Euthanasie, dérive et déraison

Il n’existe pas de « dérives de l’euthanasie ». L’euthanasie est une dérive : l’adopter, c’est larguer les amarres et jeter le gouvernail. Déjà, alors que le texte n’est même pas voté, il a fait l’objet d’aggravations systématiques. Le projet de loi initial, déjà si permissif, a été aggravé à chacun des trois examens qu’il a subis. Ne serait-ce que dans sa dernière semaine de travail, la commission a rejeté les amendements demandant qu’un psychologue s’assure que le demandeur ne fasse l’objet d’aucune pression, rejeté l’amendement requérant que le médecin vérifie que son discernement n’est pas altéré, rejeté celui qui préservait les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle. Notre droit serait plus protecteur pour un citoyen qui veut prendre un crédit consommation que pour un trisomique qui dirait vouloir mourir. Il pose le principe de la vulnérabilité de certains citoyens en droit de la consommation mais resterait aveugle à leur fragilité face à la mort.

Le critère retenu par les députés d’une « affection en phase avancée », dont la Haute Autorité de Santé vient de souligner qu’il est dépourvu de pertinence médicale, conduit à rendre éligibles des centaines de milliers de Français. Une estimation prenant en compte les pathologies les plus graves (neuro-évolutives, respiratoires, cancéreuses, les maladies psychiatriques…) conduit à retenir plus d’un million de personnes. Mais plus de 14 millions de Français souffrent d’une maladie classée en ALD (affection longue durée). L’un des derniers amendements votés a renommé la proposition de loi : elle n’est plus « relative à la fin de vie » mais à « un droit à l’aide à mourir ». Pour une fois, c’est juste car de fait, les personnes éligibles à l’euthanasie ne seront pas en fin de vie.

Une euthanasie pourra dès lors être réalisée sans même que l’on puisse rapporter la preuve de la demande du patient (faute d’un écrit), par un médecin qui la décidera seul, en se contentant de recueillir à distance les avis même négatifs d’une aide-soignante (sa subordonnée, parfois) et d’un médecin dont le texte précise qu’il peut juger superflu d’examiner le patient. Il pourra être euthanasié en 48 heures… ou moins, si le médecin « estime » qu’il est conforme à la conception de sa dignité par le patient qu’il meure immédiatement. Personne ne contrôlera sa décision avant son exécution. Le médecin fera, a posteriori, une déclaration à une commission de contrôle dans laquelle, s’il n’est pas idiot, il s’abstiendra de rapporter qu’il a violé la loi. Sur cette seule base, ne contrôlant que cette déclaration et sans le moindre pouvoir d’investigation, la commission pourra conclure que la procédure est respectée. Rien ne devant entraver l’euthanasie, l’impunité est assurée.

Un député qui n’envisage pas le pire faillit à sa mission. Lorsque cela concerne l’autorisation donnée par l’Etat d’administrer la mort, c’est quitter définitivement les rives de la raison.


Photo de Joel Bengs sur Unsplash


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5 commentaires

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  • En Belgique, il faut l’avis de 3 médecins.Il faut que la demande ait été répétée.On s’assure bien sûr que la personne qui demande est en étât psychologique d’exprimer sa pensée sans pression extérieure.
    Il ne faut pas que l’affection soit terminale et peuvent être pris en compte un ensemble de pathologies qui rendent la vie impossible sans souffrance physique ou psychique.
    Dans toutes ces conditions, bien que prêtre catholique, j’ai accompagné des euthanasies qui me semblaient préférables à une prolongation de vie pleine de souffrance.
    Pensez-vous que Dieu à cré l’humain popur qu’il souffre?
    Ou ne se réjouit-il pas plutot que des gens puissent remettre leur esprit entre ses mains quand leur corps ne leu donne plus que soufffrances?

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    • On peut être prêtre catholique et faire erreur. Pour commencer, la loi du 28 mai 2002, dans sa version en vigueur, prévoit l’avis de deux médecins, pas trois. L’avis du deuxième médecin est consultatif. Quand bien même il serait négatif, cela n’empêche pas la réalisation de l’euthanasie. Il faut que la demande soit répétée, certes, sans que le texte ne prévoie d’intervalle.

      Je note que vous reconnaissez que la maladie n’a pas besoin d’être terminale et que la souffrance psychique suffit.

      Quant à demander si Dieu a créé l’humain pour qu’il souffre, je crains que ce ne soit une approche dramatiquement simpliste du sujet. Bénévole en soins palliatifs, j’accompagne les patients et les soignants pour lutter contre la souffrance des premiers. Si la souffrance me paraissait nécessaire, je m’abstiendrais. Je n’ai rencontré qu’une personne, en 3 ans, dont les soignants ne soient pas parvenus à apaiser suffisamment la douleur physique. Personne ne « prolonge » la vie, mais personne ne l’abrège non plus.

      Pour ce qui est d’interpréter la volonté de Dieu, avec tous les risques de nous tromper vous et moi, j’ai dans l’idée qu’il a plus de hauteur de vue que ce dont vous témoignez, et qu’il a connaissance des implications d’une légalisation de l’euthanasie sur une société toute entière, des pressions insidieuses que la société impose à ses plus fragiles (et qui ne se limitent pas à des pressions directes qu’il serait possible de contrôler), qu’ils soient âgés ou handicapés. Pression insidieuse d’une société qui peut même conduire un prêtre catholique à considérer que l’euthanasie est une chose nécessaire. C’est pour dire.

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  • Bonjour,
    je ne suis pas toujours d’accord avec vos billets, mais ils sont toujours intéressants.
    Là, je vous rejoins tout à fait dans la mise en évidence de la folie de ce qui est en train de se mettre en place.

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