Rester unis ?

« Notre devoir est aussi, dans ce moment, de rester unis comme Nation et comme République ». Comment relire cette exhortation d’Emmanuel Macron, quinze jours seulement après son allocution, alors que tant de divisions se sont installées ? Alors que certains refusent toute compassion aux victimes civiles palestiniennes pour ne pas affaiblir le soutien à Israël ou par simple esprit de vengeance, et que d’autres nourrissent leur inclination pour la cause palestinienne d’un rejet d’Israël insidieusement mêlé de haine des juifs. Le recteur de la mosquée de Paris dénonce la flambée de propos anti-musulmans et, face aux centaines d’actes antisémites qui ont suivi l’attaque du 7 octobre, le dessinateur Joan Sfar constate que la France n’est plus un pays sûr pour les juifs. Au petit matin du 31 octobre, Paris a découvert sur ses murs des étoiles de David, agitant une sinistre mémoire.

Pour « rester unis », il faudrait l’être déjà. L’étions-nous, durant les émeutes de juillet dernier ? L’étions-nous déjà quand certains cherchaient délibérément à « tout conflictualiser » dans « le bruit et la fureur » ? L’étions-nous alors qu’à peine 12 heures après l’allocution d’Emmanuel Macron, Dominique Bernard est assassiné sur les marches de son lycée ? Moins tragiquement, on a assez dépeint l’archipel que serait devenue la France pour que l’idée surprenne. Peut-être l’invitation est-elle naïve. Peut-être, qui sait, devait-elle être lancée malgré tout, et sans illusions ? Mais en quoi la France est-elle unie ?

Il faut évidemment s’élever au-dessus de divergences légitimes, et fructueuses. Chercher l’alignement est aussi illusoire que suspect d’autoritarisme. Il faut encore faire la part des manifestations ostentatoires et du sentiment profond de la population. Et l’on pourrait même tenter l’optimisme, et imaginer que nos divergences culturelles nous permettent de nourrir une approche globale du conflit, et du monde. Pour autant, les dissensions que nous vivons ne sont pas anecdotiques. Elles mettent en cause notre conception de la dignité humaine, la légitimité de la violence, voire celle de la barbarie. La France n’est pas la seule concernée. Les campus américains ont vu monter des soutiens au Hamas sans nuances, sur fond d’empowerment d’une « résistance » et au son d’un effrayant « Gloire à nos martyrs ». Il faut à tout le moins avoir conscience que le chaos, chez nous, est assurément à l’avantage des régimes autoritaires. La meilleure preuve en est peut-être le fait que les tags antisémites sur les murs de Paris aient été commandités par un « individu russe anonyme ». Cette ingérence témoigne à elle seule de l’enjeu vital que constitue l’unité au sein des démocraties. Reste à définir l’essentiel : autour de quelle valeur supérieure ? Autour de quel corpus, quelle histoire, quelle vision ? Voilà peut-être l’aporie continuelle du discours macronien, et de la France.


Chronique publiée le 8 novembre 2023

Photo de Khamkéo Vilaysing sur Unsplash

6 commentaires

  • Bien que penchant personnellement pour un ferme soutien aux forces de défense d’Israel, plutôt qu’au gouvernement de ce pays , je trouve votre texte équilibré et utile.
    Merci .

  • Une remarque, quand vous parlez des sentiments de « la population ». Le pluriel aurait été plus judicieux. Il y a dorénavant plusieurs populations dans l’hexagone.
    J’ai vécu toute ma jeunesse dans le 19ème, la communale à Pantin, le collège et le lycée dans le 19ème. Il n’y avait pas de tension particulière, sauf de temps en temps des incidents avec des « blousons noirs », comme on disait dans les années concernées ( j’ai passé le bac en 68)

    • Un commentaire plutôt ironique sur un poste qui justement appelle à l’union, et à fonder et trouver de quoi faire nation de nouveau – en respectant les différences, et en conservant la liberté qui fait de notre pays une démocratie et non une autocratie.

      Néanmoins votre commentaire m’interpelle : vos proches sont-il plus victimes de violences ces 3 dernières années que vos camarade de classe l’étaient des blousons noirs ?

    • Alors précisément, quand je parle de « la population », je pense aussi aux populations de confession musulmane, qui se font remarquer pour des positions ostentatoires dont il n’est pas toujours certain qu’elles soient si majoritaires en leur sein

  • A propos d’unité, je crois que les élites politiques, intellectuelles et médiatiques, ne mesurent pas le discrédit dont elles sont l’objet chez les  » humbles ».
    Il suffit, bien souvent d’ailleurs, qu’elles défendent une valeur pour que tout le monde n’ait qu’une envie, c’est d’adopter une position contraire.
    Je voudrais témoigner aussi du fait qu’apparemment, ces élites ne réalisent pas le poids réel de l’antisémitisme en France. Il est énorme. D’ailleurs, pour faire le lien avec ma première proposition, plus ces élites défendent les juifs, plus les gens ont envie de les détester.
    Au fait, les musulmans de France ne sont pas, à l’heure actuelle, majoritairement « islamistes », selon moi, mais ils sont à mon avis très majoritairement antisémites…et absolument contre l’existence même de l’État d’Israël.

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