Fin de vie et euthanasie : florilège de contre-vérités de l’ADMD

Le débat est aujourd’hui très riche sur la fin de vie, l’euthanasie, les soins palliatifs. Aussi l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, lobby pro-euthanasie) a engagé ses moyens financiers à faire pâlir une Unité de Soins Palliatifs dans un exercice dans lequel elle excelle : la rhétorique, offrant aux amateurs un florilège non-exhaustif de ses contre-vérités.

Ce document a été distribué notamment aux parlementaires, sous la forme étonnante d’un jeu de cartes, l’association revendiquant en cette matière singulière une démarche « ludique » – chacun appréciera. Puisque l’ADMD se pose en juge de paix pour accuser audacieusement les opposants à l’euthanasie de « mentir à propos de ce qui existe déjà pour faire valoir [leur] point de vue », j’ai pris le temps d’un regard sur son propre rapport à la vérité.

Je le fais à partir de mes travaux sur le sujet, mes échanges avec des soignants, et de mon expérience comme bénévole en soins palliatifs. Les affirmations de l’ADMD sont d’ordre divers. Certaines sont seulement trompeuses, d’autres sont insultantes pour les soignants. Le dernier lot regroupe, selon un procédé assez ordinaire, des « idées reçues » jamais croisées, que nous serons donc d’accord pour écarter.

Ceux qui souhaitent dépasser le stade de la réfutation pourront se reporter à l’exposé du débat réalisé par une société savante, la Société Française d’Accompagnement et de soins palliatifs, dans un document certes moins conçu pour être « ludique » que pour être pertinent : « Fin de vie : les données du débat »



Allégation n°1

Le serment d’Hippocrate proclame ce qui suit : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément (…) Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque. »

Emile Littré proposait cette traduction de la version d’origine : « Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion« .

Il est incontestable que ce serment, dans ce qu’il proclame depuis le IVème siècle av. JC, porte 25 siècles d’éthique médicale et s’oppose à l’euthanasie.

L’ADMD a néanmoins raison d’affirmer que, si l’on supprime du serment d’Hippocrate ce qui s’oppose à l’euthanasie, le serment d’Hippocrate ne s’oppose plus à l’euthanasie. Il n’est toutefois pas exactement anodin de le modifier sur un point d’éthique vieux de 25 siècles, le fait de provoquer la mort du patient, qui n’est pas exactement de la même nature que de permettre l’opération d’une vessie.


Allégation n°2

Si cette idée est absurde, que penser de l’affirmation inverse : « les soignants sont là pour donner la mort » ?

Surtout, lorsque ni la maladie, ni l’accident ni le grand âge n’ont donné la mort, c’est bien le soignant qui, par l’injection de curare, pentobarbital et autres substances la provoque. Sans son acte, elle n’interviendrait pas au moment donné. De fait, la personne qui euthanasie n’aide pas à mourir, elle fait mourir.

Ne pas tuer son patient n’est pas un « abandon de malade« . Affirmer cela est d’un mépris total pour l’engagement des soignants qui, spécialement en soins palliatifs, font la démonstration d’une implication sans faille auprès du patient jusqu’au terme de sa vie, sans être contraints de lui administrer la mort.

Euthanasier n’est pas soulager les souffrances, c’est administrer la mort au patient. Pour parler de « soulagement« , encore faudrait-il pouvoir en exprimer la sensation. On ne soulage pas la personne en lui ôtant la vie.


Allégation n°3

Pour être exact, en fait de 90%, les derniers chiffres évoqués sont de l’ordre de 75% (Agnès Firmin-Le Bodo, Le Journal du Dimanche, 20 mai 2023). Surtout, il s’agit de personnes qui se prononcent sur une situation qu’ils ne vivent pas. La seule étude connue sollicitant des personnes concernées par la fin de vie – des patients recevant des soins palliatifs – a mis en évidence une opposition à l’euthanasie de 52,5% d’entre eux (les autres exprimant une opinion générale, pas une préférence pour eux-mêmes)[1].

Par ailleurs, les médecins de soins palliatifs insistent sur le fait qu’ils passent un « pacte de non-abandon » avec leurs patients. Pouvoir se retirer n’est pas une revendication.

Les médecins ne sont pas les seuls à avoir une conscience. Infirmières et infirmiers, aides-soignantes et aides-soignants sont au plus près des patients, parfois même au corps-à-corps, et ne doivent pas être contraints de participer à de tels actes.

Enfin, les soignants savent ce qu’il advient en pratique de l’exercice d’une objection de conscience – et les exemples belges ou canadiens démontrent que les structures de soins palliatifs se voient rapidement imposer de pratiquer des euthanasies en leur sein, quand ce ne sont pas les médecins eux-mêmes qui sont soumis à des formes d’intimidation.


Allégation n°4

Pas d’observations. Recommander le suicide, ou disserter sur les divers moyens « extrêmement violent » (ou non) de l’accomplir, n’est pas une alternative. Une société fraternelle accompagne chacun jusqu’au bout.

Tout juste observera-t-on que prendre pour exemple des situations de fin de vie les cas de Vincent Humbert et Vincent Lambert témoigne d’une vision singulièrement réduite de la diversité des situations.


Allégation n°5

Faux ? C’est l’avis des militants de l’euthanasie, pas celui des praticiens des soins palliatifs.

Le fait est que les seuls qui soutiennent la compatibilité entre l’euthanasie et les soins palliatifs sont ceux qui ne les pratiquent pas. Il serait singulier de faire prévaloir l’avis de militants sur celui de praticiens.

Or, les professionnels des soins palliatifs affirment à une quasi-unanimité l’incompatibilité des pratiques. Il semblerait judicieux de respecter l’avis des soignants. Rappelons que 13 organisations de soignants en prise directe avec la fin de vie (gériatres, oncologues, palliatologues, infirmiers), représentant 800.000 soignants, ont signé en février dernier un avis éthique pour réaffirmer fermement que « donner la mort n’est pas un soin«  (a fortiori, pas un soin palliatif).

Le fait que dans d’autres pays, certains aient mis à mal la philosophie des soins palliatifs en les dénaturant n’est pas un argument, pas plus que le fait que 94,5% des euthanasies en Belgique ne soient précisément pas pratiquées en unités de soins palliatifs.


Allégation n°6

Personne ne soutient que la médecine ait vocation à éradiquer la douleur de notre monde.

Personne ne nie non plus la possibilité de douleurs réfractaires, qui sont notamment un critère de mise en œuvre de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès.

Le rôle de la médecine, et ce que précisément la médecine moderne a su développer est de rendre les douleurs supportables, pour que la vie reste la vie[2]. Telle est la vraie demande des malades.

L’enjeu et la difficulté, pour la fin de vie, est de permettre un équilibre entre la conscience éveillée et la douleur (quand elle est présente). Il reste toujours possible de sédater, même de façon intermittente, un patient et les soins palliatifs développent une expertise toujours plus fine à cet égard.


Allégation n°7

Il n’existe qu’une seule étude en la matière et elle contredit frontalement ce qu’affirme ici l’ADMD, bien qu’elle la mentionne.

L’étude à laquelle l’ADMD fait référence est une étude publiée en Français en 2016 et dirigée par Frédéric Guirimand[3]. Cette étude est citée de façon erronée tant par l’ADMD que par le CCNE (ce qui interroge d’ailleurs sur le travail de ce dernier).

En effet, si elle mentionne que 61 des 2.157 patients (soit 3%) ont exprimé une demande d’euthanasie, elle précise que seuls six patients ont réitéré une demande d’euthanasie[4].

Ainsi, dans 90% des cas, les demandes d’euthanasie disparaissent lors d’une prise en charge palliative. Au total, parmi les patients pris en charge en soins palliatifs, seuls 0,27% ont réitéré une demande d’euthanasie. Quant à dire que le renoncement soit le fait du désespoir, c’est encore une fois méconnaître la fin de vie : le désespoir ne pousse pas à renoncer à l’euthanasie, mais à la demander.

Le taux de 3% de patients exprimant une demande d’euthanasie, avancé par l’ADMD, est précisément un taux avant la prise en charge. Prétendre que ce soit le taux de patients demandant l’euthanasie après leur prise en charge est gravement mensonger.[5])


Allégation n°8

Si prétendument aucune étude ne prouve qu’une personne sédatée ne souffre pas, aucune étude ne prouve l’inverse.

En revanche, (i) on sait que toute sédation comporte toujours une analgésie et (ii) la médecine enseigne que la conscientisation de sa propre souffrance dépend des connexions corticales et sous-corticales, et des multiples connexions centrales qui ne sont plus complètement fonctionnelles lors d’une sédation profonde. La pratique permet aussi de constater que lors de sédations transitoires profondes, les patients n’ont fait état d’aucune souffrance à leur réveil.

Plus prosaïquement, la sédation profonde et continue peut s’apparenter à une anesthésie générale. Or, malgré les actes chirurgicaux lourds qui peuvent être pratiqués en opération (jusqu’à des opérations à cœur ouvert) et malgré la surveillance permanente des constantes du patient opéré et l’observation visuelle par les soignants lors de l’opération, personne n’a jamais rapporté l’existence d’une souffrance.

En outre, un patient ne peut présenter de signes de réveil que lorsque la sédation profonde et continue n’est pas convenablement menée. Une sédation profonde et continue a précisément pour principe de ne pas être interrompue.

Enfin, si l’ADMD soutient que l’on souffre lors d’une sédation, alors elle doit admettre que l’on souffre lors d’une euthanasie. Si, selon elle, les produits anesthésiques et antalgiques injectés n’excluent pas la souffrance, comment peut-elle exclure dans le même temps que l’euthanasie provoque une souffrance – alors même que des condamnés à mort exécutés aux Etats-Unis avec des produits similaires (types barbituriques et curares) ont fait état de douleurs insupportables avant de mourir ? Restons raisonnables et admettons que les produits anesthésiques et analgésiques produisent leur effet.


Allégation n°9

Lorsque l’on est partisan de l’administration de la mort, aucun délai n’est jamais assez rapide.

En revanche, il est exact que le décès intervient dans les quelques heures ou quelques jours suivants. La présentation qui est faite du guide de la Haute Autorité de Santé est toutefois malhonnête. L’information selon laquelle le décès « survient dans un délai qui ne peut pas être prévu » figure dans un tableau visant à expliciter les différences entre la sédation profonde et continue et l’euthanasie – notamment à l’intention de ceux qui soutenaient que l’une et l’autre étaient équivalentes, ou que la sédation serait une « euthanasie passive ».

Ainsi, dans le cas de la sédation, il n’y a pas de maîtrise du moment de la mort. C’est en ce sens uniquement que ce moment « ne peut pas être prévu« . Pour autant, le décès est prévisible dans l’intervalle de quelques heures à quelques jours.


Allégation n°10

Le but d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est de ne pas s’opposer à la survenue de la mort, prévisible à court terme, tout en soulageant les douleurs persistantes. Il y a une différence fondamentale entre ne pas s’opposer à la mort et la provoquer, l’administrer.

Alimenter et hydrater un patient sous sédation serait s’opposer à la survenue de la mort et, le plus souvent, à la volonté du patient. C’est en outre souvent dépourvu de pertinence en fin de vie, voire nuisible pour le patient (y compris hors du cadre de la sédation).

Par ailleurs, le fait est qu’un malade ne décède jamais en bonne santé mais toujours de la défaillance d’un organe.

Accessoirement, il est étonnant de voir ceux qui militent pour que l’euthanasie soit considérée comme une mort naturelle s’appliquer à démontrer que tel ne serait pas le cas d’une mort après sédation.


Allégation n°11

Après plus de 40 ans à entretenir une équivalence entre l’euthanasie, le suicide et la dignité; 40 ans à laisser entendre à des personnes vulnérables, fatiguées, angoissées, souffrant elles-mêmes de leur diminution physique, que leur fin de vie n’était pas digne, il était grand temps de prétendre soutenir l’idée inverse. Mais ce n’est guère convaincant.

N’oublions jamais que, pour la personne malade, la dignité n’est pas un concept, elle ne se divise pas de manière étanche entre une dignité objective et une dignité subjective. Quelle que soit la perception du malade lui-même, chaque hésitation, chaque doute émis par ses interlocuteurs et par la société, chaque slogan d’une organisation militante, est une atteinte portée à sa personne.


Allégation n°12

Cette fiche est gravement mensongère. Comme toutes les organisations de soignants le reconnaissent, dans une sédation profonde et continue jusqu’au décès, l’intention n’est jamais que le patient décède. Le fait est que le patient va décéder. L’intention est de soulager ses souffrances. A l’inverse, dans l’euthanasie, l’intention est bien de faire mourir le patient.

Affirmer qu’il y ait une volonté du double effet, qui serait la surdose, est également mensonger. Le double effet est une théorie qui reconnaît comme éthiquement acceptable la réalisation d’un acte pouvant avoir deux effets, un effet positif (ici, le soulagement des souffrances) et un effet négatif (le risque d’accélérer la mort) pourvu que ce soit l’effet positif qui soit recherché, l’effet négatif étant seulement toléré.

Par ailleurs, s’il est exact que certains médecins pratiquent des euthanasies, voire le revendiquent, il est paradoxal d’en tirer argument. Ces médecins, souvent soutiens de l’ADMD, sont déjà enclins à violer la loi, dans une posture dangereuse de toute-puissance médicale. Il y a tout lieu de craindre qu’ils resteront dans la même posture, et pratiqueront toujours des euthanasies au-delà des conditions qu’une législation prétendra édicter. Ces postures doivent être combattues, pas généralisées.


Allégation n°13

Le sujet ne devrait pas autoriser les facilités rhétoriques : non, personne n’a la prétention d’affirmer que la loi française serait « la meilleure du monde« . Le fait est, en revanche, qu’elle a atteint un point de compromis, voté à l’unanimité au parlement, et que les législations sur lesquelles l’ADMD voudrait voir la France s’aligner (singulièrement, la Belgique) sont gravement défaillantes.

La situation des Français qui se déplacent à l’étranger est symboliquement impressionnante, mais rare. En additionnant les chiffres des trois pays cités, on parle d’une centaine de personnes, pour 650.000 décès par an.

Prendre argument du fait que les patients des pays ayant légalisé l’euthanasie ne viennent pas en France pour bénéficier de la loi Claeys-Leonetti est absurde : fort heureusement, ils ne sont pas obligés d’y subir une euthanasie et les ressortissants suisses, belges ou luxembourgeois, sont encore susceptibles de bénéficier de vrais soins – parfois grâce aux soignants qui résistent aux pressions euthanasiques. Au passage, affirmer qu’aucun ressortissant ne quitte ces pays pour échapper à leur loi est non seulement absurde, compte tenu des implications financières et familiales d’un tel choix sur une durée indéterminée, mais ne repose sur rien[6].

Par ailleurs, si ses positions sont contestables à d’autres égards, il ne peut être négligé que le Pr Jean-Louis Vincent (ancien président de la société belge de soins intensifs) réclame explicitement pour la Belgique une loi Claeys-Leonetti.


Allégation n°14

Une telle fiche témoigne d’une grave méconnaissance de la prise en charge des personnes en fin de vie en France. Il est déjà pour le moins curieux de limiter cette prise en charge, comme la loi Leonetti, à la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès et à la phase agonique. C’est, en pratique, occulter toute la variété des soins palliatifs.

Il est également mensonger et insultant pour les soignants de prétendre que les personnes atteintes de maladies neurodégénératives seraient « laissées de côté« . La prise en charge de ces personnes ne se borne pas à les sédater ou les euthanasier, elle est l’objet d’une prise en charge constante et admirable dans les services de soins palliatifs que j’ai côtoyés.

En outre, la loi Claeys-Leonetti a aussi entériné le droit pour tout patient de refuser un traitement, ou d’arrêter les traitements existants. L’évolution d’une maladie neurodégénérative connaît bien des étapes lors desquelles un arrêt de traitements le maintenant en vie peut être décidé par le patient, et accompagné par des soins palliatifs[7].

Il est certain en revanche que si, par « prendre en charge« , on entend faire mourir le patient, la loi ne le permet pas.


Allégation n°15

Soutenir que toute loi de légalisation de l’euthanasie porte en elle-même des dérives systématiques serait donc, en résumé, renier la démocratie et accuser les médecins d’être des assassins. L’outrance de ces affirmations les disqualifie d’elle-même.

En revanche, il n’est pas contestable que des dérives et des défaillances dans les mécanismes de contrôle ont été constatées dans tous les pays qui ont légalisé l’euthanasie. Le gériatre et euthanasiste Bert Keizer s’est félicité explicitement sur le plateau d’Arte qu’il existe une « pente glissante » et que l’on « ajoute toujours de nouvelles catégories« . Au Canada, des formateurs à l’euthanasie ont reconnu que des euthanasies sont pratiquées alors qu’elles sont motivées par la pauvreté. En Belgique, outre les dérives concrètes, les défaillances du système de contrôle sont largement documentées.

Par ailleurs, croire qu’il suffise d’édicter une loi pour que les pratiques s’y conforment, que les médecins portés à enfreindre une loi cessent de l’être, et que les contrôles soient effectifs, est d’une naïveté confondante, que l’on ne peut se permettre dans une situation de vie et de mort.

Enfin, oui, l’éthique d’autodétermination qui sous-tend la revendication d’euthanasie a pour effet la disqualification progressive mais inéluctable de toute condition qui lui serait appliquée.


Allégation n°16

Les soignants que j’ai interrogés récusent tous l’argument d’une euthanasie demandée pour accélérer l’héritage. Ils mettent en revanche en garde contre les familles dysfonctionnelles. Négliger leur existence relève de l’aveuglement volontaire.

Les procédures, pour autant qu’elles soient respectées, n’enlèvent rien à la situation très humaine d’une personne en fin de vie, souvent âgée. Les personnes âgées sont très fréquemment portées à considérer qu’elles sont un poids pour le système de santé, pour la société et pour leurs enfants. Avoir le sentiment de coûter de l’argent à leurs enfants, dans un EHPAD ou une maison de retraite, de les obliger à les visiter, de les empêcher de vivre leur vie, d’être déjà le passé, tout cela les conduit naturellement à se poser la question du sens de leur vie.

Se borner à considérer que la demande de mourir doit être acceptée et mise en œuvre relève d’un tragique abandon.

Se retrancher derrière des procédures n’est qu’une façon de soulager la conscience des survivants. Et des militants.


Allégation n°17

Autre idée prétendument reçue à déconstruire qui n’a en réalité guère d’existence dans le débat. Le nombre n’est jamais un argument en lui-même. En revanche, le rapport d’une société à la mort est fondamental et la répercussion d’une légalisation de l’euthanasie sur une société, incomparable. Nous serons tous concernés.

Mais, à supposer déjà que l’on envisage moralement la possibilité de l’acte, il est du devoir du législateur (et de celui qui raisonne dans le débat public) d’arbitrer entre les effets négatifs inhérents à chaque décision.

Il n’existe pas de législation parfaite. Toute loi a des « effets de bord« . Il y aura, c’est une certitude, des euthanasies pratiquées hors des conditions fixées. Faut-il prendre le risque de ces effets, irrémédiables pour la personne concernée, des effets de déstabilisation d’un système de soin et d’une société, pour des cas représentant 0,27% des patients pris en charge en soins palliatifs ?


Allégation n°18

Non, en fait, personne n’affirme que les Belges assassinent leurs enfants, ou torturent des petits chats. La réalité du « modèle belge » est suffisamment éloquente sans nécessiter d’exagération.

En revanche, cette fiche se conclue sur un point factuel : 4 mineurs belges ont été euthanasiés.

En toute cohérence, dans la droite ligne de la fiche n°17 de l’ADMD, ce n’est pas parce qu’une situation est numériquement faible qu’elle doit être ignorée.


Allégation n°19

Outre le fait que le nombre de décès a augmenté de 10,16% entre 2002 et 2022[8] et non de 20%, le rapport de la Commission Fédérale de Contrôle et d’Evaluation de l’Euthanasie pour les années 2021-2022 se suffit à lui-même :


Allégation n°20

L’exercice de style de l’ADMD se conclut symboliquement sur une autre idée prétendument à déconstruire que l’on serait bien en peine de trouver dans le débat public. Tout juste en trouve-t-on ponctuellement la trace en novembre 2022, essentiellement sur le Twitter canadien. Confondre, sciemment, un buzz ponctuel sur des comptes Twitter étrangers et une prétendue « idée reçue » dans le débat français est éclairant sur la démarche de l’ADMD.

Encore une fois, le système canadien, qui a notamment conduit à l’euthanasie de personnes défavorisées suscitées par leur pauvreté (voir aussi les cas de Jennyfer Hatch ou cet article au World Medical Journal) est suffisamment éloquent.


Ce petit travail n’a aucune prétention d’exhaustivité. Bien d’autres points pourraient être discutés, ce à quoi j’ai renoncé par souci de lisibilité (vous remerciant d’ailleurs d’être arrivés jusque-là). Il ne bénéficie certes pas des mêmes moyens (l’ADMD déclare tout de même 2.000.000 € de produits d’exploitation de l’association, et un fonds de dotation de 6.000.000 € pour 2021), ce qui en fait un lobby d’une puissance notable, exclusivement dédié ou presque à la communication et à l’influence.

Fourbu d’avoir écrit ce qui précède, comme vous l’êtes probablement de l’avoir lu, contrairement à l’ADMD dans son document, je vous épargnerai une conclusion moralisatrice sur la hauteur du débat public, le respect de la démocratie et la vertu de mes contradicteurs, fondant mes espoirs sur le fait que les développements qui précèdent se suffiront à eux-mêmes

  1. Boulanger A, Chabal T, Fichaux M, Destandau M, La Piana JM, Auquier P, Baumstarck K, Salas S. Opinions
    about the new law on end-of-life issues in a sample of french patients receiving palliative care. BMC Palliat Care. 2017 Jan 21;16(1):7
    []
  2. Souvenir précis d’une patiente que je visitais et qui, au moyen de deux boîtiers électroniques, déclenchait en mode sans contact des « bolus » (doses auto-administrées) d’antidouleurs []
  3. Guirimand F, Dubois É, Laporte L, Richard JF, Leboul D. Deathwishes and explicit requests for euthanasia in a palliative care hospital: an analysis of patients files. BMC Palliat Care 2014;13(1):53 []
  4. « Six patients ont réitéré leur demande : tous avaient des symptômes insuffisamment contrôlés, ayant des répercussions sur leur état mental.«  []
  5. Accessoirement, on relèvera que le Dr Corine Van Oost, médecin pratiquant les euthanasies en Belgique, membre de la Commission Fédérale de Contrôle et d’Evaluation de l’Euthanasie, qui reconnaît elle-même ne pas pratiquer d’euthanasie dans son propre service de soins palliatifs, reconnaissait aussi que « dans l’immense majorité des cas, la prise en charge en service de soins palliatifs interrompt la demande d’euthanasie » (citée in Pascale Favre, Euthanasie : de l’autre côté du miroir []
  6. et l’on peut lire notamment, chez Kathryn Mannix, le récit d’un homme qui est parvenu à retourner en Grande-Bretagne malgré un cancer avancé pour échapper à la pression euthanasique de ses soignants hollandais []
  7. Je peux au demeurant témoigner de la situation d’une patiente, atteinte d’une maladie pulmonaire, dont le pronostic vital n’était pas engagé à court terme, et qui a sollicité et obtenu un arrêt de traitement. Elle est décédée paisiblement dans les 48h de cet arrêt []
  8. passant de 105.642 en 2002 à 116.380 en 2022 – l’augmentation étant de 6,33% de 2002 à 2021 []

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9 commentaires

  • Merci de cette réfutation pas à pas, même si elle ne devait faire changer d’avis qu’un seul des partisans convaincus de l’euthanasie.

  • Merci beaucoup pour ce travail juste et efficace de réponse à ce document idéologique de l’ADMD. Je pense que ses responsables sont des idéologues car ils ne raisonnent pas comme des malades en fin de vie mais comme des bien portants qui veulent imposer leur idéologie mortifère.

    De plus, il n’est pas difficile de se renseigner sur les dérives que vous et beaucoup d’autres ont observées en Belgique et dans les autres pays ayant légalisé l’euthanasie. L’ADMD refuse de les reconnaître, ce qui prouve que leur combat est purement idéologique, mortifère et mensonger.

    Maintenant, il faudrait que les médias publics et privés soient informés de votre travail et permettent aux partisans de l’accompagnement des malades v jusqu’au bout de la vie de défendre leurs arguments, dans une société où le temps de la réflexion sur les sujets graves est souvent tronqué pour permettre à l’idéologie dominante d’avoir le dernier mot.

    Merci en core et continuez le combat. Vous n’estes pas seul, beaucoup pensent comme vous mais ne l’expriment pas toujours de peur peut-être de se trouver « ingardisés » par l’idéologie matérialiste dominante.

  • Bravo !
    Question de curiosité :vous travaillez en équipe pour produire un tel travail ?
    Bien cordialement

    • Réponse : c’est flatteur, mais non 😉

      J’ai juste eu des retours de personnes qualifiées, après publication, pour préciser un point ou deux, corriger une phrase qui disait l’inverse de ma pensée.

    • Je dois ajouter, tout de même, que la partie sur la conscientisation de la douleur est un copier-coller de la réponse que m’a faite un grand ponte des soins palliatifs. Je n’ai pas ces connaissances médicales.

  • Je me joins aux compliments pour la précision et l’étendue du boulot réalisé.

    Sur le fond… Difficile de dire quoi que ce soit d’original. À ce stade, je crois que l’on prêche principalement à des convaincus – soit contre soit pour celui qui prêche, mais sans grand espoir que quelqu’un change d’avis. Quant au camp d’en face, cette liste illustre tristement la propension des militants à la malhonnêteté intellectuelle. Quand on a décidé non seulement d’avoir raison, mais d’avoir raison à 100% et sur tous les plans du débat, il ne reste pas de place pour la nuance.

    Cependant, même si la suite est tracée (et elle l’est depuis très longtemps), ce travail n’est pas inutile. On pourra s’y reporter lorsque les faits montreront que oui, la liberté de la personne euthanasiée est hautement discutable, quand l’accès aux soins palliatifs sera restreint par les limites financières, quand des personnes à la santé chancelante et économiquement vulnérables viendront demander à en finir (comme ces cas concrets qui apparaissent au Canada). On verra alors que tout cela était non seulemement prévisible mais prévu, et que la responsabilité est lourde de ceux qui ont absolument voulu faire passer leurs idées par tous les moyens, y compris le mensonge.

    • J’ai peur d’une chose : la société s’y fera, comme à tout. Les proches ne protesteront pas : ce sera la fin d’une période difficile pour eux. Les premiers concernés ne diront rien : ils seront morts. Personne ne saura jamais ce que l’on aurait pu faire mieux pour eux, et toute une génération de soignants oubliera ce qu’avant, on savait faire en soins palliatifs. Il ne faut pas croire : la transmission est fragile.

      Et pourtant, nous avons tout pour savoir à quoi nous attendre. Ce matin, une chercheuse de l’université de Brighton tweetait un « poster » utilisé au congrès de l’EAPC (association européenne de soins palliatifs) sur l’euthanasie de personnes atteintes d’une déficience intellectuelle ou d’autisme, aux Pays-Bas. On sait que ça finira par intervenir, on le sait… Une société qui accepte ça, même un petit nombre de cas (9 cas en 20 ans pour lesquels le handicap a été le seul motif de l’euthanasie), est-elle encore digne ?

      Voici le tweet : https://twitter.com/TuffreyWijne/status/1669453590346301440?t=_Htrh46LZRtcuHB1UgF40g&s=19

    • Non ce n est pas inutile. J étais plutôt ( mais sans a priori fort) pour l euthanasie, je suis maintenant résolument contre. Par définition seuls les personnes convaincu parlent, mais ça ne veut pas dire que les indécis ou hésitant n’ écoutent pas.
      Je précise que l argument qui m a convaincu est l exemple avéré de personnes souhaitant des soins palliatifs mais se resignant a l euthanasie en leur absence.

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