Il est grand temps que chacun sorte de sa torpeur et combatte résolument la rumeur eugéniste qui s’amplifie. Certes pas un eugénisme injonctif, mais un conditionnement eugéniste, qui étend maintenant son emprise à la fin de la vie, dans une inquiétante connivence médiatique. Après bien d’autres plateaux, le journaliste de LCI et militant de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) Thomas Misrachi a bénéficié sur sa propre chaîne de pas moins de 15 minutes pour faire la promotion de son livre, Le Dernier Soir, consacré à son accompagnement du suicide de Jacqueline Jencquel. Vice-présidente de l’ADMD, elle avait décidé se suicider non parce qu’elle était malade, mais parce qu’elle refusait de vieillir. Sur le plateau, on a vanté son courage comme celui de Thomas Misrachi. Le journaliste a pu développer sa philosophie devant cinq confrères sans un soupçon de contradiction, avec même un frisson d’admiration. Episode isolé ? N’oublions pas que le 11 octobre dernier, le service public offrait déjà un prime time à Line Renaud, marraine de l’ADMD toute auréolée de la Grand-Croix de la Légion d’Honneur, pour y diffuser son téléfilm consacré au suicide d’un couple d’octogénaires.
Les paroles de Thomas Misrachi sont empreintes d’une peur et d’un mépris insondables pour la vieillesse. Mais étonnamment, c’est le courage qui est célébré alors que, comme l’a tout de même relevé Julien Arnaud sur le plateau, le mot « peur » revient 48 fois dans le livre. C’est bien la peur qui motive une « philosophie » qui invite à se donner la mort à 75 ans. S’agissant de Jacqueline Jencquel, il déclare qu’elle était « arrivée au moment de sa vie où elle n’avait plus rien à construire ». A 75 ans. Il n’y aurait donc plus rien à construire ? Chagall a peint le plafond de l’Opéra de Paris à 77 ans et Verdi, composé Falstaff à 80 ans. Claude Monet a achevé Le pont japonais à 82 ans, et Martin Scorcese, Killers of the Flower Moon, à 81 ans. Et puis… Stéphane Hessel n’a-t-il pas publié « Indignez-vous » à 93 ans et, à 95 ans, Line Renaud ne milite-t-elle pas toujours avec cœur pour le suicide des autres ?
Les derniers mots de Thomas Misrachi ce jour-là sont insupportables. Rejetant la vieillesse, qui n’est pour lui que dépendance, dégradation et « filet de bave qu’il faut essuyer », il insiste : « Ce n’est pas toujours une promenade de santé entre le moment où la société n’a plus besoin de vous et le moment où vous allez mourir ». Sur le plateau, personne ne réagit. Il faut pourtant entendre ces mots pour ce qu’ils signifient : « la société n’a plus besoin de vous ». Ils sont ceux de l’eugénisme. Ils font écho aux paroles d’élèves de Terminales devant lesquels j’intervenais le lendemain. L’un me demandait ce que je pensais des philosophes qui considèrent que, dès lors que l’on n’est plus utile à la société, il est légitime de se suicider. L’autre soutenait la « liberté de choix » des personnes âgées, dès lors qu’elles ne « pouvaient plus s’insérer dans la société ». A eux, je pardonne tout : ils ont l’insolence de la jeunesse, et je les avais poussés à la contradiction. Mais tous trois traduisent la même idée : il faudrait, en se donnant la mort, se retirer de la société lorsque l’on ne lui est plus utile. Mais qui l’est ? Et qui, après les personnes âgées, ne sera plus considéré comme tel ? Les mots du pasteur Niemöller me reviennent, pour les paraphraser : « quand ils sont venus chercher les [vieux], je n’ai rien dit, je n’étais pas [vieux]… ». A ceci près que nous serons tous vieux un jour. Alors après eux, qui ? Les déficients mentaux ? Qui, ensuite ? Les dépressifs ? Les personnes handicapées ? Pourquoi pas ? En Belgique ou aux Pays-Bas, on a bien euthanasié les uns comme les autres. On dira que c’est à leur demande : ce serait ignorer tout ce que l’on sait de la force du conditionnement social. Si notre société accepte avec aussi peu de réaction que sur ce plateau de LCI que l’on fasse de l’utilité sociale un critère pour que quiconque vive ou meure alors elle aura consacré l’eugénisme en son sein, envoyé ses pères à la mort. Elle aura, comme a pu l’écrire Michel Houellebecq, « perdu tout droit au respect ». Et avec elle ceux qui auront la lâcheté de se taire.
Thomas Misrachi, en militant de l’ADMD soucieux de ne pas nuire aux textes en gestation, se veut clair : la situation de Jacqueline Jencquel n’aurait rien à voir avec le suicide assisté et l’euthanasie, qui seraient réservés aux personnes malades. C’est faux. Et il se trahit, autant qu’il trahit les positions de l’ADMD, puisqu’il enchaîne immédiatement sur la description de la vieillesse comme une « maladie irréversible et incurable ». Il cite même « toutes ces petites polypathologies, comme la main qui tremble » (!), recourant précisément à la notion qui a permis à la Belgique de regrouper des pathologies bénignes propres au grand âge pour élargir l’accès à l’euthanasie. En 2022, 20% des euthanasies réalisées en Belgique ont concerné ces polypathologies, et 70% des euthanasies ont concerné des personnes de plus de 70 ans.
Il nous dit s’abstenir de prosélytisme. C’est au mieux candide, plus certainement d’une tartufferie accomplie. Car il le reconnaît en début d’interview, lui, militant : il s’est décidé à écrire ce livre pour contribuer au débat sur la fin de vie. S’il l’a écrit et s’il vient sur les plateaux exposer sa « philosophie », c’est nécessairement pour la faire connaître, donc militer. Nous voilà ainsi, de Line Renaud à Thomas Misrachi, à promouvoir tranquillement le suicide des vieux. Aucun message de prévention n’accompagne ces émissions. On connaît pourtant l’effet Werther, de contagion du suicide, et l’influence de sa promotion. Manifestement, les souffrances du jeune Werther nous indiffèrent quand il prend de l’âge. Les recherches du professeur David Albert Jones, sur la base de l’étude comparée des suicides en Nouvelles Galles du Sud et Victoria après la légalisation du suicide assisté dans ce dernier Etat ont pourtant mis en évidence l’accroissement constant des suicides dans l’Etat de Victoria, qu’ils soient assistés mais surtout, et de façon très marquée, non-assistés (Journal of Ethics in Mental Health, 21 décembre 2023).
Nous ne pouvons laisser se répandre ce discours névrotique sur la vieillesse, ni évoquer l’utilité sociale d’une personne pour juger de l’opportunité de sa mort. Souvenons-nous qu’au moindre accident, nous pourrions être ceux dont la société n’aurait plus besoin. Il est urgent d’opposer à ce discours ultra-individualiste d’abandon un projet de société fraternel et solidaire. Jamais une vie ne doit être évaluée au regard d’une quelconque utilité.
Paru dans Le Figaro du 9 février 2024 (et en ligne)
Comment ne pas être complètement d’accord avec Koz ? Et encore, il passe sous silence les moments de « grande écoute » sur France Télévisions ou sur Radio France lorsque des journalistes « célèbres » profitent de leur temps d’antenne pour promouvoir tout aussi honteusement l’euthanasie et le suicide assisté, avec l’approbation silencieuse du plus grand nombre. Ça me révolte à chaque fois ! Lorsqu’une « Marche pour la vie » a lieu à Paris ou ailleurs, que des témoignages poignants sont diffusés, c’est silence complet dans les rédactions de ces mêmes groupes de l’audiovisuel. La preuve que le choix a été fait de longue date de ne promouvoir que la mort. C’est révoltant ! Quoi faire ? Comment faire pour que ceux qui sont du côté de la vie humaine et de la valeur qu’elle a puissent avoir la parole, eux aussi ?
Le critère de l’utilité sociale est scandaleux. Déjà faudrait-il se mettre d’accord sur ce qu’est l’utilité sociale. Pendant le Covid nous avions bien repérer l’utilité de tous ceux qui ne pouvait pas travailler à distance, qui, Covid ou pas, devaient être présents dans les hôpitaux (du personnel de service aux chirurgiens), présents pour aider des personnes agées ou handicapés, présents aux caisses des supermarchés, présents pour débarrasser villes et villages des ordures ménagères, présents pour que tous continuent à avoir de l’eau, de l’électricité, du chauffage et bien sûr de quoi manger. Ce fut un moment pour réaliser que beaucoup de « sans grades » étaient indispensables à la vie de tous. On a déjà oublié… devenus vieux, tous ces gens là n’auraient plus d’utiitité sociale ? De qui se moque-t-on ?
Il ne peut, à mon sens , n’y avoir qu’un seul critère d’autoriser le suicide assistée : la combinaison d’une souffrance physique qui n’est pas controlable par médicament, combiné à l’impossibilité physique de se suicider seul.
Et même dans ce cas là, il faut balancer ce droit individuel et l’impact sur la société.
Pourquoi refuser de prendre en compte la souffrance morale : le suicide des jeunes est universellement considéré comme quelque chose à éviter, et pourtant la plupart le font à cause d’une souffrance morale.
Pourquoi le limiter aux personnes incapable physiquement de se suicider seul : le droit de tuer quelqu’un ou d’aider à tuer quelqu’un doit rester l’exception, et être limité le plus possible.
La balance droit individuel/impact sur la société fait toujours partie des considérations, quelque soit les droits acquis ou restreint.
Je trouve que les partisans de l’euthanasie, lorsqu’ils défendent leur position, devrait systématiquement expliquer pourquoi leur raisonements ne sont pas applicables aux jeunes, et pourquoi le suicide doit être assisté. Et les journalistes devraient les confronter à ces questions.
Faut-il ou non promouvoir l’euthanasie ? Promouvoir l’euthanasie n’a pas plus de sens que de promouvoir le mariage ou le célibat. Il s’agit en réalité de promouvoir la liberté de choisir. Choisir sa fin de vie, c’est encore si j’ose dire un choix de vie : liberté de choisir de rester jusqu’au bout du voyage ou de le quitter quand on l’a décidé. Après tout, c’est ce que nous faisons quand nous lisons un livre dont la lecture ne nous fait pas du bien, et que nous décidons de ne pas le lire jusqu’au bout. Qui a le droit nous en imposer la lecture jusqu’au point final ? Nous n’avons pas choisi de vivre. Mais nous pouvons choisir de continuer à vivre. C’est un choix que nous posons d’ailleurs à chaque minute de notre vie. Cela s’appelle, après les obstacles et les épreuves, la résilience. J’espère de tout cœur que cette ultime liberté sera enfin reconnue et encadrée. C’est notre ultime liberté.
J’ajoute que je suis même certaine que la pensée que chacun de nous pourra fermer le livre de sa vie au bon moment aura pour conséquence de faire baisser l’angoisse de la souffrance à venir, de la baisse des capacités, de la maladie et de la peur de vieillir… Et que beaucoup décideront de prolonger le voyage parce qu’ils seront rassurés. Enfin, Cette liberté de choix n’est pas non plus à opposer au développement des soins palliatifs, à l’accompagnement pleine d’humanité et de tendresse de nos malades et de nos personnes âgées. Opposer la « cruauté » des partisans du droit à choisir sa fin de vie à la » bonté » des partisans du développements des soins palliatifs et de l’accompagnement est profondément malhonnête. Ce ne sont pas des options qui s’opposent, mais des nécessités qui doivent se compléter. Elles doivent marcher main dans la main.
Je ne crois pas que décider de provoquer sa mort puisse être comparable au fait de fermer un livre, et j’ai tendance à me méfier des analogies euphémisantes dans ce débat.
Par ailleurs, j’entends votre argumentation, assez classique sur le sujet, qui promeut avant tout la liberté individuelle. Elle occulte le fait que nous ne sommes pas des êtres sans relation. Nous avons un entourage, des amis, des proches, il y a aussi les soignants, eux qui seront chargés de la mise en œuvre de votre décision. Je ne crois pas que pour toutes ces personnes, il s’agisse simplement de « refermer un livre ». Il s’agit de la mort d’une personne, avec tout ce que cela emporte de ruptures du lien, de déchirement, d’émotions, parfois de violence psychologique. Le soignant qui injecte le produit létal ne ferme pas un livre, il provoque la mort d’une personne.
Votre argumentation tend aussi à ignorer l’ensemble des interactions qui se jouent dans cette question, depuis la pression sociale jusqu’à celle des proches. Tout cela n’est pas un débat intellectuel. La réalité concrète, c’est aussi cette patiente que j’ai rencontré, qui affirmait vouloir l’euthanasie et dont j’apprends que le mari, désemparé, est dans la dévalorisation permanente, la comparant à une rescapée de Dachau, lui demandant de ne pas faire l’handicapée etc. Comment ne pas comprendre que cette femme, pour laquelle le maintien, l’élégance, ont toujours été essentielles, ne souhaite pas en finir ?
Ce n’est qu’un exemple, et un exemple récent. Je ne vais pas, ici, récrire mon livre. Mais non, envisager la question sous le seul prisme de la liberté individuelle ne peut pas être satisfaisant. C’est une vision excessivement simple d’une situation humaine et donc complexe.
Sur la question de la comptabilité entre les soins palliatifs et l’euthanasie, j’ai remarqué une chose : les seuls qui soutiennent que l’euthanasie est compatible avec les soins palliatifs sont ceux qui ne les pratiquent pas. Les soignants de soins palliatifs soutiennent massivement l’inverse. Étonnamment, on ne veut pas les écouter.
[note : vous êtes la seule à parler de « bonté » et de « cruauté »]
depuis que l’homme est sur la terre, il n’y avait pas ce problème, l’homme va maintenant vers la décadence, le nom respect de son humanité, il ne sait plus qui il est, sa conscience a été endormie, c’est une maladie comme la dépression ! peut-être qu’à force de bien-être, ou d’une société à deux vitesses, les gens qui perdent leur liberté ne se sentent plus libres de vivre leur vie jusqu’au bout, certains n’ont plus de respect pour les autres. La société se désagrège en ce cas. L’homme est créé pour un à venir. et dans la société humaine l’amour et le respect de l’autre doivent nous aider à vivre. Les soins palliatifs à l’hôpital devraient être la norme dans une société civilisée et les soignants spécialisés salariés de la Sécurité sociale. Ce n’est pas parce qu’on soufre qu’on est pas humain et respectable et la douleur peut être amoindrie quand on se sent aimé, soutenu.