On ne frappe pas un homme à terre

Voir son enfant partir au collège, ou en soirée, et ne pas revenir. La hantise de tout parent. Le voir confronté à une violence absurde, déchaînée, meurtrière, l'imaginer contraint de trouver une stratégie d'adaptation dans un tel contexte de violence vous tord les tripes aussi. Les derniers faits survenus soulignent une fois encore l'absence des pères. Accessoirement, pourrions-nous aussi nous montrer cohérents, et ne pas glorifier la violence ?

Deux jours d’actualité, et c’est tout. Le maire de Viry-Châtillon, au bord des larmes, disait d’ailleurs : « moi, c’est pas grave, dans quelques temps, je serai occupé par autre chose, mais sa mère, elle y pensera tous les jours ». Tous les jours, parce que son enfant de 15 ans, sérieux, bon esprit, a été massacré par une meute cagoulée. Les motifs ne sont pas établis, mais ceux qui circulent sont tous aussi futiles, et suffocants. Battu à mort pour avoir trop parlé à une fille ou pour avoir été trop sérieux, qu’est-ce que cela change ? Si tous ne meurent pas, tous sont touchés par cette extrême violence. Imagine-t-on la vie d’un jeune qui va au collège en craignant que le regard de trop, la parole malvenue, ne suscitent le lynchage ? Et tandis que les uns connaîtront la douceur d’un foyer et le soutien que l’on voudrait ordinaires, les autres ne vivent que les cris, les coups, la mère dépassée, le père absent.

Parce qu’une fois encore, les pères sont absents. A Montpellier, c’est la mère de Samara qui prend la parole pour défendre sa fille. A Viry-Châtillon, le maire évoque la douleur de la mère de Shamsedinne et de sa sœur. Pas un mot d’un père. Lors des émeutes de l’été, on lisait déjà que 60% des jeunes interpellés étaient élevés par un seul parent, dans une extrême majorité par leur mère. Il est tentant d’esquiver la difficulté en lançant, comme à l’époque : « que les pères tiennent leurs gosses ! ». Mais comment soutenir  ceux qui n’ont pas totalement délaissé leur paternité ? Certains, évidemment, sont pleinement responsables : complices, aveugles, parfois simplement profondément imbéciles. Mais que penser de ceux qui n’ont jamais rien connu d’autre que les cris et les coups et n’ont pas les ressources personnelles pour offrir un autre modèle à leurs enfants ? De ceux qui sont loin des leurs après une séparation, un séjour en prison ? Ceux qui finissent de se convaincre qu’il vaut mieux pour leurs enfants qu’ils ne soient pas là ? Quel modèle de paternité leur donne-t-on ? « Le père, c’est l’autorité » ? Et c’est tout ? Et le regard qui fait grandir ? Et l’exemple ? Et la tendresse, que tout enfant espère ? Quand bien même ce serait l’autorité, quelle autorité ?

Il faut, on le sait, une société pour éduquer et l’éducation suppose la cohérence. Les images d’une autre agression, à Paris, Beaugrenelle me reviennent : avant de fuir, un jeune agresseur écrasait du pied la tête de la victime contre le sol. Elles évoquent ces nouveaux combats, au succès grandissant : le MMA (Mixed Martial Arts). Là aussi, on finit son adversaire au sol. La violence n’est pas nouvelle, c’est une évidence mais il existait une maxime, comme un dernier honneur : on ne frappe pas un homme à terre. Aujourd’hui, cela fait partie des règles du sport et les mêmes sites qui fustigent l’ensauvagement d’une main en assurent la promotion de l’autre. On ne peut pas dénoncer l’ultraviolence et se repaître de sa mise en scène.


Photo de mwangi gatheca sur Unsplash

Depuis la publication de cette chronique, d’autres drames atroces du même type se sont produits. Ils me laissent démuni, et démuni face aux explications et propositions trop simples. Cette chronique ne m’a pas satisfait mais, parfois, émettre une proposition me paraît dérisoire face à l’ampleur de la difficulté.

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6 commentaires

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  • En plein accord. Révolté notamment, comme vous, par la diffusion du MMA (et par les commentaires favorables qui l’ont accompagné, récemment, sur une chaîne de télévision publique).
    Les pères: il faudrait aussi relever leur élimination de nombreux items médiatiques, littéraires ou cinématographiques. « Une femme a bien le droit de vouloir élever seule ses enfants », assénait hier, sur une chaîne publique (la même), une autorité sociologico-médiatique. Quel que soit le sujet – école, loisirs, réussite sportive ou artistique, insécurité, harcèlement -, il n’est question que de la « maman ». L’enfant du wokisme n’a pas de père.

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    • J’aillais écrire que je ne comprenais pas que l’on diffuse autant le MMA mais, en réalité, je ne le comprends que trop bien. Il y a un marché pour ce sport-spectacle. Et comme souvent, les quelques principes moraux qui tenaient tant bien que mal ont cédé face aux sirènes du marché et de l’argent.

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  • Bonjour,
    je suis en bonne partie d’accord avec votre billet.
    Cependant, deux remarques :
    – on n’entend pas les pères : les interroge-t-on ?
    – très grande proportion d’enfants élevés par un seul parent, dans la grande majorité des cas, la mère et le père est absent. Lors d’accidents de la vie, certains pères désertent, effectivement. Cependant, il me semble que vous occultez un élément : cette zone de non droit que sont les juridictions de la famille pour un homme. C’est « misandrie-land ». Bien souvent, le juge respecte un cadre juridique très souple pour, non pas rendre la justice au nom du peuple français, mais laisser libre cours à son idéologie dans un fonctionnement de toute puissance. Donc, cette déplorable situation est telle qu’elle est intégrée inconsciemment par tout homme qui se trouve dans ces procédures. Et certains démissionnent d’avance face au système. Qui faut-il blâmer : eux ou ce système partial qui vise à les mettre sur la touche ?

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    • Je crois qu’on les interroge un peu tout de même. Et les quelques articles que j’ai pu lire m’ont d’ailleurs conduit à plus de modération à cet égard. Voir La Croix, Le Monde, qui ont publié des articles à ce sujet, en particulier après les émeutes. L’absence des pères n’est pas toujours volontaire, en effet, pas toujours coupable.

      Je ne parle pas des Tribunaux aux affaires familiales, en effet. Parce que je ne les fréquente pas vraiment. Parce que j’essaie de ne pas généraliser. Mais je comprends votre propos et ne peux que relever l’extrême féminisation de la magistrature, qui n’est pas toujours le meilleur gage d’un traitement équilibré.

      Mais « occulter » est excessif. Une chronique est un espace contraint, qui ne peut jamais être exhaustif.

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