, je crois que l’on est d’accord sur le fond Koz car depuis le débuts des échanges on distingue individu et société.

    Alors que l’un ne peut exister sans l’autre.

    Et c’est en cela que je ne vois pas comment la transmission de valeurs morales pourrait s’assécher, sauf à considérer que tous les enfants sont séparés de leurs parents à la naissance et qu’ils s’auto organise sans participation d’un adulte extérieur. Sans cela, les enfants recoivent de leur parents, de leurs professeurs, des valeurs qu’ils échangent avec les autres enfants : comment y échapper ?

    (Par ailleurs, je suis persuadé que si les enfants s’auto géraient, ils finairaient par créer des valeurs, des mythes pour interpréter leur environnement et agir en conséquence)

    Je crois davantage que l’Etat est le responsable d’un délitement car les individus s’en remettent à lui plutot qu’à leurs proches pour les protéger des aléas de la vie. Les solidarités anciennes ont disparu. L’autre nous parait plus lointain, je n’en suis pas responsable car l’Etat veille. Et nous avons aujourd’hui une illustration quand Jeff dit que c’est, au final, l’Etat le plus vertueux. Nous lui remettons les clés de notre relation à l’autre.

  • Le problème, c’est qu’on a un peu trop tendance à mélanger les notions : libéralisme, finance, marchés financiers…

    london, tu poses la bonne question à Jeff. Qui crée le plus de valeur entre le trader et l’ouvrier? Ou plutôt, la différence de rémunération s’explique-t-elle par la différence de création de valeur?

    Tu sembles répondre par l’affirmative à cette question mais je n’en suis pas si sur. Quelle est la valeur créée par un trader? Par un quant? On sait la valeur qu’il capte. Mais est on sur qu’il participe à un deal à somme positive? Le lien entre le boulot du trader et le bénéfice perçu par les entreprises et les investisseurs est tellement distendu et abstrait que la réponse n’est pas évidente. Bien sur, on peut se rassurer en disant que si des acteurs privés sont prêts à le payer ce prix-là, c’est qu’il le vaut. Mais cet argument ne tient que si on est bien dans un domaine où la concurrence fonctionne correctement. S’il n’y a pas trop d’assymétries d’information ou d’externalités. Peut on vraiment affirmer que c’est le cas en l’occurrence?

    La finance de marché est censée rendre un service aux entreprises : leur donner un accès simple et pas cher à des capitaux. Tout le reste (information, liquidité, couvertures…) sert à aider les apporteurs de capitaux mais n’a de sens que si globalement on continue à servir les entreprises. Claude Bébéar, qui s’y connaît en entreprises et en finance, émet des doutes sérieux et argumentés là-dessus.

    Pour ma part, j’aimerais lire un jour une étude comparant d’une part le coût total que représentent les marchés financiers pour les acteurs économiques et d’autre part les fonds apportés par ces marchés aux entreprises. Je crains qu’on ne paie un prix exorbitant pour l’accès aux capitaux.

  • @Liberal : tout à fait d’accord, et surtout avec ta conclusion !

    Pour le reste, c’est le débat entre l’analyse technique (l’information est toute entière dans les prix dans un système de cotation continu) et l’analyse des fondamentaux (qui correspond plus à l’activité des entreprises, le bilan, les projets) en bourse.

    Chaque école se regarde en chien de faience, sourire aux lèvres, et au final, les deux ont sans doute raison et une utilité. Car l’un est orienté liquidité, l’autre valorisation. L’un permet l’autre.

  • @London:
    En fait je te proposait de lire mon lien, les extraits c’était du teasing masi l’encyclique en elle même n’est pas saucisconnable car elle developpe un pensée cohérnte et rationnelle, au sens qu’il n’est pas nécessaire d’être croyant ou catho pour la lire!!
    Et c’est souvent le cas pour pas mal de textes de l’Eglise!

    Allez London un effort! Clique sur le lien (je te rassure çà ne va pas te convertir), prends le comm un défi intellectuel, va au coeur de la pensée d’un pape pour la démonter! Franchement dans cette encyclique y a des idées et des concepts intellectuellement stimulants!

    http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_01051991_centesimus-annus_fr.html

    Benoît XVI dans son discours à la Sapienza explique justement bien comment théologie et philosophie sont autonome et peuvent se compléter.

    @Koz: Et c’est justement là où je te rejoins et je vais même plus loin! I ln’est pas nécessaire d’être catho voire chrétien pour lire des textes d’Eglise comme des encycliques!Moi ce qui me manque c’est que des non croyants fassent l’effort d’en lire pour le critiquer!
    Car 80% de ces non croyants ne lisent de la pensée écclésiale que des dépêches AFP!
    Moyen comme base de discussion!

    Je pense sincèrement que cette encyclique aborde la question du libéralisme dans ce qui peut en être une dérive, s’il d’un outil utile à une idéologie totalitaire, au sens de prétendre régler tous les rapports humains qu’ils soient matériels ou autres…

    A cette fin JPII développe sa pensée sur la base de son expérience personnelle de vie en pays communiste et de vie post chute du mur…
    MAsi je vous laisse lire et j’attends les commentaires, mais pas sur des extraits forcémment partiaux dans un sens comme dans l’autre…

  • « Je crois davantage que l’Etat est le responsable d’un délitement car les individus s’en remettent à lui plutôt qu’à leurs proches pour les protéger des aléas de la vie. Les solidarités anciennes ont disparu. L’autre nous parait plus lointain, je n’en suis pas responsable car l’Etat veille.  »

    C’est l’autre point intéressant soulevé par London et qui me pose également question, en effet.

    Lors de discussions précédentes qui abordaient le problème de la criminalité, certains (comme moi-même) ont rapporté ici des anecdotes de la vie réelle ou la solidarité de voisinage s’était montré plus efficaces dans la lutte contre la délinquance que les bataillons de police (de proximité ou pas d’ailleurs). De la même manière, la valorisation de l’environnement ou l’accès à la propriété des logements sociaux est une manière de forcer le respect et la responsabilité dans les quartiers. Nous en revenons aux mêmes bases de liberté, propriété, responsabilité qui sont mentionnées plus haut comme pièces essentielles du socle du libéralisme.

    C’est aussi d’ailleurs pour ceux qui connaissent bien la culture US, l’attachement a des libertés constitutionnelles comme celle donnant le droit de porter des armes. Ou beaucoup de choses de ce genre qui nous semblent étranges comme le sentiment anti-fédéraliste, etc.

    Entre parenthèses, concernant les enfants par contre je doute, car l’élément manquant est la connaissance du fait d’une éducation encore primaire et partielle.

    Pour en revenir à ce que je disais, ce qui vient à l’encontre de cette logique, c’est la dématerialisation et la complexité des phénomènes économiques, financiers, boursiers, spéculatifs, etc. qui rendent l’analyse en ces termes complètement vaine. Les intérêt croisés deviennent trop complexes à saisir, leurs effets induis trop indirects et les faits échappent à la théorie.

  • @ blogblog : promis je vais lire tout cela en entier mais je suis en même temps en train de lire Les droites en France de René Rémond et j’avoue que le style est coriace, donc j’ai du mal à lire de grandes choses en entier en ce moment. Mais c’est vrai que je n’ai parlé que des extraits que vous avez eu la gentillesse de nous laisser. Pas d’impatience ! Je vous promet pas que je viendrais refaire un commentaire ici pour une lecture critique mais je crois que d’autres billets m’en laisseront la possibilité !

    Et surtout, pour qu’il n’y ait pas d’à priori de votre part, je suis croyant aussi. Est ce que c’est le fait que je sois libéral et que je prone une certaine liberté de choix qui vous aurait induit en erreur ? Je ne rejettes pas du tout la lecture du texte en entier, encore moins pour des raisons idéologiques 😉

  • @ London,

    Je n’ai jamais affirmé que l’Etat ou son interventionnisme seraient vertueux par essence. J’ai simplement dit que le libéralisme devenait une idéologie quand il prétendait lui-même être vertueux par essence (la fameuse main invisible du marché qui aurait nécessairement un effet bénéfique) et s’affranchir de toute intervention de l’Etat. Et tout le monde voit bien que le problème aujourd’hui (y compris celui de Sarko) est que le politique ne peut intervenir qu’à la marge sur un système économique devenu tout-puissant.

    Je n’ai pas non plus comparé le salaire de l’ouvrier et celui du trader. Mais s’il faut répondre sur ce point, je reprendrais volontiers les arguments de Koz et de Libéral.
    Koz : « Je ne suis pas de ceux qui critiquent le principe des hautes rémunérations mais, si ces chiffres sont avérés, ces écarts ne sont effectivement pas sains ».
    Libéral : « Qui crée le plus de valeur entre le trader et l’ouvrier ? Ou plutôt, la différence de rémunération s’explique-t-elle par la différence de création de valeur ? Le lien entre le boulot du trader et le bénéfice perçu par les entreprises et les investisseurs est tellement distendu et abstrait que la réponse n’est pas évidente ».
    Et j’ajouterais une question un peu plus provocatrice : La différence de rémunération doit-elle être nécessairement proportionnelle à la « création de valeur » ? Au nom de quoi ? D’un principe intangible ? D’autres considérations peuvent-elles avoir droit de cité dans cette affaire ? Si non, on est bien pour moi dans l’idéologie…

  • Facile :

    Le marché, c’est bon pour les autres, mais pas pour moi.

    Oui à la concurrence des plombiers, non à la concurrence des avocats.

  • Parmi les mesures préconisées par la Commission Attali en figure une – qui nous aurait été bien utile à Ségolène et moi – qui prévoit d’ajouter, entre autre, l’économie au socle commun des connaissances.

     » dès le primaire…un enseignement concret, positif…il devra montrer que le scandale est dans la pauvreté plus que dans la richesse, dans les injustices plus que dans les inégalités  »

    Dans notre « inconscient collectif » la richesse est suspecte, elle s’acquiert au détriment des autres, sommes-nous prêts à entendre autre chose et comment empêcher le scandale de la pauvreté sans lier richesse des uns et pauvreté des autres ?

  • Blam. Alerte rouge démagogie. — nous en a pondu une belle. L’avocat, vilain, pas beau, l’avocat. Avocat = notable. Avocat = blindé de tunes. Avocat = élite. La corporation se protège, il n’y a pas de concurrence. L’avantage d’un tel propos, c’est qu’il n’est pas nécessaire de se demander si vous connaissez vraiment la réalité du métier, —.

    Carredas > pas mal, cette formule. C’est effectivement plus constructif que l’envie. Cela dit, parfois (et je dis bien parfois) inégalité et injustice se confondent.

  • Oui, je sais que tu n’as pas dit que l’Etat était vertueux, Jeff. Sauf que finalement tu considère que l’Etat doit pouvoir controler le marché, qu’il ne peut pas ne pas intervenir. Si ce n’est pas au nom de la vertu, qu’est ce qui rend l’Etat si irréprochable pour qu’il ait la main sur les échanges entre les individus ? Encore une fois, je ne suis pas contre l’Etat en tant que garant des libertés, mais je suis franchement minarchiste et aime assez peu voir l’Etat outrepasser sa mission.

    Tu fais une dichotomie entre politique et marché : or, il n’y en a pas. Ceux qui actent sur un marché sont politiques, participent à la vie de la cité. Au contraire, en l’absence de l’Etat, c’est l’individu qui gère le système. Sauf que contrairement à un Etat tout puissant, il ne peut le gérer seul. D’où règles communes, d’où politique.

    Pour la question du salaire, je me rend compte que je n’ai pas été complet. Il y a en gros quatre choses qui définissent un salaire : votre prix sur le marché du travail, votre degré de responsabilité, votre niveau d’expérience, votre degré de connaissance.

    Effectivement, on voit bien que la valeur seule ne définit pas le salaire. C’est pourquoi, j’ai aussi parlé du rapport qu’il existe entre nombre de traders et nombre d’ouvriers. Sinon, oui d’une certaine manière le salaire correspond à un pourcentage de la valeur créé par l’entreprise : attention, certains postes sont des centres de couts et d’autre des centre de profit. Chacun doit justifier d’une performance, l’un pour la création de valeur, l’autre pour la soutenir.

    Mais, pour être plus précis : quand vous créez une entreprise, le principal objet de sa création est de réaliser un profit par la vente d’un service. Et c’est en cela que le commercial est justement toujours mieux payé que la RH à échelon identique, le commercial est devant sur la chaine de valeur.

  • Article très intéressant pour lequel je vous remercie. Pour ma part, je fais mienne l’analyse de Schumpeter sur la main invisible.
    En réalité, l’essence du marché en économie libérale, ce n’est pas l’harmonie, mais bien au contraire une succession d’états d’équilibre puis de déséquilibres de manière à générer l’expansion économique, chaque période de déséquilibre étant induite par l’innovation.

    Bien sûr, ce que je dis vaut si l’on admet l’équation libéralisme économique = capitalisme.
    Voir à ce sujet ma note sur la processus de destruction créatrice
    http://heresie.hautetfort.com/archive/2007/12/04/capitalisme-socialisme-et-democratie-5-la-destruction-creatr.html

    A propos de l’économie administrée, je ne suis pas certain que le débat soit complètement mort : le problème, c’est plutôt l’économie administrée en milieu non-démocratique.
    Mais, si l’on considère la planification à la française, par exemple, ses résultats économiques ne sont pas si mauvais que cela.
    Schumpeter observait même que l’économie administrée tendait à gérer plus rationnellement les ressources et les compétences que l’économie de marché, mais, avec deux restrictions :
    – que l’initiative individuelle et la compétence soient toujours récompensées
    – que les pouvoirs publics de l’économie administrée agissent économiquement avec bon sens (pas une relance par la demande comme en 1981 par Mauroy, par exemple).

    Pour ma part, je tends à me méfier d’un état tentaculaire qui prend tout en charge et qui développe une forme certaine d’assistanat : il y avait tout de même une fin qui manquait dans le raisonnement de Schumpeter : il imaginait gérer l’économie administrée en plaçant aux postes clef des individus issus de la classe bourgeoise, car plus culturellement habitués à l’idée de la performance.
    Mais, il reconnaissait aussi que l’économie administrée ferait disparaître cette même classe.
    Que se passe-t-il, dans ces conditions, à la génération qui suit l’instauration d’une économie administrée…

  • Des commentaires pas hors sujet en direct du café du commerce 😉

    —————
    effigy : epo, laissetomber ils sont plus branchés
    cilia : la question est pour qui epo ?
    Eponymus : pour toi
    cilia : ben, j’ai un peu des sensations de montagnes russes en lisant tout cela
    Eponymus : allons bon
    Eponymus : c a d ?
    Eponymus : qu’en est-il ?
    Eponymus : mais encore
    cilia : je suis en bas parce que c’est, je trouve assez ardu, technique
    cilia : en haut sur des passages qui me parlent dt ceux de Lib, toi, même jeff
    cilia : en bas qd j’ai l’impression qu’on se trompe toujours à réfléchir à une société ‘idéale’ ou en tout cas stable parce que convenable
    cilia : en bas encore qd j’ai peur que c peut-être l’absence toujours plus grande de difficultés que nous cherchons à développer qui paradoxalement nous fait du mal, parce que cela ne convient pas à la nature humaine
    Eponymus : il y a des côtés théoriques déconnectés de la réalité il me semble dans le débat
    cilia : en haut qd je me prends à rêver qu’il suffirait de remettre de la morale pour régler le problème
    cilia : oui, j’ai aussi ce sentiment
    Eponymus : non mais je pense que tu as tout dit ds ta phrase
    cilia : laquelle ?
    Eponymus : sur la morale
    Eponymus : au fait, ct quoi le truc sur les croyances dont tu avais vainement tenté de me parler ?
    cilia : oulah ! faut que je me rappelle
    cilia : en même temps, si tu n’es pas plus dispo que l’autre soir… 😉
    jmfayard : C’est un doux rêve de voir dans la morale un levier pour changer les choses. La morale de l’actionnaire c’est la maximisation du rendement par actions. Point à la ligne. Parfois il se trouve que ça va dans le sens de l’intérêt général (le boulanger d’Adam Smith), parfois à son encontre (brevets sur les traitements contre le sida qui assassinent le tiers-monde). Il faut des règles, décidées démocratiquement. Au niveau supranational
    cilia : jm, c bien pourquoi j’écrivais ‘qd je me prends à rêver’
    Eponymus : le problème des labo pharma ceci dit, c’est la violation même du libéralisme dans le sens ou le brevet place le labo dans une situation de monopole de fait.
    Eponymus : et c’est un abus de cette position qui fait que les règles du libéralisme sont déjouées
    Eponymus : c’est le boulanger qui est le seul dans le monde à pouvoir fabriquer du pain et qui en plus le vend 600 fois son prix réel sous prétexte qu’il l’a mis la recette au point
    jmfayard : On peut le voir comme ça ou autrement. C’est très bien si des gens différents arrivent à la même conclusion par des chemins différents. L’important on le voit est qu’il puisse y avoir un moyen démocratique de modifier les règles du fonctionnement de l’économie.
    Eponymus : clair jm. mais il existe aussi une récupération idéologique d’un défaut qui consiste à attribuer à ce défaut la mauvaise cause et de fournir une mauvaise solution
    cilia : bon, je n’ai pas vos compétences, mais, ce qui me fait douter dans le libéralisme, c que c le meilleur système tant qu’on fonctionne entre personnes, ou structures ‘comparables’. Or l’humanité n’est pas uniforme
    Luc : jean-marie, désolé, mais je vois la morale comme une solution, contrairement à toi. Un actionnaire avec de la morale va poser un brevet sur un médiacament là où les patients peuvent payer pour s’enrichir et profiter de sa richesse pour aider les aurtes pays. Exemple : Bill Gates et sa fondation. Le capitalisme/libéralisme avec de mla moral est sain à mon goût
    Koz : MAIS VOUS ALLEZ ARRETER DE DEBATTRE DES BILLETS DANS LE CHAT, OUI ?
    Koz : C’EST UN MONDE TT DE MEME !
    Koz : Le chat, c’était fait (notamment) pour éviter les HS sous les billets. Pas pour faire des dans-le-sujet hors des billets…
    Koz : M’enfin

  • @Jeff
    Et j’ajouterais une question un peu plus provocatrice : La différence de rémunération doit-elle être nécessairement proportionnelle à la “création de valeur” ? Au nom de quoi ? D’un principe intangible ? D’autres considérations peuvent-elles avoir droit de cité dans cette affaire ? Si non, on est bien pour moi dans l’idéologie…

    Oui, il y a un principe intangible. Le droit de propriété est un droit fondamental de la personne humaine. Le droit d’être propriétaire du fruit de son travail est fondamental.

    Parler d’idéologie dans ce contexte revient à considérer les droits de l’homme comme une idéologie.

  • Libéralisme et capitalisme:
    il faut accumuler les richesses, capitaliser

    et pour cela, les moteurs sont:
    Avidité, Individualisme, Irresponsabilité, Envie, Egoïsme…
    AIIEE…

    je ne vais pas me faire des amis ici…

    alors j’en rajoute:
    oui au marché mais Régulé, Restreint,
    avec des Richesses Réparties,
    et une perspective de Réforme …

  • @ Liberal,

    Je ne savais pas que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirmaient que « la différence de rémunération doit être nécessairement proportionnelle à la création de valeur ». On m’aurait caché ça ?

  • Je ne savais pas non plus que la DDHC parlait de règles de rémunération non plus, Jeff 🙂

    Sauf à parler de : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé » ou « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».

    Car la propriété, comme l’explique Libéral, c’est le droit d’être propriétaire du fruit de son travail. Autrement dit, l’Etat n’a pas à intervenir sur la fixation de la valeur d’un contrat de cession d’un droit de propriété sauf, comme l’explicite l’article 17, si « la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Auquel cas, c’est l’Etat qui devient la contrepartie de l’échange et doit verser une indemnité qui correspond à une valeur normale d’échange.

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