Voyage vers Sirius

Lancer une consultation à l’objectif fixé d’avance, la confier à une institution qui s’est distinguée par un avis d’un rare esprit partisan, sous la houlette d’une ministre dont la conviction est arrêtée et d’un porte-parole du gouvernement qui ne voit pas d’autres questions à traiter que celles de la mise en œuvre de l’euthanasie (Les Quatre Vérités, France 2, 17 novembre 2022), cela n’était pas encore suffisant. Il fallait aussi changer le vocabulaire. Emmanuel Macron l’a dit au pape : il « n’aime pas le mot euthanasie ». Olivier Véran non plus, car le mot serait « connoté négativement ». Alors, déjà, nos deux ministres s’emploient fidèlement à lui préférer la périphrase « aide active à mourir ». L’art de la litote, probablement. Qualifier l’administration de la mort d’euthanasie était pourtant déjà une sacrée évolution. Ceux qui, les premiers, évoquaient cette « bonne mort » n’avaient pas songé que la mort provoquée puisse en relever, et encore moins qu’elle ne désigne plus que cela. Et pourtant, il faut encore changer. A croire que la violence de l’acte contamine inéluctablement les mots choisis pour le nommer.

L’exécutif est donc allé chercher l’Académie Française, en la personne d’Erik Orsenna, pour réfléchir à la sémantique de la fin de vie. L’homme de lettres nous concoctera-t-il une locution de son cru pour enrober la seringue ? Poétique ? Pourquoi pas « voyage vers Sirius », évocateur quoiqu’un peu trivial et discrédité par l’Ordre du Temple Solaire. Gourmand ? Si l’on essayait « caramels mous » ? Cela n’a rien à voir avec l’acte mais, au moins, c’est connoté positivement et cela passerait crème dans les couloirs d’un EHPAD. Pour un acte pratiqué essentiellement sur des personnes âgées, cela présenterait même l’avantage de leur rappeler leur enfance au moment du départ.

Ces efforts appliqués pour maquiller la réalité pourraient être cocasses s’ils n’évoquaient par trop cette novlangue orwellienne qui s’empare du langage pour emporter les esprits. Dans le même temps, dans l’émission 27 sur Arte, le gériatre Bert Keizer, euthanasiste depuis 14 ans, l’assumait pleinement : des personnes en fin de vie aux personnes âgées ou dépressives, « oui, trois fois oui, il y a une pente glissante, on est dessus (…) On va toujours ajouter de nouvelles catégories, et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose ». Puisque l’on vous dit que c’est pour les aider à mourir…

Chronique du 22 novembre 2022

Photo by Ashwini Chaudhary(Monty) on Unsplash

2 commentaires

  • Merci. Mais que puis-je faire moi, citoyenne lambda ? faire suivre votre chronique, mais à qui ? Je ne communique guère qu’avec d’autres tout aussi « lambda » que moi.

    • Si quelques personnes résistent, même seulement dans leur for intérieur, c’est déjà pas mal. Ça vaut toujours la peine de rester droit dans ses bottes même si on est seul à le faire.

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