« Je suis favorable, à titre personnel, à ce que la France évolue vers le modèle belge ». L’année écoulée depuis cette confession involontaire d’Emmanuel Macron en pleine campagne, a-t-elle été autre chose qu’une parenthèse, la Convention citoyenne davantage qu’un artifice politique, et les rencontres, dîners à l’Elysée ou visite au pape plus que la danse ordinaire pour amadouer les opposants ? Quel degré de bienveillance, louable en son principe, faut-il avoir eu pour imaginer que l’engagement public pris devant Line Renaud pouvait être remis en cause ? Après pourtant quatre mois de travail et autant de communication, la Convention citoyenne sur la fin de vie a rendu un rapport, remis en grandes pompes à l’Elysée malgré sa faiblesse : sur les soins palliatifs, il additionne de bonnes intentions et, sur l’euthanasie ou le suicide assisté, confronté au réel, le rapport propose pas moins de… 19 scénarios.
Et c’est bien du réel que vient la difficulté puisqu’aussi bien tout le monde s’accorde à ne pas vouloir mourir dans des souffrances insupportables que rien ne pourrait soulager (selon la terminologie ordinaire des sondages). Or le réel souffre quand la Convention propose la possibilité que la demande d’euthanasie soit formulée par la personne de confiance, lorsque la personne concernée par l’euthanasie n’est pas en état de s’exprimer. Il souffre lorsqu’Emmanuel Macron reprend cette possibilité d’un « consentement indirect » via la personne de confiance dans son discours, au titre des « éléments irrécusables de convergence » et surtout des « bornes, en deçà desquelles vous estimez que nous ferions fausse route ».
Il reviendrait déjà aux juristes et aux philosophes de s’interroger sur la possibilité même d’un consentement indirect. Vraiment, peut-on consentir par l’intermédiaire d’un tiers, pour le futur, dans une situation que l’on ne vit pas présentement ? Est-ce seulement un consentement ? Cela a-t-il un sens, conceptuellement ?
Un « consentement indirect » à sa mort a-t-il seulement un sens, conceptuellement ?
Mais efforçons-nous de nous placer en situation. Dans le couloir d’un service de soins palliatifs. Une personne y est hospitalisée, soit inconsciente soit bien consciente mais incapable de s’exprimer. Cela peut être cette patiente enfermée dans son corps, ce peut être aussi cette grand-mère plongée dans un état précaire, ce peut être tant de fins de vie. Elle a désigné préalablement son conjoint ou un enfant, un ami comme personne de confiance, et la parole de cette personne prévaudra sur celle des autres. Que nous enseigne l’expérience des soins palliatifs ? Qu’il peut y avoir des familles dysfonctionnelles où faute, peut-être, de viser l’héritage, on visera le raccourcissement précoce de cette période gênante. Que l’agonie est souvent plus insupportable pour les proches que pour la personne, de sorte qu’en toute bienveillance, dans le tourbillon de sentiments mêlés de douleur comme de fidélité supposée à la vie de ce frère, cet ami, ce tiers pourra considérer de son propre chef qu’« il n’aurait jamais voulu cela ». Qu’il peut même, et involontairement, réinterpréter ce que son ami, sa mère, lui aurait dit un jour. Ou le tenir pour vrai sans savoir si ce propos, émis en un temps donné, traduit encore la volonté de celui qui ne peut pas s’exprimer. Qu’il peut, cela arrive, avoir mal compris. Que ce tiers peut être psychiquement ou physiquement incapable de faire face à cette période d’agonie, pour ce que cela renvoie de son proche ou de ses propres angoisses. Que la demande de mourir est ambivalente et que, tandis que les professionnels mènent des études serrées pour mieux cerner le sens des demandes, une personne sans expérience et plongée dans l’épreuve sera conduite à interpréter une déclaration antérieure. Laquelle ? « Je ne veux pas souffrir », « je ne voudrais pas finir comme ça » ? Les soignants de soins palliatifs multiplient les illustrations de situations dans lesquelles un patient a pu demander l’euthanasie et le vaccin contre le Covid, l’euthanasie et ses vitamines au petit-déjeuner ou même, le cas est réel, face à l’impossibilité légale de faire droit à la demande d’euthanasie, déclarer qu’il lui faudra alors « trouver une autre raison de vivre ».
Demain, non seulement il sera possible d’administrer la mort, mais il sera possible de l’administrer à une personne qui ne la demande pas, sur la foi des paroles d’un tiers, fut-il de confiance. Même la Belgique n’a pas osé.
Alors, non, Monsieur le Président, nous n’avons pas ici un « élément irrécusable de convergence » mais un écueil grave contre lequel notre conscience doit se dresser. Car demain, non seulement il sera possible d’administrer la mort, mais il sera possible de l’administrer à une personne qui ne la demande pas, sur la foi des paroles d’un tiers, fut-il de confiance. Même la Belgique n’a pas osé. Non, Monsieur le Président, il n’est pas imaginable de ranger cette possibilité de consentement indirect par un tiers parmi les « bornes » qui nous protègeraient des dérives. Le prévoir, ce n’est pas poser un garde-fou, c’est faire le lit d’inéluctables dérives. Et ce n’est peut-être qu’un seul point du rapport et de votre allocution, mais je m’inquiète : on peut toujours évoquer solennellement l’intime et la gravité des enjeux, qu’a-t-on compris au sujet, qu’a-t-on compris à la fin de vie et aux risques vertigineux de l’euthanasie lorsque ce point reste aveugle ?
Photo de Marcelo Leal sur Unsplash
Merci pour cette alerte. Il faudrait que vous soyez relayé par les grands médias : presse écrite, radios, télévisions. Pensez-vous possible de leur demander un temps d’intervention?
Croire comme certains qu’on n’y ira pas dans des transgressions comme celles constatées en Belgique ou en Suisse est pure illusion et constitue un manque évident de clairvoyance et de lucidité.
Merci de continuer le combat pour la vie vous n’estes pas seul.
Je crois que l’Eglise catholique a retenu l’expression « aide active à vivre » ou quelque chose d’équivalent pour signifier l’enjeu du débat.
Merci pour votre intérêt. J’ai, déjà, pu publier cette tribune au Figaro Vox. Pour le reste, c’est toujours plus compliqué. Mais je ne baisse pas les bras.
Je suis évidemment convaincu comme vous que l’on verra des transgressions, des dérives. Et quand bien même elles ne seraient pas massives, chacune d’entre elle, c’est la vie d’une personne.
En effet, l’Eglise catholique évoque l' »aide active à vivre ». Un certain nombre le soulignent : c’est assez détestable de se montrer plus empressé de permettre l’euthanasie que de développer les soins palliatifs ou prendre en compte la question de la dépendance, dont l’importance ne va aller que grandissant.
Précisément, avez-vous sur ce sujet des contacts avec des représentants de l’Eglise catholique, ou même des autre Eglises chrétiennes ?
Je suis curieux de savoir s’il peut y avoir consentement indirect dans d’autres situations vécues. Je pense très particulièrement à des relations corporelles qui pourraisent être qualifées de délits ou de crimes par un tribunal.
cela pourrait s’appeler de la complicité, je ne vois pas d’autre terme dans cette situation, mais je reconnais que ce terme de complicité ne répond âs directement à votre interrogation.
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