Fin de vie : l’exécutif veut instaurer le « secourisme à l’envers »…

Que dire d’un texte qui légalise la mort provoquée ? Faut-il seulement aller débattre du délai dans lequel elle est réalisée ou de la nature contraignante ou non des avis requis pour son accomplissement ?

Que dire d’un texte que l’on nous annonçait comme « une voie française de la fin vie » et qui se révèle un piètre décalque de l’antimodèle belge ? Est-on surpris ? Certainement pas. Qui s’illusionne sur les consultations de l’exécutif ? Agnès Firmon-Le Bodo affirmait encore ce matin sur France Info que ce texte serait le résultat d’ « un travail un peu innovant dans sa méthode, parce que nous avons beaucoup co-construit et écouté les parties prenantes ». Le 3 août dernier, treize organisations de soignants, lesdites parties prenantes, dénonçaient pourtant auprès de l’Elysée et de Matignon les conditions déplorables et méprisantes de l’élaboration du texte.

Le choix d’une légalisation du suicide assisté assortie d’une « exception » d’euthanasie était écrite d’avance, anticipée depuis de longs mois. Rien n’en aura fait dévier.

Mais il fallait tout de même que cet avant-projet de loi (évoqué ici par Le Figaro) nous réserve des surprises. Oh, pas tant sur son titre I, relatif aux « soins d’accompagnement« , sorte de ripolinage des soins palliatifs. On y lit que les soins palliatifs ne correspondront plus désormais qu’aux seuls actes médicaux destinés à traiter la douleur en fin de vie, les autres soins relevant de l’accompagnement. Le bénévole « d’accompagnement » en soins palliatifs que je suis n’est pas bouleversé par l’innovation. Ainsi, sortent des soins palliatifs ce qu’ils recouvrent aujourd’hui (ce que le texte liste parfaitement à savoir la prise en charge nutritionnelle, l’accompagnement psychologique, la musicothérapie, les soins socio-esthétiques) pour entrer dans « une notion plus large » de « soins d’accompagnement« . Peut-être est-ce une composante de la « révolution » dont s’enorgueillit Agnès Firmin-Le Bodo.

La surprise ne vient pas davantage des objectifs désignés dans la « stratégie décennale« , présentée le 11 décembre dernier et dont on peut tout au plus dire qu’elle comporte, à côté de quelques menaces, de hautes ambitions dont l’Etat ne se donne pas les moyens. Ni aujourd’hui car elles sont parfois directement contredites sur le terrain, ni demain puisqu’aussi bien aucun budget n’a été adopté pour les financer.

Déjà, l’avis 139 du Comité National Consultatif d’Ethique pêchait par cynisme ou naïveté, selon que l’on reconnaît ou non la bonne foi de ses inspirateurs. Le préalable annoncé des soins palliatifs n’était que le paravent à la légalisation de la mort provoquée. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras« , sait-on pourtant : nous avons la mort provoquée… et des promesses pour les soins palliatifs. Cet avant-projet de loi s’inscrit parfaitement dans ce mouvement.

Non, il faut en venir au « Titre III – Aide à mourir« , dont l’intitulé même mériterait un débat. D’emblée, il occulte les termes précis recouvrant les actes posés. Il est d’ailleurs curieusement écrit, en page 17 : « le texte introduit une exception d’euthanasie sans la nommer« . Ces termes connotent l’acte : c’est une aide, une assistance, allons, presqu’une bienfaisance. Ils masquent aussi que l’administration d’une substance létale ne se contente pas d’aider la personne à mourir, mais la fait mourir.

On retrouve ensuite un mécanisme qui rappelle grandement le système belge, dont on connaît pourtant les multiples dérives.

  1. Si ce n’est pas expressément écrit, le suicide assisté ou l’euthanasie peuvent être pratiqués quand bien même le patient n’est pas en fin de vie. La demande peut être faite si le pronostic vital est engagé « à court ou moyen terme« , le moyen terme relevant d’une durée de six mois à un an. Non seulement les médecins s’affirment dans l’incapacité d’évaluer sérieusement une telle durée de vie, mais un patient dont le pronostic vital est engagé à un an n’est pas en fin de vie;
  2. 17 jours de la demande à l’acte. La durée de réalisation est resserrée : la personne exprime sa demande à un médecin, qui recueille des avis sous quinze jours, et réalise l’acte après un délai de réflexion de deux jours maximum. Ainsi, en 17 jours, le suicide assisté ou l’euthanasie peuvent être réalisés. On se demande quelle urgence guide le rédacteur du projet de loi, quand on parle d’un décès pouvant survenir à un an;
  3. Une décision du seul médecin, sur la demande du patient. Aujourd’hui, pour un acte moins grave (la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès), une « procédure collégiale » est impérativement organisée. L’ensemble des soignants et non-soignants du service se réunissent, rejoints par un médecin extérieur au service. Demain, pour administrer la mort au patient, le médecin traitant, potentiellement dépourvu de toute connaissance en soins palliatifs, pourra décider seul. Il est expressément prévu qu’il ne s’agit pas d’une décision collégiale, mais d’une décision du médecin, qui détermine si les critères sont remplis. Pour des gens qui n’ont eu de cesse de dénoncer la toute-puissance médicale, voilà un pouvoir de vie et de mort singulièrement réuni sur une seule tête !
  4. Des avis non contraignants. Comme en Belgique, le médecin recueille l’avis d’autres professionnels. Il est clairement précisé que ces avis ne s’imposent pas au médecin. Il est ainsi demandé au médecin saisi de solliciter l’avis d’un spécialiste de la pathologie du patient mais, si celui-ci est d’avis que le patient ne remplit pas les critères, le médecin saisi peut passer outre. A l’inverse, il est prévu que le médecin pourra se retourner contre les professionnels dont il aura sollicité les avis pour s’exonérer, partiellement ou totalement, de sa faute éventuelle;
  5. Des avis en 15 jours. Comme précisé, ces avis doivent être délivrés en 15 jours. Ils le sont, c’est écrit, par un médecin qui ne connaît pas la personne et par un spécialiste. Outre le délai extrêmement réduit pour apporter un avis pour le moins engageant, on peut s’interroger sur la pertinence de l’avis de soignants qui ne connaissent pas le patient;
  6. Un acte réalisé… par « un proche. » Là, on s’assied. Depuis des mois, nous entendons les promoteurs du projet de loi répéter tel un mantra qu' »il y aura des garde-fous. » Or, l’article 11 du projet de loi prévoit que « l’aide à mourir consiste en l’approbation d’une substance létale, effectuée par la personne elle-même ou, si celle-ci n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, par un médecin, un infirmier ou un proche. » Notons que, dans l’indigence rédactionnelle du texte, le propos explicatif évoque « un proche » mais le texte de l’article mentionne « une personne volontaire qu’elle désigne. » Ainsi pourront procéder à l’euthanasie le conjoint, le neveu qui veille sur sa grand-tante âgée, voire le voisin si serviable, toutes personnes pouvant avoir un intérêt direct au décès anticipé du patient ! Ou un militant associatif…
  7. Un contrôle a posteriori. Le décalque ne serait pas total si le projet de loi ne prévoyait pas une commission de contrôle et d’évaluation, soit très précisément l’appellation de la commission belge (expurgée de son « fédérale« ). Encore la marque d’une intense réflexion pour proposer un « modèle français. » Elle aura les mêmes défauts et notamment (i) un contrôle a posteriori (par nature impropre à remédier aux morts indues) et (ii) un système déclaratif, à la main des soignants… dont on peut douter qu’ils déclarent ce qui pourrait les incriminer. Enfin, il faudra attendre un décret d’application pour connaître les modalités de composition de la commission. Dans l’élan de l’imitation belge, on peut imaginer que n’y seront nommés que des militants historiques de l’euthanasie.

L’analyse ne pourrait être complète sans s’arrêter sur un concept éclairant : le « secourisme à l’envers. » Pour le coup, une révolution au sens propre. Mais il est assez cohérent, quand on marche sur la tête, de pratiquer un « secourisme à l’envers« .

Il est ainsi prévu que, « en cas d’incident lors de l’administration« , le professionnel peut intervenir pour finir le travail[1] . « La conduite à tenir figurera dans les recommandations de la Haute Autorité de Santé : il s’agira d’un « secourisme à l’envers » puisque l’intervention doit, dans ce cas, hâter le décès en limitant les souffrances. » Dix années d’études de médecine pour pratiquer un « secourisme à l’envers« . Plus loin (p. 25), pour évoquer la clause de conscience, le texte évoquent ces actes qui seraient « des actes médicaux mais non des actes de soins« . Le fait est que donner la mort n’est pas un soin.

Alors voulons-nous une société du soin, ou une société qui institue un « secourisme à l’envers » ?



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  1. Voilà une façon remarquable de prévoir par avance des ratés du suicide assisté et de l’euthanasie. Pensez-y lorsque l’on vous rebat les oreilles d’épisodes tragiques de « réveil » pendant des sédations profondes. Tout acte médical peut être mal exécuté. Mais dans un cas, on vous rendort, dans l’autre, on vous re-tue []