Projet de loi sur la fin de vie : un modèle de tromperie

Retrouvez ici ma tribune publiée sur LeFigaro.fr le 11 mars 2024

Emmanuel Macron avait la présomption de définir une « voie française » de la fin de vie. Triste voie s’il en est, pavée de tromperies. Tromperie sur la méthode, tromperie dans les termes, tromperie dans les annonces. Nous voilà bien loin des conditions d’élaboration des lois Leonetti et Claeys-Leonetti, qui avaient pu recueillir l’unanimité des parlementaires. Cette loi maximaliste ne sera jamais, comme feint de le croire le Président, un « texte de rassemblement ». C’est un texte qui divisera les Français, les familles et les cœurs. Il est profondément triste, au-delà même du contenu du texte, que la France se singularise ainsi sur un sujet d’une rare gravité, qui demande nuance, respect et sincérité.

Il y a tromperie dans le vocabulaire car, en procédant à une redéfinition des termes, Emmanuel Macron prétend que le texte ne prévoit ni l’euthanasie ni le suicide assisté alors même qu’il instaure les deux. Il le dit lui-même quelques lignes plus loin : le projet de loi dispose qu’une substance létale est administrée par la personne elle-même, et c’est un suicide assisté, ou par un tiers, et c’est une euthanasie. Il est faux de prétendre, comme il le fait, que le suicide assisté soit nécessairement inconditionnel. La Suisse pose des conditions, même larges. Il est faux d’affirmer que l’euthanasie ne requière jamais le consentement : en la légalisant explicitement, la Belgique n’a pas autorisé un acte fait sans l’accord de la personne.

Tromperie sur la méthode. Pendant des mois, Emmanuel Macron n’a eu de cesse d’esquiver toute question sur le sujet, mettant en scène ses doutes prétendus et ses incertitudes intimes pour, in fine, promouvoir un texte maximaliste. Il a organisé des dîners à l’Elysée, recevant des soignants, conviant les cultes, affectant de profondes interrogations et s’assurant de donner à chacun le sentiment d’avoir été écouté pour, au bout du compte, faire la démonstration qu’ils se sont exprimés en vain. Emmanuel Macron, et les ministres en charge, au premier rang desquels Agnès Firmin-Le Bodo, ont affirmé travaillé sur ce texte en co-construction avec les soignants. La réalité est qu’aucun texte n’a jamais été mis sur la table des discussions, et que les organisations de soignants n’ont plus eu de réunion avec l’exécutif depuis plus de six mois. Aucune de leurs observations, pas même la timide demande de disjonction des volets euthanasie et soins palliatifs dans la loi, n’a été retenue. Le texte franchit toutes leurs lignes rouges. Officiellement admirés, ils sont concrètement méprisés.

Tromperie, encore, que d’affirmer que le texte prévoit des « conditions strictes ». Alors même que des propositions précédentes avaient suscité la consternation par la précipitation avec laquelle elles engageant le processus, le projet de loi fait pire encore. « À partir du moment où la demande est posée, il y a un minimum de deux jours d’attente pour tester la solidité de la détermination », ose Emmanuel Macron. Cette phrase surréaliste est au choix spécieuse ou ignorante. J’ai pu, personnellement, rencontrer en soins palliatifs à trois reprises une femme qui s’était rendue en Belgique, avait consulté un médecin, rempli un dossier d’euthanasie puis était revenue pour ne plus en parler. Notre dernière rencontre s’est faite autour d’une bouteille de Muscadet. Comme avec elle, j’ai entendu le récit de la vie d’un homme de 90 ans, qui est entré en demandant au médecin de faire en sorte que « ça aille vite » puis a fini par quitter le service, a rencontré son arrière-petit-fils et m’a laissé sur ces mots : « la vie continue ». De telles situations sont le quotidien des services de fin de vie. Alors, 48h pour « tester la solidité de la détermination »… En Belgique, lorsqu’il est établi que le décès n’interviendra manifestement pas à brève échéance, un délai d’un mois entre la demande et l’acte est prévu par la loi. En France, ce sera bouclé en quinze jours. Il sera ainsi plus rapide, chez nous, de trouver un médecin pour mourir que pour être soigné.

Conditions strictes ? Le projet de loi prévoit que l’administration de la substance létale puisse être réalisée « par une personne volontaire » désignée par celle qui fait la demande. Un pré-projet de loi qui a fuité en décembre était plus explicite : cette personne volontaire peut être un proche ou même toute autre tiers, tel un militant associatif. Il n’existe nulle part ailleurs dans le monde une législation qui envisage qu’un proche puisse procéder à l’euthanasie d’un autre. Aucun pays n’a imaginé que le petit-fils puisse euthanasier sa grand-mère, le mari son épouse, le frère sa sœur. Il est inconcevable que notre pays ne perçoive pas les risques graves qu’une telle disposition fait encourir à des personnes affaiblies. Toutes les personnes qui interviennent dans le cadre de la fin de vie connaissent ces proches qui, même bienveillants, surinterprètent la volonté de la personne malade parce que la situation est insupportable… pour eux. Il est prévu dans le texte que l’euthanasie pourra être réalisée à domicile. C’est déjà un risque à l’hôpital mais qui pourra s’assurer, dans le huis-clos du domicile, que le proche ne craquera pas et n’administrera pas de lui-même le produit à la personne, qui ne demande plus rien ? Qui s’en plaindra ? Qui alertera ? Ni le proche euthanasiant, ni la personne concernée, euthanasiée. Imagine-t-on, par ailleurs, la charge indicible qui pèsera sur ce proche ? La pression morale qui pourra peser sur lui pour accomplir ce geste ? Le traumatisme d’avoir refusé de la faire ou surtout, pire, d’avoir provoqué la mort de l’un des leurs ? Des soignants belges fondent en larmes en parlant de leur pratique. En France, des infirmières m’ont dit, 25 ans après, leur douleur d’avoir administré des cocktails lytiques. Dans quel esprit a pu germer l’idée de conduire un fils à tuer son père ?

Tromperie dans les annonces, encore. Car tout en clamant son admiration pour les soins palliatifs, tout en se fondant sur l’avis rendu par le Comité Consultatif National d’Ethique qui avait naïvement (au mieux) fait de leur développement un préalable, Emmanuel Macron renvoie leur développement à l’adoption du projet de loi. Non seulement le développement des soins palliatifs ne sera donc, par définition, pas un préalable à la légalisation de l’euthanasie mais il faudra attendre encore de longs mois de travaux parlementaires pour engager les maigres évolutions proposées. Hasard du calendrier, nous fêtons cette année le 25ème anniversaire de la loi visant à garantir l’accès aux soins palliatifs, dont l’article 1 proclamait pieusement : « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. » Aujourd’hui, selon la Cour des comptes, 500 personnes meurent tous les jours sans avoir eu accès aux soins palliatifs dont elles avaient besoin. Certes, Emmanuel Macron annonce un investissement d’1 milliard dans les soins palliatifs sur 10 ans et le chiffre impressionne. Mais il représente 6% d’augmentation du budget actuel et compensera tout juste l’inflation, à supposer encore que l’Etat n’annule pas ces crédits comme il vient de le faire pour tant d’autres, solennellement engagés quelques semaines plus tôt.

Emmanuel Macron dit avoir perçu une « colère rentrée » dans les services de soins palliatifs. Il prend la responsabilité de la faire éclater, chez eux et au-delà. Ce texte sera combattu. Car il ne pouvait y avoir pire négation de leur vocation et pire inspiration pour une législation. Dans une formule orwellienne, Emmanuel Macron déclare que « cette loi de fraternité permet de choisir le moindre mal quand la mort est déjà là ». La fraternité ne s’exerce pas par la mort, le moindre mal reste un mal et non, la mort n’est jamais là avant qu’elle n’advienne ! Les personnes malades ne sont pas déjà mortes. Les malades ne sont pas des morts en sursis. Ils sont vivants, jusqu’au terme de leur vie et la seule fraternité que notre pays aurait dû s’enorgueillir de célébrer, c’est celle qui permet d’ajouter de la vie aux jours quand on ne peut plus ajouter de jours à la vie.

3 commentaires

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

  • Merci pour cet article lucide, sur un projet contre lequel il faut lutter, même si les chances de le repousser sont bien minces.

    Répondre
  • Merci pour cette colère juste et tellement lucide. Emmanuel Macron n’est pas seulement un libéral en économie, il l’est aussi dans le domaine sociétal et c’est encore plus grave : la la PMA, la constitutonnalisation de l’avortement, let maintenant la loi sur « la fin de vie ».

    Espèrons que les parlementaires seront eux plus lucides du danger devoir une se suicider en permettant l’impensable au nom de pieux sentiments

    Répondre
  • « Il sera ainsi plus rapide, chez nous, de trouver un médecin pour mourir que pour être soigné. »
    C’est encore pire si l’on compare avec un délai de rétractation pour l’achat d’un appareil ménager … C’est juste dingue.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.