Sur l’autre rive


Raconter à son retour.

Mais suis-je seulement déjà revenu ? Ou suis-je encore au bord du lac de Tibériade animé d’une brise légère ? Sur les pentes du Mont des Béatitudes, cueillant un épi de blé comme un disciple suivant le pas de Jésus ? Au Mont Thabor, devinant au loin Nazareth sur le flanc des collines ? Suis-je vraiment revenu, ou suis-je encore un peu à Gethsémani, lieu des larmes, Gethsémani face pourtant à cette Porte Dorée que Jésus, le Christ, a emprunté lors de sa montée à Jérusalem, ce jour où le peuple le célébrait, avant de le livrer ? Je garde mémoire de ce lieu dont sourdait une forme de lamentation, comme si la terre et les oliviers s’y souvenaient de l’abandon[1]. Suis-je bien revenu ou ai-je laissé un peu de moi au Golgotha, calvaire en la basilique du Saint Sépulcre, ou au pied du Mur des Lamentations, me souvenant du temple, détruit, reconstruit ?

Il est certainement des voyages profanes dont on ne revient pas totalement, des pèlerinages en des lieux voisins où l’on laisse un peu de son cœur, de son esprit. Dont on ne parvient pas à revenir tout à fait, ce lundi matin-là. Un pèlerinage en Terre Sainte est probablement l’un des rares  voyages qui engagent tout l’homme, par ce que ses sens perçoivent, ce que son cœur ressent, ce que ses entrailles pressentent.

J’ignore si j’ai laissé de moi-même en cette Terre Sainte que je brûlais de visiter depuis si longtemps, ou si j’ai rapporté un peu d’elle avec moi. La foi ne s’est pas abattue sur moi avec une certitude irrévocable, au milieu d’une nuée et du chant des anges. Je sais en revanche que mon chemin est passé par cette terre, et que cette terre m’accompagnera sur mon chemin. Comment entendre la Parole de la même manière, surtout en cette semaine sainte, alors que commence le triduum pascal ? Ces lieux ne sont plus des représentations pour moi. Je vois le Mont Thabor, lieu supposé de la Transfiguration. Je vois la Vallée aux[2] Oiseaux, par laquelle le Christ est passé, venant de Nazareth et rejoignant Tibériade. Je vois cette Galilée que nous avons eu la chance rare de trouver verte, comme Il a pu la connaître. Les rives du lac, ornées de joncs que l’on imagine sans peine écartés par Jésus, passant de Tibériade à Bethsaïde, ou en chemin vers Capharnaüm. Le « triangle évangélique » est si petit et pourtant, c’est dans cet espace que furent prononcées les paroles qui animent vingt siècles plus tard plus d’un milliard de chrétiens. C’est le lieu de la Révélation, et de l’incarnation. Car, pour qui y croit, le christianisme n’est pas une idée immanente, une théorie surplombante, mais une rencontre, en un lieu, précis, entre Dieu et les Hommes. Et le christianisme est une incarnation, en un homme, qui se trouvait en un lieu.

On ne raconte pas en peu de mots un pèlerinage en Terre Sainte, on ne traduit pas la paix au pied de l’autel face au lac, ni l’abattement à Gethsémani, et l’on ne peut dire que bien peu de choses de cette Terre en un seul, premier, et court passage. Ce passage, nous l’avons achevé… à vrai dire, sur un chemin : celui des pèlerins d’Emmaüs. Car, dans une rencontre que seule la Terre Sainte autorise, nous avons célébré les Rameaux et donc entendu l’évangile de la Passion du Christ au monastère d’Abu Gosh, en ce lieu qui témoigne de la suite : la Résurrection et un Chemin ininterrompu. Comme probablement résonnera, ininterrompu, ce pèlerinage en moi.

 

  1. comme je n’oublierai pas non plus Yad Vashem, visité dans une même journée, comme unis dans une si profonde tristesse commune []
  2. ou des Oiseaux ? []

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20 commentaires

  • Fantastique d’avoir fait ce pèlerinage en Semaine Sainte, bravo ! J’aimerais un jour faire aussi ce voyage. Photos très intéressantes.

  • Foi de gars qui vient de le faire après avoir hésité des années, il ne faut pas hésiter. Si la question est financière, il y a des solutions économiques. Si la question est celle de la sécurité, elle est en fin de compte plus grande qu’en France par les temps qui courent. Et c’est un voyage d’une densité incroyable, à tel point que j’ai renoncé à raconter véritablement. Il faudrait évoquer les dimensions historiques et archéologiques, les relations entre les communautés, décrire tant de lieux et l’impression qui en est restée… et tout cela pour un simple pèlerinage d’une semaine, quand des personnes y consacrent leur vie.

  • Merci pour ce beau commentaire et les belles photos de ce voyage inoubliable que nous avons eu la chance de faire il y a 2 ans avec le père Fabre et le collège des Bernardins.
    Quel retour aux sources!

  • Nous y étions au même moment et je ne peux que me retrouver dans ce que vous écrivez. Il y a un avant et un après. Bon triduum pascal !

  • Très bel article comme toujours, en peu de mots, mais qui laisse voir toute l’émotion que vous ressentez en écrivant ces quelques lignes…. Superbes photos !
    De saintes fêtes pascales à vous également, et que Dieu vous bénisse, ainsi que votre famille !

  • Merci, Koz, pour cette « relation » et les belles photos qui l’accompagnent. Pour un ancien directeur de l’Ecole biblique, qui a passé six années de sa vie en tout à Jérusalem, ce billet crée une certaine nostalgie. Mais j’ai surtout gardé un peu de mon cœur sur les bords du lac de Galilée, à Tabgha, Capharnaüm, où l’on a le sentiment que les lieux n’ont pas changé depuis plus de deux mille ans… Et puis, il y a toutes les rencontres, si diverses, que vous évoquez quelque peu… Tout cela est vrai, comme est vrai aussi que, pour le résident, au fil du temps, la pression du temps, de l’actualité et de l’environnement se font sentir, et ternissent quelque peu les souvenirs idylliques. Bonnes fêtes de Pâques à vous et votre famille.

  • Merci Koz. C’est exactement cela et cet sentiment, cette vision dure un bon moment quand le dimanche la Parole de Dieu nous renvoie sur cette terre.
    Merci pour les photos.
    Bon Triduum !

  • Le meilleur souvenir que j’ai conservé de Terre Sainte, c’est le clapotis de l’eau contre la coque du bateau quand celui-ci arrête son moteur pour un temps de silence au milieu du lac de Tibériade. Peut-être parce que Jésus a entendu lui-aussi ce clapotis et admiré les rives du lac ? Un peu aussi parce que cet endroit où Jésus est passé n’a pas pu être recouvert par une basilique . Mais j’aimais bien aussi le puits de la Samaritaine à Naplouse.

  • Au rang des « meilleurs », j’en garde deux, @ Bruno ANEL : Gethsémani, et la messe célébrée à Tagbha, sur le bord du lac, probablement pour la même raison que vous. Malheureusement, je crains que ceux qui pilotaient le bateau sur le lac aient confondu une démarche de pèlerinage et une fiesta sur un bateau-mouche. Ils ont mis du temps à couper la musique, ce qui m’a passablement irrité. Au moins, durant la messe, nous étions dans un recueillement quasi-parfait (et au moins dans un silence complet, si l’on excepte les bruits sympathiques de l’eau, des oiseaux et du vent dans les arbres). Comme vous, manifestement, je suis plus sensible aux lieux physiques, aux espaces presqu’inchangés qu’aux basiliques. Entre les traditions orientales et orthodoxes, le moins que l’on puisse dire est que c’est chargé et que l’on ne voit plus grand-chose du lieu qu’elles sont censées préserver. Les constructions récentes (à Nazareth ou à Capharnaüm) sont loin d’être les plus heureuses.

    Tenez, j’ajouterais tout de même un autre souvenir fort : le chemin de croix dans les rues de Jérusalem.

    Mais pour la peine, j’ajoute deux photos. La première est celle du lieu où nous avons célébré la messe. La deuxième me plaisait surtout par son arrière-plan, de pentes presque vierges.


    @ Hervé Ponsot : je n’ai pu avoir qu’un simple aperçu. Mais comme vous le dites assez bien, cela a aussi l’avantage de ne pas vivre trop fortement la pesanteur d’un quotidien et des enjeux religieux et politiques locaux. Belle fête de Pâques à vous aussi !

    @ Zabou + : j’en suis heureux pour toi.

  • C’est beau d’aller marcher sur les pas du Seigneur!
    Mais si j’avais les moyens, je n’irais pas . J’ai trop mal pour tous ces Palestiniens qui vivent comme des chiens, en apartheid. Humiliés comme le Christ, privés de leurs terres, de leur eau, arrêtés arbitrairement, torturés, empêchés de nager ou de pêcher librement à Gaza, vivant dans des maisons parfois détruites 10 fois à peine des abris, privés d’école souvent, de voyage, chassés de Jérusalem …. comme Notre Seigneur !
    Pardon pour cette pensée !
    Ce retour à la source est légitime. Mais portons ces souffrances près de Jésus afin qu’il bénisse les efforts de paix et de justice pour tous sur cette Terre Sainte.

  • @ marc berger : parce qu’en refusant d’y aller, vous les aidez davantage ? Parce que vous n’allez que dans des pays dont vous partagez les options politiques ? Parce qu’il n’existe pas des arabes israéliens et des arabes chrétiens que l’on peut aider en étant présent ? Parce qu’il est interdit d’être à la fois présent en Israël et dans les territoires palestiniens ? Parce que les juifs israéliens ne paient pas aussi le prix du sang sur place ? Ne soyons donc pas manichéens.

  • C’était un plaisir de vous saluer à Abu Gosh.

    Si je restitue bien la chronologie, j’ai dû faire, de façon légèrement désynchronisée, à peu près le même pélerinage que vous à peu près en même temps, et nos chemins se sont rencontrés à l’ « Emmaus des Croisés »
    C’était, pour moi aussi (à l’âge respectable de 50 ans tout de même : j’ai été lent à me décider), mon premier pélerinage en terre sainte, et je me retrouve parfaitement dans ce que vous écrivez.
    Dans ma mémoire, plutôt que des édifices, des paysages : la Galilée verdoyante, le lac de Tibériade (et ce sentiment, quand le moteur du bateau s’arrête, que « c’était comme ça il y a 2000 ans »), le désert de Judée aussi, là où la tradition situe les tentations du Christ, un lieu où l’on se dit qu’on ne peut pas tricher, ni faire le malin.
    La messe en plein air à Tagba, devant le lac. Un pur moment de grâce.
    Tous ces textes des évangiles lus in situ.
    Cette messe des Rameaux à Abu Gosh aussi. Et, en général, l’extraordinaire acoustique des églises laissées par les croisés (en y chantant, on se dit qu’elles ont été conçues au moins autant pour l’ouïe que pour l’oeil).

    Je ne peux qu’encourager tous ceux qui ont la chance d’en avoir les possibilités financières et physiques (il faut souvent marcher un peu) à tenter l’expérience. On ne lit, et goute, plus, les Evangiles après comme avant. C’est frappant, marquant

    Salut à vous, camarade d’Abu Gosh

  • Merci KOZ. Je m’y retrouve totalement (nous avons péleriné à 12 couples en 2010). Le bain à l’aube et la messe sur cet autel de la berge de Tibériade nous transportent encore aujourd’hui ainsi qu’une messe chantée à Sainte Anne. Cela m’a poussé à embrayer sur le pélerinage des pères à Vézelay dont je reviens rincé à tout point de vue : autres émotions et autre « résonnement » qui m’ont entraînés à revisiter votre blog. Continuez, s’il vous plait : votre parole et votre écho sont précieux. Sylvain Gaudillat

  • L’effervescence qui a suivi directement notre pèlerinage m’a fait oublier de répondre et pourtant, Denis Moreau a écrit :

    Dans ma mémoire, plutôt que des édifices, des paysages : la Galilée verdoyante, le lac de Tibériade (et ce sentiment, quand le moteur du bateau s’arrête, que « c’était comme ça il y a 2000 ans »), le désert de Judée aussi, là où la tradition situe les tentations du Christ, un lieu où l’on se dit qu’on ne peut pas tricher, ni faire le malin. La messe en plein air à Tagba, devant le lac. Un pur moment de grâce. Tous ces textes des évangiles lus in situ. Cette messe des Rameaux à Abu Gosh aussi.

    Et c’est exactement cela. J’ai regardé, aussi, les édifices, mais – sans parler de la beauté relative, ou de la laideur avérée, de certaines constructions modernes – ce sont vraiment les lieux qui m’ont marqué et qui me restent encore aujourd’hui. Nous ne sommes pas allés au désert de Judée, mais l’occasion se présentera peut-être.

    @ Sylvain Gaudillat : merci. Après des semaines bien bousculées, je reçois ces temps-ci des encouragements, et ils sont appréciés à leur juste valeur.

    Je reviens du pélé des pères au Mont Saint Michel. Apparemment moins rincé que vous par la pluie mais toujours touché par la fraternité de ces pèlerinages.

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