Veilleur, où en est la nuit ?

nuit

Rien n’est moins chrétien que de serrer sans fin dans ses bras le cadavre de la vieille chrétienté : il faut laisser les morts enterrer leurs morts, et regarder le monde en face. Jérusalem est tombée, et ses murailles ne seront pas reconstruites.

C’est dire s’il ne faut pas lire ce livre  en quête d’un édredon ouaté, d’un propos rassurant à bon compte sur l’avenir du pays et des chrétiens. Nous ne manquons pas de trouver les moyens d’écarter la froide réalité statistique qui, pourtant, nous éclate au visage. Nous invoquons, et cela recèle, je le crois, tout de même, une part de vérité, la qualité des vocations, l’authenticité de la pratique dans un monde où elle ne saurait apporter un quelconque surcroît de rayonnement social. Mais la réalité, nous la connaissons tous, nous la vivons, est bien celle d’un pays déchristianisé. Étonnamment, ou non, Veilleur, où en est la nuit ?, du Frère Adrien Candiard (op)[1] fait écho à un autre ouvrage paru ces derniers jours aux éditions du Cerf, Etrangers dans la Cité, première édition en langue française d’un livre paru il y a vingt-cinq ans aux Etats-Unis. Pour leur part, les auteurs ont localisé et daté précisément la fin de la chrétienté : c’était en 1963 un dimanche soir, à Greenville en Caroline du Sud. « Ce jour-là, à Greenville en Caroline du Sud, au mépris des vénérables Blue Laws, le cinéma de la Fox ouvrit un dimanche (…) La Fox défia frontalement l’Eglise pour décider de qui offrirait une vision du monde aux jeunes. Cette nuit de 1963, la Fox remporta la bataille. » Ne laissez pas filer votre imagination et n’allez pas faire de Stanley Hauerwas, de William Willimon, du Frère Adrien Candiard, de sombres millénaristes, comme nous en comptons bien trop. Ils n’annoncent pas la fin du monde. Ils constatent la fin d’un monde, bien décidés à regarder suffisamment dans les yeux celui qui vient pour nous proposer une voie, un chemin.

Fr. Adrien Candiard ne se berce donc pas d’illusion. Il perçoit et décrit le désespoir actuel du monde, la morosité généralisée du pays, cette conviction incomparablement stérilisante que « nous avons un grand avenir derrière nous ». Et pour couronner le tout, pour les chrétiens, ce sentiment qu’au désormais fameux « suicide français » s’ajoute l’agonie de l’Eglise. Face à cette situation, certains proposent la riposte, permanente. Elle a toutefois le défaut de n’être que réactive et défensive. Pour n’évoquer qu’un exemple récent, Fr. Adrien Candiard souligne, ce qui ne fera plaisir à personne, comme l’épisode des crèches est la marque d’une défaite déjà actée : « le combat est évidemment perdu d’avance : à partir du moment où la question se pose, c’est qu’elle est déjà réglée. Les crèches ne sont plus cet objet culturel consensuel, réunissant sans polémique, dans un « esprit de Noël » pacifié et joyeux, croyants et non-croyants ». Ne vous leurrez pas : il ne propose pas pour autant, puisque c’est comme ça, de tout laisser tomber, et puis merde. Il va chercher plus loin, plus loin que la riposte, plus loin que la réponse politique, au fond de nous.

En guise de cinéma à Greenville, Adrien Candiard nous rappelle la chute de Jérusalem en 587 et les prophéties de Jérémie.

C’est dans ces ruines de notre Jérusalem que nous avons besoin de la leçon de Jérémie. Aujourd’hui, nous sommes mûrs pour l’espérance. Car, pour parler de l’espérance, il faut commencer par regarder le désespoir en face. Notre premier devoir de veilleur, c’est de regarder la nuit comme elle est.

Et l’histoire de Jérémie, pour qui prend au sérieux son christianisme et continue de penser que la Bible puisse dire quelque chose, est un exemple. Jérémie est écarté par la noblesse du temps, qui ne supporte plus ses mises en garde, elle qui veut prendre les armes pour renverser le joug babylonien, certaine que Dieu, qui a autrefois écarté les eaux pour laisser passer son peuple, lui viendra en aide. Jérémie, lui, voit le désastre annoncé et, comme nous le rappelle l’auteur, c’est pourtant au cours du siège atroce qui fait suite à la révolte, et emprisonné par les siens, que « Jérémie se met à écrire des folies. Lui qui était si réaliste sur les impasses de la révolte, il annonce que Dieu va tout recréer à partir de rien« . Dieu sera là. Il y aura un matin.

L’auteur explore alors l’espérance chrétienne, qui n’est pas croyance que cela ira mieux demain[2], qui n’est pas davantage un renvoi à plus tard, bien tard, après la mort, la promesse d’un bonheur. Face à un avenir incertain, qui ne sera pas à l’image d’hier, c’est à nous de poser des actes d’éternité. Car, nous dit Adrien Candiard, la « vie éternelle », si précisément elle est éternelle, a commencé maintenant et c’est au regard de cette éternité que nous devons poser nos actes. Il nous suggère de faire de chacun de nos actes des actes d’amour, parce que seuls ces actes sont éternels.

Quand le monde qui nous entoure nous fait peur, l’espérance chrétienne ne nous dit pas de rester là à pleurnicher parce que tout va mal, ni de sourire bêtement parce que tout irait bien ; elle ne nous invite pas à attendre que Dieu détruise ce monde-là pour en construire un autre ; elle nous pose une question très simple : comment faire de tout cela une occasion d’aimer davantage ?

Je ne peux pas m’empêcher de penser à une femme en lisant cela. Plongée dans l’angoisse d’un avenir incertain, ou trop certain, sombre et désespéré, annonce de fin d’une civilisation et d’anéantissement de son peuple. Sa situation achève de ridiculiser nos angoisses et nos victimologies. Elle est à Westerbork, dans le Nord-Est des Pays-Bas en 1943, camp de regroupement des Juifs au départ pour Auschwitz. Comme elle l’écrit, elle a « rompu son corps », donné en partage aux siens, posant d’incomparables actes éternels. Elle a aidé des Juifs à monter dans les trains, rassuré des petits enfants qui y prenaient place. Et pourtant, ce dimanche matin là, Etty Hillesum écrit ces mots pour toujours :

Prière du dimanche matin. Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir; mais cela demande un certain entraînement. Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres.

Ce n’est peut-être pas grand-chose en apparence que nous propose Adrien Candiard. Ce n’est pas une feuille de route, pas une checklist pour les jours prochains, il ne dit rien d’un quelconque choix d’action politique. Mais je suis convaincu, avec lui je crois, qu’il n’y a de chrétienté à sauver qu’en nous-mêmes, qu’elle ne perdurera pas par la sauvegarde de quelques symboles mais parce que nous nous serons appliqués à sauver en cette époque la seule chose qui compte : un peu de Lui en nous. Alors, oui, elle subsistera, et vivante par-dessus le marché !

« Jérusalem est tombée, et ce n’est pas la première fois en Occident ». Car Rome est tombée aussi et, avec elle une certaine conception de Jérusalem et un bel avenir enfin promis aux chrétiens. Dans ce nouveau monde, des moines ont essaimé. « Ils ne cherchent pas, au milieu des décombres à bâtir de nouveaux fortins, ni des îlots d’Empire ». Ils cherchent l’éternel. Et ces mots d’Adrien Candiard, qui sont pour nous comme un viatique pour demain, font pleinement écho à ceux d’Etty Hillesum, cités plus haut :veilleur

Sans doute se répétaient-ils l’un à l’autre, ces moines gardiens de l’espérance du monde, la question inquiète qu’on posait ai prophète Isaïe : « Veilleur, où en est la nuit ? ». Conscients d’être des sentinelles, ils pouvaient regarder la nuit sans effroi, parce qu’ils avaient au fond d’eux-mêmes assez de lumière pour ne pas douter de l’existence du matin.

  1. et du livre d’Isaïe, aussi []
  2. d’ailleurs, j’aurais deux mots à lui dire à ce sujet… Plus sérieusement, mon « ça ira mieux demain » était aussi un refus du refuge dans le passé comme d’un optimisme qui se définirait par un « tout va bien aujourd’hui, et tout ira mécaniquement pour le mieux demain » []

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17 commentaires

  • Mille fois merci pour cette superbe recension ! J’achète ce livre illico.
    Et je suis heureuse de voir, une fois encore, citée Etty Hillesum : elle fait partie de mes livres de chevet car, curieusement, elle est terriblement actuelle, et je m’y ressource en ces temps difficiles.

  • L’espérance, ce n’est pas l’espoir.

    Une des bonnes, il y en a plusieurs, façons de lire la Bible c’est d’essayer de comprendre comment nous avons aujourd’hui à faire les mêmes actes de foi que ceux qui sont rapportés de nos frères aînés dans la foi.

    Quand ils quittèrent Ur, quand ils étaient sous le joug des Égyptiens, quand ils furent déportés à Babylone, la liste est longue…

  • Votre texte est très beau. Nous en avons bien besoin quand nos coeurs sont désespérés et que l’aube tarde,
    Merci,

    Marie

  • Je crois que je vais faire de ce billet le fil conducteur de ma prochaine confession, et la référence de l’examen de conscience préalable… « Poser des actes d’éternité », « Ne pas suspendre au jour présent les angoisses qu’inspire l’avenir », « Sauver la chrétienté en nous-mêmes »… Voilà un horizon à explorer.

  • Koz a écrit :

    Mais je suis convaincu, avec lui je crois, qu’il n’y a de chrétienté à sauver qu’en nous-mêmes, qu’elle ne perdurera pas par la sauvegarde de quelques symboles mais parce que nous nous serons appliqués à sauver en cette époque la seule chose qui compte : un peu de Lui en nous.

    Oui, c’est là l’essentiel, merci Koz de nous le rappeler.

    Ceci me fait penser au dernier chapitre de L’homme éternel de Chesterton :

    Nous savons que les hommes peuvent être devenus agnostiques bien avant de songer à faire disparaître les évêques.

    Cependant, continue Chesterton, en énumérant tous les effondrements de civilisation auxquels l’Église a survécu,

    il est maintenant clair, mais ne cesse de le devenir plus encore, que le refroidissement de la foi n’est jamais suivi de sa disparition. Ce qui suit, c’est la renaissance de ce que la tiédeur avait fait disparaître.

    […]

    « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. »

    La civilisation de l’Antiquité était universelle et les hommes ne pensaient pas plus à sa fin qu’à la fin du monde. […] Cette civilisation a disparu, ces paroles n’ont point passé.

    Dans la longue nuit du Moyen Âge, la féodalité était chose si familière qu’aucun homme n’aurait pu s’imaginer sans seigneur, et la religion était si bien liée à la trame de cette tapisserie que nul ne pensait qu’elle s’en dégagerait.[…] La féodalité disparut et ces paroles ne passèrent pas. […]

    Les crèches de Noël, les églises font parti de notre patrimoine et de notre histoire et méritent d’être défendues à ce titre par tous ceux qui héritent de cette histoire ; mais en tant que chrétiens, ne nous trompons pas de combat.
    Quand le Christ parle de rebâtir le Temple en trois jours, c’est la Résurrection qu’il annonce, pas la restauration des vieilles pierres. 🙂

  • Bonjour à tous,

    sauf à être imposées par la force par un pouvoir très totalitaire, les religions ne pourront à mon avis nulle part garder la position « d’état dans l’état » que le catholicisme a eu dans la moitié sud-ouest de l’Europe ce dernier millénaire.

    Et ce n’est pas liée à la culture anti-cléricale marxiste particulière à la France et à quelques autres pays latins: Même aux Etats-Unis ou en Arabie Saoudite, le rôle des religions organisées omniprésentes est remise en cause à des degrés divers par une majorité silencieuse plus informée et plus prospère.

    Et pourtant, je pense que le besoin de rites pour accompagner la vie et la mort reste entier. Il y a une place possible pour les religions dans cet espace, même si elle est plus réduite. Je connais bien la religion shinto au Japon: elle n’a pas d’organisation centralisée, ne fait pas (plus) de politique, ne demande pas l’exclusivité (la plupart des japonais sont aussi un peu bouddhistes), ni une adhésion formelle: un rite que j’aime beaucoup est l’inscription sur le registre des temples de tous les nouveaux-nés de l’endroit: les prêtres considèrent qu’ils doivent veiller sur toutes les âmes, pas juste les « membres du club ». Elle entretient son patrimoine culturel très apprécié – les religions sont aussi des esthétiques – et organise les rites qui rythment la vie humaine et les saisons. Certes, l’implication religieuse des japonais n’est pas celle des paroissiens du Chesnay. Mais en pouvant célébrer les naissances, les mariages, faire dignement le deuil des morts, accueillir le printemps…, j’ai l’impression que l’essentiel des besoins en spiritualité est rempli. La religion shinto transmet aussi des valeurs morales, mais de façon plus diffuse que les grands monothéismes.

    L’autre voie, c’est de continuer à « rassembler » les rites, l’héritage culturel, une morale stricte et beaucoup de positions politiques tranchées (souvent conservatrices). C’est par exemple l’église catholique du « mariage pour tous », de l’exclusion des divorcés de la communion, ou les évangéliques républicains de Ted Cruz aux Etats-Unis. Ce type de religions transmet une morale beaucoup plus précise, qui a des bons côtés (par exemple les valeurs autour de la charité chrétienne, ou encore la plus grande résistance au pire des totalitarismes – le franquisme n’a pas été la pire dictature du 20è siècle) et des mauvais (toute la haine qu’il peut y avoir derrière certaines bigoteries, la marginalisation des exclus de l’ordre moral). Je suis convaincu que dans une société libre, un tel type de religion est forcément suivi de façon intense par une minorité (3% en France, 20% aux US), et fait l’objet d’une hostilité à degrés diverses de la majorité de la population. La crèche de Noël ne peut pas rester dans les mairies si elle est associée à la manif pour tous. L’église ne peut être le centre du village s’il faut montrer patte blanche morale à un prêtre grincheux et intégriste (ils ne le sont pas tous évidemment) pour y organiser sont mariage.

    Je ne suis pas convaincu qu’il existe une situation stable où une religion ait le meilleur des deux mondes, à la fois les rites consensuels et la morale politique stricte. J’ai l’impression que c’est ce que souhaite faire le pape François, mais je ne suis pas sûr que cet équilibrisme soit viable à long terme.

  • La fin de notre civilisation ? J’en suis intimement persuadé ; il suffit de regarder autour de soi.
    Merci pour ce billet réconfortant, finalement. En ces temps difficiles où le découragement nous tente, il nous faut faire confiance au Dieu vivant qui nous entraîne sur d’obscurs chemins où luit quand même une petite lumière. Dieu sait ce qu’il fait et nous donne toujours ce qui nous convient. Je me raccroche aux derniers mots de l’évangile de Matthieu : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

  • Merci de nous avoir partagé cet ouvrage. Merci de nous avoir parlé de l’Espérance ! Sur le même thème, je vous recommande chaudement le documentaire « Veilleurs dans la nuit » qui présente la communauté des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine au Barroux.

  • Au moment du Carême, j’apprécie le rappel de notre chrétienté personnelle plus que d’une liste de traditions malmenées qui définiraient les réacs coincés que sont censés être les catholiques…
    C’est pénible d’être bousculé dans ses habitudes et traditions religieuses mais le Seigneur veut les cœurs et nous devons être particulièrement attentifs à être vraiment chrétiens aujourd’hui, seul moyen d’espérer changer le monde plus tard.

    Que l’Histoire repasse les plats ou pas, l’histoire du peuple élu est la nôtre donc nous avons les clefs pour agir dans chaque chose en chrétien, allons usons-en.
    Merci pour cette attention, aussi utile pour nous que pour ceux qui nous entourent!

    Vu comme ça il est aussi plus facile d’espérer!

  • @ Cardabelle : Etty Hillesum me remue les tripes à chaque fois que je relis une de ses lignes. Tellement de douceur, de bienveillance, d’amour et de foi, dans des circonstances si tragiques, démoniaques, désespérantes. Sa lecture produit sur moi un effet étrange : j’ai l’impression d’être en dialogue avec elle. Mais son exemple, dans des circonstances incomparablement plus tragiques que celles que nous vivons est vraiment inspirant.

    Aristote a écrit :

    Une des bonnes, il y en a plusieurs, façons de lire la Bible c’est d’essayer de comprendre comment nous avons aujourd’hui à faire les mêmes actes de foi que ceux qui sont rapportés de nos frères aînés dans la foi.

    Cela me touche souvent en effet, de voir comme les enjeux et les débats qui agitaient nos aïeux il y a 2.000, 2.5000, 3.000 ans sont encore pertinentes aujourd’hui.

    fraspi a écrit :

    Quand le Christ parle de rebâtir le Temple en trois jours, c’est la Résurrection qu’il annonce, pas la restauration des vieilles pierres.

    Une excellente remarque, en effet !

    Valombois a écrit :

    La fin de notre civilisation ? J’en suis intimement persuadé

    A vrai dire, je ne serais même pas aussi négatif. La fin de la civilisation européenne telle que nous l’avons connue, c’est possible. Mais de toutes façons, c’est le lot de toutes les civilisations actuelles, en somme. Avec la mondialisation, les interconnexions, les échanges culturels, toutes les civilisations / toutes les cultures, s’en trouvent modifiées. Cela ne signifie pas pour autant que les apports essentiels de notre culture soient voués à disparaître. Avec un peu d’ambition et de volonté, ce serait même une occasion de diffusion. Même si, c’est exact : l’Europe de demain ne sera plus jamais celle d’hier.

  • A propos de l’espérance. Dans un autre de mes livres de chevet, « L’Espérance oubliée » de J. ELLUL, l’auteur rappelle l’impérieuse nécessité de l’espérance (qui est tout autre chose que l’espoir) pour surmonter la déréliction face à l’absence de Dieu. Pour Ellul l’absence de Dieu, ce n’est en aucun cas « la mort de Dieu » (notion particulièrement en vogue au moment où il a écrit son livre), mais c’est Dieu rejeté, oublié, et qui « attend » qu’on lui face de nouveau une place : pensée que l’on peut relier sans peine à celle d’Etty. Cette espérance n’est en aucun cas passivité, elle demande à chacun l’action concrète dans la vie quotidienne, soutenue et nourrie par la prière.
    En ce qui concerne la « chrétienté » : récemment un moine cistercien me disait que si une forme de chrétienté avait bel bien existé, il fallait aussi reconnaître que c’était de nos jours une notion plus ou moins « rêvée » qui empêchait de vivre et d’agir sereinement dans la réalité de notre époque. On peut rapprocher ce rêve des « illusions » dénoncées en son temps par BERNANOS dans « La Liberté pour quoi faire ? » : « […] n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prenaient faussement pour de l’espérance ». Ah ! ce besoin de sécurité, une vraie tentation.
    Pour finir, Koz, un clin d’œil : cela fait longtemps que je vous suis, tout d’abord via votre blog. Puis est venu votre livre, et je vous ai découvert ensuite sur Twitter et Facebook. Et hier, en parcourant de nouveau toutes vos interventions, en particulier sur votre blog, il m’est revenu une phrase du livre célèbre de M. CLAVEL, « Dieu est Dieu, nom de Dieu » : presque anéanti par ce que Clavel ressentait comme un écroulement catastrophique de la foi, il lui revint à l’esprit ce passage de la Bible « en avant, dit un soldat quelconque », et cela lui permit de se relever. C’est ainsi que je perçois vos interventions, comme un signal pour se lever et aller de l’avant, les yeux grand ouverts (mais ne faites pas dire que je vous trouve quelconque 🙂 ). Donc MERCI !

  • Je ne crois pas du tout que « c’était mieux avant », et ne regrette nullement les temps dits de « chrétienté » Je sais bien que les civilisations évoluent, et même disparaissent, comme l’histoire le montre. Il n’y a pas de raison qu’il en aille différemment pour la nôtre. Ce que nous vivons actuellement est moins, selon moi, une évolution qu’une révolution. Je partage assez les analyses de J.C. Michéa, de Ch. Delsol, de JF. Mattéi (le philosophe, pas l’ancien ministre), et de bien d’autres sur les tendances lourdes du libéralisme-libertaire.
    Quant au christianisme (et en particulier au catholicisme), il n’est actuellement en France l’objet que de mépris et de dérision, mais nul ne sait jusqu’où cela ira. Ce qui est sûr, d’après moi, c’est qu’il est destiné à devenir l’ennemi à détruire. Cela pour une raison simple : l’ Eglise est la seule institution encore capable de s’opposer efficacement aux nouveaux droits de l’homme exigés par le libéralisme individualiste. A ce titre, elle est « condamnée pour sa haine du genre humain », comme l’écrivait Tacite à propos des chrétiens mis à mort du temps de Néron. Le piège mortel serait le « communautarisme » chrétien. Ne perdons pas espoir, mais il va y avoir du boulot!

  • C’est un bon billet.

    Nous les chrétiens devons toujours nous rappeler que si on n’est pas nés au Moyen Age ou à l’époque des martyrs romains, c’est peut être parce que la vocation que Dieu a pour nous est d’être chrétien dans notre XXIe siècle. Chacun de nous avons quelque chose de particulier à apporter à notre monde.

    Dès lors, ça ne sert à rien de se lamenter en se disant « j’aurais voulu vivre à telle époque » puisqu’on passe à côté de son appel propre.

    Dieu ne nous demande pas de regarder nos pieds comme Pierre sur le Lac de Tibériade, mais de regarder le Christ qui nous invite à le suivre. Ainsi nous pourrons marcher sur l’eau et faire des choses plus étonnantes encore!

  • Merci pour ce bel article et pour ce rappel à vivre chaque instant dans l’éternité de Dieu.
    Quelques remarques:

    1. En rappel au bon vieil acte de Foi, il est bon de rappeler que fondamentalement, l’Espérance prend sa source dans cette attente, ce désir de la béatitude éternelle dans l’au-delà. L’article développe bien l’aspect de la grâce en ce monde mais je trouve dommage que ça ne soit pas équilibré par le paradis. Notre spiritualité chrétienne en Europe a malheureusement (sûrement par contrecoup et par réaction à une religion janséniste pratiquée par nos grands-parents) trop oublié d’insister sur le désir du retour glorieux du Christ.

    2. Je pense que la bataille est perdue non pas depuis 1962 mais depuis l’émergence de l’humanisme et par la suite du rationalisme. Cette vision du monde a progressivement centré l’homme comme ultime évaluation de la réalité au lieu d’être centré sur Dieu.

    3. Ceci m’amène à parler de l’Espérance d’une autre manière. L’article semble mépriser dès le départ cette nostalgie d’un moyen-âge par ex. Perso, j’y suis nostalgique. Et je pense que la nostalgie est qq chose d’intéressant. Elle nous interpelle, elle nous appelle même. Notre Espérance est que chaque homme et chaque femme de ce monde puisse rencontrer Jésus pour contempler la Trinité de manière partielle ici-bas et complète dans l’au-delà. Pour cela, l’Église tient son rôle. C’est même sa vocation propre. Elle répond à cette question: « Comment moi homme du 21ème siècle puis-je rencontrer cet Homme Jésus qui se dit Dieu et qui a habité y a 2000 ans en Palestine, cet Homme qui dit-on répond à toutes mes aspirations les plus profondes, m’accompagne même dans les noirceurs du mal?  » Au moyen de l’Eglise. Celle-ci a donc le devoir de charité de transmettre des structures de pensées qui amèneront les hommes à saisir son langage. Or celui-ci est de plus en plus compliqué à comprendre à cause de ce que j’ai dit en 2, à cause d’une culture d’auto-centrage.

    Notre espérance concrètement consiste donc à diffuser une pensée pour permettre aux hommes de saisir le langage de l’Eglise.
    Un ex concret: l’écologie soit sera diffusée comme un néo-panthéisme et ne facilitera donc pas la juste compréhension du langage de l’Eglise soit comme le développement intégral de l’homme et le signe que derrière cette beauté se trouve Dieu.

    Conclusion :
    Notre Espérance consiste aussi à lutter pour retrouver des structures de pensées d’autrefois plus saines et plus adéquates pour saisir la réalité dans sa totalité.
    Notre Espérance ne doit pas uniquement se focaliser sur soi mais aussi sur la communion:
    « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaitra que vous êtes mes disciples »

  • Mon commentaire est sans doute déplacé et je comprendrai s’il n’est pas publié. Je ne sais pas ce qu’il va se passer. Je ne sais pas ce qu’il faut faire. Je n’ai pas de solution. Mais je trouve que ce qui se passe en Syrie depuis 5 ans est terrible. C’est pire que la guerre du Vietnam, pire que la guerre d’Algérie. Et il n’y a pas de manifs, de mouvements de masse, de pétitions significatives pour dire stop ça suffit. Les images télés donnent l’impression qu’il y a un Guernica par mois dans ce pays et une multitude de mini ghettos de Varsovie. Et tout cela en toute impunité. L’ONU ne parvient pas à arrêter ce conflit pas plus d’ailleurs que le conflit Israélo-palestinien , l’OTAN non plus, l’Europe non plus. La guerre de Syrie va-t-elle rester localisée à ce pays ou s’étendre? Les crimes contre l’Humanité qui y sont commis seront-ils un jour punis?

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