La guerre civile a bon dos

Briser la torpeur estivale par l’annonce d’une guerre civile à venir, « il faut reconnaître que c’est du brutal ». Coup sur coup dans Valeurs Actuelles puis Le JDD, Le Figaro. Dans un même élan, le dernier évoque un « sombre présage » quand le précédent annonce la « sombre prédiction »,  « d’un professeur du King’s College ». Les trois publications invoquent les mânes du King’s College, mais ni les unes ni les autres ne mentionnent le nom dudit professeur. On le comprend : nul n’a jamais entendu parler de lui. Titrer sur les « sombres prophéties » d’un « obscur professeur » aurait alors fait montre d’autant de cohérence chromatique que de rigueur factuelle mais aurait certainement nui à l’écho souhaité. Aussi universitaire soit-il, David Betz ne fait que raviver un mythe cher à l’extrême-droite depuis 50 ans peut-être : la survenance imminente d’une guerre civile. Peut-être finira-t-elle d’ailleurs par advenir tant la prophétie est auto-réalisatrice : l’annoncer sans cesse ne fait qu’alimenter la défiance dont elle se nourrit.

Les réseaux sociaux sont heureusement pleins de ressources. Parmi elles, Olivier Schmitt, professeur de sciences politiques, titulaire d’un doctorat du King’s College, aujourd’hui spécialement impliqué dans les études stratégiques et de sécurité. L’ayant côtoyé, il a pu préciser le portrait de l’auteur qui a ainsi fendu la torpeur aoûtienne : démis d’un poste de directeur adjoint de département du King’s College après avoir appelé publiquement à la contre-insurrection contre les opposants au Brexit, il s’est encore radicalisé en se rapprochant de l’English Defence League, un groupe d’extrême-droite (précisément à l’origine des émeutes anti-immigrants de l’an dernier) et d’Ukip, parti de Nigel Farage. Loin, donc, de déplorer les affrontements, les partis dont l’auteur est proche les suscite. Ajoutons enfin que le journal dans lequel l’étude est publiée est, selon Olivier Schmitt, « tout à fait secondaire » et n’est « pas considérée de qualité académique » et cela ne fait que renforcer les interrogations sur la promotion qui a été accordée à ces théories.

Alors si l’on veut bien prendre le sujet avec une légèreté estivale résiduelle qu’il ne mérite pas, il va toutefois falloir très vite redevenir sérieux. Car ces théories visent aussi à soutenir que « la véritable menace n’est pas extérieure, mais intérieure », discréditant l’attention portée aux actions de la Russie pour focaliser l’intérêt sur l’immigration. Sans même évaluer précisément ces présages opportunistes, il faut rappeler que la Russie s’emploie activement à susciter, alimenter, promouvoir tout ce qui peut conduire à la division et au chaos en Occident. La « menace extérieure » se fixe précisément pour objectif de nourrir la « menace intérieure ». Y prêter nous-mêmes la main, quand les jours à venir s’annoncent pour le coup authentiquement sombres, n’est plus acceptable.


Photo Robert Capa (discutée, oui, je sais)

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11 commentaires

  • Qu’on s’inquiète de la radicalité d’extrême droite, soit.

    Mais à aucun moment vous ne mentionnez LFI, NPA, Soulèvements de la terre et autres Carnage Total, ah ! Quel joli nom.

    À aucun moment vous ne mentionnez les 1400 quartiers hors de contrôle, gangrenés par le narco-trafic et l’islam le moins sympathique.

    Vous accusez la Russie d’alimenter en sous-main les violents d’extrême droite. Soit. Poutine ne me fait franchement pas rire.

    Mais je ne vous vois pas citer le Qatar ou l’Iran.

    À force d’extrême droitiser tout ce qui n’est ni à gauche ni au centre mais simplement à droite, on en vient à nier la réalité. Nous n’avons apparemment pas la même vie ni ne fréquentons les mêmes rues.

    L’extrême droite, il fut un temps, c’était simple à définir : antiparlementarisme, antisémitisme, anti christianisme souvent, racisme, violences de rue. On trouve de plus en plus de gens qui cumulent tout ça et sont d’extrême gauche., ou islamo-gauchistes.

    Je crains par dessus-tout la guerre civile. Vous ne semblez pas voir qu’elle a déjà commencé, sous une forme qui, pour être meurtrière n’en est pas encore au conflit ouvert. Vous devriez demander à rencontrer des gens de terrain pour en savoir davantage.

    Vous devriez aussi demander à ceux qui subissent. Ils sont nombreux. Leur témoignage est balayé ou relativisé ou enterré. Ou pire : traité d’extrême droite

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    • La guerre civile non meurtrière.
      Que voulez-vous que je vous dise ? Fin de la blague, juste.
      A force de mettre tout et n’importe quoi sous le vocable de « guerre civile », il n’est pas étonnant qu’on la voie partout.

      Pour le reste, il n’y a pas lieu, dans une chronique, de faire un tour d’horizon de toutes les menaces qui se présentent. Or non seulement l’Iran et le Qatar, pour constituer à certains égards des menaces (de natures elles-mêmes différentes) ne représentent en rien les mêmes menaces que la Russie, mais ous ne sommes pas à la veille d’un possible test de l’article 5 de l’accord de l’OTAN par l’Iran ou le Qatar, et ni l’Iran ni le Qatar ne se livrent à des opérations de sabotage sur le sol européen.

      Et pour finir, le narratif autour de cette étude était transparent : cessez de vous occuper de la Russie, occupez-vous de l’immigration. Narratif que les Russes adorent.

      Si les menaces diverses vous intéressent, je vous conseille la nouvelle Revue Nationale Stratégique 2025. Elle n’omet aucun Etat (mais elle fait plus de 60 pages) mais elle sait hiérarchiser les menaces, elle.

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  • Cela faisait trèèès longtemps que je n’étais pas passé par ici et je me réjouis de ce que ce blog soit resté actif. Belle longévité pour un format largement délaissé aujourd’hui au profit de canaux plus visuels et moins textuels (Instagram, Tik Tok, etc.). Bref, bravo !

    Pour ce qui est de ce billet, je suis d’accord avec votre dénonciation des appels (ou alertes, mais la nuance est souvent indiscernable) à la guerre civile. Ce qui est très inquiétant, c’est que d’après ce que j’entends et lis ici et là, aller se battre contre un ennemei extérieur est globalement refusé par la population, mais en revanche les mêmes tiennent à rappeler systématiquement la nécessité et l’urgence de se battre ici contre ceux qu’ils perçoivent comme un « ennemi de l’intérieur » ou un « envahisseur ». Cela relève véritablement de l’obsession.

    Un dernier point : je ne crois pas davantage à la menace russe, en dépit des efforts obstinés des organes de presse et du gouvernement. La Russie ne parvient déjà pas à vaincre l’Ukraine (la guerre dure quand même depuis plus de trois ans) et l’on voudrait nous faire croire que l’ours russe est prêt à gober tout cru toute l’Europe, voire les USA avec ?
    Outre la question des moyens, se pose celle des fins : la Russie aurait-elle des velléités pathologiques d’invasion de la moitié du monde (pour commencer) ?
    Tout cela n’est pas très sérieux.

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    • En effet, je retrouve un commentaire de votre part sur le blog il y a…. 17 ans !

      Bien vu, sur votre deuxième paragraphe.

      En ce qui concerne la menace russe, les gens sérieux (précisément) n’évoquent pas une invasion de l’Union Européenne, les chars à Paris et encore moins une attaque des Etats-Unis. Mais lisez, par exemple, La Guerre d’après (de Carlo Masala). C’est en quelque sorte un wargame de la part de quelqu’un qui en élabore dans les milieux stratégiques et militaires et y participe. L’hypothèse de travail, plus probable, est celle d’une action limitée contre une ville d’Estonie, après avoir fixé les forces de l’Otan sur d’autres fronts (lutte contre une immigration soudaine et provoquée, invasion de Taiwan). L’Estonie invoquerait l’article 5 de l’OTAN et, de lâcheté en volonté d' »éviter une escalade », Washington se refuserait à une confrontation avec la Russie et les pays européens suivraient. La Russie aurait alors testé l’OTAN, et démontré que l’alliance n’est pas effective. Ca, c’est une menace plus crédible.

      Par ailleurs, sans reprendre tous les épisodes de guerre informationnelle et d’attaque informatique, un épisode récent est loin d’être anodin : vous aurez suivi que l’avion transportant la présidente de la Commission Européenne s’est trouvée confrontée à une panne intégrale du GPS sur la zone de l’aéroport où il devait atterrir, contraignant les pilotes à procéder « à l’ancienne » avec des cartes papier. Simple avertissement ? Tentative de nuire à la sécurité du vol ? Qui sait ? Mais chacun sait que ce sont les Russes. Et ce n’est que le dernier événement en date.

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  • Bonjour Koz,

    Je vous ai toujours apprécié comme un commentateur modéré, pondéré, apportant sur beaucoup de sujet un point de vue humaniste que je trouve précieux.

    Je dois dire que je suis en désaccord avec vous aujourd’hui. Non pas sur l’obsession morbide de l’extrême droite pour la guerre civile, qu’elle fait semblant de prévenir tout en la désirant ardemment.

    Cependant, j’ai du mal à voir comment on peut combattre l’obsession morbide de l’extrême droite pour la guerre civile en agitant une autre obsession morbide pour un « ogre russe » qui ne serait animé que par la haine de la démocratie.

    Le monde dans lequel nous vivons est un monde dangereux. Mais la Russie n’est qu’une menace parmi d’autres.
    Les USA ont attaqué, il y 20 ans, un pays sans aucun autre motif que leur désir de s’emparer de ses réserves pétrolières. Sans avoir subi aucune sanction des pays démocratiques. Avec des conséquences humanitaires autrement plus graves que la guerre d’Ukraine.
    Israël détruit posément tous les facteurs de stabilité au Proche-Orient. Là, encore, sans aucune sanction.
    La Chine instrumentalise toutes les hypocrisies des pays de l’ouest pour faire basculer dans un camp qui nous est hostile les pays d’Afrique, d’Asie, et même d’Amérique du Sud.

    Le risque que nous courrons aujourd’hui n’est pas celui d’une invasion Russe : tous les observateurs sérieux ont identifié les buts de guerre des russes, et, même s’ils sont déplorables, ils sont sans conséquences pour nous.

    Le risque le plus grave nous concernant serait que nos dirigeant, désireux de se trouver un ennemi commun pour faire taire nos dissensions internes plutôt que de les résoudre, nous expliquent que Poutine est la réincarnation de Satan, et qu’aucun compromis ne serait possible avec lui, ce qui nous entrainerait dans une guerre absurde.

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    • Sur les hypothèses sérieuses et le risque d’invasion, voir ma réponse ci-dessus.

      Dire que les « observateurs sérieux » auraient « identifié les buts de guerre russes« , qui seraient « sans conséquences pour nous » est factuellement faux. De Thomas Gomart à Carlo Masala, d’Elie Tenenbaum à Bruno Tertrais, du général Burkhard au SGDSN, sans parler de David Colon ou de mes discussions informelles avec des officiers d’Etat-Major, tous sont en désaccord avec vous. Et je ne les cite même pas tous.

      Cela ne signifie pas que la Russie va envahir la France. Ni que la Russie soit la seule menace pour la France. Prenez connaissance de la nouvelle Revue Stratégique Nationale. Elle liste les différentes menaces et ne se cantonne pas à la Russie, mais la Russie est bel et bien la plus grave – et celle qu’une droite myope et une extrême-droite imbécile essaient de minimiser, par traîtrise ou intérêt politique.

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      • Vos sources sont pour le moins contrastées. Je me souviens avoir lu une interview de Thomas GOMART, par exemple, dans laquelle il soutenait que le but de guerre de Poutine était de reconstituer des « frontières épaisses ». But de guerre bien identifié, donc, et qui ne nous menace guère. Il a également eu des mots très durs sur l’intervention en ex-Yougoslavie et en Irak, dans lesquels il voit les prémisses de cette guerre : si l’occident viole le droit international, au nom de quoi la Russie le respecterait ?
        Son raisonnement consiste à dire d’une part que l’impuissance des européens permettrai à la Russie de s’imposer à nouveau en Europe centrale -et en soit, il a raison, le Russie est une puissance menaçante et nous devons être capable de nous en défendre- et d’autre part que la prolongation du conflit (donc, si on lit entre les lignes, le refus de faire des concessions à la Russie) profite avant tout aux USA et à la Chine, notamment en accélérant notre vassalisation aux premiers.
        D’où l’intérêt de trouver un compromis rapidement avec les russes.

        La Revue Stratégique Nationale est un rapport de la SGDSN dont le but est dire au politique ce qu’il veut entendre. Or, ce que le politique veut entendre en ce moment, c’est que la France a besoin d’une Union Sacrée contre un ennemi commun. On salut néanmoins la prudence des rédacteurs. S’ils associent bien les mots « 1.1.1 Fédération de Russie » et « principale menace pour la France », la phrase exacte est : « la principale menace pour la France et les Européens
        est celle posée par le risque d’une guerre ouverte contre le cœur de l’Europe. »
        Et je ne peux que souscrire à cette affirmation.

        Quant à Carlo Masala, il fait de la politique fiction.

        Entendez bien, je ne suis pas en train d’écrire que Vladimir Poutine est le héros des « valeurs occidentales », que la Russie est un pauvre pays menacé qui ne fait que se défendre face à un complot visant à le détruire. Je ne suis pas non plus en train de nier les stratégies de cyberattaques qu’elle utilise pour affaiblir les soutiens à l’Ukraine.

        Cependant, j’observe que l’Ukraine, en sabotant le Nordstream, est parfaitement capable d’attaquer nos intérêts. Les USA sont parfaitement capables de mettre sous écoute nos dirigeants, dont, souvenez-vous, Angela Merkel.

        Je pense que notre point de divergence vient sans doute de notre rapport à la souveraineté. Dans votre réponse à Antoine Block, vous évoquez un discrédit de l’OTAN comme une menace à notre sécurité. Chez moi, un grand-père gaulliste m’a toujours expliqué que c’était l’OTAN, la première menace à notre sécurité, et tout ce qui pouvait l’affaiblir était bon à prendre.

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        • Mes sources ne sont pas contrastées, elles sont cohérentes. Que Thomas Gomart prenne acte des erreurs voire des fautes occidentales témoigne simplement du fait que son analyse n’est pas aveugle ou partisane, il n’en reste pas moins qu’il identifie clairement la menace que représente la Russie.

          Balayer Carlo Masala, qui dirige le Center for Intelligence and Security Studies à l’université de la Bundeswher est une facilité argumentative, mais n’est pas bien convaincant. Quant à discréditer le SGDSN parce qu’il est un organe rattaché au gouvernement est un procédé un peu facile. Bien sûr, il encourra toujours ce soupçon de politisation mais la Revue Nationale Stratégique est un document de référence. Et nous sommes donc tous trois, si je puis dire, d’accord pour constater qu’une attaque de la Russie contre le cœur de l’Europe est une vraie menace pour la France.

          Accessoirement, saboter Nordstream n’est pas nécessairement contre nos intérêts, si l’on considère que financer la guerre en Ukraine ne l’est pas. Quant aux actions des Etats-Unis, ce n’est pas vraiment le sujet. Personne ne voit en eux des anges, incapables d’actions de renseignement. Soit dit en passant, nos services aussi, s’efforcent de se renseigner sur les gouvernements et services alliés.

          Pour finir, mon grand-père comme mon père sont gaullistes. Mais le gaullisme n’est pas une religion. Ce que De Gaulle a pu penser ou dire il y a 60 ans n’est pas gravé dans le marbre quelle que soit l’évolution des relations internationales. Accessoirement, je doute qu’il ait jamais souhaité que ce soit le cas. Mais se réjouir d’un affaiblissement de l’OTAN me paraît singulièrement de courte vue. Notons que sans elle, et en particulier sans les Américains, nous n’aurions pas eu les moyens de mener les OPEX que nous avons voulu mener (et c’est bien le problème aujourd’hui que les Américains nous lâchent). Croire que l’on serait plus souverains seuls me paraît aussi une vue de l’esprit. Enfin, vouloir affaiblir l’OTAN, éviter la vassalisation avec les Etats-Unis, pour trouver « des compromis » avec Poutine est une bien étrange disposition d’esprit. Un peu naïve sur la réalité du régime russe.

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          • Btw, Revue Études, septembre 2025. Thomas Gomart consacre sa chronique à l’examen de la Revue Nationale Stratégique, que vous balayez, et évoque « la menace russe, longtemps sous-estimée par les autorités françaises « 

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