Europe, où est ta soif de vérité ?

popopope

Peine perdue pour la dinde et le petit coq : on se souviendra de la visite du pape François au Parlement européen et au Conseil de l’Europe. Hormis ces opposants traditionnels et peu significatifs, le pape a recueilli un large assentiment parmi les politiques même si la constance avec laquelle ils ne prennent pas en compte ses enseignements porte à relativiser leur emballement passager. Tout de même, 3 minutes d’ovation debout, ce n’est pas juste une approbation de circonstance et l’on ne peut pas exclure que le pape ait fait vibrer chez eux la raison profonde de leur engagement.

« Il semble que les cardinaux sont allés me chercher au bout du monde« . Et c’est du bout du monde que ce pape argentin originaire d’Italie est venu raviver avec amitié une Europe vieillie et encalminée. Devant le Conseil de l’Europe, il a interpellé l’Europe : « A l’Europe, nous pouvons demander : où est ta vigueur ? (…) Où est ta soif de vérité, que jusqu’à présent tu as communiquée au monde avec passion ?« . Les mots de Martin Schultz soulignaient peut-être davantage encore la gravité de cette occasion. Car le pape n’est pas venu pour une visite de courtoisie. Il est venu parler à une Europe en pleine crise idéologique et anthropologique. En remerciant le pape, le président du Parlement Européen a souligné que ses paroles pourront guider les parlementaires « dans un temps de confusion« .

Et c’est bien à cela que le pape s’est consacré : dissiper cette confusion. Par ses deux discours, et singulièrement dans celui qu’il a prononcé au Parlement Européen, le pape a rappelé ce que devait être la mission de l’Europe, pour un chrétien, en apportant la vision globale et cohérente qui nous fait dramatiquement défaut, que ce soit en Europe ou en France.

S’il fallait retenir seulement quelques mots de ces deux interventions, alors je retiendrais ceux-ci : dignité, personne, transcendance, racines, vérité et avenir.

Il a rappelé aux parlementaires comme il convenait de mettre la personne humaine, sacrée, au centre de la politique. Il a ainsi rejeté l’économisme qui prévaut aujourd’hui encore en politique, au détriment d’un bien commun qui ne peut se satisfaire des seules conditions matérielles. L’Homme n’est pas fait pour le système, c’est le système qui est fait pour l’Homme – si je puis me permettre cette paraphrase du Christ. Or, comme il l’a rappelé, il se développe aujourd’hui un système qui expulse hors de lui ceux qui n’y contribuent pas assez, ou pas directement. L’Homme est pris dans la « culture du déchet » que dénonce le pape avec constance. Elle ne touche pas que les produits, dont nous usons et abusons, dans une opulence que nous ne voyons plus, elle touche les Hommes : les enfants que l’on programme ou que l’on élimine avant leur naissance bien souvent en fonction des intérêts économiques, les personnes âgées que l’on relègue ou dont on serait tenté d’accélérer la fin de vie, les malades également, et les migrants.

Le message de l’Eglise est global : si l’on y adhère, on ne prend pas le migrant sans l’enfant à naître – ou inversement. On prend ses thèmes de prédilection et les baffes dans sa gueule.
Oui, alors qu’à gauche on salue son seul propos sur les migrants et la dignité au travail tout en s’apprêtant, au lendemain même de cette visite, à faire de l’avortement une valeur fondamentale de la République, et qu’à droite on applaudit ses mentions de la famille, voire de l’enfant, en faisant de l’étranger l’instrument de tous les rétablissements électoraux, c’est bien une vision globale de la personne, de sa dignité et de ses fragilités qu’a rappelée le pape. Le message de l’Eglise est global : si l’on y adhère, parce que la dignité de l’Homme ne se divise pas, on ne prend pas le migrant sans l’enfant à naître – ou inversement. On prend ses thèmes de prédilection et les baffes dans sa gueule ou, dit autrement, ce qui nous conforte et ce qui nous bouscule pour nous mettre en chemin nous-mêmes vers une vision globale de l’Homme, respectueuse de sa dignité intégrale.

Aux hommes politiques, parlementaires européens représentants de tous le personnel politique d’Europe, le pape adresse cet appel :

Dans votre vocation de parlementaires, vous êtes aussi appelés à une grande mission, bien qu’elle puisse sembler inutile : prendre soin de la fragilité des peuples et des personnes. (Cela signifie) garder la mémoire et l’espérance ; signifie prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité.

« Oindre de dignité ». Pour saisir toute la douceur et la tendresse de cette expression, ceux qui ne sont pas coutumiers de ce vocabulaire peuvent imaginer non seulement que Christ signifie l’Oint (celui qui a reçu l’Onction Céleste) et peuvent aussi penser à tous ces baptisés, notamment les petits enfants, dont on oint le front avec le Saint Chrème, cette huile qui pénètre en nous et dont le bon parfum fait l' »odeur de sainteté ». Voilà comment le politique doit traiter la personne. La dignité véritable célèbre la personne vivante dans son intégralité. Cette dignité irréductible est le projet de Dieu pour chaque Homme et c’est la mission de chaque Homme – solidaire des plus fragiles – de révéler la dignité de toute personne, y compris à ses propres yeux.

Qui ne constate que l’Europe est vieillie et désorientée, sans projet, comme nous sommes aussi en France sans projet ? Le pape est venu rappeler son dynamisme premier en même temps que l’origine de sa force. Il a rappelé le dialogue fécond entre le monde des idées et la réalité concrète, entre la société et le christianisme avec, notamment cette belle référence, pour nous chrétiens : « les chrétiens représentent dans le monde ce qu’est l’âme dans le corps« . Voilà ce qu’ils représentent, doivent ou devraient le faire, pour l’Europe, et la France. Nul doute que certains sont d’un avis contraire, nul doute que nous ne sommes pas obligés de nous y ranger. Nul doute que quand on se prend ce qu’on se prend dans la poire, ma foi, c’est pas de refus.

Il a rappelé la contribution historique du christianisme à l’édification de l’Europe, jusqu’à l’inspiration même de Robert Schumann, en soulignant « les idéaux qui l’ont formée dès l’origine : la paix, la subsidiarité et la solidarité réciproque, un humanisme centré sur le respect de la dignité de la personne« . Mais, plus encore, il a adressé à l’Europe et, à travers elle, comme il l’a dit en introduction, à plus de cinq cents millions de citoyens des 28 pays membres,un appel à ne pas oublier la transcendance. A ce sujet, l’image du peuplier qu’il a développée est inspirante, depuis ses racines – celles de l’Europe – indispensables qui puisent à la vérité, pour irriguer un tronc fort et des branches qui veulent tutoyer le Ciel[1].

Sans cette transcendance – et comme je suis d’accord avec lui ! – la personne évolue au gré du vent. Dit par le pape, « à partir de la nécessité d’une ouverture au transcendant, je veux affirmer la centralité de la personne humaine, qui se trouve autrement à la merci des modes et des pouvoirs du moment« . Aussi, plutôt qu’une laïcité crispée et déplacée, nous devons entretenir un dialogue ouvert et fructueux. Ce n’est pas une option dans une Europe qui s’enfonce dans le doute et la désespérance.

Le pape a abordé bien d’autre sujets, de façon plus ou moins concrète, étant rappelé qu’il n’a pas à donner un programme politique mais une inspiration – celle qui justement manque tant à la politique. J’étais heureux de me trouver également en accord avec lui lorsqu’il évoque les migrants. Autant, c’est une évidence, lorsqu’il s’est exclamé que l' »on ne peut tolérer que la Mer Méditerranée devienne un grand cimetière ! » que lorsque, dans le même paragraphe, il rappelle l’équilibre remarquable de l’approche catholique, faite de l’impératif respect « de la dignité des personnes immigrées« , de la nécessité pour l’Europe de se mettre elle-même au clair avec sa propre identité culturelle, et de l’incontournable action dans les pays d’origine.

Où est notre vigueur ? Où est notre tension vers un idéal ? Où est notre soif de vérité ? A titre personnel, vous aurez évidemment perçu mon profond accord avec la vision complète et cohérente qu’a développée le pape hier. De plus en plus orphelin politiquement, je sais dans quel sol planter mes racines et vers quel ciel tendre mes branches. En espérant que le tronc soit fort.

  1. ou le vouvoyer respectueusement selon sa sensibilité, nous sommes d’accord []

19 commentaires

  • Merci pour ton retour et ce partage sur les deux discours d’hier. C’est toujours revigorant.

    Une petite remarque de l’ordre du détail… Ceux qui ne sont pas coutumiers du vocabulaire du genre « oindre de dignité » peuvent ouvrir un dictionnaire et y voir que le verbe oindre décrit le fait d’appliquer une huile ou un corps gras sur la peau, qui conduit généralement à faire passer à travers des substances agissantes de l’intérieur. C’est sans doute en rapport avec ce que l’on trouve, dans le C.E.C. au sujet de la dignité humaine :

    1700 La dignité de la personne humaine s’enracine dans sa création à l’image et à la ressemblance de Dieu (article 1) ; elle s’accomplit dans sa vocation à la béatitude divine (article 2). Il appartient à l’être humain de se porter librement à cet achèvement (article 3). Par ses actes délibérés (article 4), la personne humaine se conforme, ou non, au bien promis par Dieu et attesté par la conscience morale (article 5). Les êtres humains s’édifient eux-mêmes et grandissent de l’intérieur : ils font de toute leur vie sensible et spirituelle un matériau de leur croissance (article 6). Avec l’aide de la grâce ils grandissent dans la vertu (article 7), évitent le péché et s’ils l’ont commis, s’en remettent comme l’enfant prodigue (cf. Lc 15, 11-31) à la miséricorde de notre Père des Cieux (article 8). Ils accèdent ainsi à la perfection de la charité.

    C’est juste pour chicaner un peu, mais pour une fois, je crois qu’il n’y a pas ici besoin de voir dans l’expression du pape une référence religieuse particulière. Bien sûr la grâce est de l’ordre de ces baumes qui édifient de l’intérieur, mais elle prodiguée par Dieu, pas par des politiques.

    En revanche, les moyens donnés à l’autre pour agir en personne libre, en personne humaine (comme le travail, mais aussi l’accès à la culture), la possibilité de contribuer activement à l’organisation sociale (voter, s’engager, etc.), et la possibilité de s’ouvrir à la transcendance et de s’épanouir spirituellement (liberté religieuse) sont de ces baumes en mains des responsables politiques, qui appliquées aux personnes parce qu’elles sont des personnes (en vertu de la dignité qu’on leur reconnait), leur permettront de s’édifier elles-mêmes de l’intérieur.

    C’est très différent d’autres expressions de la charité comme l’aumône et le service des plus démunis, je crois – qui reste un devoir pressant de la charité, quoiqu’il en soit, mais qui est d’un autre ordre. Il y a finalement un verbe qui traduit très bien l’expression « oindre de dignité », il me semble : c’est « libérer », « rendre libre ». En cela, je crois que si on veut savoir ce qui caractériserait une politique authentiquement chrétienne, ce serait avant tout une politique du service (expression politique de l’amour) ET de la libération de son prochain (ce qui était sans doute dans l’intention aux sources du libéralisme, mais qui a un tout petit poil dérivé, je crois).

    Voilà c’était juste pour papoter entre la poire et le fromage. A+

  • « De plus en plus orphelin politiquement, je sais dans quel sol planter mes racines et vers quel ciel tendre mes branches. En espérant que le tronc soit fort. »

    Merci pour ce superbe commentaire du discours du Pape, et cette conclusion qui représente très exactement mon propre sentiment !

    Par ailleurs, j’en profite pour vous dire que je trouve très beaux les dessins qui illustrent chacun de vos billets !

  • Tout aussi « orpheline » que vous, politiquement, je sais moi aussi « dans quel sol planter mes racines ».
    J’apprécie les différents conseils ou reproches faits à droite comme à gauche par notre cher Pape. Je regrette de voir poindre chez certains la tentation d’être plus Pape que le pape,  » trop à gauche » ou  » trop à droite » : car le pape n’est pas à gauche ni à droite, il est au Christ, notre « tronc ».
    Merci pour votre commentaire, qui réchauffe le coeur par sa lucide prise en compte des multiples enjeux,
    Une de vos soeurs en « orphelinat » et soeur en Christ,

    Marie

  • Beau billet. Moins bien que le discours du Pape, mais en même temps t’es pas Pape 🙂

    Ah, ça nettoie les bronches, ce genre de discours. Comme tu le dis bien, on tend vite à n’en garder qu’une moitié, moi le premier. Mais là où ce discours fait le plus de bien, c’est précisément sur les parties qu’on aurait envie d’ignorer.

    On a du bol avec nos papes depuis un moment.

  • Merci pour ce billet, comme une bonne bouffée d’air frais dans une atmosphère étouffante.
    Hier, impossible d’échapper à la célébration de la loi Veil, c’était déprimant…
    Ironie de l’histoire : le jour où le Pape est ovationné au parlement européen, les députés français « sacralisent » l’avortement.

    Comme le dit Lib : « On a du bol avec nos papes depuis un moment. »
    En fait, je ne crois pas que ce soit le hasard, là où le péché abonde, la grâce surabonde.

  • Très bon discours effectivement, mais empreint d’une certaine démagogie concernant l’immigration, de mon point de vue…
    Le Pape François est fils d’immigrants italiens. Son coeur est aveuglé.
    C’est faire de l’angélisme que de laisser croire que nous pouvons accueillir décemment voire généreusement tous ceux qui fuient leurs pays (souvent à cause de l’agression occidentale, disons-le)!
    Pourra-t-on en arriver un jour à un christianisme du réel ?
    C’est à en douter lorsqu’on lit et écoute toutes les bonnes âmes !
    « L’enfer est pavé de bonnes intentions !!! »
    Le discours catho bien propre sur lui et bien lisse (si possible avec un joli pli social-démocrate) n’est plus audible de nos contemporains, du peuple, des gens de base, qui souffrent et ne comprennent pas.
    Si, ils comprennent au moins une chose : l’Eglise choisit son prochain pami les plus éloignés et délaisse les proches.
    Une église élitiste et mondialiste qui s’éloigne de son terreau pour des motivations moralistes, ce ne peut pas être l’Eglise du Christ, ce n’est pas l’église de France, ce n’est pas Notre avenir, enfin pour moi…

    Cela dit, merci pour vos bons billets, que je partage souvent avec plaisir !

  • Bonsoir Koz,

    Je réfute le fait que notre société européenne vit une crise morale généralisée liée à son détachement du christianisme. En effet, je crois que les valeurs de générosité, et d’honnêteté qui sont au cœur du christianisme et de la plupart des religions font toujours, et peut-être plus qu’autrefois, l’objet d’un large consensus. Ainsi, la plupart de nos contemporains essaient à mon avis, avec leurs qualités et leurs défauts, de faire de leur mieux pour se comporter en « honnête homme » avec leur familles, leurs collègues, et leurs amis. Je vis tous les jours la générosité de mes prochains dont la plupart sont indifférents, et certains hostiles ou favorables, au christianisme.

    Je pense donc que l’on généralise trop des crises très spécifiques que connait l’Europe en ce moment.

    La première crise, c’est l’absence de volonté de construire un état européen véritablement fonctionnel. Même au temps des pères fondateurs, cette ambiguïté a toujours existé, et elle est d’autant plus grande maintenant que nous n’avons plus l’ennemi commun communiste, et presque plus le souvenir des horreurs de la guerre. Si le parlement européen déprime, c’est parce qu’il est un comité Théodule, pas parce que les populations ont perdu leur âme.

    La seconde crise, c’est la mutation technologique qui fait disparaitre massivement des emplois intermédiaires, avec à mon avis une transition qui sera aussi profonde que l’exode rural du 19è siècle, ou la désindustrialisation du milieu du 20ème siècle. Ces bouleversements seront douloureux, mais ils sont inévitables, et déboucheront à mon avis sur une société plus enrichissante. Cette crise se cumule avec un autre évènement conjoncturel, le développement économique du tiers-monde.

    Il y a une troisième crise qui est à mon avis plus française, voire même parisienne qu’européenne : un climat intellectuel malsain, une sorte de pessimisme snob qui paralyse le développement de nouvelles idées. Je pense que ce dernier est largement hors sujet car finalement très local, même si les medias nationaux sont largement plongés dans ce microcosme, beaucoup plus que le pays réel lui-même.

    Bref, je ne me reconnais pas vraiment dans le commentaire que tu as fait du discours du pape.

  • Bon. Premier constat : quand vous vous étonnez qu’un de vos commentaires ait disparu, dîtes-vous que cela arrive à tout le monde puisque j’avais répondu à tout le monde jusqu’à « Blaise et Ignace » et que je constate que j’ai dû faire une fausse manoeuvre. Ne m’en veuillez pas si je n’ai pas le courage de tout reprendre.

    @ Louis : je retrouve comme des inflexions des critiques émises par Rioufol et Zemmour dans votre commentaire. Vous aurez compris déjà, si vous me suivez ailleurs, que je ne les partage pas. Je note en particulier que Zemmour n’est pas catholique, et même à tendance paganiste, quand Rioufol introduit son billet en évoquant une « Europe post-chrétienne qui n’en peut plus des discours etc » (ce que je retrouve pas mal dans votre commentaire). Cela me conduit à constater qu’il se fait le porte-voix d’une telle « Europe post-chrétienne » et non d’une « Europe chrétienne », ce qui est savoureux.

    J’aimerais aussi que vous confrontiez vos critiques aux propos du pape, dont j’espère que vous avez pris connaissance avant de les critiquer, de parler d’angélisme (critique un peu rebattue) et de catholicisme « bien propre sur lui ».

    De même, il est nécessaire d’affronter ensemble la question migratoire. On ne peut tolérer que la Mer Méditerranéenne devienne un grand cimetière ! Dans les barques qui arrivent quotidiennement sur les côtes européennes, il y a des hommes et des femmes qui ont besoin d’accueil et d’aide. L’absence d’un soutien réciproque au sein de l’Union Européenne risque d’encourager des solutions particularistes aux problèmes, qui ne tiennent pas compte de la dignité humaine des immigrés, favorisant le travail d’esclave et des tensions sociales continuelles. L’Europe sera en mesure de faire face aux problématiques liées à l’immigration si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle et mettre en acte des législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ; si elle sait adopter des politiques justes, courageuses et concrètes qui aident leurs pays d’origine dans le développement sociopolitique et dans la résolution des conflits internes – cause principale de ce phénomène – au lieu des politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent ces conflits. Il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets.

    Je n’y retrouve rien de ce que vous dîtes. Ni angélisme ni appel à accueillir inconditionnellement tous les immigrés, étant précisé qu’il évoque les « législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ». L’analyse Zemmourienne et Rioufoldingue est tout simplement factuellement inexacte. Si vous n’adhérez pas à cela, il est possible que vous deviez vous interroger sur votre propre adhésion à l’Eglise, Eglise du Christ, de France, Eglise universelle.

    Quant au « coeur aveuglé » du pape sur les migrations, parce qu’il est fils de migrant, on pourrait tout aussi bien considérer que son coeur en est justement éclairé, plus qu’aveuglé. Les commentaires qui s’ensuivent sur le fait qu’immigré italien en Argentine, il ne comprend pas l’immigration à laquelle nous faisons face supposent qu’il soit à la fois un peu neuneu et pas conseillé. Je sais pas vous mais je trouve personnellement que cela manque de charité.

    Uchimizu a écrit :

    Bref, je ne me reconnais pas vraiment dans le commentaire que tu as fait du discours du pape.

    Nous avons, de toutes façons, des sensibilités bien différentes. Je ne m’attends pas à ce que tout le monde se reconnaisse dans mon appréciation.

    Pour le reste, je ne conteste pas qu’il existe toujours des réflexes de générosité, notamment chez des personnes qui se sont détachées du christianisme, et j’ai plaisir à voir les mouvements spontanés de solidarité que les medias nous rapportent parfois, sans compter la simple solidarité autour de moi même sans retour médiatique.

    En revanche, je maintiens que la France et l’Europe vivent une crise de désespérance. Et, si vous suivez bien le propos du pape, auxquels j’adhère, il souligne l’absence de transcendance ce qui n’est pas juste une habileté pour ne pas absence de Dieu mais qui souligne l’absence de toute forme de transcendance.

    Après, il est bien évident que le pape, comme moi, considérons que le christianisme, et le Dieu auquel nous croyons, est la plus adaptée de ces transcendances.

    Mais si, déjà, la société se sortait un peu de son horizontalité, ce serait un premier pas utile.

  • Pour ce qui est de l’immigration ma conviction, et j’accepte qu’on ne la partage pas du tout, c’est qu’elle est aussi difficile à contrôler que les nuages qui traversent le ciel de France. Depuis la nuit des temps les femmes et les hommes bougent. L’Histoire de notre pays en témoigne depuis la nuit des temps . Depuis avant 1914 nous avons reçu des révolutionnaires russes en échec, des russes blancs, des Polonais, des anarchistes d’Europe centrale, des Yougoslaves, des Italiens, des Espagnols, des Portugais, des Indochinois, des Pieds-Noirs, des Harkis, des Maliens. Et j’en oublie probablement. Les guerres « locales » depuis la fin de la guerre froide multiplient les déplacements de population. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés il y aurait plus de onze millions de personnes dans des camps en attente d’aller quelque part. Le plus grand camp au monde ayant…453 277 réfugiés. On n’a pas fini d’entendre parler de l’immigration. Immigration 0 , pas de nuages dans le ciel de France, j’y crois pas une minute.

  • Koz a écrit :

    En revanche, je maintiens que la France et l’Europe vivent une crise de désespérance… l’absence de toute forme de transcendance.

    Bonsoir,

    la transcendance est une notion élastique. Toutefois, les personnes les mieux dans leur peau que je connais sont souvent des gens terre à terre avec des intérêts peu transcendantaux (par exemple mon, marchand de fromage, un passionné de fromage de chèvre), et qui savent se contenter de ce que leur vie peut leur apporter. J’ai un peu de mal à faire le lien dont tu parles.

    Et puis, on dévalorise beaucoup la transcendance la plus accessible, qui est la contribution que chacun peut faire à la mesure de ses moyens à l’amélioriation du corpus des connaissances, des arts et des techniques de l’humanité. J’ai la chance de travailler dans un domaine assez technique où cette fierté est très forte, et je peux vous dire que cela a un immense effet bénéfique.

    Là où je vous rejoindrais peut-être, c’est qu’en se laïcisant, la société a perdu la plupart de ses rites qui étaient liés aux fêtes religieuses, et je pense que ces rites sont très utiles pour rythmer la vie, même en dehors de tout sens religieux.

    Je pense aussi qu’à certains moments dans la vie, et en particulier quand on est confronté à la mort ou à la chance, on a besoin de croire en un dieu. La façon dont la religion catholique lie des choix politiques très précis au à la religion traditionnelle de notre pays prive une majorité de la population d’un accès au religieux quand elle en aurait besoin.

  • Infiniment touchée aussi par cette expression pleine de tendresse :  » oindre de dignité « .

    Orpheline politiquement aussi. Finalement, quand on est français et en accord profond avec l’enseignement de l’Eglise, on n’est en accord profond ni avec la droite ni avec gauche. On rêve de prendre de chaque coté le meilleur et d’en éliminer le pire.

  • Uchimizu a écrit :

    Je réfute le fait que notre société européenne vit une crise morale généralisée liée à son détachement du christianisme. En effet, je crois que les valeurs de générosité, et d’honnêteté qui sont au cœur du christianisme et de la plupart des religions font toujours, et peut-être plus qu’autrefois, l’objet d’un large consensus. Ainsi, la plupart de nos contemporains essaient à mon avis, avec leurs qualités et leurs défauts, de faire de leur mieux pour se comporter en « honnête homme » avec leur familles, leurs collègues, et leurs amis. Je vis tous les jours la générosité de mes prochains dont la plupart sont indifférents, et certains hostiles ou favorables, au christianisme.

    C’est vrai, moi aussi je le constate. Mais je constate également que beaucoup de ces indifférents ou hostiles au christianisme bénéficient quand même encore, par osmose, d’une imprégnation diffuse des valeurs qui nous viennent, de fait, de l’évangile. A titre d’exemple, qui pourrait nier que dans notre société le citoyen lambda pense, raisonne et agit (souvent) avec la notion plus ou moins consciente que le faible mérite attention et protection. Et qui pourrait nier que cette valeur-là est proprement chrétienne, quand on regarde ce qui en est dans les civilisations non chrétiennes, par exemple celles issues de l’hindouisme (système des castes en Inde), du bouddhisme (sort des handicapés au Japon), de l’Islam (sort des femmes, pas si faibles que ça d’accord, mais enfin mises en position de faiblesse), de l’animisme (rites africains pour rendre ‘forts’ par la souffrance), etc. Alors que chez nous, lorsque les gens discutent de choix de société ou de choix personnels, tous semblent d’accord sur cette base de la primauté des droits des faibles : tous valorisent cela, du communiste au chrétien intégriste, en passant par le militant pro vie ou le défenseur anti raciste. Ce qui nous met en désaccord, ce n’est pas le fondement, c’est le choix des moyens pour y arriver, et le choix des priorités, à savoir définir qui doit être le faible prioritaire. Même le financier le plus sec, n’oserait pas clamer que le faible n’a aucune importance pour lui, il défendra son comportement sur d’autres arguments. Même le militant le plus hargneux de je ne sais quelle cause se persuade qu’il ne concède que momentanément à la violence au nom d’un futur meilleur pour les brimés d’aujourd’hui. Même le braqueur de banque se conforte dans le sentiment qu’il joue un rôle de Robin des bois pour rééquilibrer l’injustice faite aux pauvres. Évidemment on trouve à la pelle des contrexemples de brutes foncières, mais leurs comportements sont encore largement considérés, par consensus et dans nos lois, comme des déviances.

    Cette imprégnation de notre société par les valeurs issues du christianisme ne sera pas éternelle : elle reste présente tant que la majorité des citoyens a pu recevoir une éducation où la transmission chrétienne comptait, disons sur deux générations au-dessus de lui, maximum trois je pense. Ils rejettent intellectuellement, mais leur psychisme reste imprégné des schémas de pensée dont la source est dans le nouveau testament et l’enseignement qui en découle. Nous risquons de la perdre petit à petit sans que cela saute aux yeux, puisque nous restons bénéficiaires de sa queue de comète positive.

    Voir que cette imprégnation des valeurs chrétiennes reste encore sous-jacente chez nous, en dépit de la déchristianisation de l’occident et des multiples dérives, cela me paraît une clé de compréhension : les théories à l’opposé des recommandations de l’Église peuvent encore se draper de l’apparence de la charité, car de fait elles passent encore par un filtre de caractère social qui surfe sur cette valeur. Pour combien de temps ? Combien de temps avant que l’on ne voie plus aucune trace d’altruisme dans des débats ouvertement argumentés par des concepts païens de marchandisation déshumanisée ou de proclamation d’un surhomme ‘métallique’. Il y a des signes qui m’inquiètent.

    Et comprendre que cette imprégnation est résiduelle, comme en queue de comète, c’est surtout une piste pour naviguer et pour influer chacun là où nous sommes : c’est une raison pour enraciner nos modes de pensée et d’action dans la vraie source, sans dénaturer nos valeurs morales et nos motivations comme si elles n’étaient que des sous-produits qui s’auto-suffisent. Et là je vise à droite comme à gauche, vers les militantismes partisans de toutes provenances. Nous devons tous faire attention. Cet enracinement de chacun dans la source chrétienne, je ne le vois pas comme un prétexte pour renoncer à la séparation de l’église et de l’état, qui lui me parait une bonne chose si cela ne dérive pas en une laïcité dénaturée et agressive contre la religion. C’est plutôt comme la garantie que nous ne recherchions pas une influence d’idéologues spécialistes de la contre-proposition, mais une influence de levain dans la pâte pour le bien de tous, en englobant les nécessités de tous.

    C’est pour ça que comme Koz je suis enthousiasmée par le discours du pape François : sa compréhension des choses, ce souffle chrétien authentique lui permet d’envisager, et cela dans un même paragraphe, l’accueil nécessaire de l’immigré, la proposition claire de l’identité culturelle de l’accueillant, et la politique juste envers les pays d’origine. Trois propositions que l’ont entend souvent en opposition l’une à l’ autre. Je crois réellement que plus que jamais la sagesse chrétienne branchée à la source est capable de tout englober, alors que dans la queue de comète de la civilisation chrétienne, nous n’avons que des propositions fragmentées, des pseudo solutions qui si elles défendent une catégorie vont en brimer une autre.

    Ce genre de discours me fait respirer du bon air, et nourrit ma pensée de façon non partisane. Passionnante époque, bien qu’un peu effrayante, dans laquelle, comme le souligne le commentaire de Blaise & Ignace, « là où le péché abonde, la grâce surabonde ».

  • Je constate avec un certain bonheur que le pape François est de fait le porte parole de l’ensemble des chrétiens, et pas seulement des catholiques. Je sais que beaucoup de chrétiens ne seront pas d’accord avec moi. On verra avec le temps.

  • Le pape a dit aux Européens, je simplifie : « vous êtes des affreux ! »
    Ils ont applaudi à tout rompre. Sigifiant par là : « oui, c’est vrai, nous sommes des affreux ». Ils ont (nous avons) adoré ça, qu’on nous dise notre fait, et avec cette sévérité.
    Se sentant absous sans doute par cette joie à se reconnaître affreux, ils ont repris leur train-train, affreux comme devant…

    Dans le fond, c’est ça notre drame : nous savons mais faisons comme si nous ne savions pas.

  • C’est vrai, Denis et l’on peut craindre que nombre d’entre eux, agissant par simple réflexe politique, aient applaudi le pape comme on applaudit le symbole, le personnage pour le moment populaire, de la même manière qu’avec un pape moins populaire, ils auraient peut-être marqué une réserve qui n’aurait rien eu à voir avec le propos.

    Mais, d ‘une part, on ne peut pas exclure que ce discours ait marqué certains parlementaires, et ce n’est pas rien. D’autre part, le pape, en s’exprimant au Parlement, ne parle pas qu’aux parlementaires. Comme il l’a dit en introduction, il s’est adressé, par leur intermédiaire, aux 500 millions de citoyens européens. On peut penser qu’il a touché le cœur de quelques-uns d’entre eux.

  • Je constate que je ne suis pas le seul orphelin politique, il faudrait construire un beau et grand orphelinat pour accueillir tout le monde.
    Merci pour votre blog qui fait du bien, loin du politiquement correct et de la haine.
    UDP

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