Les soins palliatifs se meurent

Ce qui suit est le texte d’une tribune que j’ai fait paraître, avec trois co-signataires spécialisés dans les soins palliatifs, au Figaro. La tribune a été relayée par le site d’informations médicales Egora, ainsi que par La Croix, via une interview du Dr Jean-Marie Gomas. N’hésitez pas à la partager également, c’est important d’alerter sur la situation réelle des soins palliatifs, afin que le soutien public ne se limite pas aux beaux discours et autres visites complaisantes des établissements.


Tous les intervenants dans le débat sur la fin de vie plaident pour le développement des soins palliatifs. Y compris ceux qui s’apprêtent à les déstabiliser. Dans son avis N°139, le Comité Consultatif National d’Ethique soulignait qu’une ouverture à l’« aide active à mourir » ne pourrait intervenir sans un développement des soins palliatifs. Sans surprise pourtant, plus d’un an après, si le gouvernement a dévoilé les contours d’une légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, il reste mutique sur la stratégie de développement des soins palliatifs. Les plans triennaux ont laissé la place à une « stratégie décennale », donnant ainsi plus de temps au pouvoir pour ne pas respecter les objectifs qu’il proclamera – puisqu’aussi bien le droit d’accès de chacun aux soins palliatifs est affirmé dans la loi depuis 1999. Il faut dire que la ministre des professions médicales, Agnès Firmin-Le Bodo a eu l’idée déconcertante, pour mettre sur pied une stratégie de développement des soins palliatifs, de désigner un comité de pilotage sans y nommer le moindre praticien des soins palliatifs. Mieux, l’un de ses membres est connu pour des pratiques très éloignées de leur philosophie.

Il y a pourtant urgence. Car l’enjeu aujourd’hui n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement. Si rien n’est fait, les trente années qui se sont écoulées resteront comme une heureuse parenthèse, le rêve d’une médecine globale et humaniste, avant un retour aux antiques pratiques d’euthanasie.

Chacun de nous, signataires, a rencontré des soignants profondément angoissés devant la difficulté grandissante à exercer convenablement leur mission. Car c’est un secteur en crise que l’on s’apprête de surcroît à perturber.

La crise des soins palliatifs s’imbrique dans la crise globale de l’hôpital. La dureté de leurs métiers, la faiblesse de la rémunération des infirmières et aides-soignantes et, en région parisienne, l’impossibilité pour elles de se loger à une distance raisonnable de la plupart des hôpitaux, provoque une crise du recrutement.

Au cœur de cette crise générale, les soins palliatifs connaissent encore une crise singulière. La démographie médicale leur promet un avenir sombre. Une enquête réalisée en 2020 par Lucas Morin et Régis Aubry soulignait qu’il manquait déjà 110 médecins en 2020, et qu’il en manquerait  environ 300 de plus  à l’horizon 2025. Or, sans médecin, c’est tout un service qui ferme.

Les récentes réformes des études médicales jettent plus encore le trouble sur leur devenir. Diverses raisons se conjuguent pour dissuader en pratique les étudiants de se former aux soins palliatifs. Ainsi, les soins palliatifs ont-ils cessé d’être une spécialité. Le Diplôme d’Etudes Spécialisées Complémentaires (DESC), qui sanctionne la spécialisation médicale, a été supprimé dans ce domaine. A la place, une Filière Spécifique Transversale, comprenant une année de théorie, quatre modules et une année de terrain, a été mise en place. Cette formation devrait être intégrée par les étudiants au sein d’autres DESC, ce qui s’avère très difficile en pratique. Quant aux études de médecine générale, elles sont passées désormais de trois à quatre ans. Quel étudiant en médecine générale ajoutera encore une année d’études supplémentairepour se former aux soins palliatifs ?

Et c’est dans ce contexte déjà inquiétant et dégradé que le gouvernement entreprend de légaliser suicide assisté et euthanasie. Treize organisations représentatives de soignants ont dit leur opposition dans un avis éthique de février 2023. La réaction des personnels de soins palliatifs est particulièrement nette. Comme l’a souligné une grande consultation menée par la SFAP en août 2021, 70% d’entre eux refusent de provoquer la mort de leurs patients ; 37% annoncent leur intention de faire valoir une clause de conscience et, surtout, 33% envisagent de démissionner de leur poste. Que l’on approuve ou désapprouve leur position, c’est un fait. La France, qui ne forme déjà pas assez de nouveaux médecins en soins palliatifs, ne peut se permettre d’en voir partir.

Or, aujourd’hui, les rares mesures entendues dans le cadre de la stratégie décennale ne dépassent pas les artifices cosmétiques. La ministre, elle, a affirmé en juin dernier un objectif d’ouverture d’une Unité de Soins Palliatifs dans chaque département qui en est dépourvu d’ici fin 2024. Soit vingt dans les douze prochains mois ! Chacun sait que cet objectif intenable ne relève que de l’affichage politique. Au demeurant, les spécialistes des soins palliatifs préfèrent souvent d’autres modalités de développement qu’une ouverture systématique d’Unités de Soins Palliatifs. A lui seul, le manque de sérieux de cet objectif témoigne de l’inconséquence avec laquelle est abordé le développement des soins palliatifs.

Une réponse urgente et résolue s’impose pourtant. Parce que la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie est le choix de la facilité pour un exécutif. Parce qu’il y a lieu de craindre que le gouvernement comme les mutuelles (singulièrement engagées dans ce débat) l’aient entériné comme une option pseudo-réaliste face à l’avenir sombre des soins palliatifs en France et à la démographie vieillissante du pays. Et parce que nous sommes à un point de bascule et que les décisions que nous prenons aujourd’hui disent la façon dont nous mourrons demain. Que les choses soient claires : dans 5, 10 ou 20 ans, si des mesures radicales de protection et de créativité envers les soins palliatifs ne sont pas prises, contrairement à ce qu’agitent les promoteurs de l’euthanasie, alors nous n’aurons aucun choix. Un patient dont les douleurs ne sont pas prises en charge n’aura d’autre solution que de demander l’euthanasie. Nous aurons alors perdu notre ultime liberté : celle de vivre notre vie jusqu’à sa fin naturelle.


Erwan Le Morhedec, avocat, bénévole en soins palliatifs, auteur de Fin de vie en République – avant d’éteindre la lumière (Cerf, 2022)

Dr Jean-Marie Gomas, gériatre, spécialiste des soins palliatifs, auteur de Fin de vie : peut-on choisir sa mort ? (avec Pascale Favre, Artège, 2022)

Jeanne Amourous, infirmière en soins palliatifs

Séverine Lamie, aide-soignante en soins palliatifs

Photo de Lucas Myers sur Unsplash

6 commentaires

  • Monsieur,
    Je comprends votre position et j’espère que les soins palliatifs se développeront pour les gens qui désirent y être hospitalisés. Je souhaite par ailleurs que l on puisse proposer une autre fin aux personnes sans aucune perspective de guérison.
    Mon père est décédé des suites d’un cancer de manière indigne en septembre dernier. Il voulait quitter ce monde en étant conscient ; il a eu droit à une mort lente en HAD (soins palliatifs). Il voulait quitter ce monde en toute dignité sans protection urinaire et on lui a offert des couches. La cheffe de service en soins palliatifs a bien souligné que le patient était au centre de tout. Cela s’est avéré une belle supercherie.
    Il n’avait plus de forces, il souffrait psychiquement mais l’équipe médicale a décidé qu’il fallait attendre, attendre et attendre. « Profiter des plaisirs de la vie » alors qu’il ne pouvait plus bouger. Lui administrer des doses de médicaments qui le rendaient hors du monde alors qu’il désirait être conscient jusqu’à la fin. Qui ose faire ça en 2023 ?
    Je suis traumatisée de l’avoir vu quitter ce monde dans cet état de détresse. Il est parti dans une indignité totale. Lui, humaniste engagé depuis des années dans une réflexion autour de la fin de vie.
    Par ailleurs, je côtoie de nombreuses personnes dans le milieu médical et tous me disent que les injections létales se font depuis toujours. Seule chose : cela a lieu en toute discrétion. Hypocrisie, quand tu nous tiens !
    J’espère que mon témoignage vous permettra de relativiser vos propos. Comme vous, je pense qu’il faut augmenter le nombre de lits en soins palliatifs mais je suis également d’avis qu’aucun médecin n’a le droit de décider de la fin de vie de mon père.
    Quand le droit à l’avortement a été autorisé, une partie du corps médical a refusé de s’engager mais des médecins ont désiré jouer un rôle dans cette aventure. Je souhaite vivement que ce scénario ait lieu en ce qui concerne la fin de vie. Je côtoie de nombreux professionnels qui n’attendent que cela et notamment des infirmières qui sont sur le terrain et les plus au contact des familles.
    Cordialement,

    • Chère Madame,

      Je comprends évidemment votre traumatisme, récent de surcroît, et j’en suis désolé. Mais je m’étonne tout de même de cette volonté, ou ambition, de me conduire à « relativiser mes propos ». De quels propos parlez-vous, dans la tribune que vous commentez ?

      Vous me demandez de les « relativiser » au nom d’une expérience personnelle, et singulière. Puis-je vous dire que ce n’est pas au nom d’expériences personnelles que l’on doit légiférer ? Que, bénévole en soins palliatifs depuis 18 mois, à raison d’environ trois rencontres personnelles par après-midi chaque semaine, c’est plus d’une centaine de patients en fin de vie que j’ai pu rencontrer ? Plus d’une centaine de situations différentes ? Sans compter les échanges que j’ai avec les soignants et autres bénévoles ?

      J’ai bien conscience que les choses sont très différentes selon que l’on est bénévole, et présent une après-midi, ou que l’on est de la famille de la personne en fin de vie et impliqué en permanence, soit par sa présence soit émotionnellement. J’ai moi-même constaté, en accueillant un ami au sein de mon service de soins palliatifs, que ne serait-ce que dans ce cas, je réagissais différemment. Mais, au risque de déplaire, je dirais que le regard du bénévole n’en est pas disqualifié pour autant. Parce que précisément, le regard du proche est nécessairement, légitimement, empreint d’une grande émotion. J’ai vu des proches refuser d’admettre jusqu’au bout que la personne était en fin de vie, même quand son état devenait très explicite, et évoquer le retour à domicile. Et ce quand bien même le médecin, par trois fois en trois rendez-vous séparés, les a alertés sur la situation de leur parent.. J’ai vu des proches demander l’euthanasie pour des patients qui, eux, ne demandaient rien – et pas pour des motifs égoïstes, mais par bienveillance. J’ai vu des proches remercier les soignants d’avoir « fait ce qu’il fallait », persuadés qu’ils avaient euthanasié leur parent alors que celui-ci avait simplement lâché prise en arrivant en soins palliatifs. Aussi, je ne peux pas prendre par principe le récit d’un proche comme le tableau objectif de la situation d’une personne. Il y a trop de sentiments mêlés, d’incompréhensions, de contraintes psychiques, de douleur.

      Le regard du proche est éminemment légitime, mais il est à croiser.

      Je ne suis pas certain que le regard de l’équipe médicale serait le même que le vôtre. Pas certain d’entendre qu’elle aurait décidé (pourquoi ?) qu’il faudrait « attendre, attendre, attendre ».

      Mais si je dois prendre votre récit au pied de la lettre, je vous dirai que ce que vous dépeignez, c’est une mauvaise prise en charge. Car des patients au centre de la décision (ce qui ne signifie pas qu’ils décident de tout), je le vois régulièrement, chaque semaine, jusqu’à des situations dans lesquelles ils posent des choix qui peuvent choquer et déstabiliser une équipe soignante, comme je l’ai vu récemment avec une patiente autonome qui a décidé d’arrêter toute nutrition pour aller vers la mort, après une sédation profonde et continue. C’est révoltant, mais cela arrive en ce domaine comme en tout domaine. Face à une mauvaise prise en charge, la réponse, c’est de permettre une bonne prise en charge, pas la solution de facilité qu’est une injection létale.

      Je me permettrais aussi de vous dire que, s’il y a des mauvaises prises en charge palliatives, il y a aussi de mauvaises prises en charge euthanasiques, qui ne me semblent pas véritablement moins inquiétantes. Il est toujours possible de redresser une mauvaise prise en charge palliative, tandis que l’euthanasie a un côté un peu définitif.

      Je vois aussi que vous m’écrivez depuis la Hollande. Pays de ce gériatre, praticien d’euthanasies depuis 14 ans, qui affirmait en ma présence dans une émission d’Arte que « oui, trois fois oui, nous sommes sur une pente glissante, nous ajouterons toujours de nouveaux cas, et je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose ». Pays dans lequel des personnes atteintes d’une déficience intellectuelle ont été euthanasiées sans autre motif que leur déficience intellectuelle. Si l’on s’éloigne des Pays-Bas, on pourrait parler du Canada, pays dans lequel des personnes choisissent l’euthanasie par manque de ressources financières. Si vous voulez envisager cette question de la fin de vie, alors il faut l’envisager dans sa globalité. Et peut-être ne serais-je pas le seul dans ce cas à devoir être invité à relativiser ses propos.

  • Cher Monsieur,
    Merci d’avoir pris de le temps de me répondre. Bien évidemment, je suis consciente qu’on ne légifère pas en fonction d’une expérience personnelle. Je ne suis pas totalement sotte 😉
    Vous avez absolument raison en disant que l’équipe médicale avait un autre regard sur la fin de vie de mon père. Mon père n’a pas décidé de sa fin de vie ; le corps médical a choisi de le faire pour lui. Il parti dévasté et en colère. Comme vous le dites, la prise en charge médicale n’a pas été bonne. Je partage également votre opinion quand vous ajoutez que les mauvaises prises en charge n’ont pas seulement lieu en soins palliatifs.
    Vous faites référence aux Pays-Bas. Bien évidemment, il existe des dérives, comme en soins palliatifs mais permettez-moi de vous faire part de mon expérience (j’espère que celle-ci sera crédible !). Enseignante depuis plus de 20 ans à Utrecht, je côtoie de nombreuses personnes (enfants et adultes) qui ont eu affaire (dans leur cercle familial) à une fin de vie paisible. Je peux vous dresser de nombreux tableaux dans lesquels humanisme et séreinité étaient de mise. Je suis par ailleurs consciente qu’en soins palliatifs, il en est souvent de même.
    Dans votre tribune, vous opposez les soins palliatifs à l’euthanasie. Je suis d’avis qu’une société moderne doit permettre à chaque citoyen de choisir sa fin de vie : soins palliatifs, euthanasie ou tout autre forme souhaitée. La notion de choix me semble capitale. Seriez-vous prêt à penser de la sorte ?

    Bonne fin de journée,
    Sonia vd Broek

    • La question n’est pas d’y être « prêt », comme s’il s’agissait de la voie du progrès. La question est que ce soit fondé de penser de la sorte. Et si vous m’avez lu, vous aurez compris que je n’adhère pas à cette présentation simpliste.

      • Cher Monsieur,
        Si des patients souhaitent en finir immédiatement avec leurs souffrances insupportables et si des professionnels de santé désirent aider ces patients, où est le problème ? Si c’est un raisonnement simpliste, je le revendique car il en va de la liberté de l’être humain.
        Tout comme la liberté de chaque soignant de refuser tout acte médical ne correspondant pas à son éthique et à ses convictions personnelles.
        À en lire la teneur de vos propos sur votre site très intéressant, je pense que nous n’accorderons pas nos violons aujourd’hui 😉
        Bonne continuation dans vos combats.
        Bonne journée,

        • C’est en effet simpliste et je ne suis pas sûr que, à part par orgueil, il faille le revendiquer. Vous vous représentez un être fictif, agissant en pleine liberté, sans influences ni contraintes. Si celles-ci peuvent être aussi limitées que possible pour un certain nombre d’individus, elles seront bel et bien déterminantes pour d’autres, comme en témoignent les exemples que je vous ai donnés et auxquels vous n’avez manifestement pas souhaité accorder votre attention.

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