Avons-nous choisi la vie ?

Le virus qui nous atteint n’a pas abandonné son rôle de révélateur de nos sociétés et de leurs régimes. Aux États-Unis, il vient surinfecter la plaie béante qui divise le pays. L’absurde politisation du port du masque en témoigne déjà et il n’est pas forcément étranger au mouvement Black Lives Matter tant ce sont, là-bas aussi, les minorités raciales qui paient le plus lourd tribut à la pandémie.

Mais alors que celle-ci a connu un regain aux États-Unis, qui prennent le chemin effarant de la catastrophe sanitaire et des 100.000 contaminations quotidiennes, cette crise révèle encore le coût des atermoiements entre la préservation des vies humaines et la sauvegarde des affaires.

Notre « vieille Europe » avec son bagage humaniste n’a pas à rougir de ses choix, elle qui a très majoritairement privilégié la vie. Cependant, le philosophe Olivier Rey pose une belle question lorsqu’il pointe une « idolâtrie de la vie ». Question insolente d’ailleurs pour un milieu chrétien qui semble parfois défendre « la vie » comme un absolu. Pourtant, lorsque Jésus proclame « Je suis la Vie », il annonce bien autre chose que nos qualités biologiques. Quelle est donc cette vie que nous avons sauvegardée ? La vie se résume-t-elle à la vie organique ? Suffit-il de ne pas être morts pour être vivants ? Voulons-nous vivre à tout prix ou sommes-nous encore capables de mourir pour quelque chose ?

L’opposition ne se borne donc pas à la protection de la vie face à celle du business à travers l’obsession de ce monde pour la « reprise de l’économie », mais, au-delà, entre l’être en vie et l’être vivant. La situation des personnes âgées dans certaines maisons de retraite l’a dramatiquement illustré : est-ce une vie que nous avons sauvée lorsque l’un ou l’une de nos aînés est resté alité dans une chambre étroite sans visite ni activité pendant de longues journées ? Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, s’interrogeait encore sur un « État bienveillant (qui peut aussi s’avérer) envahissant et disciplinaire que l’État totalitaire ». N’est-ce pas le risque d’un État qui ne préserve guère qu’une vie organique ?

Tout est toujours affaire de mesure, mais ces questions, qui dépassent la crise actuelle, devraient guider nos choix lorsque, c’est à craindre, nous verrons sur notre sol une résurgence de l’épidémie. Convenons néanmoins qu’il faut encore être en vie pour avoir la liberté de se les poser.

Photo by Zhen Hu on Unsplash

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2 commentaires

  • Bonjour,

    Il est intéressant d’analyser cette crise, mais je suspect que l’on ne peut pas facilement comparer les chiffres. Une grande partie des Etats-Unis est dans une chaleur humide étouffante. On y vit beaucoup en intérieur climatisé, ce qui est probablement très favorable à la propagation du virus. Autre exemple: le Japon, avec un climat similaire, connait un regain de l’épidémie en ce moment. Pourtant, les japonais ont une excellente hygiène et l’habitude de mettre un masque dès qu’ils ont un rhume.

    Je pense qu’il serait trompeur de trop généraliser la bonne tenue de la France dans cette crise. La gestion d’une épidémie est exactement le type de problème pour lequel on a besoin d’une fonction publique de bon niveau scientifique avec le pouvoir d’agir. D’autres problèmes nécessitent au contraire de favoriser les initiatives locales et individuelles. C’est un domaine où, malgré Donald Trump, les Etats-Unis sont encore beaucoup plus forts que nous.

    Je ne crois pas que le choix du confinement soit un choix clair de l’économie contre la vie. Si l’on ne confine pas, on pense favoriser l’économie, mais il n’est pas du tout sûr qu’une longue épidémie soit plus favorable à l’économie qu’un confinement dur et court comme on l’a connu en Chine ou, dans une moindre mesure, en Europe. Naturellement, les gens consommeront moins s’ils ont peur, confinement ou pas.

    Si l’on confine, on ne fait pas que favoriser la vie. Ainsi, en tuant le transport aérien, on a ‘massacré’ les rêves professionnels et la passion des 100 000 personnes, qui en France, dépendent de Safran, d’Airbus, d’Air France. L’économie, ce n’est pas seulement la bourse, c’est d’abord une partie importante de la vie des gens, qui, pour beaucoup, aiment leur travail, et c’est aussi ce qui leur donne les moyens d’avoir une vie familiale de qualité, et parfois, de poursuivre d’autres passions. D’ailleurs, quand les gens perdent leur travail, le reste de leur vie va pire, pas mieux.

    A la fin, il s’agit d’intelligence dans les mesures à prendre: pour combattre l’épidémie, il y a beaucoup de mesures de bon sens qui n’ont aucun impact sérieux: arrêter de se faire la bise, se laver les mains, mettre un masque quand on est enrhumé ou on est dans un endroit bondé. A l’autre bout du spectre, je pense que nous avons pris des mesures contre-productives ou inutiles pendant le confinement comme fermer les parcs (les gens se retrouvaient avec moins d’espace dans la rue !) ou interdire aux citadins d’aller se promener à la campagne, ce qui ne pose a peu près aucun risque et améliore grandement la qualité de vie .

    Pour revenir à l’économie, la France a comme d’habitude fait le choix de beaucoup dépenser et d’accumuler un stock de dette considérable. Personne ne comprend très bien comment la dette des états fonctionne dans l’économie moderne, mais il est très probable que cela pèse sur notre futur, et, là encore, ce ne sont pas que des chiffres de banquiers, mais cela aura un impact concret sur la vie des gens.

    Il est intéressant de se comparer aux Etats-Unis, mais regardons aussi l’Asie, qui, sur certains aspects, semble mieux s’en sortir mieux que nous. Il y a probablement de nombreuses leçons à prendre de ce qui s’est passé à Singapour, Taiwan, en Corée du Sud, au Japon, ou en Chine.

  • Bonjour Koz,

    je me pose les mêmes questions, pour m’être impliqué médicalement dans une unité Covid pendant 4 mois. Nous avons pu sauver quelques vies, et j’ai quelques témoignages assez touchants de patients qui nous portent aux nues malgré les conditions quasi-carcérales du soin. Beaucoup sont décédés vraiment seuls, et nous avons dé-sacralisé la mort. Une fois la colère retombée, le bilan est difficile à discerner, et il nous faudra du temps. Car nous ne sommes pas tous faits pour la médecine de guerre, dans une situation où les institutions se sont effondrées. En l’absence des repères éthiques habituels quand tout vient à manquer, nous attendions une parole institutionnelle de notre Eglise, qui est aussi notre corps vivant et souffrant. En décalage avec ce qui était vécu au milieu de la bataille, cette prise de position (très politique) a quand même eu pour vertu de nous rappeler que la vie ne saurait se résumer au bon fonctionnement des organes. J’ai mille anecdotes à ce sujet, soigneusement gardées dans un journal écrit au jour le jour.
    Merci pour votre blog, que je suis régulièrement et qui est stimulant car loin d’ un prêt-à-porter idéologique.
    Amitiés

    Olivier

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