Une mémoire à 10 milliards

Pardonnez-moi d’avoir titré comme pour un mauvais, ou juste un triste film. L’un de ceux dans lesquels un ancien combattant, de retour au pays, après avoir mis sa vie en péril, perdu ses camarades, se confronte à l’oubli de l’arrière et au cynisme des politiciens.

Il y a eu bien des films sur cette ligne, il y eut aussi tout bonnement notre Histoire et, en particulier, cette cuvette de Dien Bien-Phu.

On ne refera pas l’Histoire, ni les colonies. Célébrer l’amitié franco-vietnamienne, cela se conçoit aisément – mais en glissant sur les droits de l’Homme. Pardonner, bien sûr, et être conscients que nous résistions alors au sens de l’Histoire, évidemment. Reconnaître au sacrifice du soldat vietnamien la même valeur qu’à celui du soldat français, puisque d’anciens combattants le font, nous le faisons aussi. Les soldats seront toujours la main des politiques, et leur honneur reste d’obéir.

Mais il aurait fallu garder le respect pour le sacrifice demandé, et accepté.

« Je ne suis pas sûr d’avoir très envie de répondre à ceux qui ne comprennent pas pourquoi un Premier ministre français vient à Dien-Bien Phu (…) a déclaré Edouard Philippe, interrogé sur les critiques suscitées par sa venue sur le site d’une défaite française », nous dit l’AFP. Il y a dans ces mots-là ce qu’il faut de morgue – ce refus de seulement répondre, cette façon de ranger les rétifs parmi les imbéciles et les scandaleux – pour donner envie de vous expliquer, Monsieur le Premier ministre.

Personne ne vous reproche d’aller à Dien-Bien Phu. Rendre hommage aux soldats français qui ont subi un siège dramatique, rejoints jusqu’à la chute par des camarades qui sautaient dans cette cuvette en connaissant l’abandon programmé, cela ne heurte personne. L’hommage aux combattants vietnamiens ? Cela ne choque pas davantage, même si l’on pourrait le discuter puisqu’aussi bien les vietnamiens, eux, ont refusé la réciprocité.

Mais il y en a, oui, pour vous en vouloir d’avoir si vulgairement rapproché, dans la trivialité d’un thread, les contrats par milliards et l’abandon de la mémoire. On se demande : Canossa était-elle dans le contrat ? Et la signature avait-elle sa ligne dans le devis ? Le tweet était-il budgété ?

Fallait-il  adjoindre à l’hommage aux combattants celui du chef ennemi ? Louer ses qualités, célébrer « l’austérité sereine », « le travail et le calme », « la constance et la détermination » ? Et pourquoi pas aussi, dans la moiteur vietnamienne et sur votre lancée, tant que vous y étiez, le halo de mystère et de sagesse insondable de l’homme indochinois ?

Vous n’avez probablement pas « très envie de répondre à ceux qui ne comprennent pas ». Nous ferons sans votre réponse mais nous n’oublions pas les morts d’Indochine, et les 7.000 soldats français morts en captivité de maladie, de misère, et de mauvais traitements, sur ordre de cet homme à « l’austérité sereine », dans « la constance et la détermination ». Vous signez, à l’image, sous la supervision visible des autorités vietnamiennes. Mais vous le faites aussi sous le regard indécelable de ces hommes.

Vous l’avez fait pour des contrats et, si j’ironisais, plus haut, cet hommage publicisé était peut-être bien compris dans le prix. Vous aurez jugé toutefois qu’il ne fera qu’un peu de bruit, que le pays oubliera. C’est certain. D’ailleurs, ceux qui réagissent, il suffira de les discréditer, de ne pas avoir très envie de leur répondre, de les renvoyer à l’esprit de revanche, au passé et, à la fin de l’envoi, invoquer la coutumière fachosphère. Puisque cela fonctionnera, ne vous privez donc pas. Après tout, l’Indochine, c’était déjà trop loin, à l’époque. La France pensait à la reconstruction, à la prospérité. Aujourd’hui, vous imaginez que, plombé d’économisme, sacrifiant toute valeur aux mânes du business, le pays pense contrats, il pense pouvoir d’achat. Peut-être avez-vous raison, mais méfiez-vous tout de même : les dernières élections racontent une autre Histoire.

Alors signez, donc. Certains feront mémoire en silence et gratuitement. Parce que l’Homme ne vit pas seulement de pain, de contrats.

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9 commentaires

  • Quelle morgue! Quelle absence de vue réelle! La guerre d’Indochine (1945- 20 juillet 1954).

    Glorifier Ho Chi Minh lui prêtant des qualificatifs qui en fait sont ceux que voudrait s’attribuer ce premier ministre français. Jusqu’où va s’immiscer le cynisme de ce genre de personnage qui ne comprend même pas les citoyens dont il gère le pays à coup de mots et de saillies pour ce (notre) pays, en écho avec E.M.

    Notre pauvre pays,la France, est bien bas.

  • EP appartient à une génération, ou du moins à la part médiatiquement dominante d’une génération, qui se refuse strictement à reconnaître la moindre dette vis-à-vis de ceux qui l’ont précédée.

  • Entendu rapidement, en voiture, la nouvelle de la signature de ces 10 milliards pour des contrats passés entre la France et le Vietnam. Qui ne s’en réjouirait pas ?
    Mais que ces 10 milliards, encore une fois qui ne sont pas sans légitimité aujourd’hui sachant quand même que la France ne représente qu’une part infinitésimale des relations avec le Viêt Nam … et il n’y a pas que le commerce qui compte !
    J’ai pu passer plusieurs mois dans ce pays. Je me garderai de m’étendre sur l’émotion que j’éprouve à cette seule évocation.
    Mais j’ai bien lu : « … rendre hommage au Président Hô Chi Minh, artisan de l’indépendance… »
    Sans doute faut-il respecter l’histoire écrite et ne pas la réécrire. Derrière les mots se trouvent la grandeur et la bassesse, l’honneur et le déshonneur, la vie et la mort.
    L’histoire de la France avec l’Indochine … le Viêt Nam d’aujourd’hui peut-elle se résumer en 5 lignes à 10 milliards ?
    Pour un premier ministre envoyé par son Président il faut le croire.
    1954 Ðiện Biên Phủ. Rien d’illégitime dans un passage du Premier ministre par ce site marqué du sang de tant de soldats. Non, on ne refera pas l’histoire sans oublier ni les erreurs ni la bravoure… et pas seulement à Ðiện Biên Phủ, mais comment on en est arrivé là.
    Mais fallait-il vraiment laisser sa signature sous ces lignes et tirer un trait en oubliant que Ðiện Biên Phủ fut la fin tragique d’une épopée qui ne fut pas seulement celle d’une colonisation que certains stigmatisent comme une violation : l’épopée d’hommes et de femmes partis pour éduquer, soigner, évangéliser dans la liberté et qui ont versé leur sang autant que les soldats.
    Oui Le Vietnam est une grande et belle nation… mais elle n’est pas seulement ni même principalement celle de Hô Chi Minh (Monsieur le Premier ministre, rappelez-vous qu’il est mort en 1969 soit bien avant le 30 avril 1975 !).
    Après Ðiện Biên Phủ il y a eu un grand silence de la France -et on le comprend- qui a été remplacé par les bombes et le napalm.
    Que reste-t-il de la présence française au Viêt Nam, monsieur le Premier ministre ? Votre président ne semble pas avoir une vision très juste de la francophonie. Le Viêt Nam aurait-il oublié une partie de son histoire ? Doit-il renoncer à ce qu’il a été et que, peut-être, nous n’avons pas su défendre avec le courage, la détermination, la foi qui l’auraient conduit à être le Viêt Nam de 2018, tout aussi indépendant mais sans se renier.
    … 10 milliards sont-ils le prix à payer pour oublier le 7 mai 1954 ? … Tout ce qui a été enterréà Entendu rapidement, en voiture, la nouvelle de la signature de ces 10 milliards pour des contrats passés entre la France et le Vietnam. Qui ne s’en réjouirait pas ?
    Mais que ces 10 milliards, encore une fois qui ne sont pas sans légitimité aujourd’hui sachant quand même que la France ne représente qu’une part infinitésimale des relations avec le Viêt Nam … et il n’y a pas que le commerce qui compte !
    J’ai pu passer plusieurs mois dans ce pays. Je me garderai de m’étendre sur l’émotion que j’éprouve à cette seule évocation.
    Mais j’ai bien lu : « … rendre hommage au Président Hô Chi Minh, artisan de l’indépendance… »
    Sans doute faut-il respecter l’histoire écrite et ne pas la réécrire. Derrière les mots se trouvent la grandeur et la bassesse, l’honneur et le déshonneur, la vie et la mort.
    L’histoire de la France avec l’Indochine … le Viêt Nam d’aujourd’hui peut-elle se résumer en 5 lignes à 10 milliards ?
    Pour un premier ministre envoyé par son Président il faut le croire.
    1954 Ðiện Biên Phủ. Rien d’illégitime dans un passage du Premier ministre par ce site marqué du sang de tant de soldats. Non, on ne refera pas l’histoire sans oublier ni les erreurs ni la bravoure… et pas seulement à Ðiện Biên Phủ, mais comment on en est arrivé là.
    Mais fallait-il vraiment laisser sa signature sous ces lignes et tirer un trait en oubliant que Ðiện Biên Phủ fut la fin tragique d’une épopée qui ne fut pas seulement celle d’une colonisation que certains stigmatisent comme une violation : l’épopée d’hommes et de femmes partis pour éduquer, soigner, évangéliser dans la liberté et qui ont versé leur sang autant que les soldats.
    Oui Le Vietnam est une grande et belle nation… mais elle n’est pas seulement ni même principalement celle de Hô Chi Minh (Monsieur le Premier ministre, rappelez-vous qu’il est mort en 1969 soit bien avant le 30 avril 1975 !).
    Après Ðiện Biên Phủ il y a eu un grand silence de la France -et on le comprend- qui a été remplacé par les bombes et le napalm.
    Que reste-t-il de la présence française au Viêt Nam, monsieur le Premier ministre ? Votre président ne semble pas avoir une vision très juste de la francophonie. Le Viêt Nam aurait-il oublié une partie de son histoire ? Doit-il renoncer à ce qu’il a été et que, peut-être, nous n’avons pas su défendre avec le courage, la détermination, la foi qui l’auraient conduit à être le Viêt Nam de 2018, tout aussi indépendant mais sans se renier.
    … 10 milliards sont-ils le prix à payer pour oublier le 7 mai 1954 ? … Toute une histoire qui a été ensevelie à Ðiện Biên Phủ ?

  • E.Philippe est bien dans la ligne de l’un de ses prédécesseurs, Fabius célébra avec effusion la mort du général Giap il y a quelques années…crachant ainsi sur les dizaines de milliers de morts s’étant battus dans l’armée française.
    Après les piastres, les milliards.

  • Très bon papier Koz! Bigeard était allé à Dien Bien Phu honorer la mémoire de ceux qu’il avait commandés et il avait eu des rencontres amicales avec d’anciens officiers vietminh mais il ne s’était pas privé pour leur reprocher le traitement inhumain des prisonniers français dont très peu revinrent. Certes le premier ministre se devait de ménager la susceptibilité de ses hôtes, d’autant plus qu’il y avait des contrats en discussion mais il n’était pas obligé d’en faire trop, d’en faire autant. « Soyons amis Cinna, c’est moi qui t’en convie ». On dit que Napoléon appréciait particulièrement cette « clémence » d’Auguste car il n’y voyait que ruse. C’est peut-être là le fond de la pensée d’E. Philippe et il est cynique ou alors il est bien naïf au point d’oublier la réalité de ce qui fut. Il a peut-être aussi voulu s’acheter un brevet de progressisme en flattant ce qu’il reste de tiers-mondisme dans les mentalités françaises. Peut-être après tout a-t-il dit ce qu’il pense vraiment. Dans tous les cas il y a lieu de s’inquiéter.

    • Eh oui. Je ne suis pas naïf, et je sais bien que l’on ne contracte pas qu’avec des pays sans tâches – il n’y a qu’à voir l’Arabie Saoudite. Edouard Philippe pouvait se contenter de l’hommage aux combattants des eux camps. Il pouvait, à la rigueur, visite la maison d’Ho Chi-Minh.

      Mais rien ne l’obligeait à aller jusqu’à rendre hommage à la personne d’Ho Chi-Minh. L’invocation d’un « regard apaisé », lue dans les dépêches, est de la foutaise. C’est tellement évident que les dépêches ont passé sous silence l’hommage à Ho Chi-Minh.

  • Une fois de plus, merci Koz. Je n’avais pas fait attention du tout à cette information. Peut-être n’avait-elle pas parue dans le journal que je lis : la Croix? ou bien j’ai « sauté » les pages « Economie ». Merci vraiment de ranimer nos consciences. Je vis, aujourd’hui, dans une maison avec une partie ‘béguinage » et à l’étage en-dessous sont installées des petites soeurs vietnamiennes et je vais leur communiquer votre article. Elles disent bien clairement tous les soucis que leur cause le régime communiste du pays. Alors, en plus d’oublier ce qui s’est passé pendant la guerre, faut-il pour des raisons d’argent, se taire sur les méfaits des dictatures (de gauche en l’occurence).
    Courage à vous pour continuer votre important rôle de veilleur (ou de ré-veilleur)
    Merci.

  • Communisme.

    Le mot que tu cherches est « communisme ».

    On estime que la dictature communiste instaurée par Ho Chi Minh a tué entre 500.000 et 1 million de Vietnamiens. Exécutés parce qu’intellectuels, bourgeois ou opposants, morts en camps de travail forcé ou morts de faim dans le cadre de la confiscation des terres agricoles (un grand classique communiste : Lénine, Staline, Mao, Pol Pot, ils l’ont tous fait, avec le même résultat effroyable).

    Ce chiffre exclut les morts des multiples guerres qu’a subies le Viet Nam à cette époque, il ne s’agit que des morts du communisme seul.

    A titre de comparaison, on estime que Pinochet a tué 3200 Chiliens. Personne n’ira jamais, fort heureusement, célébrer « le calme, la détermination ou la constance de Pinochet » car il n’était pas communiste.

    Si Edouard Philippe avait absolument besoin de battre sa coulpe, il aurait pu rappeler qu’Ho Chi Minh a été formé à la politique en France où il a passé une dizaine d’années. Il a adhéré à la SFIO en 1919 et écrivait dans l’Huma.

    La France (particulièrement la gauche française) porte la responsabilité d’avoir nourri en son sein, formé et éveillé à son idéologie de haine le tyran sanguinaire qui a tant fait souffrir le Viet Nam.

    Si on veut vraiment s’excuser, il y a matière.

  • C’est intéressant d’observer le contraste entre la polémique actuelle sur Pétain et la quasi-absence de polémique sur Ho Chi Minh.

    Le « débat » sur Pétain semble être de savoir si on peut encore mentionner sa face positive ou si sa part d’ombre doit tout effacer? Chez Ho Chi Minh, c’est le contraire. La part d’ombre s’efface, et on en vient à lui inventer une face positive.

    Ca rappelle la citation d’Orwell sur le stalinisme. Quand on lui disait qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, il répondait « Je vois bien les oeufs cassés, mais où est l’omelette? »

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