L'avenir du travail, II

Le retour vers le présent que constitue cette deuxième partie (après la première) suscite malheureusement une certaine déception. Les propositions avancées ne brillent en effet guère par leur originalité et ne surprendront pas qui a suivi avec attention la campagne présidentielle.

Il y a dès lors deux possibilités : le verre est à moitié plein, et l’on considère que les réformes envisagées nous offrent l’occasion d’un saut qualitatif nous permettant de remédier à notre – relative – inadaptation passée, ou il est à moitié vide, et leur mise en place, encore incertaine, ne permettra à la France que de rattraper un peu du temps qu’elle a patiemment et consciencieusement perdu ces dix à vingt-cinq dernières années pour se mettre enfin à niveau… sans pour autant prendre d’avance.

Cette deuxième partie présente, tout de même, deux intérêts : celui de reprendre, sous des signatures diverses, des propositions connues et d’accroître ainsi le consensus sur les objectifs, et celui de mentionner à quelques reprises les réserves de François Chérèque et de la CFDT sur certaines propositions… et de permettre de déduire, a contrario, l’absence de réserves émises sur les autres.

Si le rapport souligne la forte productivité – la plus élevée au monde – du travail français, il met en lumière le fait que notre dynamisme potentiel est bridé par une faible quantité de travail – du fait notamment de lacunes en matière d’emploi des jeunes, des femmes, des seniors, comme de formation insuffisante – une quantité qui ira, de surcroît, décroissant, pour des raisons démographiques évidentes.

« La quasi-totalité de l’écart de croissance qui, depuis dix ans, sépare la France de ses principaux partenaires, s’explique par la moindre quantité de travail que notre pays est […] capable de mobiliser collectivement chaque année dépit de très substantiels gains de productivité » (p. 92).

La situation du travail des jeunes doit donc être améliorée, celle des seniors aussi, et l’on peut noter à cet égard que, face au vieillissement de la population et à l’augmentation de l’espérance de vie, le rapport envisage, pour exclure les trois premières, quatre possibilités : la baisse des retraites, la hausse des cotisations, l’apport massif d’étrangers ou le recul de l’âge de la retraite. La baisse des retraites de 75% à 62% du salaire moyen des années d’activités prises en compte, la hausse des cotisations de l’équivalent de quatre années d’activité, l’apport d’étrangers allant jusqu’à constituer une France de 187 millions d’habitants composée à 68% d’immigrés étant jugés impraticables, reste l’allongement de la durée d’activité, jusque vers les 70 ans, qui ne pourrait être accepté que s’il est volontaire, que si le cumul d’un emploi rémunéré et de la retraite est autorisé et que sont « démantelés » les dispositifs de retraites anticipées… Il n’est pas anodin de relever que « M. Chérèque et la CFDT » n’ont pas marqué de réserves sur ces points.

Pas davantage ces derniers n’ont-ils marqué de réserves quant à la nécessité de flexibiliser le temps de travail, « pour s’adapter aux besoins des clients [et] des salariés », que ces derniers souhaitent ne pas renoncer aux avantages de la RTT, que certains souhaitent commencer leur semaine de 35 heures à midi… ou que d’autres souhaitent « travailler plus pour gagner plus » (p. 122).

Il est peut-être plus notable encore que « M. Chérèque et la CFDT » n’aient pas entendu mettre de réserves quant à l’évolution des conditions du licenciement. Il est souligné que les conditions posées actuellement au licenciement collectif sont « trop complexes pour être adaptées aux exigences du changement à venir (…) Le délai gagné en alourdissant le coût du licenciement se paie en emplois. Le bénéfice pour les salariés est limité, s’il existe » (p. 26). Le rapport souligne ainsi que la judiciarisation croissante des licenciements incitent les entreprises « à anticiper un coût potentiellement élevé en cas de licenciement », qui se répercute sur les salariés, l’employeur étant en outre incité à invoquer des motifs personnels pour licencier, éventuellement au bénéfice d’une transaction, ce dont ne bénéficient au demeurant que les salariés les mieux informés.

En ce qui concerne en revanche l’amélioration du dialogue social, « ce point n’est pas partagé par M. Chérèque et la CFDT ». Il est ainsi relevé que le développement du droit de la représentation du personnel aboutit à alimenter le contentieux au sein de l’entreprise, rendant nécessaire une clarification des règles et un allègement des procédures. Les réserves posées par François Chérèque et la CFDT portent sur les modalités de la représentation, sur un vrai point de débat, puisqu’il s’agit d’arbitrer entre une représentation nationale, sur la base d’une élection, ou d’une représentation liée à une présence effective dans l’entreprise, qui a la préférence de la CFDT.

Sans réserves de cette dernière ni de François Chérèque, est également évoqué la nécessité de réformer un droit du travail qui devient un nid à contentieux, et qui aboutit à conflictualiser artificiellement les relations de travail – ce qui, si vous me permettez cet intermède, fait écho à une conversation que Liberal et moi nous sommes permises à la terrasse du Bar Basque.

Est également évoquée – avec fortes réserves de F. Chérèque et de la CFDT – l’évolution vers une forme unique du contrat de travail, à durée indéterminée, inspirée « du droit commercial où la volonté des parties prévaut et où la rupture de contrat entraîne une indemnité compensatrice » (p. 135). Ce contrat serait assorti d’un délai-congé, et les indemnités – majorées durant les dix-huit premiers mois – varieraient avec l’ancienneté.

Sont enfin envisagées (i) l’instauration d’une flexisécurité à la française, dont le principe consisterait, toujours, à attacher les droits au salarié plutôt qu’à l’emploi et à faire assurer le reclassement non par les entreprises (ce qui n’est pas de leur compétence et s’avère souvent fictif) mais par l’Etat, l’abandon des obligations de reclassement étant compensé par le versement d’une contribution globalement équivalente de 1.6% des salaires des personnes licenciées (proposition figurant dans le rapport Cahuc et Kramarz, De la précarité à la mobilité : Vers une sécurité sociale professionnelle), (ii) la réforme du service public de l’emploi et (iii) l’harmonisation des conditions de retraite des actifs, par la réforme, notamment, de l’ensemble des régimes spéciaux… le tout sans réserves des susnommés.

* * *

Les propositions soutenues dans ce rapport ne sont donc, on le voit, guère originales. Elles ont toutes été, d’une manière ou d’une autre, avancées par divers autres rapports, promues par l’un ou l’autre des candidats, et déjà amplement discutées. Ah, je sais bien que le prix d’un ouvrage ne peut être guidé par son seul intérêt, mais j’en viens presque à regretter les 12€ demandés. 12 €, c’est tout de même environ quatre bières… ou une semaine de couches.

Si L’Avenir du Travail n’est, tout de même, pas dénué d’intérêt, ne serait-ce que par les réflexions qu’il suscite, il n’est pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre de contributeurs émérites ou escompter à la lecture d’une quatrième de couverture, qui se révèle exagérément promotionnelle.

Puisque les auteurs s’attardent sur les conséquences de l’explosion des nouvelles technologies sur le marché du travail et, plus largement, sur l’économie, je me permets une petite touche prospective personnelle en prédisant la disparition à brève échéance de tels ouvrages, à l’heure où tant de rapports de qualité sont directement disponibles en ligne.

Une devinette peut-être un peu perfide pour finir : lorsqu’un livre est rédigé « sous la direction de » et « avec le concours de », quel est celui ou celle, dont le nom n’apparaît pas, qui l’a effectivement écrit ?

11 commentaires

  • [quote post= »413″]l’allongement de la durée d’activité, jusque vers les 70 ans,[/quote]
    A ce compte là, autant dire qu’on supprime la retraite et qu’on travaille jusqu’à sa mort pour ne pas dire jusqu’à ce que mort s’ensuive…
    Bienvenue au XIXe siècle !

  • [quote post= »413″]« La quasi-totalité de l’écart de croissance qui, depuis dix ans, sépare la France de ses principaux partenaires, s’explique par la moindre quantité de travail que notre pays est […] capable de mobiliser collectivement chaque année dépit de très substantiels gains de productivité » (p. 92).[/quote]

    D’après la presse économique, cette différence de croissance est souvent attribué au faible montant des investissements des entreprises. Je ne sais pas si c’est contradictoire.

    [quote post= »413″] Ah, je sais bien que le prix d’un ouvrage ne peut être guidé par son seul intérêt, mais j’en viens presque à regretter les 12€ demandés. [/quote]

    Personnellement, je souhaiterais que les livres sortent tous dès le départ en livre de poche. Ah, et un autre de mes combats est le scandale du prix de la place de cinéma. Quand le prix est trop élevé, mieux vaut éviter de se tromper, pour les livres comme pour les films, du coup, j’ai plusieurs mois de retard sur ce qui sort. Pour ce livre-ci, nul doute que sans ces billets, je n’en n’aurais jamais connu l’existence.

  • [quote comment= »39159″]
    A ce compte là, autant dire qu’on supprime la retraite et qu’on travaille jusqu’à sa mort pour ne pas dire jusqu’à ce que mort s’ensuive…
    Bienvenue au XIXe siècle ![/quote]

    Pas très sérieux comme argument… Quand le système de retraite par répartition a été créé en 1945 l’espérance de vie était très loin de son niveau actuel. En cherchant un peu (www.ecosante.fr) vous découvrirez qu’arrivé à 65 ans vous avez aujourd’hui une espérance de vie de l’ordre de 18 ans (22 pour les femmes). Si vous partez à la retraite à 70 ans il vous restera encore bien plus de beaux jours devant vous que pour vos prédécesseurs de 1945 (sans parler du XIXe siècle bien entendu).

  • [quote comment= »39159″][quote post= »413″]l’allongement de la durée d’activité, jusque vers les 70 ans,[/quote]
    A ce compte là, autant dire qu’on supprime la retraite et qu’on travaille jusqu’à sa mort pour ne pas dire jusqu’à ce que mort s’ensuive…
    Bienvenue au XIXe siècle ![/quote]

    Cher Gandalf (blanc ou gris?).

    Je reviens d’un petit voyage en scandinavie (principalement la norvege). Mes discussions avec les autochtones m’ont permis de découvrir que l’age de la retraite chez eux est de 67 ans, sans possibilité de la prendre par anticipation. Personne ne s’en plaint.

    Avec l’allongement de la durée de vie, certaines personnes en France travaille désormais autant de temps qu’elles sont en retraite (au hasard les « travaux pénibles » de la SNCF).

    Alors que fait on? On continue à mettre tout le monde à la retraite de plus en plus tôt, et tant pis pour les contribuables qui auront à assurer le versement (petit rappel, on arrivera bientôt à 1 inactif pour 1 actif, l’actif devra donc assurer le revenu de 2 personnes, plus les frais de l’Etat).

  • je croyais que certains etaient partis en vacances apres une année de dur labeur
    Une renovation complete du monde du travail est plus que necessaire pour recreer une dynamique. Nous vivons de l’heritage d’une période de rapport de force au cours de laquelle les marxistes de tous poils ont accumulés des privileges parfois »honteux » face à un pouvoir politique faible.La bulle doit exploser, les français en sont conscients et c’est pour cela qu’ils ont voté NS .Esperons toutefois que notre cher Attali ne va pas dévoyer les bonnes intentions.

  • Quelques remarques en vrac sur le texte :
    la flexibilisation du travail est un thème sur lequel on se focalise souvent, mais il n’est pas sur que ce soit le plus important dans le fond. D’abord il faut savoir que les 35 heures ont été à l’origine d’une flexibilité accrue dans les entreprises : en échange de la RTT, les entreprises étaient plus libres de choisir quand étaient faites les heures.
    Quant au contrat unique, beaucoup doutent que ce soit la solution pour un marché plus fluide. Comme le reste de la note le montre bien, les solutions adaptées à des populations spécifiques comme les jeunes, les femmes ou les vieux ne sont sans doute pas les mêmes, il serait donc absurde de proposer un contrat unique à toutes ces catégories. La plupart des juristes notent d’ailleurs que le CTU aurait un potentiel de contentieux encore bien plus grand que le régime actuel : un exemple simple : comment faire pour remplacer trois ou six mois une femme enceinte si on n’a plus accès au CDD? En revanche la proposition Cahuc Kramarz est une bonne idée.
    Enfin, par rapport à ce que dit Chérèque (et certains commentaires), les économistes pensent de moins en moins que la réforme du marché du travail soit centrale pour la croissance. Je me permets de renvoyer à cet article qui décrit les leviers les plus importants, où la demande de travail (par plus d’investissement, de concurrence…) joue sans doute plus que l’offre.

  • Travailler jusqu’à 70 ans, pourquoi pas?
    Mais pas pour faire n’importe quoi.
    Imagine-t-on un platrier ou un maçon aux poumons brûlés par le plâtre ou le ciment continuer jusqu’à cet âge?
    Imagine-t-on un prof encore capable de tenir sa classe en haleine à 70 ans?
    Je crois qu’il faudra bien se résoudre à faire deux ou trois métiers différents dans une vie.
    Le maçon pourra peut-être devenir magasinier, le prof documentaliste etc…

    Une petite réflexion en marge: comme Sébastien je reviens de Scandinavie.
    En Islande on a toujours beaucoup travaillé, on est bien éduqué, bien formé, on a un haut niveau de vie.
    Mais comme la prospérité repose sur la morue et qu’il n’y aura bientôt plus de morues, le gouvernement veut créer de nouvelles activités.
    La géothermie permet d’avoir de l’énergie pour presque rien. D’où l’idée de se lancer dans l’aluminium dont la production est gourmande en électricité.
    On fait venir la bauxite de Nouvelle-Zélande et l’aluminium bon marché repart d’Islande vers les Etats-Unis.
    Génial.
    Sauf que les islandais ne veulent pas travailler dans ces usines qui ne marchent que par l’arrivée massive de travailleurs venus de l’Est.
    Que faut-il en conclure?
    Que la force de l’habitude est trop grande?
    Que le poids des traditions est au-desus des réalités économiques?
    Ou encore que les peuples qui ont atteint un haut niveau de vie répugnent à travailler de leurs mains?
    Après tout Rome, et Athènes avant Rome, avaient bâti leur prospérité sur leurs esclaves.

  • [quote post= »413″]Quand le système de retraite par répartition a été créé en 1945 l’espérance de vie était très loin de son niveau actuel. En cherchant un peu (www.ecosante.fr) vous découvrirez qu’arrivé à 65 ans vous avez aujourd’hui une espérance de vie de l’ordre de 18 ans (22 pour les femmes). Si vous partez à la retraite à 70 ans il vous restera encore bien plus de beaux jours devant vous que pour vos prédécesseurs de 1945 (sans parler du XIXe siècle bien entendu).[/quote]L’espérance de vie des autres, je me fiche. C’est la mienne qui m’intéresse. Mon père est mort à 62 ans, mes grands-pères à 37 et 51 ans… je ne parle pas des générations précédentes… alors, l’allongement de la durée de la vie, allez en parler aux autres !!
    1 – je ne suis vraiment pas certain d’atteindre 70 ans
    2 – à 70 ans, j’aurais derrière moi 50 ans de cotisations.

  • en fait plus on avance en lecture à l’intérieur de ce bouquin et plus celui-ci se révèle être un beau torche-bal ! … et bien sûr avec une caution de poids en ce qui concerne la CFDT… Pourquoi n’en rien demander à un Besancenot par exemple ?

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