Au nom du peuple

Marine Le Pen et les autres condamnés du RN sont ingrats. Ils fustigent le tribunal correctionnel alors que celui-ci leur a offert une issue inespérée en assortissant l’inéligibilité prononcée d’une exécution provisoire : il n’est plus question que de cela et jamais des faits qui ont mené à leur condamnation. Car la question n’est pas celle de savoir si les assistants parlementaires « ont travaillé ». La question est qu’ils n’ont jamais travaillé comme assistants parlementaires de députés européens, et se sont consacrés uniquement à la politique nationale et à la vie du parti. Le Parlement européen s’est ainsi retrouvé notamment à payer la secrétaire et le garde du corps de Marine Le Pen. Les éléments rapportés dans le jugement sont édifiants : il ne s’est pas agi de petits accommodements, mais d’un détournement de fonds érigé en système, délibérément et consciemment. La preuve de la connaissance de son illégalité par les eurodéputés eux-mêmes, le trésorier et la présidente du mouvement est rapportée par écrit. Ce système a perduré pendant 12 ans et a coûté aux contribuables 4,1 millions d’euros.

Il est lamentable que des hommes et des femmes politiques, singulièrement à droite, se soient égarés, au-delà d’une indulgence coupable par petit calcul politique, dans l’expression de leur trouble ou la dénonciation d’un « gouvernement des juges ». Ces critiques, particulièrement inopportunes dans un contexte où des démocraties illibérales s’enfoncent dans la déstabilisation de la justice, puisent en vérité à une même vision : un suprémacisme politique et son corollaire, l’impunité du personnel politique. Rappelons qu’en son temps, Jean-Luc Mélenchon hurlait que la République, c’était lui.

Car les politiques, propriétaires de la parole publique face à des magistrats largement astreints au silence, imposent une vision biaisée de la démocratie, dans laquelle ils règnent en maître. Non, toute légitimité ne repose pas sur le suffrage en démocratie. Et c’est heureux. Car si la justice recherche la vérité, le suffrage se contente de la majorité. Avec ses travers, inhérents à toute construction humaine, la justice vient malgré tout rappeler que la vérité et l’opinion ne se valent pas. La position développée par les politiques revient à dire qu’in fine, le politique peut bien être un condamné, le peuple pourra donner l’absolution. Cela confine bel et bien à la revendication d’une impunité, là où le tribunal leur a opposé leur devoir d’exemplarité. Et la convocation, par le petit milieu politique, de la souveraineté populaire ne procède pas d’une profession de foi en la démocratie mais d’une cynique flagornerie. Ce n’est pas par respect du peuple qu’ils l’invoquent, mais avec la certitude que les électeurs, versatiles et amnésiques, sont aussi prompts à hurler au « tous pourris ! » qu’à élire des délinquants, pourvu qu’ils soient de leur camp.


Chronique parue le 9 avril 2025 (une chronique est en ligne sur lavie.fr à la suite du retour au Père du pape François)

Image générée par IA (mea maxima culpa)


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  • Bonjour,
    Merci pour ce billet. Je partage tout à fait votre point de vue sur cette propension des politiciens à vouloir se tenir au-dessus des lois et de la justice avec pour seule référence le jugement des urnes (le summum ayant été le cas Balkany / Levallois : alternance de condamnations et d’élections).
    Par contre, je ne vous rejoins pas dans la position en laquelle vous tenez la justice. Je trouve votre perception beaucoup trop idéalisée. Elle serait entendable s’il ne s’agissait d’une profession si fortement politisée. Bien sûr, promis, juré, tout comme les journalistes et le corps enseignants, tous ont des opinions à titre personnel mais sont d’une impartialité et d’une neutralité absolues dès lors qu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions. J’ai du m’y reprendre à trois pour l’écrire sans m’étouffer de rire…
    Ce problème majeur, pour une fois visible lors de l’affaire du mur des cons qui fut ô combien révélatrice. Mais ces manquements gravissimes ne furent suivis que de tirages d’oreilles bien symboliques.
    Enfin, sur le cas que vous pointiez, ce qui me choque le plus, ce n’est pas tant la volonté de se positionner au-dessus des lois car c’est malheureusement une constante de nos politiciens de tous bords, mais c’est le fait que la sentence ne soit pas la même pour tous. Certes, là, l’ampleur, la durée de ce système semblent particulièrement importants. Mais notre actuel premier ministre était dans les mêmes combines quelques mois plus tôt, et il a écopé d’une gentil : « ce n’est pas bien, ne recommencez pas ».
    Si la marge d’appréciation des juges était moindre, si leur idéologie n’affectait pas leurs jugements, je serais d’accord avec vous.
    Dans mon métier, il est un adage : « qui contrôle les contrôleurs ». Je dirai donc qui juge les juges ? Mais juger pour de vrai, pas façon école des fans où les notes vont toutes de 9.5 à 10 quelle que soit la prestation.
    Ensuite, je souscrirai à votre analyse.

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