Eglise défaite, société parfaite

Que les affaires surgissent alors que l’Eglise a drastiquement perdu en influence dans la société ne saurait surprendre. Peut-être est-ce se consoler à bon compte, mais cela peut inciter à méditer sur la réalité de toute puissance. Si l’influence passée de l’Eglise se déployait au prix des victimes et du silence, en voulons-nous vraiment ? Malgré les tourments et le désespoir qu’elle nous inflige, ne préférons-nous pas notre Eglise humiliée, aux genoux fichés en terre de force ?

Notre Eglise défaite s’est longtemps pensée en « société parfaite ». Cette notion contribuait à dessiner les relations entre l’Eglise et l’Etat, finalement conçus comme deux sociétés parfaites dans les buts qu’elles poursuivent. L’expression prenant comme souvent son autonomie par rapport à son sens théologique, certains semblent la confondre avec celle d’une Eglise irréprochable. Faut-il s’étonner alors que, alourdis de cette mauvaise compréhension, bien des clercs et des fidèles peinent à accepter les leçons qu’ils pourraient recevoir de la société civile ? C’est d’ailleurs bien compréhensible quand, en maintes affaires, cette société civile peine à nous convaincre de sa supériorité morale.

Pourtant, l’Eglise et ses fidèles ne peuvent se laisser guider par l’esprit de rivalité et d’amertume. L’Eglise doit rechercher le regard des sciences sociales et les expertises médicales, psychologiques, juridiques dont elle manque et dont elle disposera de moins en moins. Les compétences juridiques, médicales, psychologiques ne viennent décidément pas avec l’ordination épiscopale, quand bien même certains évêques semblent portés à le croire. Ceci ne signifie pas qu’il faille accepter toutes les conclusions de ces expertises profanes, mais il faut en intégrer à tout le moins les éclairages, et plus souvent que l’Eglise ne le souhaiterait spontanément. En matière judiciaire, et après l’affaire Santier, il faut répéter que cela signifie notamment une séparation des rôles (l’évêque peut-il être à la fois l’ami, le père, le frère, le juge, et celui qui dénonce à la justice ?) ou encore un alignement du régime de publicité des sentences sur celui des décisions de la justice civile.

Si l’Eglise est l’Eglise, plutôt que rester en-deçà de la société civile, elle doit assumer d’aller au-delà, en particulier dans la recherche des victimes, parce qu’au-delà de la justice, elle agit au nom de l’amour.

Chronique du 25 octobre 2022

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6 commentaires

  • « C’est d’ailleurs bien compréhensible quand, en maintes affaires, cette société civile peine à nous convaincre de sa supériorité morale. »
    Il ne faudrait pas opposer à une Église prétendument défaite la perfection supposée de la société civile dont la désagrégation ne cesse de montrer toutes les limites.
    « Les compétences juridiques, médicales, psychologiques ne viennent décidément pas avec l’ordination épiscopale, quand bien même certains évêques semblent portés à le croire. »
    Ils nous ont parlé pendant des années plus de sociologie que de la foi et ont semblé y borner leur enseignement.
    « En matière judiciaire, et après l’affaire Santier… »
    L’affaire Santier n’est typiquement pas une affaire judiciaire, mais pour une foi une affaire qui relève entièrement de la justice ecclésiale.
    En quoi « un alignement du régime de publicité des sentences sur celui des décisions de la justice civile » apporterait-il quoi que ce soit ? Publier le péché jusqu’à la transparence ne ferait que provoquer la mort du pécheur sans dédommager les victimes au-delà du préjudice moral.

    • « Il ne faudrait pas opposer à une Église prétendument défaite la perfection supposée de la société civile dont la désagrégation ne cesse de montrer toutes les limites. »

      C’est peu ou prou le sens de la phrase.

      « Ils nous ont parlé pendant des années plus de sociologie que de la foi et ont semblé y borner leur enseignement. »

      C’est votre avis, pas le mien. Nous ne devions pas écouter les mêmes choses.

      « L’affaire Santier n’est typiquement pas une affaire judiciaire, mais pour une foi une affaire qui relève entièrement de la justice ecclésiale. »

      Ce qui relève de la justice, ecclésiale ou non, est judiciaire. C’est la définition même du mot « judiciaire ».

      « En quoi « un alignement du régime de publicité des sentences sur celui des décisions de la justice civile » apporterait-il quoi que ce soit ? Publier le péché jusqu’à la transparence ne ferait que provoquer la mort du pécheur sans dédommager les victimes au-delà du préjudice moral. »

      La publicité des sanctions, qui ne revient pas à la clamer mais à rendre au moins l’accès possible aux sanctions, aurait des intérêts multiples. Elle éviterait le scandale de prêtres ou évêques sanctionnés qui peuvent au pire les violer, au mieux se présenter ici ou là en mettant les autorités ecclésiales locales en porte-à-faux. Mais surtout, surtout, l’action de l’Eglise doit être mue par d’autres motifs que de seulement punir le coupable. Elle doit réparer, autant que faire se peut, les dommages causés aux victimes. Rendre la sanction publique permet aussi de rechercher les victimes et d’assumer la responsabilité maternelle de l’Eglise, paternelle des pasteurs. La sort du coupable n’est pas indifférent, mais notre sollicitude doit aller d’abord aux victimes.

      Pour ce qui est des coupables, ceux que je connais se portent bien et n’ont pas cherché à attenter à leurs jours, merci de vous en inquiéter. Leurs victimes, si, en revanche.

  • Église défaite…
    Oui, c’est plus que sûr, mais est-il encore temps de faire le grand ménage dans cette Église ? Quand on voit que lorsqu’on envoie un courrier à son évêque et qu’il vous claque la porte au nez, comment réagir ?
    – Soit vous laissez tomber, en quittant l’Église…
    – Soit vous allez jusqu’au bout pour, dans mon cas, demander la réhabilitation du Père Pierre Vignon par une « Lettre ouverte aux évêques du 31/10/2022 » que je tiens à votre disposition, et avec, en plus – quelques jours plus tard – une pétition sur change.org :
    https://chng.it/xrQRPrqTPp
    C’est ce que j’ai dû, moralement, faire alors que – si mon évêque n’était pas resté dans sa tour d’ivoire – jamais je n’aurais agi de la sorte.
    Et c’est avec beaucoup, vraiment beaucoup de tristesse et de colère partagées que je fais ce commentaire.

    • Je suis navré mais, sans pouvoir les expliciter car je n’ai pas les éléments directs pour juger, la situation du Père Vignon n’est pas nécessairement aussi claire que vous l’avancez.

  • « Notre sollicitude doit d’abord aller aux victimes »: vous dites l’essentiel.Et c’est là qu’il faudrait montrer la voie.

  • Bien sûr que notre sollicitude doit d’abord aller aux victimes et c’est bien sûr le rôle principal de la justice civile, mais il me semble que pour moi l’Eglise ne peut en aucun cas se désintéresser pour autant de l’auteur de ces faits lequel lui aussi besoin de sollicitude et ce même si cela peut nous rebuter

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