
Il est parti sans fermer la porte. Le 17 juin 2013, François est dans la salle Paul VI au Vatican. Il renverse la parabole bien connue du bon Pasteur : elle n’a pas perdu une brebis, notre Eglise, mais quatre-vingt-dix-neuf. Elle court le risque de rester là à peigner la seule qui lui reste, lui « faire des frisettes ». Déjà, lors du conclave, François avait exhorté les cardinaux : oui, dans l’Apocalypse, le Christ frappe à la porte pour entrer mais pensons à toutes les fois où il frappe à la porte de l’Eglise pour qu’on le laisse sortir. Résonnent en écho les paroles si fortes de Jean-Paul II, dont la musicalité parvient encore à nos oreilles : « Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! N’ayez pas peur ! ». François nous a appelés à ne pas avoir peur des sentiers boueux, de salir les aubes blanches, préférant « une Eglise accidentée plutôt qu’une Eglise malade ».
François voulait que cette Eglise aille aux périphéries, soulignant ces « deux logiques de pensée et de foi : la peur de perdre ceux qui sont sauvés et le désir de sauver ceux qui sont perdus ». Nombre de ceux qui étaient sauvés, par l’Annonce, se sont sentis brusqués ou ignorés par celui qui ne se souciait pas de leur faire des (f)risettes. Reconnaissons que François alliait l’exhortation à la joie au maniement de la rudesse. C’est aussi qu’il s’adressait à des fidèles adultes, « affermis dans la foi » par le grand théologien qui l’avait précédé. « N’ayons pas peur de la bonté, et même pas non plus de la tendresse » : ses mots font écho à son rappel, plus élevé, à la miséricorde. Celle-ci a pu dérouter ceux qui comptent sur l’ordre et sur le cadre. Fallait-il que cela nous émeuve, comme des fils aînés chagrinés des efforts et de la joie débordante pour le retour du prodigue ? Fallait-il que cela surprenne les disciples de Celui pour qui l’Amour accomplit la Loi ?
Il nous a tellement reconnus adultes qu’il nous aurait presque incités à tuer le père. Il y a 12 ans, La Vie avait osé ce titre en Une sur un profil de François : « L’anti clérical ». Il avait ainsi anticipé, sans que le lien ne soit direct, ce que les révélations sur les agressions sexuelles dans l’Eglise nous ont contraints à accepter par la force : porter un juste regard sur le clergé, à ne pas regarder de haut, ni contempler d’en bas. Alors on n’attribuera pas à un seul homme, fut-il pape, la paternité du frémissement qui semble parcourir l’Eglise. Mais c’est ainsi : ce pape, qui a porté la Croix jusqu’au bout, a vu le matin de la résurrection. Il est décédé au terme du Triduum alors que tant de « brebis » se sont présentées, au Frat, et dans la nuit de Pâques. Comme d’autres, en fin de vie, attendent le retour d’un proche pour mourir, il aura attendu une nouvelle fois la Rencontre.
Peut-être est-il parti en chantant le cantique de Syméon : « Maintenant, Seigneur, Tu peux laisser s’en aller ton serviteur en paix selon ta parole, car mes yeux ont vu le salut que tu prépares à la face des peuples ».
(l’illustration est un souvenir : billet de 2015…)
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