Un philosophe, c’est un polémiste qui cite Merleau-Ponty

Audiard aurait pu l’écrire : c’est curieux chez les philosophes, ce besoin de faire dans l’outrance. Il est vrai que depuis que Michel Onfray, populaire dans les mêmes cercles, en est la figure d’autorité médiatique, certains ont dû juger la voie ouverte.

Ainsi Bérénice Levet. On nous dit qu’elle revient, pour Limite, sur la querelle qui aurait donc opposé les “catholiques dits identitaires” et les “catholiques d’ouverture”. Ayant rencontré peu de monde sur la ligne de front, il ne me semble pas excessif de prendre ma part de cet article, aussi divertissant soit-il de me voir qualifier ainsi de “catholique d’ouverture”.

Voilà donc que l’on utilise ici cette distinction, certes usuelle chez les sociologues, entre les “catholiques d’ouverture” et les “catholiques d’identité”. Je conçois que les distinctions sociologiques ne soient pas faites pour décrire l’étendue du réel mais pour en faciliter l’étude, mais j’ai toujours reproché à cette distinction son caractère binaire : on serait d’identité ou d’ouverture.[1]

Dans un article récent pour La Croix, je lisais avec amusement encore que l’historien et sociologue des religions Philippe Portier me qualifiait toujours – et, je le crois, avec plus de justesse – de « catholique d’identité ». Mais, plus loin, il en expliquait la raison, introduisant un peu de la complexité du réel que la simple alternative reprise par l’auteur interdit :

Le catholicisme d’identité s’est « pluralisé » lui aussi, entre un catholicisme d’intransigeance rejoint par une partie de conservateurs jusqu’ici plus modérés, et des catholiques qui, tout en restant attachés à la morale familiale, tiennent aussi à des valeurs d’ouverture et d’altérité.

Nous sommes d’ailleurs ici sur l’un des points centraux de la controverse. Ce que je m’échine à expliquer depuis janvier. En somme, que nul « catholique d’identité » ne se croie l’obligation d’être un « catholique identitaire ». Quand bien même on l’en somme ou on l’y incite[2].

Et c’est ici la première illustration de ce qui me chagrine dans cet article. Pour le peu que je sais de la philosophie – dont nous nous épargnerons le rappel de l’étymologie – elle devrait supposer le goût de la nuance, la reconnaissance de la complexité. Elle devrait aider à comprendre que le monde est rarement “ou, ou” mais “et, et”. Que, comme le disait René Rémond, “le nombre de la réalité n’est pas le duel mais le pluriel”.

Ce culte de l’alternative exclusive n’est pas neutre. Il s’agit encore et toujours, comme je le décrivais dans mon livre, d’élever des camps, de provoquer une solidarité contrainte, au bout du compte de réduire au silence les pondérés. On est “avec eux ou contre eux », sommé de choisir entre les termes qu’ils ont eux-mêmes fixés. Or il y a un terrorisme intellectuel dans ce procédé : réduire le réel à deux termes… surtout après en avoir ridiculisé l’un. Ils vous conduisent où ils veulent vous mener.[3]

Le procédé est récurrent dans ce texte. Plus loin, il nous propose une autre alternative. Il s’agirait de choisir entre « le multiculturalisme au nom de la charité » et la protection du « modèle assimilationniste de la République française et [la défense de] l’héritage de la « fille ainée de l’Église ».[4]. Il n’y aurait donc d’autre alternative qu’entre le multiculturalisme ou la protection de la République et la défense de l’Église étonnamment et habilement rassemblés. Il me faudrait certainement à ce stade présenter mes excuses aux Français pour avoir rien moins que piétiné la République et, tout ensemble, l’héritage chrétien. Quant à mon goût pour le multiculturalisme.. il doit s’agir d’un autre.

A la phrase suivante, nous y revoilà. Le même procédé est repris :

Conscients des défis et de l’épreuve que l’arrivée massive d’étrangers posent à une nation, à toute nation, les catholiques dits identitaires ne souscrivent pas à un devoir absolu d’hospitalité. Les catholiques dits d’ouverture leur reprochent une trahison de l’esprit et de la lettre des Évangiles.

A une juste « conscience des défis », on opposerait un « devoir absolu d’hospitalité » (il faut relever que l’on a ici glissé des catholiques d’identité aux catholiques identitaires, comme pour mieux laisser croire à une même nature). Mieux : ces « catholiques dits d’ouverture » croiraient pouvoir opposer l’Évangile au réel – « l’esprit et la lettre des Évangiles » contre la « conscience des défis ». Choisis ton camp, camarade.

Bérénice Levet enchaîne sur cette considération : pour eux, « le « bon » catholique se doit de n’agir qu’en référence au message d’amour, d’ouverture, de charité universelle des Évangiles. Ainsi trahirait-il sa foi dès lors que, au nom du « salut de sa patrie », il fixe des limites au devoir d’hospitalité. » Voilà encore une alternative bien outrancièrement présentée, et d’un manichéisme qui  évoque bien peu la philosophie. Passons sur les prémices : ces « catholiques identitaires » ne voudraient que fixer de simples limites au devoir d’hospitalité, et ils le feraient pour le salut de la patrie qui, donc, serait en jeu. Pour une fois, le sens de la mesure est un peu ironique : si vraiment le salut de la patrie est en question, ce ne sont plus des limites qu’il faut poser. Mais si donc le salut de la patrie est en jeu, alors l’amour serait bien coupable. Et l’Évangile aveugle.

Je crois que la soif d’absolu est indispensable pour nous hausser seulement un peu au-delà de notre humanité, pécheresse par défaut. Visons l’amour, pour atteindre seulement le respect.
Bérénice Levet reprend en réalité un reproche bien souvent entendu ces dernières semaines : ces « bons catholiques » auto-proclamés, ces « belles âmes » (nous dit-elle) absolutiseraient l’enseignement du Christ. Ils devraient pourtant se trouver d’autres références que l’Évangile[5]. L’Homme, nous dit-elle, passant par Machiavel, « ne peut agir selon l’absolu du bien ». Je n’y vois pas là une contre-indication politique et morale, mais une incapacité inhérente à l’Homme : le voudrait-il qu’il n’y parviendrait pas. Je crois surtout que chacun, et chaque catholique, vit au contraire avec cette pente naturelle : s’arranger avec l’Évangile. Je crois aussi que la soif d’absolu est indispensable si nous voulons nous hausser seulement un peu au-delà de notre humanité limitée, pécheresse par défaut. Visons l’amour, pour espérer atteindre seulement le respect. Car sans se fixer d’idéal, on ne se hisse pas bien haut. Bérénice Levet cite Péguy. Il ne plaçait pas le raisonnable en premier, ne célébrait pas le politique d’abord. Et il me semble assez que pour lui, « tout commence en mystique et finit en politique », de sorte qu’il ne me paraît pas incongru de commencer par l’idéal avant le pragmatique. Nous y finirons toujours, dans le pragmatique. Or, précisément, ce courant de pensée entend nous faire oublier de commencer par l’Évangile, de commencer par viser l’absolu.

Les catholiques ne devraient pas agir qu’en référence à l’Évangile ? Pour le compléter, Bérénice Levet leur propose une référence inédite pour des catholiques : « Le Prince, et cela vaut pour tout citoyen, doit apprendre à n’être pas bon, dit Machiavel. » J’avais à vrai dire déjà entendu l’idée fausse que la charité ne saurait s’appliquer à l’État. Je n’avais pas encore lu chez un catholique un appel à n’être pas bon. Or, je ne crois pas que le monde ait besoin de nous, catholiques, pour lui rappeler Machiavel. Je ne crois pas qu’il nous revienne de rappeler à « tout citoyen d’apprendre à n’être pas bon ». Certes, la sagesse populaire a raison de rappeler que «  »bon », ça ne s’écrit pas avec un c ». Mais l’amour n’est pas là pour seulement saupoudrer le réalisme – même si le réalisme suggère, impose parfois, la prudence. L’amour précède.

Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là.
Les catholiques ne devraient pas « agir qu’en référence au message d’amour de l’Évangile » ? Le fait est pourtant que le Christ n’a reconnu que deux commandements : l’écoute et l’amour de Dieu, et l’amour du prochain. Je n’ignore certes pas, ni ne minimise, les apports de siècles d’exégèse et de théologie – mais je n’envisage pas de les couper de ces principes premiers. Et je n’ignore ni ne minimise non plus les efforts que d’autres ont déployé pour donner à l’Évangile une dimension plus raisonnable, donner aux commandements du Christ une portée plus atteignable… jusqu’à ceux qui se sont reconnus « catholiques, mais pas chrétiens », en hommage aux efforts que l’Église catholique, « Église de l’ordre », aurait déployés pour anesthésier l’Évangile et sa dimension prophétique, pour lui reconnaître cet « honneur philosophique » : « avoir mis aux versets du Magnificat une musique qui en atténue le venin »[6]. Que l’Évangile et le Magnificat me renvoient sans cesse à mon imperfection, qu’ils me rappellent toujours que je ne vis pas en conformité à l’Évangile, c’est certes inconfortable et souvent déplaisant, mais c’est bien nécessaire.

Qu’il me soit permis, puisque Bérénice Levet nous entreprend sur les migrations et l’absolu de la foi, de rappeler cette parole du cardinal Lustiger que me rapportait récemment un prêtre parisien[7]. A ceux qui clamaient déjà : « On est chez nous« , il avait répondu en chaire d’une voix forte : « Vous n’êtes pas chez vous, ici. Vous êtes chez Dieu« . Ici encore, il est déplaisant mais utile de s’en souvenir, avant de poursuivre, et de concevoir à juste titre qu’une bonne éthique chrétienne n’exige pas nécessairement l’absolutisation d’une position.

Et si l’on tient tant à parler de ces « bons catholiques », ces « belles-âmes », angéliques et bien pensantes, si l’on tient à évoquer ces migrations qui obsèdent nos interlocuteurs, lisons l’un d’entre eux. Ce grand naïf exposait ceci :

Un engagement commun en faveur des migrants (…) implique de savoir conjuguer le droit «de tout homme […] de se rendre à l’étranger et de s’y fixer», et en même temps de garantir la possibilité d’intégrer les migrants dans les tissus sociaux où ils s’insèrent, sans que ceux-ci sentent leur sécurité, leur identité culturelle et leurs équilibres sociopolitiques menacés. D’autre part, les migrants eux-mêmes ne doivent pas oublier qu’ils ont le devoir de respecter les lois, la culture et les traditions des pays dans lesquels ils sont accueillis.

Ce même « bon catholique » avait encore dit :

Je crois qu’en théorie, on ne peut pas fermer son cœur à un réfugié, mais les gouvernants doivent aussi être prudents  : ils doivent être très ouverts pour les accueillir, mais également analyser comment pouvoir les installer, car il ne s’agit pas seulement de recevoir un réfugié, il faut aussi l’intégrer. Et si un pays a la capacité d’intégrer, disons, 20 personnes, il faut qu’il en intègre vingt. Un autre qui a davantage de capacité  doit en intégrer davantage. Mais le cœur toujours ouvert  : il n’est pas humain de fermer les portes, il n’est pas humain de fermer son cœur, on finit par le payer un jour.

Je vous dois cette confidence : je n’ai jamais conçu le projet d’être « meilleur catholique » que le pape. Or ce pape, que l’on peut considérer quelque peu « d’ouverture », ne sacrifie en rien « le salut de la patrie », il ne néglige pas l’identité, il ne fixe pas un « devoir absolu d’hospitalité », pas plus que ne l’a jamais fait la doctrine sociale de l’Église, et tous les papes, qui ont, toujours, dans le même temps rappelé aux nations leur devoir d’hospitalité. C’est que ni le pape François ni ses prédécesseurs ne conçoivent d’enfermer la réalité dans une alternative contrainte : « c’est eux ou nous ».

Et le texte ne cesse pas de suivre la même pente, évoquant encore de façon bien étanche une autre distinction : celle, posée par Max Weber et détournée ensuite, entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Comme si ceux qu’animent une éthique de conviction seraient irresponsables, ou les responsables sans conviction. Comme s’il ne s’agissait pas bien souvent de mettre ses convictions sous un mouchoir de bonne conscience, celle de la responsabilité. Comme s’il ne s’agissait pas fréquemment de se persuader que la responsabilité imposerait d’oublier la conviction et la foi. On en connaît pourtant, de ces politiques, proclamant leurs convictions religieuses, qui une fois en fonction s’empressent de n’en tirer aucune conséquence, au nom de Max Weber.

Il serait fastidieux de persévérer. Fastidieux lorsque des questions sont posées avec aussi peu de bonne foi que celle-ci : « Peut- on, sans la flétrir et la pervertir, réduire la foi catholique à un message sirupeux d’amour et d’ouverture ? ». Oui, certes, dès lors que l’on y ajoute « sirupeux », on flétrit la foi catholique. Peut-être est-ce par manque de compréhension de ce qu’est véritablement l’amour ? Car ce ne serait pas flétrir la foi catholique, ni la pervertir que de voir un elle un message d’amour.

Demandons au Christ en croix si l’amour est sirupeux.

*

Je dois bénir Limite pour son système d’abonnement. Il est providentiel. Il m’empêche de lire la suite du texte et de suivre l’auteur dans d’autres alternatives factices. La phrase d’annonce laisse augurer de l’épreuve : « la mise en avant de catholicisme [serait] symptomatique de notre présent et de notre impuissance à… ». Laissons donc la suite se fondre dans le silence.

Je dois encore des excuses à mes amis qui seraient philosophes. Mon titre est injuste, et malhonnête. Mais c’est en hommage à celui de l’article : « le patriotisme est-il un péché ? », faisant croire à la fois que les catholiques dénigreraient la patrie, et que le patriotisme serait avec les autres.

  1. Sans compter que l’ouverture est en soi une qualité, ce que n’est pas immédiatement l’identité, de sorte que j’ai tendance à penser que la distinction a été élaborée par des “catholiques d’ouverture”. []
  2. Puis-je me permettre de rappeler une fois encore que l’on peut aimer la liberté sans être libéral, le social sans être socialiste, l’identité sans être identitaire ? []
  3. On retrouve d’ailleurs cette propension chez ceux qui vous expliquent que l’on serait aujourd’hui soit souverainiste soit mondialiste. Comme peu de personnes s’imaginent mondialiste, cela rend le souverainisme incontournable. Que l’on ne m’en veuille pas de penser que l’on peut toujours être ouvert au monde sans renier la souveraineté de la France []
  4. Qu’il me soit permis une précision préliminaire : la controverse de ce début d’année n’a porté sur l’immigration que parce qu’elle en obsède certains. Si le sujet est connexe, il est, pour ce qui me concerne, largement absent de mon livre, et il ne résume en rien la problématique de l’identité []
  5. Il s’agirait donc pondérer les Évangiles par d’autres références ? []
  6. Magnificat dans lequel le Puissant « disperse les superbes (…) renverse les puissants de leurs trônes, élève les humbles (…) comble de biens les affamés [et] renvoie les riches les mains vides ». []
  7. Il en corrigera peut-être l’expression, s’il me lit et si je me trompe, puisque je ne la rapporte que de mémoire []

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22 commentaires

  • Je ne crois pas en effet que le débat oppose les catholiques qui misent tout sur l’Évangile et les Machiavel. Mais si je puis me permettre, il y a bien des oppositions entre les lectures de l’Évangile.
    Je prendrais l’exemple du bon samaritain, un must dans les homélies appelant à l’accueil de l’étranger:
    il s’agit pourtant non d’un accueil, d’une hospitalité, mais d’un sauvetage, d’un recueil : un homme est sauvé et recueilli par un autre étranger, et celui-ci ne le loge pas chez lui, il le met à l’auberge en finançant celle-ci. Cet acte est transitoire, il ne relève pas d’une action de la nation, mais d’un étranger sauvant la vie d’un homme dont rien ne dit d’ailleurs qu’il est étranger.

    L’étranger dans ce texte n’est donc pas le sauvé, mais le sauveteur; il s’agit de montrer aux pharisiens que nous sommes tous que l’amour peut venir de partout, de tout homme, et pas toujours de celui du clan, de la tribu, du pays, de la religion.

    Toutefois, si les modalités de l’accueil de l’étranger ne sont jamais décrites dans l’Évangile cet accueil est un impératif, en place de choix au jugement dernier. Reste que si le pape François explique bien que nous ne devons pas renoncer devant la difficulté, il ne nous dit pas comment la résoudre.

    De ce point de vue je trouve que l’Évangile le plus proche de la question de l’accueil est celui de la multiplication des pains : la réaction des apôtres est de dire que on ne peut rien faire pour nourrir 5000 hommes et Jésus renvoie cependant à l’acte politiquement et économiquement totalement irrationnel : donnez vous-même à manger à 5000 hommes avec 5 pains et 2 poissons… C’est bien ce texte là qui est troublant pour le politique, le gestionnaire des comptes de la nation.

    Un catholique vivant dans une démocratie peut-il refuser la règle commune, qui permet parfois de refuser l’accueil, au nom de l’amour? Oui disent ceux qui ont accepté de recueillir des étrangers chez eux contre la loi. Non disent ceux qui craignent de permettre par leur exemple le non respect de lois démocratiques qui, celles-là seraient évangéliques (le refus de toute violence en dehors des forces de l’ordre par exemple). Oui redisent très certainement ceux qui sont parfaitement conscients du risque de la démagogie dans la désobéissance mais désobéissent quand même, le « non possumus » étant parfaitement chrétien devant la démocratie comme devant César au nom de la Vérité. Pourtant, « Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent  » dit le psaume 84.

    Mais comment pouvons-nous être légitimes comme catholiques à déterminer hic et nunc les moments où nous transgressons la loi et les moments où nous devons ne pas le faire? C’est pour moi ce qui divise les catholiques, pas dualement certes:
    il y a le respect ou non de la loi (Lacordaire a-t-il toujours raison?)
    il y a la rationalité ou non de l’action collective (pouvons-nous vraiment être terre d’accueil de millions de personnes, saurons-nous vraiment multiplier les pains?)
    il y a la question du meilleur choix amoureux : recueillir tous ceux que des régimes tyranniques torturent ou attaquer ces régimes au nom de l’amour pour libérer toutes les personnes victimes d’horreurs et non recueillir uniquement celles qui parviennent à s’en extraire?

    Le pire serait à mon sens de ne pas admettre la complexité des choix dits par amour. Je suis persuadé que vis-à-vis des étrangers les machiavels sont très minoritaires, personne, pas même madame Levet, ne proposerait de couler les bateaux de réfugiés dès qu’ils sont dans nos eaux internationales. Mais personne n’envisage non plus que le destin normal des persécutés soit de venir chez nous laissant des tyrans réduire en esclavage ceux qui n’ont simplement pas réussi à fuir.

    Je ne pense pas que l’amour nous oppose entre chrétiens catholiques, mais les modalités collectives de son incarnation. Cela fait partie du péché que de ne pas pouvoir facilement trouver ce qui est le bien commun. Mais c’est une grâce de savoir trouver ce qu’il y a de bien dans la diversité des approches. Sans monter les uns contre les autres. Il est probable que le véritable amour consiste aujourd’hui à la fois à recueillir les persécutés et à faire la guerre à leurs persécuteurs, pas à choisir entre deux solutions faussement exclusives. En revanche, ne faire ni l’un ni l’autre me semble difficilement motivable.

  • Je pense surtout que le problème vient de l’interprétation du mot identitaire. Si j’ai bien compris, dans votre livre que j’ai lu, vous mettez dos à dos l’extrême gauche et l’extrême droite en raisons de leur vision d’un Français.
    – L’extrême gauche voit dans le Français mal, blanc et chrétien un pervers raciste et sexiste et en l’immigré la victime de tous les maux de l’homme blanc. L’extrême droite ferait cet éloge de l’homme blanc et chrétien face à l’immigré qu’il considère comme un envahisseur.
    – Ceci aurait pour conséquence une dégradation dans les rapports de ce chrétien avec l’autre que nous devons accueillir selon les principes de l’Évangile.
    – L’extrême gauche est multiculturelle et rejette la culture de son pays tandis que l’extrême droite l’utiliserait contre ceux qui ne s’y intégreraient pas.
    Le problème du mot identitaire vient plutôt de sa connotation péjorative. Ceux qui se sentent visés ont l’impression que leurs « dénonciateurs » ne veulent pas essayer de comprendre les problèmes que l’immigration peut causer dans un pays (impacts culturels, économiques et sociaux). C’est pourquoi, il y a un malentendu quand on prononce le mot « identitaire ». Son sens est différent en fonction du courant de pensée dans lequel on est. Si vous êtes favorable à cette visions de l’homme blanc, chrétien contre les autres alors le mot a un sens positif. Sinon, il est péjoratif pour ceux qui prônent l’accueil de l’autre et son intégration dans la société.

    J’ai aussi lu son billet sur le site de Limite. J’ignore si son interntion était de vous insulter (peut-être l’avez vous pris ainsi). Même si elle opposait le « catholique d’ouverture » au « catholique d’identité », je n’ai pas lu de procès d’intention contre qui que ce soit.

  • Bonjour,

    il faut encore une fois vous remercier de votre contribution aux discussions du catholicisme français d’aujourd’hui. Nous vivons une époque de recomposition idéologique, et pour parler avec Saint Paul, tout comme le système binaire de la Guerre froide avait crée des « attelages boiteux » entre le christianisme et des systèmes opposés à l’Évangile dans la lutte contre le méchant communisme, ainsi nous voyons de nouveaux attelages boiteux naître entre le christianisme et des idées opposées à l’Évangile dans la lutte contre le méchant mondialisme (mais aussi dans la lutte contre le méchant nationalisme, car les catholiques d’ouverture ont aussi leurs propres compromissions !).
    Dans votre travail, avec qui chacun peut par ailleurs avoir de nombreux désaccords, vous vous efforcez de relever ses attelages boiteux et de les dénoncer. A bien des égards, vous êtes plus avant-gardiste que les jeunes néo-cathos de Limite qui sont tout fiers de dénoncer les attelages boiteux d’il y a cinquante ans (« il faut séparer catholicisme et libéralisme », etc.). J’ai du respect pour leur démarche éditoriale qui a sa part de courage, mais je trouve révélateur de voir ces pseudo-Jeans de Patmos grands citateurs de Léon Bloy publier un texte où l’on cite Weber et Machiavel pour dénigrer le rapport absolu à l’Évangile. Dommage que Bloy ne soit plus là pour écrire ce qu’il eût pensé d’eux.

  • Quiconque a élevé des enfants sait qu’il n’est pas toujours facile de discerner ce qu’aimer veut dire.

    Mais Machiavel, non !

  • @ Aristote : en effet. Lors d’une messe de confirmation, Mgr Michel Aupetit disait : « si en sorte de cette messe, quelqu’un vous crache au visage, ne me dites pas que vous allez le regarder avec amour, vous mentiriez ». L’amour n’est, en effet, pas « sirupeux ». Mais considérer qu’il faudrait tempérer l’Évangile par Machiavel, certainement pas. C’est d’ailleurs surprenant de légèreté.

    Matthieu a écrit :

    J’ai du respect pour leur démarche éditoriale qui a sa part de courage, mais je trouve révélateur de voir ces pseudo-Jeans de Patmos grands citateurs de Léon Bloy publier un texte où l’on cite Weber et Machiavel pour dénigrer le rapport absolu à l’Évangile. Dommage que Bloy ne soit plus là pour écrire ce qu’il eût pensé d’eux.

    De fait, si cette jeunesse veut de la radicalité, pourquoi n’essaie-t-elle pas la radicalité de l’Évangile ? Bien sûr, l’absolu de l’Évangile doit lui-même être bien compris (à titre d’exemple, l’acceptation personnelle de l’éventualité du martyr n’autorise pas à l’accepter pour les autres : je dois donc les protéger), mais je suis prêt à penser qu’il donnerait des résultats pratiques sans commune mesure avec l’alliance boiteuse entre l’Évangile et ces petites (ré)assurances temporelles.

    [Soit dit en passant, vous aurez remarqué que je n’ai pas gardé la dernière partie de votre commentaire. Je ne suis pas non plus un inconditionnel du bonhomme, et votre premier commentaire en ce sens m’avait fait sourire, mais deux fois en deux commentaires, cela fait osciller entre la marotte et la vindicte.]

    @ Antoine : le terme « identitaire » n’est pas forgé pour être péjoratif. Il s’applique chronologiquement d’abord au mouvement de défense des droits civiques. Il recouvre en outre des positionnements très divers, voire antagonistes. Enfin, il est explicitement revendiqué par certains – certes les plus engagés politiquement. Quelqu’un comme Guillaume Bernard, qui milite pour une recomposition de la droite allant jusqu’à son extrême, « propose d’appeler la droite «alternative» (dont les quatre pivots idéologiques sont l’identitarisme, le souverainisme, le subsidiarisme et le conservatisme).  » Passons sur la référence à l’alt-right, plus connue aux USA. Mais vous voyez que les termes « identitaire » et « identitarisme » ne sont pas forgés pour être désobligeants. Ils existent et sont assumés.

    Mais comme vous le dites, le terme a une connotation favorable si l’on est partisan d’une vision de « l’homme blanc et chrétien », très précisément si l’on est identitaire, si l’on accole le christianisme à une vision ethniciste, raciste, ce qui dès lors est précisément la trahison que je dénonce. On peut être ethniciste ou chrétien, pas ethniciste et chrétien.

    Et j’ai comme une légère inquiétude, puisque ce n’est pas la première fois que je vous lis (ici ou ailleurs) sur la neutralité apparente de votre description, qui me rappelle à certains égards la plume de Bérénice Levet. « Ceux qui se sentent visés ont l’impression que leurs « dénonciateurs » ne veulent pas essayer de comprendre les problèmes que l’immigration peut causer dans un pays (impacts culturels, économiques et sociaux) », écrivez-vous. Rassurez-les, rassurez-vous, nous avons bien saisi. Ce qui ne nous conduit pas à borner notre réflexion à ces difficultés.

  • @ Koz:
    Je essayais d’établir une description assez nette des courants de pensée. C’est vrai: nous, les chrétiens, ne devons pas prendre en compte la couleur de peau de ceux qui sont au tour de nous. Mais certains en ont fait un amalgame en faisant en sorte que l’homme blanc serait forcément chrétien (ce qui est totalement faux quand on regarde la diversité du christianisme sur Terre). C’est ce qui a conduit la réaction d’autres en mélangeant tout autant la race et la religion.

  • Je lis le début de cette tribune et je vois un homme de paille par paragraphe, sans parler du vocable « belles âmes », marqueur ultra-éculé d’un discours désormais banal. Je ne sais pas si tout cela mérite l’effort d’une réponse aussi élaborée que celle que tu lui offres avec ce billet. Toujours est-il que je suis d’accord avec toi à propos du système d’abonnement de cette revue: on sait déjà ce que sera la conclusion du texte, il n’est donc pas nécessaire de continuer la lecture.

  • Gwynfrid a écrit :

    Je ne sais pas si tout cela mérite l’effort d’une réponse aussi élaborée que celle que tu lui offres avec ce billet.

    A vrai dire, à un moment donné, tu te laisses emporter par ta propre réflexion.

    Mais Bérénice Levet est une figure que l’on voit apparaître de plus en plus. Professeur de philosophie à l’École Polytechnique ainsi qu’au Centre Sèvres et contributrice à Esprit – ce qui peut étonner compte tenu du profil des deux – intervenante très régulière du FigaroVox et de France Culture, intervenante occasionnelle sur Radio Notre Dame, elle prend sa place dans le milieu et elle contribue à travailler ce milieu.

    Accessoirement, avec Thibaut Collin et Guillaume Bernard, elle fait partie d’un petit groupe de quatre intellectuels (dont à tout le moins ces trois-là revendiquent leur catholicisme) ayant rallié Marine Le Pen. Ce qui n’est pas une raison qui justifie en elle-même ma réponse, mais éclaire le profil de la personne.

  • Tout n’est pas à jeter cependant dans la suite de cet article (où tout n’est pas à prendre non plus, loin de là). Mais est-il permis de penser qu’à travers un seul article ce serait faire un mauvais procès à une revue comme « Limite » que de la juger toute entière ?
    Cela posé, ce débat est piégé (plus par vos opposants ou par des commentateurs « externes ») du fait d’une double simplification, qui frise le simplisme : dans la dimension d’une part (un peu comme en politique l’opposition « droite-gauche », qui sans être totalement irréelle, n’en constitue pas la seule dimension) et dans le vocabulaire de l’autre, une fois le nombre des dimensions réduit à une seule (l’opposition « identitaire – catholique d’ouverture » avec injonction de choisir son camp, dans laquelle personnellement je ne me reconnais pas – vous non plus d’ailleurs si j’ai bien compris). Merci donc d’avoir rappelé fort judicieusement les propos du « grand naïf », qui sont un excellent remède à tout simplisme et que les « identitaires » (mais aussi les supposés « catholiques d’ouverture ») feraient bien d’écouter un peu plus.

  • Je ne vois nulle part de jugement de la revue toute entière.

    Et je ne suis pas certain de saisir ce qu’il conviendrait d’entendre par « grand naïf ».

  • Koz a écrit :

    A vrai dire, à un moment donné, tu te laisses emporter par ta propre réflexion.

    Il ne m’a pas échappé que le billet, en soi, est une contribution plus large et plus intéressante qu’une simple réfutation de Mme Levet.

    Mais Bérénice Levet est une figure que l’on voit apparaître de plus en plus. Professeur de philosophie à l’École Polytechnique ainsi qu’au Centre Sèvres et contributrice à Esprit – ce qui peut étonner compte tenu du profil des deux – intervenante très régulière du FigaroVox et de France Culture, intervenante occasionnelle sur Radio Notre Dame, elle prend sa place dans le milieu et elle contribue à travailler ce milieu.

    Ah. OK. Disons alors que, de la part d’une personne d’un tel niveau, cette tribune intellectuellement paresseuse est une déception.

    (Ah, et « grand naïf » est une référence à ton texte).

  • Je dois reconnaître que le jugement sur la revue toute entière (ou sa rédaction) émane plus du commentaire d’Aristote que de votre texte. Quant au « grand naïf », comme cela a été relevé par Gwynfrid, l’appellation provient, cette fois, de votre texte. N’ayez crainte, j’en avais saisi l’ironie, d’autant plus que je partage votre point de vue à ce sujet.
    @ Koz:

  • Sven Laval :

    Je crois que vous accusez injustement Aristote à ma place 🙂

    Si je peux me défendre : je ne cherche pas temps à juger Limite à l’occasion de cet article, plutôt à profiter de cet article pour exprimer un jugement que je médite sur cette revue depuis pas mal de temps (à savoir, qu’ils dénoncent des attelages boiteux vieux de 50 ans tout en contribuant aux attelages boiteux qui se mettent en place aujourd’hui) et qui à mon sens est bien représenté par cet article.

    Par ailleurs, le regard que je porte sur cette revue est plus nuancé que ce que j’ai pu laissé entendre : je suis moi-même un « jeune catho » né après la chute du mur de Berlin et élevé dans une famille de « cathos d’ouverture » qui m’a complètement dégoûté de ce catholicisme bien-pensant qui se croit pur parce qu’il est anti-facho. Donc bon, disons que les rédacteurs de Limites, ce sont un peu mes cousins, et je pars des mêmes révoltes qu’eux. C’est pour ça que je me permet des paroles un peu épidermiques : je me désespère de voir ma génération bâtir de nouvelles erreurs dans le but de ne pas copier celles de ses parents ; et je pense qu’elle a été entraînée dans cette voie par certains maîtres à penser assez précis contre qui d’aucuns jugeraient que j’entretiens une outrancière vindicte (et je ne dis pas ça pour défier le maître des lieux, juste pour expliquer d’où je parle).

    Si je peux me permettre une comparaison outrancière, j’ai l’impression que nous, cathos nés dans les années 90, nous sommes un peu comme les jeunes allemands des années 70 qui ont suivi le terrorisme d’extrême-gauche pour « racheter » les crimes de leurs parents qui avaient voté nazi : de la même façon, nous nous lançons dans les idéologies du réenracinement pour racheter les péchés de nos parents bobos-mondialisation-heureuse. Vous me direz, entre Hitler et Alain Juppé, il y a une sacré différence, de même qu’entre Limite et Action Directe, mais je pense sincèrement que le mécanisme historique est assez similaire.

  • Pour commencer, toutes mes excuses à Aristote 🙂
    Sur les « attelages boiteux » vieux de cinquante ans, pensez-vous aux « cathos d’ouverture » ? Il ne me semble pas que ceux-ci soient la cible privilégiée des diatribes de « Limite ». Je trouve plutôt que l’article dont il est question dans cette discussion constitue une exception (et, il est vrai, pas à l’honneur de « Limite »). Si vous lisez cette revue sur papier, il ne vous aura pas échappé que le titre du numéro où ce confus salmigondis est paru est : « le grand remplacement (le vrai) », avec en couverture un petit robot. Et cela, c’est un problème actuel, croyez-en un modeste ingénieur déjà largement quadragénaire.
    Enfin, ne désespérez pas : votre génération a le temps de mûrir et de faire le tri entre ce qu’elle a de bon et de moins bon. Le fait qu’elle questionne l’état dans lequel se trouve la société est déjà un début, quitte à commettre ici et là des erreurs. Le mieux est de lui suggérer de les corriger.

    @ Matthieu:

  • ?Sven Laval a écrit :

    Sur les « attelages boiteux » vieux de cinquante ans, pensez-vous aux « cathos d’ouverture » ?

    Plus exactement, à la dimension boiteuse des catholiques d’ouverture ! Parce que bon, la volonté d’une construction européenne, l’accueil de l’autre toussa toussa, il va de soi que ce sont des dimensions très importantes de l’Evangile que votre génération préhistorique 😉 a eu le mérite de vouloir mettre en œuvre. Mais l’adhésion à différentes formes de libéralisme (économique, sociétal…) qui s’expliquait peut-être par anti-fascisme ou anti-communisme ont constitué de véritables attelages boiteux qui ont dégoûté certains de vos enfants à juste titre (bon, après, je prétends pas non plus me faire le porte-parole d’une génération), en fait le paradigme technico-libéral fréquemment dénoncé par Limite.

    Sven Laval a écrit :

    Il ne me semble pas que ceux-ci soient la cible privilégiée des diatribes de « Limite ».

    Non, comme dit, je trouve que Limite a le plus souvent raison de se révolter contre ce contre quoi elle se révolte (le petit robot que vous mentionnez, pour faire simple). Mais je pense qu’elle le fait avec un certain prêt-à-penser que je pense tout à fait désastreux, un prêt-à-penser qui se complaît volontiers dans la pensée binaire qu’on peut appeler liquide/solide, mondialiste/patriote ou progressiste/conservateur (en prenant systématiquement le parti du terme de droite).
    Ce faisant, elle atèle le catholicisme à des enracinements qui lui sont en fait étrangers et en plus, elle le sépare de certaines de ses dimensions importantes qui se retrouvent du coup entre les mains des ennemis de l’Eglise. Je me permets de donner 2 exemples.

    1) Lorsqu’à une époque encore plus reculée que la vôtre, Simone de Beauvoir écrit la phrase aujourd’hui très connue « On ne naît pas femme on le devient », c’est évidemment une parodie de celle de Tertullien « On ne naît pas chrétien on le devient ». Cette philosophie du devenir, qui est née dans le christianisme et qui lui doit tout, est-il normal qu’elle soit aujourd’hui l’apanage de la théorie du genre, pendant que les catholiques se complaisent dans les racines et l’identité ?

    2) Plus récemment : un Président vient de se faire élire en France avec un slogan aussi chrétien que En Marche, et personne ne s’étonne que ce slogan ne soit pas celui du camp de l’Évangile ! A quoi bon chanter « Marche avec nous Marie » tous les dimanches si dans la sphère politique, la marche est le chant des progressistes qui méprisent les valeurs chrétiennes ?

    Bref, un peu comme certains reprochent aux bobos d’avoir laissé les thèmes de la patrie ou de la nation au Front National, moi, je reproche à Limite de laisser les thèmes du devenir et du progrès aux méchants gauchistes. Et là-dessus, le galimatias de Mme Levet est tout à fait représentatif de leur revue, même si elle est plus politiquement explicite que la plupart de leurs articles.

  • Bien que cela ne soit pas vraiment en rapport avec ce blogon quelques remarques en passant. Les catholiques sont souvent dans la détestation les uns à l’égard des autres. Quelques articles de Golias et du salon Beige concernant des personnes que je connais un peu m’en ont convaincu. Les Chrétiens l’ont été et le sont encore souvent. Les êtres humains en général sont souvent dans la détestation les uns à l’égard des autres. Le mot détestation pouvant souvent être remplacé par haine et violence. Enfin dernière remarque qui me hante: encore un jeune qui tue en se tuant. Que dire? Que faire?

  • @ Sven Laval : je vous remercie pour votre précision. L’habitude de recevoir une certaine ironie, ou de la simple agressivité, me rend parfois un peu méfiant voire éruptif. Pour une fois, j’ai préféré poser la question, pour ne pas mal interpréter, et j’ai bien fait, visiblement 🙂

    @ Matthieu : j’abonde largement. Je ne lis pas assez Limite pour me forger une opinion mais je vois assez bien quel esprit elle entretient. Et je trouve votre « image » voire concept d' »attelage boiteux » assez finement observé. Comme vous l’écrivez, Limite me semble entretenir des critiques salutaires sur certains sujets mais la tonalité générale conduit à créer des liens dont on pourrait se dispenser. Cultiver la sobriété, la conscience de la limite au sens de la finitude, en tirer un enseignement sur le culte de la croissance (sans être contre la croissance, on doit pouvoir considérer qu’elle n’est pas de nature à donner un sens à la vie), le respect de la Création, le respect même d’un certain équilibre de vie (dans la mesure où « travailler plus, gagner plus » ne peut pas être l’épanouissement ultime), ok, nickel, j’adhère. Mais le saut qui consiste à en passer à une célébration de la limite au sens de la frontière, frontière que l’on applique aux migrants parce que le salut de la patrie est en cause face aux envahisseurs, celui-là je n’en conçois pas la pertinence (sans que cela ne signifie, en revanche, contrairement aux déductions binaires de la dame, que je sois partisan d’un accueil sans limite, d’une absence de frontières etc). Je trouve même assez pernicieux d’en arriver à légitimer les secondes au nom des premières.

    Paul Piccaretta, directeur de la revue, réagissait à mon billet sur FB en commençant par : « quel courage, on sent que tu as bravé des interdits ». Ca me semble un peu révélateur d’une question : lancer des débats, faire remuer un peu le milieu intellectuel, c’est fort bien, mais « braver des interdits » pour le principe, ça manque de pertinence et c’est, de fait, un peu jeune, comme état d’esprit. L’une des phrases que je me répète le plus souvent est du Cardinal Jean Honoré : « il ne suffit pas de refuser l’erreur pour penser juste« . Difficile d’application puisqu’il ne faut pas se tromper dans son identification de l’erreur (pas forcément plus simple à distinguer que la vérité), mais utile pour rehausser sa propre exigence : à supposer que l’on ait identifié cette erreur, il reste l’autre moitié du chemin à parcourir.

    Je crains aussi qu’ils ne développent une forme d’esthétisme de l’attelage boiteux, le plaisir de décontenancer, d’être là où on ne les attend pas. Dans une certaine mesure, pourquoi pas ? Si cela fonctionne, c’est une façon de renouveler le message, de le faire entendre différemment. Mais quand je vois que cela se conjugue avec une complaisance pour les thèses développées dans une telle tribune, je ne peux qu’être réservé. La limite et la finitude, qu’évoque Bérénice Levet, ce n’est pas la frontière et la claustration. Ce n’est pas un prétexte pour ne pas pouvoir aimer tout le monde. La finitude, indéniable, est aussi reconnaissance de ce que l’on doit à l’autre. Elle est reconnaissance que nous ne sommes pas tout : pas tout vis-à-vis de Dieu (et c’est bien en cela que l’on évoque la finitude), pas tout vis-à-vis de l’Autre. Notre finitude n’est donc pas un prétexte au retranchement mais un point de contact et une reconnaissance de notre insuffisance.

  • Bon, je me répands une dernière fois et après promis j’arrête :
    Koz a écrit :

    Paul Piccaretta, directeur de la revue, réagissait à mon billet sur FB en commençant par : « quel courage, on sent que tu as bravé des interdits ».

    Franchement, il faudrait un gros même de facepalm face à ce genre de commentaire. Zut, leur but n’était pas plus ou moins d’élever le niveau en sortant leur revue ? Élever le niveau, ça passe par sortir des conventions hypocrites et choquer le bourgeois (et encore une fois, je pars des mêmes révoltes que Limite face au conformisme des cathos d’ouverture), mais on peut pas répondre ainsi à un billet tel que le vôtre, avec qui ont peut être en désaccord mais qu’on ne peut pas accuser de ne pas chercher sincèrement le vrai et le juste.

    ça rejoint les tristes considérations de Colibri : les tribus de catholiques se haïssent entre elles, et j’aime beaucoup ses exemples de Golias et Salon beige qui montrent que la haine n’est l’apanage d’aucune tendance politique. Il me semble qu’il y a 2000 ans, y’a un gus qui avait dit « On vous reconnaîtra comme mes disciples au fait que vous vous aimez les uns les autres ». C’est aussi à tempérer avec Weber et Machiavel ? Ou sans doute que Golias comme le Salon beige ou Limite expliquerait qu’il faut faire dans la « correction fraternelle » chère à Saint Matthieu, mais bien souvent, la correction est plus présente que la fraternité dans ce genre de pique. Dans la période électorale, il y avait un article de La Croix qui disait en somme que c’était une conséquence méconnue de l’urbanisation et de l’individualisation de l’Eglise : chacun peut se choisir son petit club de cathos comme lui, plutôt que de fréquenter la même paroisse où cathos d’identité, d’ouverture, vert, rouge, brun ou rayés à pois jaune doivent se fréquenter et se donner la paix du Christ.

    Koz a écrit :

    La limite et la finitude, qu’évoque Bérénice Levet, ce n’est pas la frontière et la claustration. Ce n’est pas un prétexte pour ne pas pouvoir aimer tout le monde.

    Je pense qu’il y a là un problème philosophique fondamental, et situé au cœur même du concept-clé de la revue Limite : l’amalgame (ou l’attelage boiteux, pour faire plus Saint Paul et moins France Inter) entre la frontière et la finitude.
    Dans le renvoi de balancier contre l’idéologie sans-frontièriste qui a été le grand péché de votre génération, il est devenu une sorte de tarte à la crème d’expliquer que le sans-frontièrisme est la conséquence d’une hybris détestable, et qu’il faut accepter la frontière pour accepter notre propre finitude (on trouve ça chez Limite, mais aussi chez Regis Debray, par exemple). Je pense que c’est une vision injuste car pélagienne de la frontière : la frontière serait une simple conséquence de notre condition de créature, et non une conséquence du péché. Or, si la Genèse prend la peine de distinguer le jardin d’Eden et la Tour de Babel, c’est justement pour que nous sachions que la frontière est le fruit de notre péché, pas de notre finitude ; Adam au Paradis était fini, mais il n’y avait pas de frontière entre lui et Eve.
    Au Moyen-Âge, les Empereurs qui voulaient incarner politiquement l’universalité de l’Eglise avaient un symbole géométrique très simple pour ça : le globe terrestre parfaitement uni qu’ils tenaient dans la main, parce que la surface d’un globe, c’est justement une surface finie et pourtant sans frontière (ni limite !). Il faudrait remettre cette image dans la tête des paresseux intellectuels qui massacrent l’histoire de la philosophie en expliquant que l’Homme universel, ce sont ces anti-chrétiens de Lumières qui l’ont inventé. L’Homme universel, il existe depuis Adam et il est porté comme projet politique depuis Charlemagne, et c’est la gloire de l’Eglise de l’avoir soutenu ; et si nous devons aussi apprendre à respecter l’existence des frontières, ce n’est pas par acceptation de notre finitude, c’est pas acceptation du péché originel (c’est ce que dit exactement Bossuet dans son sermon à ce sujet). Une Humanité finie, ce n’est pas la même chose qu’une Humanité divisée ; et par son leitmotiv de la « Limite » qui unit les idées pourtant distinctes de finitude et de frontière, je crains que cette revue ne se condamne à atteler ceux qui veulent agenouiller les hommes sous le ciel et ceux qui veulent les diviser sur la Terre.

    Bon, à la relecture, c’est un peu confus ce que je dis et j’espère que ça ne prend pas trop des allures de masturbation intellectuelle ; mais prendre une revue au sérieux, c’est aussi considérer que l’histoire des idées à son importance, et qu’il faut en parler pour comprendre dans quel pétrin nous sommes aujourd’hui.
    Et je n’ai pas de blog, moi, alors je dois bien squatter le vôtre :p

  • @ Matthieu : je vous préviens, Matthieu, je trouve vos commentaires stimulants jusqu’ici mais si vous continuez à nous renvoyer à « votre génération » comme si nous étions vos grand-parents, ça va chier des bulles et pas qu’un peu. J’ai 41 ans (bref, j’étais trentenaire il y a encore 18 mois) et j’ai dans l’idée que vous n’en avez pas 13, l’âge de mon ainée. Bordel. Non mais 😉

    Je vous rejoins sur la « correction fraternelle », d’autant qu’elle est assez souvent menée de façon hypocrite, sur un ton mielleux, papelard, qui cache mal l’aigreur et sert à mieux dissimuler la violence des attaques sur le fond.

    De même, avec toujours la réserve que je ne lis pas assez Limite pour me prononcer, le risque d' »atteler ceux qui veulent agenouiller les hommes sous le ciel et ceux qui veulent les diviser sur la Terre » est probablement présent.

  • Un dernier commentaire de ma part (et ensuite, moi aussi je me tairai) :

    Koz a écrit :

    je vous remercie pour votre précision. L’habitude de recevoir une certaine ironie, ou de la simple agressivité, me rend parfois un peu méfiant voire éruptif. Pour une fois, j’ai préféré poser la question, pour ne pas mal interpréter, et j’ai bien fait, visiblement

    Je vous en prie : j’eusse mieux fait de préciser dès le début que je vous citais, ce qui eût évité à votre tempérament éruptif de s’éveiller ; il nous faut en effet nous ménager à nos grands âges, si j’en crois Matthieu (bon, j’arrête aussi, j’ai encore 44 ans pour quelques semaines !) 🙂
    Plus sérieusement en ce qui concerne la revue « Limite », il faut probablement partir du postulat que sa « ligne » s’appuie sur une position de principe, qui est conservatrice et écologiste, voire antimoderne, avec un attachement au « local » : rien de boiteux en soi dans cet attelage. La notion de frontière elle-même, si elle est bien définie et nuancée, n’est pas nécessairement dangereuse. Il existe cependant dans cette « ligne » un risque bien réel en effet : celui de se figer dans des poses et de se répéter, que l’on pourrait résumer en conformisme anticonformiste ; vient son corollaire : par conscience de ce risque et par impatience, le désir de s’engager, de descendre dans l’arène politique, au risque d’y faire de mauvaises rencontres, celles d’idéologues à la fois brouillons et aux intentions douteuses. Aux rédacteurs de « Limite » de parer ces risques, et leur revue demeurera stimulante, ce qu’elle est à mon avis.

  • Abonné de Limite, je fus quelque peu surpris par le positionnement assez à droite de cette tribune et je n’y prêtai pas plus d’attentions. En effet, il s’agit juste d’une tribune qui n’engage pas la ligne éditoriale de ce magazine qui reste passionnant et stimulant. Par ex, la couverture se nomme « le grand remplacement (le vrai) » qui ironise la théorie fumeuse du grand remplacement largement relayé par Laurent Dandrieu chez les cathos.

    Autre ex, le grand édito est toujours tenu par Fabrice Hadjadj. Essayez de trouver au moins une tentation identitaire chez ce bonhomme. Bon courage 🙂 D’ailleurs il me semble que Koz aime à reprendre une des idées de ce même Hadjadj sur le chrétien appelé à être sel de la terre pour mettre en valeur la culture de son pays et délaisser par la même occasion un positionnement victimaire.

    Bref pour ces qq raisons et il en existe bien bien d’autres, y voir dans ce magazine une tentation identitaire me parait plus du fantasme.

    Je rajouterai qu’on peut être effectivement pour la liberté sans être libéral mais vu la tenue de certains commentaires sur le magazine Limite qui ressemble parfois à une chasse aux sorcières, j’ai la mauvaise impression que l’on soupçonne plus facilement un catholique d’identité d’être identitaire qu’un catholique libre d’être libéral …
    Cela me fait rappeler l’émission ONPC à la veille du premier tour des présidentielles avec tous les anciens chroniqueurs. Polony rappelait une idée souverainiste et la voilà accusée de flirter avec l’extrême droite… Très symptomatique dans les médias ; évitons ces mêmes procédés sur ce blog.

    Pour revenir sur l’accusation contre Limite de délaisser les thèmes du devenir et du progrès à ses adversaires, je rappelle à Matthieu que la ligne du « grand naif » consiste à mener une vie de sobriété heureuse à la pierre rabi. Alors oui, vous avez raison, ça fait pas très moderne mais c’est pourtant vital.

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