Que reste-t-il ?

Emporté par la foule et par la flemme qui ont saisi les médias, j’ai demandé à CHAT-GPT3 de trouver pour moi des idées de chronique et, accessoirement, d’écrire un poème d’amour à ma femme, ce qui est excessivement blâmable. Ce fut plat et convenu, fidèle à la programmation de la machine, plus férue de probabilité que de créativité. Cette nouvelle application de l’intelligence artificielle reste stupéfiante pour accomplir ces tâches – intellectuelles peut-être mais originales, certainement pas. Ces imperfections ont vocation à disparaître au gré de son alimentation par les utilisateurs, et des prochaines versions. Une autre application, VALL-E, mise au point par Microsoft, est en mesure d’imiter parfaitement toute voix dont on lui fournit un simple échantillon de 3 secondes.

Nul n’est encore en mesure d’évaluer convenablement les implications de ces innovations. Se pose directement la question de la crédibilité de ce que nous verrons, lirons, entendrons. Permettez-moi une incursion judiciaire : quelle force probante aura demain un quelconque enregistrement vocal ? Inversement, comment prouver que vous n’avez pas dit ce que votre voix énonce ? Les signatures numériques destinées à identifier les productions artificielles tiendront-elles longtemps ? Si ces outils sont en mesure de produire sous peu une réplique vidéo de vous-même, avec votre voix, vos attitudes et demain vos répliques les plus probables, comment croire à la moindre expérience à distance ?

Les innovations de rupture provoquent toujours un vertige initial, masquant parfois leurs opportunités. Mais au-delà de ses propres atouts, l’IA finira-t-elle par contraste par rehausser le circuit court, l’échange local, l’expérience sensorielle immédiate ? Croire qu’il ne nous restera rien serait avoir une piètre idée de la nature humaine. Certes la production et le principe même de la valeur économique pourraient en être bouleversés. Est-ce la tout de l’Homme ? Pourrions-nous demain trouver une saveur décuplée à l’expérience humaine sans filtre ni écran ni enregistrement, le concert acoustique, le théâtre peut-être, la rencontre certainement ? Les embruns dans le vent ? Et puis l’authenticité d’un regard, le grain d’une peau aimée, la caresse faite main. Quelle intelligence artificielle exprimera jamais la tendresse et la compassion, comme peut le faire notre semblable, qui souffre et aime comme nous ?

Chronique du 17 janvier 2023

Photo de Xu Haiwei sur Unsplash

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