Des morts, et des indignes

Ne mourez pas l’été. Reportez. De fin juillet à début août, quatre personnes sont décédées aux urgences du CHU de Nantes. Mourir aux urgences, cela arrive. Mourir après 50h aux urgences pour l’un, après dix heures en zone d’attente sans soins pour une autre, ne devrait pas arriver. On lit ceci dans la presse : « une femme de 72 ans a été retrouvée morte… » C’est une formule mais elle dit ceci : on peut vous « retrouver », mort, aux urgences d’un hôpital, en France. Personne ne sait qui était cette femme qui a passé les toutes dernières heures de sa vie, isolée, dans un couloir. C’était pourtant une personne singulière avec ses humeurs, ses espoirs, ses échecs, ses victoires, toute une vie. C’était l’une d’entre nous qui nous quittait et elle a fait face à la mort, seule, sur un brancard. Indignité.

On peut, à raison parfois, incriminer la médicalisation de la fin de vie, ces transferts hospitaliers inutiles. Mais à 25 ans, Lucas, mort d’une septicémie aux urgences d’Hyères en septembre 2023 après avoir passé plusieurs heures sur un brancard, n’était pas en fin de vie. Fin février, le chef des urgences de Pellegrin, au CHU de Bordeaux, évoquait deux « décès qui interrogent » au regard des délais d’attente, en une seule semaine (Le Monde, 14 février 2024). Les décès choquent, ils sont surtout le tragique indicateur de tous les défauts de prise en charge.

En ce début de mois d’août, un collectif de soignants interpellait sur l’enjeu fondamentalement politique de l’accès aux soins (Le Monde, 9 août 2024). C’était août et c’était les JO : l’a-t-on entendu ? Il soulignait l’inacceptable inégalité d’accès selon les territoires, et selon que l’on dispose ou non des relations nécessaires. Une inégalité qui « crée un fort sentiment d’insécurité médicale » et contribue à la colère dans un pays qui n’honore plus sa promesse. Les signataires rappelaient aussi comme l’accueil des patients sans distinction de richesse, d’âge, de sexe ou d’origine délivre un message fondamentalement politique. Spirituel, serait-on même tenté de dire, tant cette promesse d’accueil inconditionnel participe aussi de l’esprit de notre pays. 

Ce sont pourtant d’autres promesses, à l’honnêteté douteuse, qui se succèdent. Emmanuel Macron avait promis, le 17 avril 2023, de « désengorger les urgences » d’ici la fin 2024. On voit ce qu’il en est. Ses ministres avaient promis une loi Grand Âge. Elle est oubliée. Plusieurs fois, ils ont promis 20 nouvelles unités de soins palliatifs d’ici la fin de cette année : pas une n’a vu le jour. Ce que nous avons vu, c’est l’urgence qui les a occupés, médiocre paravent à leur inefficacité. Inaptes à mener une politique de santé publique pour le plus grand nombre, ils se gargarisent d’un message sociétal pour une coterie. Incapables d’empêcher les morts indignes, ils se piquent d’assurer la dignité en agréant la mort. Nous voulons des hommes, des femmes, d’Etat, nous avons des fantoches.


Photo de Mathurin NAPOLY / matnapo sur Unsplash


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