Liberté, j'écris ton nom. Et après, on fait quoi ?

La mort d’Alexandr Soljenitsyne tombe étonnamment à point pour moi.

Soyons franc : je suis presque vierge en Soljenitsyne. J’ai lu Une journée d’Ivan Denissovitch mais n’ai même pas entrepris la lecture de l’Archipel du Goulag… et je m’en veux un peu moins quand je pense à tout ce que je n’ai pas davantage lu par ailleurs. Je connaissais le dénonciateur du communisme, avais eu vaguement vent des quelques polémiques qu’un homme de sa trempe ne pouvait manquer de provoquer. D’où l’intérêt des nécrologies: d’incultes blaireaux comme vous et moi en ressortent un peu moins cons. Si tant est que le travail n’est pas salopé, cela va sans dire.

Mais voilà que, à l’occasion de ce moment unique dans la vie d’un homme qu’est son décès, je lis – d’abord chez Patrice de Plunkett[1] – des extraits d’un discours prononcé par ledit Soljenitsyne en 1978, à Harvard . Pas plus surpris que ça de le lire chez Plunkett, puisque c’est son dernier livre, L’écologie, de la Bible à nos jours, qui m’a plongé dans un questionnement que je qualifierais volontiers d’ontologique si je savais plus précisément ce qu’ontologique veut dire.

Et c’est en cela que la mort de Soljenitsyne tombe à pic. J’étais, en effet, dans le train qui me ramenait de la félicité vers le labeur, et je rédigeais l’ébauche d’un billet sur la liberté. Une tâche que j’ai interrompu lorsque j’en suis venu à me convaincre que je ne faisais qu’exprimer de façon compliquée ce que chacun comprend intuitivement. Or je trouve dans le discours de Soljenitsyne, Le déclin du courage en Occident, des accents qui viennent donner un peu de densité à mon propos. Je m’étonne, m' »amuse » de la coïncidence et, de fait, ce billet est un mélange de mes préoccupations et de l’écho que j’en ai trouvé dans ce texte.

*

*       *

On l’aura peut-être suffisamment lu, ces jours-ci : Soljenitsyne n’est pas seulement l’homme de la dénonciation du communisme, du socialisme. A peine quatre ans après son arrivée à l’Ouest, il a également vigoureusement secoué l’Occident, en dénonçant ses faiblesses, son matérialisme, son hédonisme. Trente ans plus tard, on peut relire ce texte comme une dénonciation actuelle[2]. Je lis en effet qu’il condamnait les excès, les « dérives de la liberté« . Je lis aussi, chez Libé, que « condamnant les deux systèmes — le communisme et le capitalisme — il appelle à franchir «une nouvelle étape anthropologique»« . Voilà peut-être, avec le titre du présent billet (choisi avant la mort de Soljenitsyne) ce que je voulais exprimer. Il ne s’agit en effet évidemment pas de dénigrer la liberté. Mais, une fois « liberté » écrit sur mon cahier d’écolier, il me semble nécessaire d’aller plus loin.

Ce fut d’abord, dans la même veine, une phrase de Marcel Gauchet qui m’a lancé dans ces interrogations. Cette phrase, prononcée dans une interview donnée à Libération le 16 février 2008[3] est la suivante :

« La crise actuelle a ceci d’extraordinaire qu’elle résulte d’une prise de pouvoir par les fondements : à être invoqués sans cesse, les droits de l’homme finissent par paralyser la démocratie. Si la démocratie peut être définie comme le pouvoir d’une collectivité de se gouverner elle-même, la sacralisation des libertés des membres de la dite collectivité a pour effet de vider ce pouvoir de sa substance. »

Car la liberté ne peut-être tout. Pour reprendre une formule lue ailleurs, la liberté ne se justifie pas elle-même, elle « ne peut pas trouver en [elle-même] le principe de sa propre légitimation« .

Elle semble pourtant être l’argument ultime de beaucoup alors qu’elle n’est qu’un cadre, pas un critère. La liberté de l’Homme est celle de faire un choix. Aller à droite, ou tout droit. Agir, ou s’abstenir. Mais ce choix lui-même est neutre. Il n’est qu’un processus. L’Homme choisit le Bien ou le Mal (le moindre mal, comme le moindre bien). Mais le fait de choisir n’est pas en lui-même le Bien ou le Mal.

Bien sûr, on préférera la liberté de faire le mauvais choix, à la contrainte de faire le bon. Notamment parce que c’est la dignité de l’Homme. Mais peut-on s’en contenter, dans une société telle que la nôtre, dans laquelle nier que nous soyons libres relève de la polémique… ou de la philosophie ?[4] La liberté est une exigence, un pré-requis, un préalable. Soit. Mais une fois ceci globalement atteint, n’y a-t-il plus d’autre but à atteindre ? Ou l’Homme, l’Occidental alangui, doit-il simplement se repaître d’avoir atteint cet objectif louable mais insuffisant qu’est la liberté ?

J’aime assez ce qu’écrit François Miclo, dans Causeur, à propos de Soljenytsine cette fois:

« Lorsqu’en février 1975 il arrive à Paris pour y donner une conférence de presse, il fulmine contre l’Occident : l’Ouest se satisfait de la réalité soviétique qui est, tout à la fois, un miroir et un épouvantail ; elle permet à la société de consommation occidentale de trouver sa justification… »

Ce constat n’est-il pas exact aujourd’hui encore ? Évidemment, nous avons changé de miroir, comme d’épouvantail. Nous prenons en exemple les grands régimes autoritaires du monde, nous prenons en exemple, surtout, le fanatisme islamique, qui nous conforte dans le bien-fondé de nos choix, servant d’antithèse trop commode à notre société. Nous le faisons d’ailleurs avec un excès suffisant pour permettre aux mêmes fanatiques de se servir pareillement de nous comme d’un miroir et d’un épouvantail. Mais l’Occident doit-il garder les yeux rivés sur ses adversaires, et marquer le pas dans son progrès, se figeant sur une conception de la liberté qui finit par faire d’une société une simple coexistence d’individus ? Ou doit-il poursuivre son propre chemin, son évolution… vers, donc, « une nouvelle étape anthropologique » ?

Et puis, une certaine conception de la liberté n’est-elle pas un renoncement à vivre en communauté, en société ? Cette renonciation fasse à l’éthique, à la morale, autres qu’individuelles, intimes et finalement tues, J’en reviens à ce que disait Marcel Gauchet : de fait, la collectivité se gouverne-t-elle toujours, en tant que collectivité ? Ou n’est-elle plus que l’agencement de libertés individuelles, de droits individuels ? Comme une résignation, après un siècle d’idéologies meurtrières, comme un donné acte au « chacun dans son coin »[5] ? De la « main invisible » à « c’est mon choix« , son succédané télévisuel, le choix et la liberté sont valorisés. Peut-être sacralisés. A certains degrés, ils en viennent à étouffer le débat : faut-il seulement s’interroger sur le caractère éthique, moral, d’une pratique ?

*

Dans la foulée, que dit, donc, Soljenitsyne, dans ce discours de 1978[6], qui éveille ainsi mon intérêt[7] ?

Une remise en question des buts assignés à l’homme, ou plutôt à l’individu :

« Si l’homme, comme le déclare l’humanisme, n’était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette terre n’en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d’acquisition, puis de joyeuse dépense des biens matériels, mais l’accomplissement d’un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l’expérience d’une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés. »

Surtout, en prolongement du véritable thème de ce billet, une critique de l’organisation légaliste de nos sociétés. C’est en fin de compte une suite de la sacralisation des libertés (des droits individuels, pour reprendre Gauchet). Combien de fois entend-on ce qui s’apparente au paradigme de nos sociétés : « la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres » ? Voilà qui nécessite, pour faire la balance, le recours au droit, à la loi, au juge. Et, comme le dit Soljenytsine, la loi devient l’horizon indépassable, comme une conciliation définitive des intérêts en jeu (alors pourtant qu’elle est si contingente).

« La société occidentale s’est choisie l’organisation la plus appropriée à ses fins, une organisation que j’appellerais légaliste. Les limites des droits de l’homme et de ce qui est bon sont fixées par un système de lois ; ces limites sont très lâches. Les hommes à l’Ouest ont acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l’aide d’un expert. Tout conflit est résolu par le recours à la lettre de la loi, qui est considérée comme le fin mot de tout. Si quelqu’un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être opposé ; nul ne lui rappellera que cela pourrait n’en être pas moins illégitime. Impensable de parler de contrainte ou de renonciation à ces droits, ni de demander de sacrifice ou de geste désintéressé : cela paraîtrait absurde. On n’entend pour ainsi dire jamais parler de retenue volontaire : chacun lutte pour étendre ses droits jusqu’aux extrêmes limites des cadres légaux. »

Je ne peux pas m’empêcher de relier ce que je lis ici de ce que lisais ailleurs, sous la plume de Jean-Claude Guillebaud[8] :

« Et puis, comment oublier que le droit n’est jamais qu’une mise en forme de principes, croyances, représentations qui seuls lui fournissent sa légitimité. (…) Le droit, en d’autres termes, est à la fois déterminant et infirme. Qui l’a fait peut le défaire. (…)

Mais là n’est pas le  plus important. Le juridisme optimiste pèche aussi par étourderie. Il semble oublier une logique mille fois vérifiée et qui tient en peu de mots : quiconque s’en remet au droit et à lui seul pour asseoir la cohésion d’une société s’expose à la prolifération de celui-ci. C’est un fait que nos sociétés déboussolées ont tendance à combler le vide qui les habite par un recours de plus en plus tatillon et obsessionnel au droit positif. »

Le juridisme, inséparable compagnon de l’excès des libertés ? Avouez qu’il y aurait là un beau paradoxe si l’on établissait que le libéralisme est intrinsèquement créateur de normes, condamnant l’idéal, l’utopie, à se fracasser dans le réel. Vous me direz qu’une idée trop paradoxale a de fortes chances d’être erronée, mais j’avoue que celle-ci m’amuse, me séduit.

Pour Soljenytsine, « la société occidentale nous révèle qu’il règne une inégalité entre la liberté d’accomplir de bonnes actions et la liberté d’en accomplir de mauvaises« . Prenant un exemple que je préciserais volontiers, il souligne que :

« D’un autre côté, une liberté destructrice et irresponsable s’est vue accorder un espace sans limite. Il s’avère que la société n’a plus que des défenses infimes à opposer à l’abîme de la décadence humaine, par exemple en ce qui concerne le mauvais usage de la liberté en matière de violence morale faites aux enfants, par des films tout pleins de pornographie, de crime, d’horreur. On considère que tout cela fait partie de la liberté, et peut être contrebalancé, en théorie, par le droit qu’ont ces mêmes enfants de ne pas regarder et de refuser ces spectacles. L’organisation légaliste de la vie a prouvé ainsi son incapacité à se défendre contre la corrosion du mal. »

*

*     *

Que conclure de tout cela ? Parce qu’il faut conclure, bien sûr. Pour ne pas avoir l’air de penser en l’air. Et pour satisfaire ceux qui n’auront fait que jouer de la molette du haut en bas de ce billet qu’ils auront trouvé encore trop long.

Encore un mot de la part de Soljenytsine, qui vaut bien d’être cité en conclusion :

« La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense contre les initiatives de quelques-uns. Il est temps, à l’Ouest, de défendre non pas temps les droits de l’homme que ses devoirs. »

Je pourrais aussi citer ne serait-ce que le titre de cette conférence de Marcel Gauchet, en plein dans mon sujet, que la Providence et un moteur de recherche m’ont fait trouver : « libres mais désorientés« . Voilà peut-être le fond de mon problème : ne me les brisez pas avec la liberté. Certes, je suis libre, autant qu’on peut l’être, et je me réjouis de l’être. Mais là n’est pas l’absolu de ma vie. Abandonnons les « y’a pas d’mal à s’faire du bien« , les « je juge pas« , les tolérances atrophiantes, et cherchons collectivement à nous élever, « à quitter cette vie en créatures plus hautes que nous y sommes entrés« . Mais, allez, je cite encore Marcel :

« Ce que nos sociétés réussissent de moins en moins à faire […], c’est donner à ces mêmes individus le sentiment de leur place dans l’histoire et la mesure de la solidarité avec un chemin dont il leur revient d’inventer la suite. (…) Peut-être est-ce le motif le plus profond de l’incapacité si remarquable de nos sociétés à se représenter un avenir quelconque. S’il y a une chose dont elles ne sont pas sûres, c’est d’être capables de se donner un avenir à la hauteur de leur passé. »[9]

Cherchons. Cherchons du sens. Manifestons au moins le désir de chercher. Au risque de nous affronter. Mais l’affrontement vaut mieux qu’une mort lente au bout d’une vie fade, n’est-ce pas ?

  1. avant Libé []
  2. peut-être à cause des fameuses « années de retard » que nous aurions sur les Etats-Unis []
  3. et citée dans le livre de Plunkett []
  4. De la psychanalyse ? []
  5. et je soulignerais d’ailleurs aussi ce passage de l’entretien donné par Marcel Gauchet : « Dans les années 2000, à l’opposé, le problème, c’est le triomphe des droits individuels et l’éclipse des collectifs, qu’il s’agisse des masses, des classes ou des nations.«  []
  6. que je vous invite à lire pour ne pas vous fier à mes seules citations []
  7. je n’insiste pas sur un point, une critique du système médiatique, qui pourtant me paraît mériter d’être souligné : « De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d’Etat touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l’intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais c’est un slogan faux, fruit d’une époque fausse ; d’une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n’a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d’information.«  []
  8. La refondation du monde, ed. points, page 24 []
  9. bon, allez, je citerais aussi ce passage-ci : la frustration des citoyens « s’exprime dans leur ambivalence à l’égard des détenteurs du pouvoir. Ceux-ci se voient du même mouvement sommés de s’abstenir et accusés de ne rien dire. Il leur est simultanément demandé et reproché de se contenter de gérer. Ils ne sont que les gardiens du cadre où s’exercent les libertés, cela leur est constamment rappelé, contre toute tentation d’officialiser une conviction privée. Car c’est aux individus et à eux seuls qu’il appartient de se proposer des fins et de se revendiquer de valeurs dernières. []

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67 commentaires

  • Soyez rassurés, après la crise périodique de prise de caboche, le prochain billet sera consacré aux seuls paysages cantaliens 😉

  • @ Koz

    L’analogie – judicieuse – entre la crainte, en Occident, du « péril rouge » pendant la Guerre froide, et, depuis, du « péril vert » (islamiste), doit à mon sens conduire à une interrogation sur la nature de la civilisation occidentale : n’est-elle pas devenue une « anti-civilisation », qui, à force d’avoir voulu rompre avec des racines particulières (judéo-chrétiennes et gréco-romaines) pour accéder à l’universel, a fini par ne plus se définir que par opposition aux autres civilisations (Russie, Chine, Islam, Inde, Japon, etc.) ? La question mérite d’être posée, car il semble que cette définition de l’identité de l’Occident soit l’un des principaux enjeux du XXIe siècle naissant.

  • Quand j’ai eu fini la pile de Langelot et autres bibliothèque verte qui trainaient chez mes grands-parents en Bretagne, je suis descendue en douce dans le bureau, j’ai ouvert la vieille bibliothèque fermée à clef et j’ai regardé le monde en face.
    Parmi tous ces livres déposés pèle-mêle sur les étagères sombres, un vieux livre de poche a retenu mon attention. Une tranche déjà abîmée, une couverture en gris et noir. Un titre: Le Premier Cercle. Un auteur: Soljenitsyne.

    En m’attachant aux pas de Michel Strogoff, Jules Verne avait fait vibrer en moi la corde de l’âme slave. En ouvrant Soljenitsyne, ce sont les démons que l’on rencontre. On plonge en apnée dans un monde froid, dur, inconnu. Le seul fil qui nous retient encore au réel, ce sont ces mots, unis les uns aux autres qui donnent un sens, forment une ligne de vie. Pour l’écrivain qu’il était et pour la jeune lectrice que je fût.

    J’avais 12 ans. Je n’ai pas lâché ce livre du début à la fin. Combien savent quand ils sont devenus adultes? Combien d’œuvres nous construisent? Celle-ci fait partie intégrante de moi.
    Je l’ai relu cet hiver, dans une période assez troublée. La même force. Le même monde contre lequel on se cogne la tête. La même petite ligne de vie. Un mot, un autre, et encore un autre.

    J’ai gardé ce même livre de poche. Il est là à mes côtés. Un compagnon. Un miroir. Un espoir aussi.
    Une invitation à ne pas lâcher prise.

    = = =

    Koz, tes réflexions sur la liberté sont passionnantes. La philosophe qui sommeille en moi s’est réveillée d’un coup. Commentaire sur le fond du billet à suivre donc.

  • La liberté? Pour quoi faire? Cette exclamation un peu provocatrice était l’une des réponses opposées au siècle dernier aux nationalistes qui voulaient secouer le joug de l’empire austro-hongrois pour les uns, de l’empire britannique pour les autres, en Irlande notamment.
    Oui, que doit-on faire de la liberté?
    Pas n’importe quoi c’est évident. Mais pas pour tout le monde. Le mot du Divin Marquis « il me plaît à moi d’être mauvais, qui donc s’opposera à ma volonté? » semble être compris avec beaucoup d’indulgence par certains,en Occident.
    Il faut voir les polémiques ici même lorsqu’il fut suggéré d’écarter d’une manière ou d’une autre des individus dangereux pour la société. On aurait facilement tendance à privilégier l’individu, même mauvais au sens où Sade l’entend dans la citation ci-dessus, contre le groupe pourvu que la loi le permette. Soljénytsine a raison, le droit est souvent dévoyé en Occident. A force de vouloir protéger toutes les libertés on finit par nuire à la liberté des plus fragiles.Un jour où j’assistais au grand oral de l’ENA, le président demanda à un candidat « en un mot quelle est votre définition de la justice » et le candidat de répondre « c’est le progrès social ». On ne peut que lui donner raison à condition que la justice, le droit, la loi, soient au service de la société et non pas un moyen d’empêcher la société de fonctionner pour le bien-être de tous.
    Equilibre et bon sens devraient donc régir notre « vivre ensemble ». Ce n’est pas toujours le cas.

  • @Criticus : je serais plutôt d’accord avec toi sauf que l’Occident, ou tout au moins beaucoup d’intellectuels en Occident, est/sont plutôt fasciné(s) par les périls qui le guettent et n’entendent pas vraiment s’y opposer. Quand Soljénitsyne passa à Apostrophes en avril 1975 (et l’influence de son intervention fut considérable, il ouvrit les yeux de beaucoup), Saïgon venait de tomber. Pour Soljénitsyne c’était une victoire du communisme, un nouveau pays qui se trouvait derrière le rideau de fer, ou de bambous. Eh bien les intellectuels de gauche qui se trouvaient sur le plateau y voyaient une victoire de la liberté.Jean Daniel qui était pourtant subjugué par Soljénitsyne lui dit qu’il lui faisait de la peine…On a vu la suite. Alors naïveté des intellectuels occidentaux, ou compromission?

  • Je parlerais plutôt de sidération, une sidération comparable à celle des lapins qui traversent une route de nuit : ceux qui voient arriver une voiture ne peuvent détourner le regard des phares de celle-ci…

  • Ce billet, son sujet, pour moi est la plus parfaite illustration par opposition du précédent traitant de « l’occident alangui etc… ».
    Bien sûr, ça ne s’arrête pas là. Bien sûr, le billet, les commentateurs ont déjà ouvert des voies de réflexion fines, profondes, universelles…
    Bon…pour moi, Soljenitsyne, c’est l’homme qui a touché du doigt la mort. Toute la mort. Celle de sa patrie et de son armée, la sienne propre, celle de son pays en plus de sa citoyenneté.
    Il ne parle pas de vie mais de non-mort. Il ne parle pas d’être libre mais de ne pas être asservi. Il ne parle pas de révolution mais de calculs pour faire croire qu’elle est indispensable. Il ne dit pas que le « aimez vous les uns les autres » est une erreur, il dit qu’à ce moment, ça ne peut pas suffire. Il ne parle pas d’un Occident merveilleux mais il lui demande d’être solide …
    Tout ce que toucher véritablement la mort du doigt engendre chez une intelligence grande et vive.

  • Ce qui est difficile avec la liberté, c’est que la notion communautaire et la notion personnelle de ce terme ne se rejoignent pas. Entravé dans un pays libre, indépendant sous un régime totalitaire, ces deux situations peuvent être prises en exemple pour bloquer toute réflexion sur le sujet. Du je au nous, le concept n’est pas facile à manier.
    Parler de La liberté ou des libertés, là encore, la subtilité du vocabulaire peut vite embrouiller le débat. Je vais laisser la Liberté accrochée en haut du fronton, avec ses deux copines Égalité et Fraternité.

    Comme tu le soulignes, dans notre société (française), il est difficile de nier que nous avons beaucoup de libertés. On en prend même parfois aussi.
    Ces libertés nous ont-elles libérés? Il y a bien une chose dont nous ne serons jamais libérés: notre condition humaine. Cette condition nous impose un combat à mort avec la Nature et avec notre propre nature. Sans combat, point de survie, c’est la mort ou la folie. Et les autres dans tout ça? En tant que partenaires pour lutter face à la Nature, leur présence est plutôt libératrice. En tant que semblables, ils peuvent être une aide dans la lutte de chacun avec lui-même. En tant qu’ils viennent empiéter sur mes besoins et mes envies, et moi sur les leurs, nous ouvrons conjointement un troisième front fratricide pour défendre nos libertés respectives.
    – Nous voici donc avec trois libertés à défendre : liberté de survie, liberté d’être soi-même et liberté… d’être libre (de ne pas être écraser par le désir ou le besoin de l’autre).

    A quoi cela nous mène-t-il dans nos sociétés modernes occidentales? La liberté de survie est ici disponible pour une majorité. La liberté d’être soi et les possibilités de développer son potentiel également. Par contre, il me semble que nous sommes bien empêtrés dans nos rapports avec les autres. Autres à l’intérieur de la communauté et autres à l’extérieur.
    Le fait que nous n’ayons plus à lutter quasi quotidiennement pour notre survie, le fait qu’un monde de possibles se présente à nous pour chaque décision, grande ou petite ; tout cela finalement nous laisse à la fois plus de temps pour développer les conflits entre nous, et plus de confusion quant à la façon de les régler.

    Arrive la Loi. Les lois. Les droits. Ton paradoxe sur « le juridisme, inséparable compagnon de l’excès des libertés » vient nous faire un petit coucou discret. Pour pacifier un peu ces relations avec autrui au prétexte de pouvoir savourer une liberté chèrement acquise par ses ancêtres en ingurgitant son McBurger vêtu d’un T-shirt siglé « I am me », l’homme occidental moderne n’a trouvé que cette seule parade: développer le recours à la loi, humaine, trop humaine.
    La loi n’est pas une réponse, c’est un outil ; comme tel ceux qui le manient le mieux (les procéduriers) ont un avantage certain sur les autres, ce qui ne fait que renforcer la nécessité du recours à la loi pour ceux-ci, spirale infernale d’une comédie qui n’a plus rien de divin.
    Et nous voilà, coincés entre cette immense liberté dont nous pouvons disposer presque à tout moment et ce carcan législatif exponentiel qui nous contraint chaque jour un peu plus, collectivement et individuellement, à revoir nos prétentions à la baisse. La loi se présente comme de multiples écrans transparents, plus ou moins hauts et solides, placés entre moi et la Nature, moi et les autres, moi et moi-même.

    Etape nécessaire? Peut-être. En tout cas, c’est là où nous sommes, cela ne veut pas dire que c’est là que nous devons rester. La « nouvelle étape anthropologique », si c’est ce vers quoi nous devons tendre, devra nécessairement se situer dans notre rapport à l’Autre. Un autre spirituel comme le suggère ce que je lis de Soljenitsyne dans tes extraits? C’est une piste. Mais pas seulement. Renouer des liens avec les autres nous-mêmes que sont nos semblables, c’est à mon sens, retrouver ensemble cette lutte contre la Nature.
    « L’homme est un loup pour l’homme » que s’il n’a rien de mieux à faire. Même chaotique, le destin des communautés humaines n’est pas de se terminer fatalement dans les mares de sang des films pour adolescents gavés au pop corn et au coca.
    Regarder l’horizon, plutôt que son nombril. Caler son pas sur celui du plus faible. Et avancer.
    On est très près de la notion de « new frontier » si chère aux Américains. Le projet qui permet de souder un groupe pour affronter ensemble des épreuves impossibles pour un seul et qui pourtant forgent chacun individuellement. J’ai l’impression qu’avec la candidature d’Obama, les Américains redécouvrent cette idée « d’ensemble ».

    Qu’en est-il chez nous, en Europe, en France? Il me semble que nous devons trouver nos propres chemins, qui seront différents de ceux des américains. La construction de l’Europe pourrait (aurait pu) devenir un projet de communauté à porter conjointement, mais c’est peut-être un trop gros morceau. Nous sommes déjà peut-être allés trop loin dans notre liberté de ne pas participer, pour faire des projets à l’échelle nationale.
    La difficulté étant de pouvoir se laisser développer des projets de communion sans tomber dans les projets communautaires. Sortir des idées de compétition entre groupes ou individus pour promouvoir le concept de rassemblement : ensemble, vers un but commun, que tout le monde doit atteindre.

    Koz, tu cites Marcel, je vais citer Axel :

    Plus personne ne croit qu’il existe un projet collectif qu’il revient à la communauté de mener à terme. Ce qui s’effondre, ce qui a déjà disparu dans les brumes de l’histoire, c’est l’interprétation rousseauiste de la société humaine. Tout devoir vis-à-vis d’autrui s’est évanoui, dès lors qu’il n’est ni un partenaire [sexuel ou commercial], ni l’un des siens. Le concept de communauté de destin librement affronté par des citoyens solidaires est devenu étrange.
    Axel Kahn, « L’Homme, le Bien, le Mal » p.333

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  • Si le Bien c’est l’éthique, la morale, on peut attendre que chaque personne inscrive ses actions et ses choix dans cette optique là : bien agir, agir de façon morale.

    Viens ensuite la question : qu’est-ce qui est moral ? Chacun est certes face à sa conscience pour y répondre, mais la communauté a, pour protéger l’intérêt collectif, mis des règles pour donner des réponses à cette questions : la loi. Celle-ci est d’ores et déjà l’incarnation de l’éthique collective. Tout du moins dans les pays démocratiques.

    Car on peut regretter que les autres hommes n’agissent pas de façon aussi morale qu’on le souhaiterait, que la liberté dont ils profitent est mal utilisée, mais je ne vois pas de salut hors la loi déterminée par les collectivités. Car l’existence d’un sens moral supérieur unique et indépendant n’a rien d’évident, mis à part de croire que la vision morale de l’un peut s’appliquer à tous sans chercher plus loin. Et alors, on prend qui comme référence ?

    Enfin, j’aurais bien du mal à qualifier le monde actuel de décadent. Il faudrait commencer par trouver l’époque de référence. Cela peut être néanmoins un débat intéressant, mais je n’ai tout de même pas le sentiment qu’il faille s’attaquer au « légalisme » de la société, alors que le problème posé s’apparente davantage à une crise de l’autorité (car les citoyens ont d’ores et déjà des devoirs). Et l’autorité passe par la loi.

  • Bon, alors si Koz se met à faire du ‘Gai-Luron’ pour les nuls, moi je perds mes repères ! Billet passionnant.

    Un petit problème : la liberté est trop conçue comme un cadre, un état, un dispositif . Je veux dire par là que la liberté est aussi un espace en construction permanente, car même lorsqu’elle n’est pas nommément menacée, elle peut être rognée chaque jour. Pour saisir cela il faut d’ailleurs penser AUX libertés (Ca oblige à la précision mais ça donne un contenu plus concret au concept) Car en fait la Liberté est la somme DES libertés.

    Un phrase retient mon attention : « l’affrontement vaut mieux qu’une mort lente au bout d’une vie fade » : je m’amuse à la replacer virtuellement dans les billets de Koz concernant l’euthanasie, pour en voir les effets de sens.

  • @criticus
    Il est vrai que la question de l’identité de l’Occident se pose, mais je ne suis pas certain que celle-ci soit totalement inconnue. A mon humble avis, nous avons du mal à nous analyser nous même. Il est très difficile de prendre du recul sur sa propre « civilisation », celle dans laquelle on a baigné des pieds à la tête. Mais il me semble que pour un chinois, pour un nigerian, pour un philippin, le mot Occident représente une civilisation dissociable et définie. Il n’y a qu’à voir notre incapacité totale à concevoir l’attachement fidèle des chinois à leur régime, à tolérer la polygamie, à essayer d’analyser objectivement les causes des guerres ethniques en Afrique. Nous avons des valeurs fortes, précises. Nous avons une manière de voir les choses très spécifique. Nous avons des idées préconçues identifiables. C’est notre volonté de les rendre uniiverselles qui nous a fait oublier qu’elles sont en réalité propres à nous. Et qui nous fait avoir peur de celles des autres, car pour nous non universelles.

  • Merci de ce long billet Koz, il sort tes lecteurs de leur torpeur estivale !

    Sur cette question du légalisme, je recommande la relecture du discours sur la tyrannie démocratique de Tocqueville (De la Démocratie en Amérique, Livre Second, Quatrième Partie, Chapitre VI). Son acuité trouve bien des échos dans la pensée de la décadence occidentale selon Soljenitsyne, et dans tes propres réflexions.
    « Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. »
    http://www.respublicanova.fr/spip.php?article108&PHPSESSID=22df84f925a18911ac81c83e970e4f28

    Philo souligne dans un commentaire plus haut que « La loi n’est pas une réponse, c’est un outil ». Toujours la même question du Pourquoi plutôt que du Comment. Nihil novi sub sole…
    Pour ma part, si nous avons besoin d’une nouvelle étape anthropologique, je pense qu’il faut d’urgence nous tourner vers des « experts en humanité » ! Un élément de réponse peut-être : « Voyant la foule, Il fut ému de compassion pour elle, parce qu’elle était languissante et abattue, comme des brebis qui n’ont point de berger ». (Mat 9, 36).

  • Au risque de me répéter, ici ou ailleurs, je vous incite vivement, pour prolonger vos réflexions sur le rapport Liberté-Libéralisme-Droit-Individualisme (que je remplacerais plutôt par le concept de Narcissisme), à lire le dernier opuscule de JC Michéa, L’empire du moindre mal, puis dans son prolongement, Christopher Lasch, La Culture du Narcissisme. Et sur le sens à re-donner au collectif, à vous pencher sur les approches maussiennes.
    Un des commentateurs a cité Axel Khan faisant référence à Rousseau et à sa « communauté de destin librement affronté par des citoyens solidaires », voilà une bien belle définition de la République, et voilà pourquoi l’Idéal Républicain est à la fois plus que jamais en danger aujourd’hui et plus que jamais une utopie refondatrice pour l’avenir.

  • La liberté et après…

    La grande question arrive tout de suite derrière :

    comment l’Homme peut-il transcender sa condition de mortel ?

    qui chez nous deviendrait plutôt en ce moment :
    comment l’Homme peut-il oublier sa condition de mortel ?

    Soljenitsyne n’est pas consensuel, il est russe, nationaliste, il incarne à lui tout seul la résistance au totalitarisme (communiste au cas présent mais à toute ses formes au-delà) il rejette l’Occidental et son absence de vigueur morale.

    Peut-on vivre une vie douillette protégé des intempéries et des prédateurs, des travaux abrutissants et avoir une vigueur morale ?

    Cette vigueur morale ne se nourrit-elle pas de combats et d’adversaires ?

    Faut-il souffrir pour ne pas s’alanguir ?

    La liberté comme l’asservissement ne sont-ils pas en nous avant que d’être accordés ou imposés par d’autres ?

    La seule réponse serait alors individuelle et non collective.
    Apprenons à penser à nos enfants, c’est l’individu qui façonne la collectivité et non l’inverse.

  • à tous,

    je rejoins Philo dans sa fascination pour Soljénitsyne; c’est un maître littéraire et une véritable conscience universelle.

    Je vous recommande tout particulièrement « la maison de Matrionna » (recueil de nouvelles) et « les tanks connaissent la vérité » (théâtre). Ces textes sont à la fois magnifiques et glaçants!!
    Deux autres textes sont aussi passionants: « les invisibles » dans lequel Soljénitsyne explique comment ces oeuvres sont passées à l’Ouest, et « Le chêne et le veau » où Soljétsyne explique son combat contre les autorités soviétiques avant son expulsions d’URSS.

    Un autre aspect intéressant de Soljénitsyne est son intransigeance et son indépendance d’esprit vis-à-vis de l’Occident qui est tout à fait représentative d’une large partie de la dissidence issue de l’URSS. Outre Soljénitsyne, un autre dissident est un parfait représentant de cette intransigeance: Zinoviev, auteur de textes passionnants sur les difficiles relations dissidents/Occident regroupés dans le livre « nous et l’Occident »

    Pour finir, Philo, peut-être serez vous intéréssé par le livre de Georges Nivat, « sur Soljnétsyne ». Georges Nivat est un spécialiste de la littérature russe et son étude littéraire donne de nombreuses clés pour comprendre l’oeuvre de Soljénitsyne.

    Bonnes lectures à tous et bonnes vacances ,
    edouard

  • La portée polémique de la critique du droit porté par ce billet me laisse pantois et puisqu’il me semble qu’une contradiction est nécessaire, je veux bien m’y essayer.

    Sans vouloir rentrer dans des débats oiseux sur la définition de la liberté, j’aimerais souligner que la/les liberté(s) ne se comprennent et n’ont un sens opérant que dans un espace de droit. Qui veut s’en convaincre ira lire la DDHC.

    Le droit n’est pas parfait puisqu’il est humain, certes. Il n’a pourtant pas d’alternative. En dehors du droit, il n’y a que le rapport de force.

    Appeler à moins de droit, moins de « juridique » c’est simplement regarder en arrière en regrettant l’époque où tout se réglait en coulisse. Qui peut gagne et voilà tout. Pourquoi s’embarrasser d’un procès ?

    Les dénonciations de Soljenytsine sont significatives (je n’ai pas lu Soljenytsine, mais j’en juge par les extraits présentés ici ou ailleurs). Il regrette la déliquescence de l’ordre moral, du nationalisme, des valeurs enfin … Tout ceci m’évoque le fascisme !

    Je ne doute pas des qualités littéraires de ses écrits, et si ses textes peuvent nous atteindre, sans doute touchent ils à quelque chose de profond et de vrai. Mais alors leur véritable portée et l’injonction qui en ressort (le sens de la vie réside dans l’élévation spirituelle de l’homme ?), doit s’adresser à l’individu, et non à la société.

  • @ Cheng

    Votre propos rejoint le mien : c’est du point de vue des autres civilisations que l’identité de l’Occident est manifeste… et rend dérisoire la division artificielle de la civilisation occidentale entre Europe et Amérique du Nord… et donc la « construction » européenne elle-même. Au surplus, le constat du particularisme de nos valeurs, que la domination occidentale sur le monde nous avait fait croire universelles, nous oblige à repenser le concept même de mondialisation. On ne peut en effet plus, si l’on accepte la diversité des civilisations, prétendre que notre modèle de développement peut s’étendre au monde entier, sans avoir à faire face à de fortes oppositions nationales et/ou religieuses.

  • @ Criticus

    Tout à fait d’accord avec vous. Je me pose plusieurs questions par rapport à cela. Considérer nos valeurs comme universelles était et est une erreur, nous sommes d’accord. Mais je ne sais que penser de la Déclaration des Droits de l’Homme, ou du concept de démocratie comme nous le voyons, par exemple. Une part de moi, celle très occidentale, me dit que ce sont des valeurs importantes et humanistes, justement universelles. Mais peut-être sont-ce là nos valeurs, notre humanisme, notre vision universelle d’une société, me dit ma part en plein doute. Où pensez vous que se situe la limite entre valeurs d’une civilisation et valeurs universelles? Y a-t-il seulement des valeurs universelles? Si non, comment trouver un fonctionnement d’entente? Si oui ,quelles sont-elles selon vous?

  • Je vous remercie déjà tous pour vos commentaires. Pour avoir lu mon billet, dont la longueur aurait pu vous dissuader. Pour avoir pris la peine de répondre. Pour avoir répondu en évitant, majoritairement, les anathèmes et procès d’intention.

    Ce sujet n’est pas un sujet qui appelle une réponse unique. Henri, vous citez l’Evangile selon Saint Matthieu. Votre citation est en effet on ne peut plus pertinente, et je la reprends :

    « Voyant la foule, Il fut ému de compassion pour elle, parce qu’elle était languissante et abattue, comme des brebis qui n’ont point de berger ». (Mat 9, 36).

    Presqu’un signe, me direz-vous : ne qualifiais-je pas l’Occidental d' »alangui » dans mon précédent billet ? Et notre société n’est-elle pas « languissante et abattue » autant que dépourvue de « berger » ?

    Clairement, pour moi, c’est par là que me porte ma recherche. Pour d’autres, en revanche… Mais à vrai dire, tant que des principes minimums sont respectés (non-violence, respect d’autrui), je préfère largement une personne dotée de convictions fortes que je ne partage pas au succédané de citoyen, préoccupé de consommation et de plaisir, qui certes n’attente pas à ma liberté, que nous sommes trop souvent.

    __

    Je ne vous suis pas, Soka. Soljenytsine est effectivement un personnage complexe, qui a suscité des controverses. Parfait. Il est vrai que les personnages fades se satisfont mieux des régimes totalitaires. Lui était bien vivant.

    Maintenant, le fascisme… Soljenytsine était manifestement profondément amoureux de son pays (« La Russie, c’est moi »). Aimer son pays, est-ce du nationalisme ? Il regrette l’affadissement des valeurs. So what ? Vous y êtes favorable ? Le seul terme de « valeur » vous choque-t-il ? Je ne crois pas que avoir lu les termes de « déliquescence de l’ordre moral » dans ce texte. Cette formulation effectivement pourrait faire penser au fascisme… comme au communisme. Bon, bref, l’assimilation m’apparaît légère.

    Sur la critique de la société légaliste… Figurez-vous que Jean-Claude Guillebaud est plutôt situé à gauche, et il formule précisément la même critique.

    Il ne s’agit pas d’appeler à « moins de droit ». Ce n’est pas ce que j’ai écrit, et ce serait absurde. Relisez le discours de Soljenytsine, la réponse y est, clairement écrite :

    « J’ai vécu toute ma vie sous un régime communiste, et je peux vous dire qu’une société sans référent légal objectif est particulièrement terrible. Mais une société basée sur la lettre de la loi, et n’allant pas plus loin, échoue à déployer à son avantage le large champ des possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s’en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l’homme. »

    Il ne s’agit pas véritablement d’appeler à « moins de droit » mais à dépasser le droit.

    Guillebaud le dit également, et je reprends son propos :

    « quiconque s’en remet au droit et à lui seul pour asseoir la cohésion d’une société s’expose à la prolifération de celui-ci. »

    L’affaire est donc entendue : le propos est juste de ne pas se limiter au droit, d’appeler à plus de force morale, de valeur spirituelle également.

    __

    Criticus, tu as peut-être raison.

    Je dois vous faire une confidence : je n’ai pas achevé La Refondation du Monde . Mais la démarche est un peu celle-là, comme Guillebaud l’explique d’ailleurs dans Comment je suis redevenu chrétien (résultat qu’il ignorait lors de la rédaction du premier livre cité) : nous devons refonder notre monde. Refonder un monde désorienté, refonder un monde anéanti par le XXème siècle. Comme il le dit, la 1ère guerre mondiale a discrédité le don de soi, notamment pour le pays, au travers des boucheries absurdes des tranchées. Le XXème a également discrédité les idéologies. Mais, parce que nous avons « goûté » les formes extrèmes, illégitimes, insupportables, de ces « manifestations », nous nous méfions abusivement aussi de leurs formes légitimes.

    Voilà pourquoi nous nous retrouvons dans une société a minima, dans laquelle chacun est sommé de conserver intimes et secrètes ses convictions profondes, à « ne pas juger« , où l’on se targue d’accepter toutes les convictions, de laisser chacun faire ce qu’il veut… parce que l’on craint l’affrontement.

    Il faut donc effectivement que nous nous redéfinissions et, comme tu le soulignes, le fait de nous être acharnés à nous couper de nos racines judéo-chrétiennes et gréco-romaines est certainement à la base de notre malaise. En disant cela, je ne prétends pas qu’il faille croire en Dieu, bien évidemment. Mais ces racines sont indéniables. Or nous nous transformons en zombies sociaux et culturels, déracinés, incapables d’imaginer disposer d’une identité.

    Cela pourquoi ? Parce que nous confondons, à l’image de Soka, amour de son pays et nationalisme, identité et rejet de l’autre. Je reste persuadé que l’on discute plus efficacement avec l’autre lorsque l’on sait qui l’on est soi-même.

    __

    Dang, c’est amusant, dans ce que tu rappelles, c’est bien aux nationalistes que l’on oppose cette réflexion : « la liberté, pour quoi faire ?« 

    Merci encore de ta référence à Sade. Soljenytsine effectivement évoque l' »inégalité entre la liberté d’accomplir de bonnes actions et la liberté d’en accomplir de mauvaises« . Il évoque toutes les contraintes que l’on opposera à celui qui veut entreprendre des choses « réellement constructives » et le détournement auquel pourra se livrer celui qui veut en accomplir de mauvaises.

    Cela ne signifie pas qu’il faille abandonner l’idée d’un Etat de Droit. Mais c’est un signe que l’Etat de Droit est une chose excellente mais insuffisante. L’Homme est appelé à chercher davantage.

    __

    Cilia, merci.

    « Il ne parle pas d’un Occident merveilleux mais il lui demande d’être solide … Tout ce que toucher véritablement la mort du doigt engendre chez une intelligence grande et vive. »

    On ne peut pas demander à tous les hommes de toucher du doigt la mort, malheureusement. En revanche, on doit pouvoir faire un effort d’imagination. Il me semble probable que cela donne de la densité à chaque personne.

    __

    Philo,

    « l’homme occidental moderne n’a trouvé que cette seule parade: développer le recours à la loi, humaine, trop humaine »

    Tiens, cela m’amène à penser qu’effectivement, c’est ainsi qu’il faut la comprendre la loi : comme un plancher et non un plafond. La loi est le minimum minimorum auquel nous devons nous soumettre en société (bon cela dit, j’admets parfois aller un peu vite sur l’autoroute et sauter le portillon de la RATP), elle est un compromis social, elle n’est pas l’idéal. Nous devons aller plus haut.

    D’accord sur la suite et d’accord avec Axel Kahn. Et c’est bien là toute la difficulté : après avoir identifié le fait que l’on crève de ne plus avoir de projet collectif, on cale tous au moment de passer aux propositions.

    Et je ne peux pas recommander à tous la Doctrine Sociale de l’Eglise 😆 Quoiqu’en recommander la lecture ne serait pas la chose la plus bête.

    __

    Krystoff, lui, nous propose l’idéal républicain. Pourquoi pas. Même si je ne suis pas certain que tous les citoyens aient la même conception de la République. Une « communauté de destin », soit, mais quel type de destin ? La République, oui, si la conception de la République que l’on n’est pas, là encore, un compromis a minima. Mais n’est-ce pas un peu flou, comme notion, « la république » ? Et puis, n’est-elle pas acquise ?

    __

    Xerbias, je ne pense pas non plus à un « sens moral supérieur unique et indépendant ». On peut avoir un sens moral supérieur dominant, à tout le moins un temps, mais unique, non.

    Et j’avoue que je pressens l’impasse de mon questionnement, dont je serais heureux que mes brillants commentateurs me sortent.

    Car je ne suis pas en train de plaider pour l’hégémonie d’une idéologie qui, nécessairement, serait plutôt la mienne que celle que je ne partage pas.

    Confusément, il me semble que l’objet de ce billet, c’est surtout cela : se ressaisir, cesser de voir dans la liberté un horizon, un accomplissement, un objectif ultime, de voir dans la loi un plafond au lieu d’un plancher (pour me répéter).

    __

    Carredas, oui, effectivement, Solenytsine n’est pas consensuel, il est (encore) vivant. Bien vivant, vert et plein de sève.

    Peut-on vivre une vie douillette protégé des intempéries et des prédateurs, des travaux abrutissants et avoir une vigueur morale ?

    Vraie question. Certains, à la terrasse du bistro, en réclamant « une bonne guerre » ont leur solution. C’est vrai que 14-18 a aussi entraîne une certaine solidarité parmi les survivants.

    Mais voilà, nous, nous avons atteint, semble-t-il, le bu qui animait beaucoup : la Paix. Et il nous appartient d’arriver à trouver le moyen de concilier Paix et vigueur morale.

    __

    Cheng, je m’en vais chercher des valeurs véritablement universelles…

  • @ Cheng

    Je ne pense pas qu’il y ait des valeurs universelles, puisqu’étant les créations de groupes ayant vécu en relative autarcie assez longtemps, elles ne peuvent logiquement être les mêmes partout. Je pense en revanche qu’il y a des aspirations universelles, je dirais presque naturelles, qui sont le bonheur – à ne pas confondre avec la jouissance -, la liberté, la justice.

    Ces aspirations sont transcrites dans des valeurs propres à chaque civilisation. L’aspiration au bonheur, à la liberté et à la justice ne se traduisant pas de la même manière partout, je pense qu’il était dangereux d’avoir voulu en donner une définition universelle.

    Là réside pour moi l’impasse du néo-conservatisme et de son pendant « de gauche », le droits-de-l’hommisme.

  • @ Koz

     » le fait de nous être acharnés à nous couper de nos racines judéo-chrétiennes et gréco-romaines est certainement à la base de notre malaise. En disant cela, je ne prétends pas qu’il faille croire en Dieu, bien évidemment. « 

    Moi non plus, d’ailleurs je suis agnostique. Mais j’ai vécu comme une libération le discours du Latran de Sarkozy, peut-être la seule bonne chose qu’il ait dite.

  • Ce que j’adore chez toi, Koz, c’est que c’est souvent que les billets sortent un peu de l’actualisme (quand bien même la disparition Soljenitsyne en serait le point de départ).

    D’une certaine manière, étant libéral, beaucoup de pierres ont été lancées dans mon jardin :

    1 – La liberté n’est pas une fin, c’est un outil de choix
    2 – La liberté conduit à renoncer à l’éthique, la moralité et au vivre ensemble (Variante : la collectivité ne se gouverne plus)
    3 – « Le juridisme, inséparable compagnon de l’excès de liberté »

    Mais, comme je suis un libéral appliqué :

    1 – Comme dit précemment dans un commentaire, et c’est un point de consensus, il y a à distinguer La liberté et « les » libertés. Dans le dernier cas, nul doute qu’il s’agit d’un outil. En revanche, pour le permier, c’est bien d’un état dont on parle : être ou ne pas être libre. C’est une prédisposition.

    2 – Les auteurs libéraux ont souvent été les plus intéressés par les notions d’éthique et de morale : Adam Smith était un moraliste, John Stuart Mill, Orwell et sa Common Decency, Ayn Rand et l’objectivisme pour le 20ème siècle. Le libéralisme est plutôt incitatif à avoir une bonne éthique, c’est l’histoire de la Main Invisible et du boucher (boulanger ?). A partir du moment où la société n’en patit pas, pourquoi devrions nous souhaiter qu’un individu ait la même morale que nous ?

    Pour le vivre ensemble, je pense que c’est l’inverse : le libéralisme est la seule pensée qui n’ait jamais mis en opposition les individus, à l’inverse du communisme par ailleurs alors que le vivre ensemble était son but in fine.

    Pour la variante et la collectivité qui s’autogère, c’est ce qu’on appelle de l’esthétisme. Cette idée, toute hegelienne, qui consiste à penser que le citoyen se transcende et parvient à bouger lui même les leviers de l’Etat, est fausse en pratique. C’est toujours une minorité qui dirige la majorité, avec la différence notable qu’il n’y a pas de guerre civile à chaque fois qu’on veut remplacer cette minorité au pouvoir. Au passage, Hegel a créé ce concept pour légitimer l’autocratie prussien qui le payait grassement. Le NON au référendum européen est bien la preuve qu’il existe une différence notable entre la représentativité par une minorité d’individu et la collectivité qui en constitue l’autre partie.

    3 – Ce sera finalement la conclusion de tous ces points. Il existe une différence entre la liberté positive (potentiel d’action) et la liberté négative (absence de contrainte). Cette différence a été développée par Isaiah Berlin.

    La première donne effectivement lieu à du juridisme à outrance, avec des « j’ai droit à… » qui finisse par devenir des normes voire des dogmes. Ce type de liberté se résume par ce paradoxe : « tu dois être libre ». Si tu n’appliques pas les nouvelles libertés, tu n’es pas libre. Ou comment la liberté devient une contrainte. Je crois, pour ma part, que tous les paradoxes que tu fais autour de la liberté sont lié à cette notion de positivité de la liberté.

    Pour la seconde, ce n’est pas la conquête de nouveaux droits et l’extension du juridique dans nos vies, mais la défense du droit fondamental de l’individu à disposer de lui même en société, en dehors du champ législatif qui, et le 20ème siècle en est une illustration, peut donner lieu à des lois iniques et contre des catégories d’individus.

  • Beaucoup de thèmes abordés, difficile de tout appréhender. Bref, je vais picorer les quelques miettes qui m’inspirent.

    Liberté. La liberté ce n’est pas l’absence de contraintes, c’est la possiblilité de choisir ses contraintes. C’est cette confusion qui est selon moi à l’origine de cet affadissement, de cette perte de force morale et de cette difficulté à vivre ensemble.

    Loi. J’ai envie de proposer une amélioration (j’espère) à ta notion de la loi qui serait un plancher et non un plafond. Car cela induirait que plus de loi est toujours souhaitable, ce qui mène aux excès de légalisme. Pour moi la loi est une condition nécessaire mais non suffisante. Sans la loi, il n’y a rien, on ne peut bâtir une société humaine. Mais le droit lui-même ne va pas faire la société, il nous fournit seulement les outils, les fondations qui permettent de le faire. Alors doit commencer la « nouvelle étape anthropologique », la morale, l’éthique, le sens.

    Démocratie et nation. Plus j’y réfléchis plus je suis convaincu que la nation est une condition de la démocratie. Au fond, la démocratie est terriblement exigeante envers les citoyens. Elle leur demande d’accepter des décisions contraires à leur volonté uniquement parce que des tiers plus nombreux l’ont souhaité. Pourquoi devrais-je accepter qu’on m’interdise telle action parce que les inconnus de Montluçon, Dax et Metz qui le souhaitaient étaient plus nombreux que les inconnus de Draguignan, St Nazaire et Douai qui s’y opposaient? Je ne le ferais que si je reconnais à ces inconnus une identité, une culture, un destin communs avec moi. Et ce pouvoir sur moi que je suis prêt à concéder à un Français, vais-je le donner à un Espagnol, un Irlandais, un Polonais, un Letton? Et un Chinois?
    On retombe sur la discussion que nous avions eue au déjeuner après le non irlandais. Le problème de l’Europe n’est pas (seulement) des institutions opaques, des politiciens mous ou des textes illisibles. Il est que la majorité des Français sont attachés à un système social dont la majorité des Européens ne veut pas entendre parler. Idem pour les Irlandais avec l’avortement, pour les Anglais avec plein de choses… Le jour où les Français (par exemple) accepteront d’être mis en minorité sur une question importante par des Hongrois, des Portugais et des Bulgares, alors il y aura la nation européenne sera née et une démocratie européenne deviendra possible.

    Liberté de faire le bien ou le mal. Pour moi, la critique de Soljenytsine n’a rien de spécifique à la liberté. C’est tout simplement une réalité de la personne humaine, presqu’une loi physique. Il est plus facile de détruire que de construire, de dénigrer que de proposer, de critiquer que de faire. La gravité tire vers le bas, l’entropie augmente, on vieillit, le temps érode… La dignité humaine est de se confronter à ces forces et de les vaincre. Alors oui, il y en aura toujours beaucoup qui joueront la facilité d’ête anti-tout. Mais s’en plaindre revient à rejoindre leurs rangs.

  • @ Koz, loin de moi l’idée de clore ces réflexions par une réponse unique, qui viendrait sous forme d’une simple citation (j’ai d’ailleurs pris la précaution épistolaire de préciser que ce verset de Saint Matthieu était un élément de réponse, et non d’une clé toute faite).
    Si pour ma part, je crois que les réponses a une nouvelle anthropologie sont a chercher du cote de cette source-la, loin de moi de la croire comme unique.
    (Au passage, « Tiens, cela m’amène à penser qu’effectivement, c’est ainsi qu’il faut la comprendre la loi : comme un plancher et non un plafond. » pourrait peut-etre se traduire par « accomplir mais pas abolir » ?).

    En l’occurrence, ce qui me fait réagir a la lecture des commentaires de ce billet c’est l’idée de non-universalité de certaines valeurs.
    @ Criticus : « Je ne pense pas qu’il y ait des valeurs universelles ».
    @ Cheng : « Considérer nos valeurs comme universelles était et est une erreur, nous sommes d’accord. »
    Je proteste avec la plus grande vigueur. 🙂

    J’entends bien qu’une culture est toujours irrémédiablement enracinée dans un monde, une époque, et une tradition ; et donc que ses valeurs résultent de cette enracinement.
    Et pourtant, je ne peux pas croire que certaines valeurs ne sont pas universelles, que l’on ne puisse pas en partie dépasser ce que nous sommes (sous peine de ne jamais coïncider qu’a nous-mêmes).

    Par analogie, nous pourrions prendre l’exemple de l’émotion artistique ou esthétique.
    Qu’elle résulte d’une culture, d’une tradition et d’un enracinement, est bien certain, et pourtant, les Chinois d’aujourd’hui sont a même d’éprouver un plaisir réel a l’écoute d’une sonate de Mozart ou la vision d’un tableau de Poussin. De même, j’ai souvenir de réel bouleversement devant des œuvres asiatiques (je recommende la frequentation du Musee Guimet).
    Bref, des valeurs, les valeurs artistiques transcendent géographie et histoire, elles sont universelles.

    Comment ne pas voir, en poussant le raisonnement un peu plus loin, que les valeurs d’humanisme dont l’Occident a accouché au cours des siècles ne portent en elles une liberté similaire pour tous les autres peuples. Il ne s’agit en aucun cas de prétendre a la suprématie occidentale, mais de reconnaître, par delà les nombreuses imperfections, le bien commun en germe dans ces valeurs.

    Pourquoi s’appesantir sur ce point ? Précisément, parce que c’est ce qu’il me semble comprendre de la critique radicale de la société de consommation et de l’Occident affaibli par Solenytsine.
    Sa critique ne m’apparaît pas (exclusivement ?) comme une exaltation nationaliste qui fait peur. Ce qu’il fustige, me semble-t-il, c’est avant tout un affadissement, un abandon de ce qui fait l’universalité du plus beau (pour rester dans le registre esthétique) ou du meilleur (pour passer au registre moral) en l’homme.

    Allez, Solenytsine nous rappelle simplement que nous sommes « le sel de la terre; mais si le sel perd sa saveur… Il ne vaut plus rien qu’à être jeté dehors, et à être foulé aux pieds par les hommes » (Matthieu 5, 13). (Je sais, Koz, je suis incurable).

  • Ah tiens, juste une réponse omise à Oppossum : bon, déjà, transposer ma phrase de conclusion au débat sur l’euthanasie n’a pas de sens. Mais j’imagine que vous l’avez compris. Ensuite, ok, on peut le faire. Dans ce cas, songez qu’on pourrait le lire comme « affronter la fin de vie », plutôt que la fuir…

    Ca ne signifie pas que je ne répondrai pas à vos coms, london, henri et liberal (quoique, c’est à condition de trouver queque chose de valable). Mais cette réponse, c’était un oubli. Et elle était facile.

    Ah, et Henri, oui, j’ai bien compris que vous n’envisagiez pas de conversions au fil de l’épée.

  • @ Henry
    « nous pourrions prendre l’exemple de l’émotion artistique ou esthétique. Qu’elle résulte d’une culture, d’une tradition et d’un enracinement, est bien certain, et pourtant, les Chinois d’aujourd’hui sont a même d’éprouver un plaisir réel a l’écoute d’une sonate de Mozart ou la vision d’un tableau de Poussin. »

    Vous parlez justement d’émotion, car c’est l’expression la plus appropriée pour ce phénomène. Or l’émotion est universelle à tous les hommes et en même temps différente selon chacun. La difficulté est qu’une émotion n’est pas définissable clairement, elle ne peut être décrite avec précision et justesse, car elle varie d’une personne à une autre. L’émotion n’est ni propre à une nation ni à une civilisation.

    Une valeur est une idée, une vision, une manière d’agir dans tel ou tel domaine, définissable voire officialisée (comme c’est le cas pour la Déclaration des Droits de l’Homme). Or l’art peut s’affranchir de toute officialisation et de toute norme.

    Bref, je suis d’accord avec vous dans le fait que l’émotion artistique est universelle, mais je pense que cela ne concerne pas les valeurs d’une civilisation.

    « Comment ne pas voir[…]que les valeurs d’humanisme dont l’Occident a accouché au cours des siècles ne portent en elles une liberté similaire pour tous les autres peuples ». Lesquelles? Car il y en a beaucoup.

  • j’avais préparé un long comm sur ce billet, et à la lecture des autres je me rend compte qu’il y aura redite, donc abstention, une seule remarque:
    « Guillebaud le dit également, et je reprends son propos :

    “quiconque s’en remet au droit et à lui seul pour asseoir la cohésion d’une société s’expose à la prolifération de celui-ci.” "
    

    et cela me rapelle cette belle phrase: « il n’y a pas de justice, il n’y a que des lois »

  • @ Cheng: Merci de votre réponse qui m’oblige a cerner ma propre pensée.

    Mon exemple en matière artistique posait que même un habitant de contrées reculées écoutant (choisissons précautionneusement) ce prélude de Chopin en percevrait la beauté et la tristesse intrinsèque (http://www. deezer.com/track/154309), malgré l’immense besoin de médiation pour arriver a la déchiffrer toute entière (texte, technique, contexte)!
    Et vous reconnaissez d’ailleurs cette universalité de la beauté. Naturellement, reconnaître la beauté dans l’œuvre immédiate (autrement dit, sans filtre culturel) ne conduit pas a la création d’un système complet de valeurs artistiques. Néanmoins, je ne vois pas dans cette prolongation une différence d’ordre, tout au plus un besoin d’éducation ou de formation. Car il n’y a pas a la fin de l’éducation, la suppression de l’émotion esthétique, tout au plus est-elle affinée !

    Eh bien, c’est dans cette analogie-la, dans ce glissement-la que je vois le passage vers l’universalité de valeurs.

    De la même manière, quelle distance entre la compréhension des systèmes occidentaux et l’envie pratique, quotidienne, qu’ils provoquent chez ceux qui n’en bénéficient pas ! Sans être abrupt, ne voyons-nous pas tous les jours, par l’illustration de tant de foules qui votent ou ont votées avec leur pieds, quelles sont leurs aspirations et vers qui elles se tournent ?
    L’absence de formulation de la valeur ne la dévalue pas : les foules fatiguées arrivant sur les rivages de l’Amérique auraient-elles pu exprimer d’elles-mêmes les valeurs qu’elles recherchaient, mais et pourtant ne les contemplaient-elles pas tout aussi surement ?

    Il y a dans les valeurs de liberté d’expression, de liberté de culte, de système légal non corrompu, de fonctionnement démocratique (parmi d’autres, mais puisque vous m’enjoignez a en citer quelques unes) quelque chose qui plait a tout homme. Et pourtant, combien d’entre nous seraient capables de les formaliser ? Ce n’est pas la lettre qui fait la valeur, c’est l’esprit qui l’insuffle. Pour ma part, je pense que ces valeurs d’autonomie (de l’homme a l’homme, sinon Solenytsine va me tomber dessus a bras raccourcis) sont l’horizon de l’universel.

    C’est ce glissement-la de l’informé, du non-pensé, de l’aspiration vers la valeur formalisée, que dis-je constitutionnalisée, que je veux pointer du doigt dans l’analogie artistique.

  • @ Henri

    Ma foi, je reconnais là une analyse excellente, qui en tout cas sonne juste à mon oreille.

    « Et pourtant, combien d’entre nous seraient capables de les formaliser ? ». Voilà exactement la question que je me posais qui a trouvé une réponse.
    Ainsi nous disposons tous des mêmes valeurs, mais nous différons dans la manière de les prononcer.
    Ainsi l’être humain est-il capable de se comprendre intégralement, en passant outre la traduction et l’interprétation de son ressenti, engendrées par le prisme de sa civilisation.
    Ainsi le langage n’est pas forcément la meilleure manière de se comprendre, tout du moins pas tel qu’on le conçoit actuellement et depuis longtemps. Cette discussion est sans fin, mais cela la rend délicieuse.

    Merci de votre réponse qui me permet d’affiner ma propre pensée.

    @ Koz
    Ne vous rabattez pas sur les seuls paysages cantaliens s’il vous plait. Merci pour ce billet

  • « Tssssssss » c’est une expression du cantal ? sinon oui, beau billet, belles photos précédemment, on attend les paysages avec gourmandise, parceque question gastronomie ça n’a pas du être triste non plus ! 🙂

  • @Édouard (ed) Merci d’avoir mentionné le livre de Georges Nivat que je ne connaissais pas. Un prochain joyau pour ma bibliothèque.

  • @Koz : loin de moi l’idée de ne pas souscrire à l’état de droit. Je pense simplement que la loi doit protéger autant la société que l’individu. Il y a là un équilibre à trouver et je sais que ce n’est pas facile. Si on favorise trop la société, on oublie l’individu. Déjà les romains y réfléchissaient lorsque le Sénat chargeait le consul de veiller à ce que la chose privée ne subisse aucun détriment(Ne quid res privata detrimenti caperet). Mais si on favorise trop l’individu on oublie le bien commun. L’un ne peut aller sans l’autre.On l’oublie un peu trop souvent aujourd’hui et Soljénitsyne y fait allusion.
    @Soka : la référence au fascisme lorsque l’on parle des valeurs, de la nation, du pays (en l’occurence de la terre russe) est un moyen dépassé de déconsidérer l’adversaire.Oui c’est vrai Soljénistsyne célèbre la terre russe, il croit à la nation slave, aux valeurs chrétiennes. Cela n’en fait pas un fasciste pour autant. Pasternak, Daniel, Siniavski, Valéry Tarsis, tenaient peu ou prou le même langage et jamais on ne leur a reproché des dérives fascisantes, sauf dans la presse aux ordres de l’ancienne URSS.

  • Fais gaffe, Koz, tu es en train de virer conservateur-réac-facho…. 🙂

    T’es en train d’exprimer ton accord avec un monarchiste. Moi, je dis, ça sent le souffre.

    Tu deviens limite fréquentable. :p

  • Effigy, tsss, c’est parce qu’il m’a semblé que vous avez tenté de faire du markdown. Alors, je tssstais gentiment. Sous le lien, vous avez les raccourcis nécessaires.

    Polydamas, en lisant le dernier billet de Radical Chic, et notamment sa conclusion :

    Que faire, alors ? Là est toute la difficulté. Il n’y a pas de solution évidente, mais le premier travail consiste à revaloriser une individualité qui ne s’exprimerait pas par la réussite matérielle. Ensuite, il va bien falloir dépasser cette vision irrédentiste de l’individu se suffisant à lui-même, acteur unique de sa propre réussite, pour souligner combien il doit au collectif. Sortir de l’individu faussement individuel pour revaloriser l’action collective – et le plaisir de l’action collective – et s’attaquer au matérialisme : deux axes qui devraient fonder toutes les stratégies de reconquête de la gauche.

    j’ai plutôt eu peur d’être de gauche, et en plus, de la gauche à la Radical Chic 😉 . Au demeurant, mon propos s’appuie notamment sur des passages du bouquin de Jean-Claude Guillebaud, La Refondation du Monde, aux inflexions plus de gauche que de droite.

    Non, non, mon bon monsieur, tout cela vient d’ailleurs. D’un autre échiquier.

    London, je ne dis pas que tu le contestes, mais je préfère le préciser : tu auras noté que je n’ai pas d’acrimonie spécifique envers les libéraux. Ma question a aussi été longtemps de savoir si je n’étais pas libéral moi-même. Je ne suis, sur certains points, pas éloigné des libéraux. J’ai même un co-auteur sur ce blog dont certains disent que…

    Quelques observations, plutôt que des « réponses » :

    Sur ton 1., même déclinés en libertés, j’ai tendance à considérer que c’est insuffisant. C’est notamment l’exemple de la « liberté d’expression », et la polémique Siné qui m’a amené à ces réflexions. Pour certains, et notamment certains libéraux, il suffit d’invoquer la « liberté d’expression » pour clore le débat. Je considère au contraire que le débat doit rester ouvert, sans aucunement nier le droit de tenir certains propos, et qu’il ne s’agit pas d’une simple question de droits. J’ai d’ailleurs du mal à comprendre que l’on puisse restreindre le débat à l’affirmation du fait que « c’est son droit ». Il y a un bon usage des droits, et un mauvais usage.

    Sur ton 2., oui, pour les auteurs libéraux. Mais il me semble qu’aujourd’hui, on a beaucoup dissocier la morale, l’éthique du « laisser-faire, laisser-aller » (pour le dire vite). Or non seulement morale et éthique sont assez déconsidérés mais, à l’époque, il y avait une certaine éthique commune qui pouvait rendre plus légitime l’aspiration (dans une société au demeurant peu libérale) à ce libéralisme. Aujourd’hui, précisément, s’il y a, globalement, un certain fonds commun, nous manquons d’esprit commun. Dès lors, le libéralisme devient un magnifique outil pour légitimer les actions mauvaises, et discréditer les critiques.

    Sur ton 3., j’aime assez cette distinction.

    Libéral, sur la loi, effectivement, ce n’est pas mon intention. ce que je voulais exprimer au contraire, c’est que le fait de focaliser son attention sur la morale, l’éthique, peut rendre moins nécessaire l’édiction de lois.

    Cela dit, je ne suis pas sûr de ne pas fournir un raisonnement très théorique et dépourvu de portée pratique, en ce sens qu’aujourd’hui, il a bien une multiplicité de systèmes de valeurs.

    Dang, je ne pensais pas que tu t’opposais à l’Etat de Droit. ce ne serait pas cohérent avec ce que tu affirmes par ailleurs.

    Et dans ton propos sur la prise en compte des victimes, là, je pensais à l’affaire Petrella, notamment… Mais bon, c’est un autre sujet.

    Vous m’excuserez de ne pas être plus disert, il faut que je bosse. Je crains parfois que mes aimables commentateurs croient que je ne lis pas leurs commentaires, ou que je les « méprise » (2 personnes, dont un proche, m’en ont fait la réflexion), parce que je n’y réponds pas.

    Il y a aussi (i) mes limites humaines (et sur des sujets ardus comme celui-ci, on les atteint plus vite), (ii) le fait que je peux moi-même être parfaitement d’accord et qu’un « je suis d’accord » n’apporte pas grand-chose, (iii) le fait que je ne suis pas une référence et que répondre à certains commentaires serait parfois un peu prétentieux.

  • Assez en accord avec tes réponses ! et effectivement, tu n’es pas ce qu’on pourrait appeler un anti-libéral farouche ! Par ailleurs, tes questionnements sur le Berger sont également les miens même si, mais cela peut changer, je tranche plutôt pour l’inverse 🙂

    Tout à fait d’accord sur la liberté d’expression : l’idée de garder le débat ouvert est mille fois préférable à la judiciarisation des consciences ou à l’inverse un alanguissement de celles-ci alors que les propos seraient odieux. C’est encore une fois ce décalage entre « j’ai le droit de dire les pires insanités sans être inquiété le moins du monde, dire ce que je pense » et « personne n’a le droit de me priver de ma liberté d’expression mais mon propos sera contestable sur ce même principe ». Ce qui implique dans le dernier cas une certaine responsabilité et un respect de la liberté des autres. En bref, une éthique.

    Sur la perte de morale et d’éthique, je suis davantage circonspect. Je suis conscient que mes parents ont fait en sorte que je m’en soucie… pour autant je ne connais pas d’individus qui échappe aux questionnements sur son propre rapport avec son univers. Le seul cas de personne où la notion de mal et de bien est trouble serait les cas du serial killer (et reconnaissons que c’est statistiquement marginal). Mais je reconnais que cette analyse respecte un protocole peu stricte scientifiquement, à savoir le doigt mouillé. Il est possible que je pêche par excès de confiance…

  • Le souci, c’est que je ne plaisante qu’à moitié. Parce que la transcendance dont parle Radical Chic, ça m’étonnerait que l’Eglise en veuille. C’est sur ces points que les deux critiques importantes du capitalisme, que sont la chrétienne et la « communiste » sont irréconciliables.

    D’autant que le christianisme est hostile à la table rase, et n’a rien contre le marché libre, deux différences fondamentales avec la gauche. Tu es donc beaucoup moins à gauche de ce que tu prétends, Koz. 🙂

    @ Effigy:
    Je ne fais que reprendre les termes que l’on m’affuble depuis des années.

  • A propos de Siné et de la liberté d’expression,(et à mon sens c’était la même chose pour les caricatures de Mahomet, en ce qui concerne l’argument de diffamation), invoquer la liberté de pouvoir tout dire, revient à invoquer la libre circulation pour justifier une entrée par effraction dans une propriété privée. A un moment, il faut arrêter de se tripoter le droit pour juste voir l’évidence.

    A partir du moment où l’on peut considérer certains propos publiques comme étant non fondés, visant à calomnier, à propager une rumeur, à dévaloriser sur la base de mensonges, etc. il reste certes à la justice la tâche de l’établir, mais je ne comprends même pas comment on peut en discuter sur le fond.

    Koz, l’article que tu avais signalé sur Bakchich était excellent à ce titre sur le traitement des faits divers. A chaque fois, qu’un politique se plaint d’un article calomniateur et non prouvé, on voit la presse quasi unanime brandir la « liberté d’expression ». Je ne vois même pas un seul argument recevable. Le prétexte de la caricature, ou le trait d’humour, est tout aussi douteux… Dans mon esprit pervers, je peux tout à fait concevoir les caricatures les plus droles et calomniatrices au sujet des dirigeants et journalistes de Charlie Hebdo et invoquer la liberté d’expression. la condamnation de l’ex ami de Val pour pédophilie, donnerait pas mal d’occasion. Ca serait abjecte, dégueulasse, calomniateur, l’intention serait évidement de nuire, et en un mot, ça serait diffamatoire sans l’ombre d’un doute…. mais que dirait Siné ou les autres à ce sujet ? Franchement, dans un cas comme ça, l’auteur devrait risquer une peine de prison.

    D’ailleurs, l’application des lois en matière de diffamation est complètement inique dans la pratique. On peut diffamer gentiment une communauté et utiliser ensuite l’absence d’intérêt à agir d’un plaignant pour refuser les poursuites ; on peut invoquer la bonne foi sur le simple fait que toute une série d’articles avaient déjà été publiés, etc. On peut là aussi tester les limites de la loi très habilement et profiter de ses brèches et de l’ambiance politique du moment. Mais sur le fond ?

    A ce sujet, signalons au passage, les propos diffamatoires que l’on trouve dans forum et autres commentaires sur les blogs et journaux, qui sont soit disant « modérés » mais qui sont largement tolérés lorsque le journal y voit un intérêt politique. Les commentaires plus que limites sur l’agression d’un jeune juif dans le 19eme laissés sans problèmes dans nombre de journaux en témoignent. Bien sur, inquiéter quelqu’un (blogueur ou Dir de Pub) qui laisse échapper une heure un comm douteux et le supprime quand on le lui signale, serait évidement abusif. Mais ce n’est pas ce dont je parle.

    Bref, la caricature, le trait d’humour, le propos aviné, « tout le monde l’a déjà publié », « c’est déjà paru sur le web », etc… sont des arguments non recevables. Et la liberté d’expression tout autant.

    Il s’agit juste d’un système de défense, d’un argument de plaidoirie. Au même titre que « Monsieur le Président, cet homme – (qui conduisait bourré, sans permis et aveugle – ils en ont chopé un comme ça qui conduisait avec un copain assis sur le siège du passager en juillet) a beaucoup souffert de son handicap dans sa vie ». Ca vise à déplacer sur le terrain du débat soit disant populaire dans lequel toutes les opinions les moins fondées peuvent s’exprimer allégrément au préjudice d’un débat juridique cadré dans lequel ces affaires devraient rester.

    Franchement Koz, quand tu parles de « l’occidental alangui qui teste la liberté d’expression », tu es gentil. Je dirais plutôt « l’occidental mal intentionné qui teste jusqu’où il peut aller avant de se faire taper sur les doigts » et la solidité des institutions chargées de la faire appliquer.

  • « cherchons collectivement à nous élever, “à quitter cette vie en créatures plus hautes que nous y sommes entrés“.  »
    Sincèrement je ne comprends pas ce que cela veut dire.Plus hautes que quoi ? c’est quoi la référence ?
    Désolée d’être aussi pragmatique, mais le côté il faut s’élever, Solje est merveilleux intélligent etc., ça fait tres intello et bien sur le papier mais en fait cela ne veut rien dire sauf s’il y a une référence universelle de valeurs. et puis ce que dit AS fait tres leçon de morale. Je n’ai lu que « l’archipel du Goulag » et « le pavillon des cancéreux » il y a longtemps, oui ce sont des livres qui marquent mais d’autres le font aussi bien et ils ont vécu des choses aussi difficiles.
    Pour ma part, je citerais un autre russe Michel Ossorguine.Bon cela ne va pas vraiment dans le sens de Marcel mais J’aime bien l’humilité qui se dégage :
    « c’est en vain que nous accordons trop d’importance à ce qui nous arrive personnellement et aux événements de notre époque. La vie est un petit pont vacillant entre deux éternités. L’Histoire est le récit de peu de jours. La vie n’en ai pas moins précieuse ; mais seul est sage celui qui ne se considère pas lui-même comme le centre de l’univers, qui étudie le passé et oeuvre pour l’avenir, sachant que son propore lot scintillera et disparaitra sans laisser de trace. »

    @Henri : j’aime bien votre paragraphe sur l’universalité des valeurs et leur formalisation et l’analogie avec l’expression artistique.
    Néanmoins j’ai quelques doutes sur l’autonomie et la liberté de conscience des individus dès lors qu’ils seront ou qu’ils sont confrontés à la faim et à la soif…

  • Thaïs, j’interprète simplement son propos comme étant juste un appel à s’affermir moralement, un appel à grandir en sagesse, en permanence, à concevoir cela comme le vrai but de sa vie, et non une amélioration de son niveau de vie, ou sa réussite sociale. Après, la formulation peut être discutée. Parce qu’après tout, le nourrisson n’est-il pas une magnifique créature ? Et puis, aussi, on peut considérer que la vie est grosso modo vaine.

    Cela étant, je ne pense pas que ce que dit Ossorguine soit très contraire à ce que dit Soljenytsine. Il ne s’agit effectivement pas de se prendre pour le centre de l’univers, ce qui vient appuyer un rejet de l’individualisme (ou de l’ultra-individualisme, on va dire, puisque je ne cherche pas dans ce que je dis à prétendre que l’individu doit s’oublier dans le collectif).

    Mais il faut avoir de l’ambition morale et intellectuelle. Tiens, je lisais cet été « Un franciscain chez les SS », dont je vous parlerai peut-être la semaine prochaine. Ma femme et moi en avons tiré la même conclusion : ça donne envie de s’élever intellectuellement, d’étudier. Car, versé dans la SS, il a su tenir tête aux nazis d’une façon incroyable, parce qu’il était très cultivé et moralement fort.

  • Eponymus

    En somme, la liberté est un état mais également une responsabilité. A l’opposé du « jouissons sans entraves » ou « interdit d’interdire », il faut user de cette liberté, qui est un droit absolu, avec intelligence et savoir se fixer des limites qui dépassent le simple plancher légal. Ce qu’on pourrait appeler une éthique.

    « Oui, mes frères, vous avez été appelés à la liberté. Seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre comme des hommes livrés à eux-mêmes. » (Galates)

  • @ Thais. Merci de votre remarque.

    Evidemment, il y a toujours une possibilité qu’une partie des migrants se décide a rejoindre l’Occident non pas parce qu’ils y ont entendu l’appel irrésistible d’un prélude de Chopin, ou plus -extravagant encore- parce qu’ils tiennent ses valeurs pour évidentes par elles-mêmes, mais parce qu’ils ont le ventre creux… Dieu merci, l’on parle surement ici d’une pure hypothèse d’école. Je ne doute pas d’ailleurs, que notre ministre de l’immigration contrôlée veille a ne laisser entrer que les mieux nourris de ceux qui frappent a la porte et qu’il refoule ceux qui voudront rentrer pour des motifs purement mercantiles.

    Ceci étant posé, votre remarque souligne simplement que l’une des valeurs universelles est la survie, illustrée ici par le différentiel immense de richesse entre deux pays. Je ne doute pas qu’en parcourant les billets de nos hôtes (contrairement aux miens, vos commentaires sont fréquents sur ce blog), vous avez remarqué le lien curieux entre liberté politique et liberté économique d’une part et croissance et développement d’autre part. Ca tombe bien, j’aurai tendance a croire que ces valeurs de liberté d’entreprise touchent a l’universel. Tout simplement parce qu’elles sont elles-mêmes le corolaire d’une liberté bien plus haute.

    C’est ce qu’a très bien décrit Fredrich von Hayek (j’entends les démons « gauchistes » éructer a l’évocation de son simple nom) dans un livre du joli nom de « La route de la servitude ». Son postulat en est que la liberté d’entreprendre est un pendant de la liberté politique. Si vous ne le croyez pas, demandez a Gorbatchev qui a cru sauver le régime soviétique en introduisant la liberté économique. C’était tout simplement le cheval de Troie de la liberté politique. L’autre a fini par entrer en triomphe peu après (pour peu de temps, certes, mais bon ne boudons pas notre plaisir)…

    Pour en revenir a notre cas d’école, je doute, tout comme vous, qu’un migrant sans autre choix que la fuite de son propre pays aurait une vision claire de l’universalité des valeurs. Et pourtant de tout ce qu’il nous dirait, ne pourrions-nous pas déduire, comme par analogie (me revoilà avec mes gros sabots), qu’il recherche d’abord a fuir ce qui est l’antithèse de son propre pays (corruption contre système légal, égalité de droits contre hérédité, droit de vote contre dictature, liberté d’entreprise contre système archaïque)… Qu’en pensez-vous ?

  • @ Pig of India

    C’est clair. Tout commence comme le le pointe Koz à un moment dans son billet par l’auto déterminisme. S’il a un pouvoir de choix, cela implique par définition une responsabilité, dans le sens où celle-ci découle justement de cet auto déterminisme. La seule personne « non responsable » serait celle totalement déterminée par quelque chose ou quelqu’un d’autre.

    Une fois ceci établit, le reste tend à suivre. Si l’on est responsable, chaque homme peut considérer son impact sur lui même, ses semblables, sur le monde proche ou éloigné.

    Mais ce n’est pas évident pour tout le monde. Cette question du pouvoir de choix, de l’auto déterminisme de l’homme est probablement le grand débat à venir du 21eme siècle. De plus en plus de philosophie, sous des atours scientifiques élaborent de grandes théories expliquant que l’homme n’est qu’une activité neuronale et qu’une activité neuronale n’est pas plus responsable de quoi que se soit, qu’un ion ou un photon. C’est juste un peu plus complexe dans sa nature et sa fonction, point barre. Il en est même qui soutiennent que même la conscience n’existe pas – que c’est une impression après coup créée par l’activité neuronale justement. On peut sourire, mais ces théories soutiennent nombre de recherches un peu inquiétantes sur le comportement humain.

    Ceci dit, c’est assez pratique socialement ou politiquement ce genre de grandes hypothèses. Si personne n’est responsables et tout n’est que neuronale, si tout s’explique uniquement par la biologie moléculaire, alors on s’emmerde plus à essayer de comprendre les grands problèmes sociaux comme la délinquance, ou ce genre de soucis : on dope afin de modifier le comportement jusqu’à ce que la personne devienne « normale » – normalement acceptable pour la société. Et l’affaire est jouée.

    C’est réellement une tendance je pense dans la société d’aujourd’hui – il me vient pas mal d’exemples en tête. Et je ne crois pas me tromper en disant que le phénomène tend à s’accélérer.

    Il y avait même un projet de certains conseillers de Bush, qui visait à estimer le potentiel de démence de chaque habitant des US, et si possible dès l’enfance, afin de proposer un traitement « préventif » de la population pour réguler la criminalité, etc.

    Voilà pourquoi je dis qu’il s’agit d’un des grands débats à venir, peut être même le plus essentiel. Pas que le débat n’ait pas commencé depuis longtemps, mais c’est juste que ça devient de plus en plus envahissant dans nos vies quotidiennes.

  • Au risque de me répéter, ici ou ailleurs, je vous incite vivement, pour prolonger vos réflexions sur le rapport Liberté-Libéralisme-Droit-Individualisme (que je remplacerais plutôt par le concept de Narcissisme), à lire le dernier opuscule de JC Michéa, L’empire du moindre mal, puis dans son prolongement, Christopher Lasch, La Culture du Narcissisme.

    Justement, après avoir parcouru quelques forums libéraux, je me suis attelé à la lecture de Lasch. Très intéressant en effet, et plus percutant que Michéa, il me semble.

  • Koz, rien à voir avec votre post mon commentaire.

    Je viens simplement faire un commentaire par rapport à la bataille de chiffonniers (parfois des commentateurs dignes d’Agoravox) qui s’est tenue chez Autheuil (dont les commentaires sont fermés…) et donc vous dire que mon avis abonde dans votre sans. Laissons les religieux athés perdre leur temps à essayer de prouver l’improuvable et continuons à CROIRE l’incroyable.

  • Au delà de savoir si notre société use et abuse des lois, la question est peut-être celle de la force et de l’indépendance de la Justice. Si les lois ressemblent de plus en plus à des règlementations, c’est parce que nous ne faisons plus confiance aux juges. Notre société préfère avoir des juges-machines plutôt que d’avoir un troisième pouvoir stable et puissant, gardien des valeurs de la république. La faute est également de croire que l’on pourra prévoir toutes les perversité du genre humain en quelques articles.
    Ainsi le juge est un salarié comme un autre plutôt qu’être garant de la stabilité de notre société. Ca coute moins cher à former.

  • Seldor, de toutes façons, Auhtueil a maintenant fermé les commentaires. Je devrais faire ça, moi aussi, quand je veux avoir le dernier mot 😉

    [amicalement et tout et tout : pour les HS, je préfère tout de même le chat]

    Guinea Pig, j’ai vraiment un public de choix.

    “Oui, mes frères, vous avez été appelés à la liberté. Seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre comme des hommes livrés à eux-mêmes.” (Galates)

    Bien vu, voilà qui traduit assez bien ce que je voulais exprimer. Comme quoi Paulo, question gingin, il était pas manchot. Et comme quoi, j’ai encore des points d’accord insoupçonnés à trouver dans les textes.

    Henri,

    C’est ce qu’a très bien décrit Fredrich von Hayek (j’entends les démons « gauchistes » éructer a l’évocation de son simple nom) dans un livre du joli nom de « La route de la servitude ». Son postulat en est que la liberté d’entreprendre est un pendant de la liberté politique. Si vous ne le croyez pas, demandez a Gorbatchev qui a cru sauver le régime soviétique en introduisant la liberté économique. C’était tout simplement le cheval de Troie de la liberté politique. L’autre a fini par entrer en triomphe peu après (pour peu de temps, certes, mais bon ne boudons pas notre plaisir)…

    Quid de la Chine ? Même si je schématise beaucoup en disant cela, cela va tout de même bientôt faire 30 ans que Xiaoping a sorti son histoire de chat qui attrappe les souris.

    Epo,

    Mais ce n’est pas évident pour tout le monde. Cette question du pouvoir de choix, de l’auto déterminisme de l’homme est probablement le grand débat à venir du 21eme siècle. De plus en plus de philosophie, sous des atours scientifiques élaborent de grandes théories expliquant que l’homme n’est qu’une activité neuronale et qu’une activité neuronale n’est pas plus responsable de quoi que se soit, qu’un ion ou un photon. C’est juste un peu plus complexe dans sa nature et sa fonction, point barre. Il en est même qui soutiennent que même la conscience n’existe pas – que c’est une impression après coup créée par l’activité neuronale justement. On peut sourire, mais ces théories soutiennent nombre de recherches un peu inquiétantes sur le comportement humain.

    Personnellement, ça ne me fait pas sourire. Notamment parce que je trouve que c’est une vision particulièrement desespérante. Et par la même occasion, comme tu le soulignes, déresponsabilisante, et désocialisante. Après tout, pourquoi s’abstenir de détruire ce qui ne serait qu’une activité neuronale ?

    Bien évidemment, si telle doit être la vérité scientifique, alors, on n’a qu’à s’incliner. Mais je m’interroge aussi : est-ce parce que j’ai envie de croire en Dieu et que l’idée de l’absurdité de ma vie et de toutes choses me procure comme un léger inconfort que ce type de théories m’indispose, ou est-ce parce que ces chercheurs sont eux-mêmes convaincus de l’inexistence de Dieu et orientent leurs recherches dans ce sens ?

  • Je manque de temps en ce moment… 🙁 , pourtant ce billet et ses commentaires m’intéressent vivement… Je dois dire que c’est un sujet qui occupe fréquemment mes pensées.

    Plus ça va et plus je me sens libéral, étant issu d’une famille chrétienne stricte (dont je cotoie fréquemment et parfois avec difficulté une bonne partie). Après y avoir réfléchi, je pense que c’est d’ailleurs une des raisons qui m’ont poussé à rejeter la gauche en politique et à m’orienter vers le libéralisme.

    Je veux préciser tout de suite (notamment avant de facher Koz, que je n’ai pas de souci avec les religieux qui savent prendre du recul, mais j’ai des difficultés relationnelles avec les rigoristes, qu’on trouve partout…) Pour moi il y a 2 types d’individus, ceux qui ont les croyances en lien direct (et à mon sens irréfléchi) avec leurs nécessités, et ceux qui s’en détachent pour faire un choix plus mûr.

    Tu poses les limtes de la liberté pour construire une société Koz, personnellement je suis d’accord avec London pour dire que le libéralisme aura pour mérite de ne pas opposer les individus contrairement à d’autres idéologies.

    A mon sens, le mérite qu’ont les libéraux n’est pas tant de promouvoir les libertés mais de respecter l’état initial dans lequel nous sommes (toutes croyances mises à part) c’est à dire inégaux et divers. Toute idéologie qui tente d’uniformiser créera des inadéquations. Même les nécessiteux (à comprendre au sens exposé plus haut) n’y trouvent leur compte, mais plutôt une vie simplifiée et par là même une sous-exposition à la réalité…

    Autrement, je suis également contre, la mise en avant excessive du moi que l’on trouve de manière récurrente dans les sociétés occidentales.

    Bon c’est tout pour le moment. 🙂

  • @Koz : désolée je ne peus lire les liens que tu as mis, je ne suis pas chez moi, j’ai peu de temps et les coms sautent
    Ce n’est pas fondamentalement différent tu as raison mais la démarche me semble différente. En lisant Marcel Gauchet et tes propos, j’ai le sentiment qu’il faut ambitionner une recherche perso afin d’être acteur de l’Histoire (en résumé). Je préfère l’attitude d’Osserguine dans « les jeux du destin » (j’ai oublié de le mentionner hier)qui prône une démarche plus modeste et perso à savoir oeuvrer pour l’histoire mais comme étant une goutte d’eau dans l’océan .Ce que tu dis dans ton com, je le comprends mieux , je suis parfaitement d’accord sur l’ambition morale et intellectuel mais j’ajouterais que cela ne suffit pas. Les actes…
    Merci pour le titre du livre il viendra alimenter ma PAL.(sauf si c’est purement historique)

    @Henri : oui la liberté d’entreprendre devrait être une valeur universelle. Je ne peux que l’approuver après la lecture du professeur Yunus cet hiver (banque Grammen) !
    Quant à votre cas d’école, au risque de paraître primesautière je dirais que l’on peut essayer de tenter de déduire ce que l’on veut avec notre vision d’occidental. Mais il me semble que les valeurs sécuritaires (je veux vivre malgré mes paroles, mes actes…) et de survie (boire et manger)seront celles les plus recherchées à l’échelle de la planète.Entre les pays totalitaires et ceux qui manquent d’eau…

    Au fait Koz bon retour vers la félicité du labeur !(les vaches ne m’intéressant pas, je n’ai pas eu l’occasion…mais ça m’épate toujours que l’on puisse s’intéresser à des vaches, même des blogs consacrés cela !). Alors quid du bon salers (fromage)et non pas d’un quelconque entre-deux de cantal basique ?

    Bon vamos a la playa…ciao

  • en lisant le dernier billet de Radical Chic, et notamment sa conclusion […], j’ai plutôt eu peur d’être de gauche, et en plus, de la gauche à la Radical Chic .

    Koz, je trouve paradoxal de citer ce passage pour illustrer ta pensée : lorsque j’avais lu ce billet, je l’avais bien compris comme une revalorisation de la pensée de gauche face à l’appui sur l’individualisme qui caractérise la droite. Seulement, ce souci du collectif et de la communauté passe justement par un plus grand rôle de l’Etat, par des lois forçant la « solidarité » (en tous cas dans l’esprit de l’auteur). Et si je comprends bien la critique du légalisme comme un simple plancher désincarné, je ne pense pas que c’était dans ta logique.

    Par contre, être libre n’oblige personne à ne respecter que les lois et à faire n’importe quoi en dehors. Cela en donne la possibilité, mais aucune nécessité. Il est possible de profiter de cette liberté pour s’élever et faire les meilleurs des choix, sans qu’ils ne soient dictés par la société. L’individu est d’une certaine façon face à lui même quant à sa façon de vivre en communauté, et ce n’est pas une mince responsabilité je pense.

    Enfin mon propos peut être d’une incroyable platitude, mais c’est la façon dont j’ai tendance à considérer les choses…

  • Je pressens, Xerbias, qu’à l’individualisme, je préfèrerai le personnalisme. Mais je ne fais que le pressentir, parce qu’on me l’a suggéré, et que je commence seulement à m’y intéresser.

    Cela dit, don’t « worry », j’ai confiance dans le fait que j’ai encore beaucoup de marge avant d’être en accord avec Guillermo.

    Je ne développe pas plus, sorry : un train m’attend.

  • Ouais, mais le personnalisme, c’est comme le distributisme au niveau économique, c’est une belle idée sur le papier mais c’est complètement inapplicable.

  • En quoi le personnalisme serait-il une idée complètement inapplicable Polydamas ?
    La réponse qui me viendrait est parce qu’elle ne peut s’imposer, se décider pour autrui, puisqu’il s’agit de faire place à la personne en ce qu’elle a de complexe et d’unique; auquel cas je dirais qu’il y a du boulot mais sur du long terme c’est une vision de la société humaine qui me séduit et qui se rapproche de ce que j’énonçais plus haut : apprenons à penser à nos enfants… ce qui est loin d’être simple puisqu’il faut d’abord que les adultes, les parents, se remettent en cause et apprennent à penser par eux-mêmes, à lâcher leurs certitudes et accepter la relativité des choses.

    Il y a toujours eu, il y a toujours des hommes qui prennent la parole et le pouvoir au nom des autres, pour le bien des autres évidemment, imaginer une société sans cette hiérarchie nécessite de l’imagination et de l’optimisme.

  • En quoi le personnalisme serait-il une idée complètement inapplicable Polydamas ?

    Parce que l’idée principale du personnalisme et du distributisme, c’est de rehumaniser les rapports sociaux, de se détacher des superstructures, beaucoup trop matérialistes. Le souci, c’est qu’on ne peut se passer de ces superstructures, c’est qu’il est impossible de faire sans, sur une planète avec 6 milliards d’habitants. Le personnalisme et le distributisme, je le vois un peu comme les relations de voisinage dans un village appliqué à grande échelle. C’est une aporie dans les termes parce que c’est tout simplement impossible, vous ne pouvez pas connaitre celui qui fabrique votre chaussure à l’autre bout du pays, ou celui qui participe à l’élaboration de votre voiture. Ou sinon, cela se traduit par un nombre de conséquences tel que l’on revient au Moyen-Age (contre lequel je n’ai rien).

    Disons que c’est pareil que le communisme. Celui-ci marche parfaitement dans un monastère où tous les membres de la communauté ont le même but, la même transcendance, le même culte. Mais sans cette unité d’idées, rien ne peut tenir.

    De bons systèmes à l’échelle micro peuvent être complètement inapplicables à très grande échelle. C’est là le souci.

  • Beau billet que celui là.
    J’ai lu avec attention les commentaires, mais n’ai pas trouvé le temps d’y répondre.
    Et répondre quoi, tant les commentaires lus me semblent parfaits.
    Un ce beau dimanche et déjà je pense au travail qui m’attend demain-, je vais tenter d’écrire quelques lignes pour participer à cet entretien enrichissant.
    Je ne parlerai pas de Sojénitsyne, je n’en connais que des extraits lus ça et là et les articles nécrologiques qui ont suivi sa mort dans tous les journaux.
    Avec une grande curiosité sur la réalité de ce qu’était cet homme, lorsqu’on lit tout et son contraire sur sa vie, son œuvre et sa philosophie, puisque ces articles vont de l’admiration jusqu’à la mise à sac…
    Mais je dirais quelques mots sur la liberté, sur la morale, sur l’éthique et sur les lois.

    Quelques lignes relevées au hasard de mes lectures :
    Georges Bataille, Principe d’incomplétude.

    Afin de lever un certain nombre de malentendus, il me faut d’abord affirmer que l’histoire n’est rien d’autre que l’histoire de la liberté, il n’est même guère pensable qu’elle soit autre chose sauf à se réduire à une évolution naturelle. Identifier histoire et liberté c’est dire aussi que la liberté n’est pas simplement donnée dans son évidence première mais qu’elle n’est qu’un produit de l’histoire développant ses contradictions. Cela implique qu’il n’y a pas dès l’origine une liberté sur laquelle s’applique une domination dont il suffirait de se défaire, mais bien que la liberté est plutôt un produit de la domination comme la paix est un produit de la guerre (du monopole de la violence, cf. Elias). Ainsi la Révolution française a expérimenté toute l’horreur du retournement de la liberté absolue de la volonté générale en Terreur dictatoriale avant de connaître l’ironie d’un rétablissement des libertés civiles sous la dictature bonapartiste !
    Nous devons témoigner en acte de notre liberté en adoptant un point de vue historique sur les choses comme sur nous-mêmes, notre capacité à nous transformer, considérant ainsi l’individu non comme une évidence première mais comme un processusd’individualisation. Ce qui n’est certes pas facile, identifications et narcissisme y font obstacle sans répit dans un présent éternisé ; seule l’histoire peut nous y ramener par son mouvement.

    Il est intéressant de prendre conscience que nous confondons souvent « liberté », « autonomie » «individualité », « narcissisme ».
    Je crois qu’en fait, nous sommes libres de penser, dans la mesure où nous sommes autonomes, c’est-à-dire que nous ne laissons pas d’autres penser à notre place.
    Mais nous ne sommes pas toujours libres d’exprimer, pour des tas de raisons :
    – diplomatie, morale, gentillesse, raisons financières, peur de faire du mal, peur de blesser, qui nous font nous censurer nous-mêmes

    • dictatures vraies et dictatures de la bien pensance qui font que nous ne pouvons pas nous exprimer, soit pour éviter le risque d’excommunions, de prison, voire d’exécution dans certains pays, soit pour éviter l’opprobre de ceux qui sont sous la domination ce cette pensée « unique » (je parle en général et non en particulier, chaque civilisation ou société pouvant développer une pensée « unique » dominante, que ce soit le communisme, le socialisme, ou toute autre pensée totalitaire religieuse ou politique)

    En ce qui concerne la liberté au sens large, non, je n’y crois pas. Nous ne sommes pas libres, pas libres de tuer notre voisin si nous en avons envie, pas libre de prendre ce qui lui appartient, pas libre de l’empêcher de vivre.
    Pas libres à cause de la morale, de l’éthique, des codes, des règles, de la société dans laquelle nous vivons.
    Et ceux qui enfreignent ces codes, en invoquant la liberté, oublient que leur liberté fait forcément barrière à la liberté des autres.
    Il suffit de voir les grèves : c’est typiquement un acte de liberté totalement anti liberté !
    Et pourtant, il est largement glorifié au nom de celle-ci !

    Comme si le fait d’appartenir à la catégorie des normosés de l’idéologie dominante permettait d’être libres et d’imposer sa liberté d’expression et sa liberté d’agir à ceux qui pensent différemment !

    Pas libres à cause de la morale : j’en reviens à Paul Ricœur et ses réflexions, oh combien intéressantes sur le glissement du sens de l’éthique à la morale puis aux lois.
    Pour lui,

    l’éthique est tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de loi morale […] la morale tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des normes, des impératifs

    Il distingue trois pôles :

    -le pôle « je »qui est « une liberté en première personne »
    A ce niveau, la liberté « ne peut ni se voir, ni se trouver, mais simplement s’attester ». Nous ne pouvons que croire en elle, dit-il. «Me poser libre, c’est me croire libre » « je suis très exactement ce que je peux, je peux ce que je suis ».

    on peut appeler éthique cette odyssée de la liberté à travers le monde des œuvres, ce voyage de la croyance aveugle (je peux) à l’histoire réelle (je fais)

    -Le pôle « tu »
    Là, on entre véritablement dans l’éthique, lorsqu’on ajoute la volonté que la liberté de l’autre doit être. « Je veux que TA liberté soit » ajoute t il…
    Il fait référence alors à Levinas (autre grand philosophe que j’adore) qui disait : «que « je suis l’otage de l’autre » constituait le véritable départ dans la voie de l’éthique.
    Il y a là « l’opposition d’une liberté à l’autre »
    Et je vous copie une très belle phrase de Ricœur :

    la tâche du devenir libre est contrariée originellement par le mal primordial du meurtre de la liberté

    -Enfin le « pôle Il »
    C’est pour lui, le pôle de la médiation, la règle, entre deux libertés.
    En insistant sur le fait que le « nous » ne sera jamais le « eux » et sur le fait que « la socialisation implique la possibilité d’intérioriser la règle, et sur la capacité de chacun de reconnaître la supériorité de la règle, le pouvoir de l’assumer ou de la refuser », en y inscrivant « « la référence à une position de liberté en première (je) ou deuxième (tu) personne. »

    Arrive alors le terme de valeur, qui met en jeu le jugement moral. Ces valeurs, sont, selon lui, « liées aux préférences, aux évaluations des personnes individuelles et finalement à une histoire des mœurs ».
    Il y a requête de liberté, mais avec la reconnaissance que la volonté de l’autre vaut autant que la nôtre, mais aussi, parallèlement, un ordre social.

    On passe ensuite au « il faut », il n’y a plus référence à la liberté, ni de la mienne, ni de celle de l’autre. Et on arrive alors à « la sévérité de la moralité » et la notion d’interdits.
    S’en suit, dans ses réflexions, la qualification de «bénéfique» de l’interdiction qui permet d’avoir une «aide, un support» vers un «raisonnable», en nous protégeant d’un arbitraire.
    Enfin la loi vient clore ce chemin vers le sens.

    le formalisme en éthique définit la morale. Mais l’éthique a une ambition plus vaste, celle de reconstruire tous les intermédiaires entre la liberté, qui est le point de départ, et la loi, qui est le point d’arrivée

    A ces réflexions de Ricœur, je puis ajouter quelques unes des miennes :
    Il me semble essentiel en effet que nous pensions à l’autre. Et c’est ainsi que je comprends le « la liberté des uns s’arrête où commence celle de l’autre ».
    Il faudrait aussi, se pencher sur la notion de tolérance, qui est, à mon avis indissociable de la notion de liberté.
    Seule la tolérance peut nous amener à la liberté. Je suis libre, parce que j’autorise l’autre à être libre.
    La seule condition : que tous deux nous soyons tolérants à l’autre.
    Or, ce que nous voyons tous les jours, c’est que nombre de personnes nous demandent d’être tolérants à leur égard, sans avoir une once de tolérance pour nous, nos croyances, notre culture… Ils demandent la liberté au « je », mais passent par-dessus la liberté au « tu » pour créer des règles qui de viennent forcément arbitraires…

    Bon j’arrête là mes élucubrations.
    Pardon, Koz, j’ai abusé d’espace, j’ai pris la liberté de m’exprimer. Bon, ce qui me déculpabilise, c’est que chacun aura la liberté de ne pas me lire !

  • Philo,

    si vous ne connaissez pas, voici l’adresse d’une librairie russe à paris, où vos devriez trouver votre bonheur: LES EDITEURS REUNIS, 11 rue de la Montagne Sainte-Geneviève, 75005 Paris

  • Nous verrons, Polydamas, sur le personnalisme. Il m’est d’avis que tous les combats prétendument perdus ne te rebutent pas.

    J’ai lu avec attention les commentaires, mais n’ai pas trouvé le temps d’y répondre. Et répondre quoi, tant les commentaires lus me semblent parfaits.

    Je comprends ce que tu entends par là. Il y a dans les coms des réflexions personnelles qui n’appellent pas spécialement de réponse.

    Il faudrait aussi, se pencher sur la notion de tolérance, qui est, à mon avis indissociable de la notion de liberté. Seule la tolérance peut nous amener à la liberté. Je suis libre, parce que j’autorise l’autre à être libre. La seule condition : que tous deux nous soyons tolérants à l’autre. Or, ce que nous voyons tous les jours, c’est que nombre de personnes nous demandent d’être tolérants à leur égard, sans avoir une once de tolérance pour nous, nos croyances, notre culture…

    Tiens, ça me fait penser à un truc. Un prêtre avec lequel je discutais dans le RER quand j’étais jeune me disait qu’il fallait préférer le respect à la tolérance. Et je dois dire que je tends à lui donner raison. Dans la tolérance, il y a, il me semble, une forme d' »égoïsme », d’indifférence, d’individualisme. Comme tu le dis d’ailleurs, « j’autorise l’autre à être libre« . Dans le respect, il y a, pour moi, la considération de l’autre, le respect pour ce qu’il est, quand bien même je ne l’approuve pas.

  • Dans la tolérance, il y a, il me semble, une forme d’”égoïsme”, d’indifférence, d’individualisme. Comme tu le dis d’ailleurs, “j’autorise l’autre à être libre“. Dans le respect, il y a, pour moi, la considération de l’autre, le respect pour ce qu’il est, quand bien même je ne l’approuve pas.

    Merci Koz, j’ai la réponse à la question que je me pose depuis de nombreuses années sur la tolérance.
    je me sens au clair avec ce que tu dis.
    Comme une sorte de liberté face à ma culpabilité de n’être pas toujours tolérante, alors qu’au fond de moi, je sais que je considère et je respecte celui avec qui je ne suis pas forcément d’accord, tout en acceptant sa liberté de penser différemment.

  • Pour rajouter aux magnifiques contributions des uns et des autres , me vient à l’esprit une phrase de jean-sol Partre du style « on n’a jamais été aussi libre que sous l’occupation ».
    Oui les libertés sont celles, bien concrètes, d’aller et venir, de commercer, d’entreprendre , de vivre avec la personne de son choix, de croire ou pas à une religion et de la pratiquer …
    Mais surtout de penser, puis, expression et prolongement naturel, de s’exprimer.

    Le coeur de la liberté concrète (je ne parle pas du problème philosophique de la liberté en tant qu’auto-détermination) c’est la liberté de penser . Puis de s’exprimer.

    Je comprends très bien qu’une fois l’ensemble de ces libertés concrètes, établi, on les considère comme un cadre et pas comme une perpétuelle fin en soi.

    Mais à avoir une conception trop formelle des libertés , on oublie que penser est une liberté très particulière , une liberté qui n’est réelle que si on y applique un questionnement assez rigoureux , qui n’est pas facile et qui n’est pas un cadre de confort donné une fois pour toute. Et ce, surtout à présent, dans une société qui fonctionne à la force centripète des idées reçus et toutes faites. Mais aussi des comportements standardisés.
    Trop de liberté(s) tue la liberté (de penser) ? Ou fait perdre le sens et la hierarchie des libertés ? Ou fait oublier l’idée qu’une liberté collective n’existe et ne fonctionne que si chacun restreind une partie de sa liberté individuelle.

    Bref la liberté c’est un questionnement permanent.
    J’ai bien aimé la phrase de Tara plus haut « l’histoire n’est rien d’autre que l’histoire de la liberté » .
    Et la liberté c’est donc l’histoire fondamentale de l’homme, ou plus précisemment des hommes ensemble. (Après avoir mangé et baisé, bien sûr . Quoiqu’il y a celle d’aimer également -question de point de vue-).

    Sachant que cette Histoire de la Liberté comme une aventure colective, est également l’histoire d’une restriction de certaines de mes petites libertés, face à l’Autre.

    Quoiqu’il en soit, effectivement, la pratique névrotique de la liberté d’expression à dire à chaque fois encore plus n’importe quoi, que la fois d’avant, ne mène pas à grand chose, et ne saurait constituer en soi une reflexion pertinente. Bien au contraire puisque ça finit par des effets assez nocifs même si le principe de la liberté d’expression est bien testé -mais était-il menacé?- .

  • Mais la liberté de penser n’est pas  » naturelle « , penser cela s’apprend aussi bien à travers l’éducation qu’à travers l’instruction et c’est un exercice périlleux car apprendre à un enfant à penser – c’est un apprentissage – c’est pour le parent donner un sens à ses propos, à ses injonctions, prendre le temps de le faire et adapter ses paroles à l’âge de l’enfant, c’est réfléchir sur soi et c’est aussi accepter de perdre de son influence sur l’enfant.

    Les parents qui imposent leurs idées, leurs convictions sans les mettre en perspective ou qui n’ont pas grand chose à transmettre ne donnent pas de grain à moudre à la liberté de penser de leurs enfants et la philosophie n’est pas assez présente dans les programmes d’éducation scolaire pour influer vraiment.

    Je suis d’accord avec Opossum pour dire que la liberté de pensée précède la liberté d’expression et qu’il s’agit d’une ouverture plus que d’un acquis, un questionnement permanent…

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