Libres et responsables

Les catholiques ne peuvent-ils pas attendre trois semaines pour retourner à la messe ? L’enjeu dépasse cet horizon temporel restreint. Propre à la place du chrétien dans la société, il passe par Diognète et Franz Jägerstätter avant de nous rejoindre. Car on ne défend pas les grands principes dans les circonstances exceptionnelles pour les négliger soudain dans les temps ordinaires. Certes, les catholiques ne vivent aucune persécution. Ce n’est pas par une atteinte délibérée que l’Etat a enfreint notre liberté de conscience : c’est une infraction par négligence, un glissement par indifférence.

Illustrons. L’article 7 du décret du 23 mars 2020 relatif à l’état d’urgence sanitaire prévoit que les rassemblements en milieu clos sont interdits au-delà de cent personnes. L’article 8 IV prévoit, lui, que tout rassemblement dans un lieu de culte est interdit. Sans considération du nombre de personnes. Pourquoi ? Sur quoi repose ce traitement de défaveur des cultes – de surcroît au détriment de la liberté religieuse, qui n’est pas une liberté contingente mais une liberté fondamentale reconnue comme telle par les plus hautes juridictions ?

Devant l’Assemblée, le Premier Ministre a réitéré la même approche. Sur quelle base s’autorise-t-il à dire que « les cérémonies » ne pourront spécifiquement pas reprendre dans les lieux de culte ? Pour faire bonne mesure, M. Castaner a estimé que la prière ne nécessite pas de lieu de rassemblement, bref  que la messe n’est pas nécessaire à la pratique… Qu’est-ce qui autorise cette immixtion d’un Etat censément laïc dans les modalités concrètes du culte ?

Si l’Etat peut imposer des restrictions à la liberté de culte, encore faut-il qu’elles soient proportionnées. En l’occurrence, des propositions bien plus détaillées que les prescriptions hasardeuses qui prévaudront dans les transports avaient été formulées afin de permettre la reprise dans de bonnes conditions sanitaires. Alors, que l’on se rassure : l’Eglise n’appelle pas à la désobéissance. Que l’on souffre en revanche qu’elle rappelle l’Etat à son propre droit. Il n’est pas aberrant que, ayant  scrupuleusement respecté les conditions du confinement malgré leur formulation désinvolte à l’égard des cultes, elle ait espéré un traitement plus conforme au savoir-vivre, au droit, à l’autonomie du spirituel et du temporel et, in fine, à celle de la personne humaine qui n’est pas, en toutes ses dimensions, la chose de l’Etat.

Photo : Erwan Le Morhedec

9 commentaires

  • Oui, Koz, je comprends bien le sens de votre billet. Loin de moi de ne pas partager votre sentiment. Vous me permettrez quand même, médecin spécialiste, mais plutôt, simplement médecin tout court, ce commentaire. Je n’ai pas attendu la pandémie et aucun de mes confrères, je pense, pour faire ce constat que nous avons tout au long de notre exercice fait en face de la maladie mais plus encore, devant le malade : nous devons très souvent faire un aveu d’humilité parce que nous ne savons pas toujours quoi faire pour le sauver si nous sommes parvenus au bout de nos possibilités. Cette pandémie nous rappelle assez brutalement à une réalité que beaucoup de jeunes médecins n’ont pas connu : les grandes avancées en médecine n’ont pas beaucoup plus d’un demi-siècle ! Ceux de ma génération ont commencé avec des moyens très limités dans presque tous les domaines. Je me rappelle le Professeur Jean Bernard, à l’occasion de l’anniversaire du Centre médical dédié aux maladies tumorales où j’exerçais disant que, jeune interne, il n’avait à sa disposition que cinq médicaments vraiment efficaces. Ce n’était pas il y a des siècles. Jean Bernard est interne des Hôpitaux en 1929. Aujourd’hui avec l’imagerie, les biotechnologies, nous allons beaucoup plus loin dans le diagnostic et dans la stratégie thérapeutique mais nous n’avons pas pour autant fait voler en éclat nos limites. Elles sont toujours devant nous et un misérable virus, un même pas vivant, un parasite nous a mis à genoux et nous devons faire ce constat : l’humilité n’est pas d’être humilié par notre incapacité, elle est surtout de reconnaître que nous serons toujours en deçà de ce que nous pouvons faire, de ce que nous voudrions faire et nous devons l’accepter même si nous n’acceptons jamais de perdre pas pour nous-mêmes mais parce que c’est notre responsabilité d’aller jusqu’au bout, y compris quand nous devons rendre les armes. Mais c’est toujours pour tirer de cette humiliation qui fait parfois grincer des dents un peu plus d’humilité.

  • Il me semble que ce sont les rassemblements de plus de 10 personnes qui sont interdits.
    Les assemblées dominicales sont bien plus nombreuses !
    Et je vois mal limiter le nombre de personnes dans une église comme certains le font avec un Doodle ou autre… réservé aux personnes ayant pignon sur sacristie ?
    Je vois mal comment dans ces conditions on peut faire une communauté, comment on peut faire Eglise (rassemblement, convocation du peuple, c’est le sens du mot grec ecclesia)

    • Mon propos dans ce billet ne relevait même pas de l’opportunité ou non de reprendre les célébrations dominicales. Mais si l’on élargit, je crois que si, nous avons les moyens de les reprendre avec précaution. Le frère Olivier de Saint-Martin a développé de grandes lignes dans cet article, mais il a fourni aussi des documents bien plus détaillés, schémas à l’appui.

      Quant au fait de sélectionner, je pense que l’on peut faire un peu confiance aux prêtres. Il y aura toujours, certes, ceux qui sont informés et ceux qui ne le sont pas. Mais il reste possible de ne pas attribuer dans le Doodle l’ensemble des places disponibles.

      En tout état de cause, il va falloir limiter le nombre de personnes dans les lieux de culte pendant de longues semaines, voire plusieurs mois. Je n’imagine pas que, même le 2 juin, on reprenne sans restrictions. On ne va pas pour autant supprimer la messe pendant tout ce temps.

  • Merci de votre billet.
    Une remarque. Il n’y a pas que l’Eglise Catholique. L’Etat doit également prendre en compte les autres cultes. Par exemple, la communauté évangélique de Mulhouse n’a pas brillé par sa rigueur en devenant un des foyers épidémiques les plus virulents. Pour ne parler que d’elle.
    Il doit y avoir une certaine méfiance administrative vis à vis des effusions de l’Esprit et de leurs effets.
    Bien à vous.

    • Si, pour tout vous dire, j’ai été soulagé que l’Eglise catholique n’apparaisse pas comme un vecteur de contamination alors qu’elle a suffisamment de casseroles à porter ces temps-ci, si donc j’ai apprécié les précautions prises, je dois aussi reconnaître que ce que disent les membres de cette Eglise évangélique n’est pas aberrant : ils respectaient les critères de l’époque, qui ne prévoyaient pas de restrictions applicables à leur célébration et, à quelques dizaines de mètres le même jour, Emmanuel Macron prenait même un bain de foule… à peu près à la période où il invitait à aller au théâtre.

      Il n’en reste pas moins qu’un peu plus d’anticipation aurait été bienvenu.

  • Bonjour à tous,
    Sans compter que le rassemblement évangélique présente toutes les caractéristiques du bouc émissaire bien pratique et bien utile.
    Le réel foyer épidémique (je déteste le mot journalistique de « cluster ») a été plus vraisemblablement l’hôpital de Mulhouse qui avait enregistré depuis plusieurs mois la démission de 6 médecins, de nombre d’infirmières, ce qui en avait fait un établissement en état de déshérence scandaleuse.

    De plus, c’est ce pauvre hôpital qui a du « inaugurer » en France l’arrivée soudaine et jamais vue de malades souffrant d’une pathologie mal cernée et contre laquelle le personnel n’avait ni masques, ni blouses, ni gants, ni tests, ni respirateurs, ni, ni, ni, enfin vous vous souvenez…

    Et tout le monde s’y était mis depuis longtemps pour arriver à cela, l’état, les élus locaux…

    Alors nos journaleux, ont fait leur boulot comme à leur habitude, sans la moindre investigation et uniquement basé sur un antichristianisme devenu viscéral chez beaucoup d’entre eux.

  • Bonjour,
    N’oublions que l’article 10 du décret cité était précédé de l’article 3 qui interdisait à quiconque de sortir de chez soi sauf pour les motifs dans lesquels la pratique de la religion n’était pas comprise…cf l’attestation…
    Sans oublier l’approximation de la rédaction de la partie concernant les ERP dans laquelle « type » était remplacé par « catégorie » qui a un autre sens dans la même réglementation…
    Mais ce n’est qu’un rappel pour s’éviter, un peu, de refaire la bataille après coup (yoréfallukon, yorékahuha,ysorédu… and so on).
    Comme disait si bien Antoine RENARD aux AFC il y a quelques années : apprenons à remplacer les YORÉKA et FODRÉKON par YASKIYA et FOSKIFO, au présent, pas au conditionnel, et face au réel ,le vrai, pas le fantasmé: celui qui demande humilité, discernement, et pratique de la responsabilité.
    Bien cordialement,

    • Oups. Au début de mon commentaire précédent, au lieu de « l’article 10 », lire « les articles 7 et 8 ».
      Désolé, …

  • Bon, comme les commentaires sont fermés sur Facebook, je poste ici ma réflexion du week-end : Il est heureux que les positions sur la reprise des messes soient diverses. Ce dimanche, ma paroisse a réussi (de justesse) à accueillir tous ceux qui le souhaitaient. mais si tous les messalisants habituels avaient souhaité une place, ce ne serait jamais passé. Quand aux fidèles des célébrations Youtube, ils ont pu profiter d’une messe bien plus belle, grâce au retour de la chorale … Bref, ne soyons pas trop pressés d’avoir raison à tout prix. Au final, tous les paroissiens gagnent à ce que chacun suive sa voie.

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