La maison brûle – avec ses habitants

S’il fallait attendre des morts pour nous y intéresser, nous y voilà : 91. Les cadavres de deux petites jumelles de neuf ans enlacées dans la mort par leurs grands-parents évoquent une Pompéi moderne. Mais ces morts sont en Grèce, à 2000 kilomètres de Paris, alors, pour ne rien voir, outre la distance, on incriminera la désorganisation des pompiers ou les constructions illégales. Pourtant, à 2000 autres kilomètres de Paris, la Suède est en feu. Au-delà de la Grèce, par-delà la Californie, cette fois, c’est le cercle arctique qui brûle.

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Cette phrase de Jacques Chirac, rabâchée et raillée, a été prononcée alors que, déjà, l’Australie était ravagée par des feux de forêt, attisés par le réchauffement climatique. Seize ans après, c’est l’extrême nord de l’autre hémisphère qui brûle et nous continuons de regarder ailleurs, fidèles à la grenouille d’Al Gore, celle qui oublie son instinct de survie et se laisse cuire vivante si l’on n’accroît la température que progressivement.

Et nous cuisons dans l’indifférence. À l’échelle planétaire, 2018 est pourtant la troisième année la plus chaude que nous ayons enregistrée… après 2017 et 2016. Les climatologues l’annonçaient il y a 30 ans, nous y sommes. Que prévoient-ils encore ? Dans 10 ans, donc demain, des records de température supérieurs de 2 à 3 degrés aux records actuels – soit 45 degrés. Nos enfants, eux, connaîtront des températures de 50 à 55 degrés. Le nombre de morts en Europe liés aux canicules passera de 3000 à 150000 par an.

Plutôt que de nous adapter à la tendance, faute de la contrarier, nous persistons à densifier et bétonner nos villes, îlots de chaleur bientôt invivables. D’autres terres le seront plus drastiquement encore. Faut-il alors mobiliser le spectre migratoire pour sensibiliser les masses ? Car « si rien n’est fait » – hypothèse régulièrement vérifiée –, ce sont des dizaines de millions de personnes en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient qui pourraient être poussées à se déplacer en masse. La dernière crise migratoire, qui a suscité tant de panique, aura alors des airs de transhumance estivale.

La maison brûle, nous brûlerons avec. Mais pendant 15 jours, sur toutes les chaînes, tous les jours, dans tous les titres, les sous-titres, nous avons regardé ailleurs, une seule et unique affaire. Elle n’est pas négligeable, mais, dans 10 ans, il n’en restera rien. Quand la vie même est en jeu, on aimerait pourtant qu’elle recueille le quart de cette attention.

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Vous trouverez ici les sources de cette chronique, initialement publiée à La Vie dans un autre espace-temps :le 31 juillet, avant la canicule, et que l’on se préoccupe temporairement du climat.

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11 commentaires

  • Cher KOZ
    J’ai beaucoup de respect pour vos billets.
    Mais dans le cas présent, permettez-moi de ne pas partager votre « regard ». Nous ne regardons pas « ailleurs » quand la maison brûle, mais nous regardons « plus loin ». La vue est obscurcie quand on se laisse aller à la peur.
    Comme vous le dites au sujet d’une autre affaire, « dans 10 ans, il ne restera rien » de nos peurs climatiques: quand les cycles solaires s’inverseront, on oubliera les alertes comme on a eu raison d’oublier celles concernant les « pluies acides » dont chacun reconnait qu’il s’agissait d’une peur sans fondement.
    Oui, il faut pleurer les morts dans des incendies. Mais qui se rappelle des gigantesques incendies en 1825 au Canada (15000 km² dans le Nouveau-Brunswick) ? On sortait d’une période glaciaire . Qui parle de l’incendie de 1916 dans l’Ontario ravageant plus d’1 million d’ha et tuant 220 personnes? L’émotion est grande quand on voit la photo de deux fillettes enlacées dans la mort. Mais comme disait Victor Hugo: « Le propre de la vérité, c’est de manquer de complaisance » (les misérables tome IV – l’épopée rue St-Denis). Car la Vérité est ailleurs : les incendies de forêt peuvent être favorisés par des conditions météo, mais ont d’autres causes que les cycles climatiques. (ne pas confondre météo et climat); il faudrait s’interroger sur les forêts qui ne sont plus entretenues ni exploitées du fait d’une mondialisation qui met en concurrence les exploitations forestières.
    A votre disposition

    • Merci. Aucun problème à ce que vous ne partagiez pas mon « regard », il semble que je ne partage pas le vôtre. Je doute fort que l’on regarde « plus loin » et que cela explique l’apathie majoritaire sur ce sujet. Je crains que, pour une certaine part, lorsqu’il est conscient, le déni s’appuie encore sur le souci de maintenir le développement industriel constant. Quant aux ressorts respectifs des réactions, on pourrait mettre sans difficulté la peur en regard de l’autruche. Il est assez facile de jouer sur l’idée que « tout va bien se passer« .

      L’idée que le réchauffement actuel soit le fait de cycles solaires est une idée pour le moins contestée (cette source n’étant qu’un exemple).

      Qu’il y ait eu par le passé de grands incendies, et de plus grands qu’aujourd’hui, c’est plus que probable, c’est certain. Que les incendies en eux-mêmes ne soient pas directement ou uniquement imputables au réchauffement climatique, c’est probable. Il s’agit, dans mon billet, d’une illustration, pas d’une étude scientifique.

      Je ne suis pas un spécialiste des pluies acides non plus. Pour autant, affirmer que ce phénomène aurait tout simplement disparu me paraît un peu hasardeux.

      Ce qui est scientifique, en revanche, bien que rejeté par les climatosceptiques (même confrontés à la canicule en Suède), c’est bel et bien le réchauffement et la nécessité – a minima – de s’y adapter urgemment.

      Il reste que le plus grand consensus scientifique s’établit sur l’existence d’un réchauffement climatique et, dans une relative moindre mesure, sur l’impact de l’activité humaine. Il restera certainement des scientifiques, ou amateurs, qui produiront des études divergentes. C’est toujours ainsi en matière scientifique. Certaines seront plus ou moins honnêtes, mais prospèrent sur l’incapacité du profane à les contester.

      En ce qui me concerne, je suivrai donc le plus grand consensus scientifique et je refuse de porter la responsabilité d’avoir incité à se croiser les bras.

      (ps : « la vérité est ailleurs », c’est Mulder et Scully 😉 )

    • @ Stanislas de LARMINAT :
      « quand les cycles solaires s’inverseront » : les cycles solaires durent onze ans. Cela fait au moins une dizaine d’années que cette hypothèse a été démontrée fausse, et le cycle solaire complet déroulé depuis, qui s’est avéré sans corrélation avec l’évolution climatique, n’a fait que le confirmer une fois de plus.

      « qui se rappelle des gigantesques incendies en 1825 au Canada (15000 km² dans le Nouveau-Brunswick) » : les moyens de lutte contre l’incendie de l’époque n’ayant rien à voir avec ceux d’aujourd’hui, cette comparaison n’a aucun sens.

      Je comprends que vous rejetez les causes anthropiques du réchauffement, et vous contestez donc que les gaz à effet de serre produits par l’homme aient un effet de serre.
      Cet effet est dû à l’absorption des infra-rouges par les molécules triatomiques du fait de la variation de leur moment magnétique lorsqu’elles vibrent, comme spécifié par les lois de Maxwell qui régissent l’ensemble des phénomènes électriques et magnétiques connus. Puisque vous rejetez les équations de Maxwell qui fondent la physique moderne et basent toute la technologie depuis deux siècles, pourriez-vous préciser par quoi vous pensez les remplacer ?
      Je vous en remercie par avance.

    • @ Stanislas de LARMINAT : « on oubliera les alertes comme on a eu raison d’oublier celles concernant les « pluies acides » dont chacun reconnait qu’il s’agissait d’une peur sans fondement »

      Le « chacun », c’est vous ?
      Si les pluies acides ont diminuées en Europe, c’est justement parce que des mesures ont été prises, en particulier la diminution des rejets de soufre dans l’atmosphère. De même pour le trou de la couche d’ozone, en voie de rémission suite à l’interdiction au niveau mondial des gaz CFC.

      Du fait que certaines catastrophes ont été évitées suite à des actions au niveau mondial, vous déduisez qu’il suffit de ne rien faire pour que les problèmes se résolvent. C’est plutôt surprenant.

      En ce qui concerne le réchauffement climatique lui-même, j’ai mis du temps à me faire une opinion, mais désormais difficile de faire l’autruche au vu des données disponibles : https://bit.ly/2KJBgaJ

      Pour comparaison, l’activité solaire : https://bit.ly/2tjTk4y

  • Une très belle station spatiale internationale tourne autour de la Terre et c’est bien.
    Les jeux olympiques c’est bien.
    La coupe du mondede foot ou de rugby c’est bien. La fédération mondiale de foot a plus d’argent que certains pays de la planète. Certains clubs de foot européens ont des budgets de fonctionnement incroyables. C’est bien.
    Les tournois de Wimbledon, de Roland Garros, c’est bien.
    Dommage qu’il n’y ait pas d’argent pour faire une flotte mondiale de canadairs ou autre marque de bombardiers d’eau capable de se déplacer partout dans le monde en cas d’incendies incontrôlés.
    Il n’y a pas que des problèmes, il n’y a que des solutions.
    Mais effectivement souvent nous regardons ailleurs.

  • Cher Koz, En tant que lecteur attentif et le plus souvent approbateur de vos billets, je me permets de mettre en doute votre point de vue selon lequel « densifier et bétonner nos villes » serait une des causes du réchauffement climatique. Vous serez probablement d’accord que le responsable principal de nos maux actuels et futurs est le rejet massif de gaz carbonique. Si c’est bien le cas (rassurez-nous), pensez-vous sérieusement que la consommation directe et indirecte de combustibles fossiles par citadin soit plus élevée que celle d’un habitant de banlieue pavillonnaire proche ou lointaine du centre-ville? A moins que votre point soit de préconiser les solutions de Pierre Rabhi mais là il faudra que vous vous donniez beaucoup de mal pour nous embarquer. Dans l’ordre, les transports et le bâtiment/chauffage sont les deux premiers responsables en France des rejets de CO2 (respectivement pour 30% et 19%), et vous voulez nous inciter à quitter la ville où nous vivons sans voiture et aidons à chauffer les appartements de nos voisins du dessus et du dessous? Libre à vous de penser que notre existence de citadin est invivable, mais permettez-nous de considérer que nous pourrions faire pire en matière écologique. Avec tout mon respect.

    • Je n’ai pas écrit que la bétonnisation des villes soit une cause de réchauffement climatique, mais qu’au lieu de nous adapter à ce réchauffement, nous continuons de bétonner, ce qui crée des « îlots de chaleur ». Ce n’est ni une opinion, ni un avis : la température peut être supérieure de 5 à 10°C en ville par rapport à la campagne.

  • Hum hum, cher Koz, vous avez habitué à plus de rigueur dans le raisonnement et d’incitation à exercer notre responsabilité individuelle en vue du bien commun. Si vous ne voyez le réchauffement climatique que sous la lorgnette des désagréments qu’il cause à notre confort individuel (bien entendu je vous accorde qu’il fait plus chaud en ville qu’à la campagne), alors j’interprète votre appel comme une admission que la monumentale tâche « contrarier la tendance » ne nous incombe pas, et là on ne peut vous suivre, surtout si vous commencez par préconiser implicitement une mesure qui va manifestement à l’encontre du but recherché. L’ambition de réduire les émissions de gaz à effet de serre n’est pas seulement du ressort des autorités publiques, mais aussi de chacun de nous, à notre modeste échelle. Plutôt que de « regarder ailleurs » comme vous le dites, et de «cuire dans l’indifférence », cherchons à comprendre lesquels de nos actes et comportements entraînent des émissions, et à nous convaincre que des ruisseaux feront des rivières.
    Et puis-je respectueusement vous mettre sur une piste? rouler à 80 km/h sur les routes départementale va sans doute permettre de baisser le nombre de victimes, et c’est très bien, mais aussi de réduire globalement la consommation de carburants. Monsieur Hulot aurait tout de même pu nous encourager plus bruyamment à soutenir de bonne grâce cette mesure (et vous-même le féliciter) au lieu de laisser le premier ministre se battre en rase campagne, et même (oh scandale !) préconiser de baisser la vitesse à 120 km/h sur les autoroutes. Là il aurait montré sa vaillance pour défendre concrètement la cause environnementale, quitte à voir sa cote de popularité chuter encore un peu.

    • Ok. Donc, j’écris que, faute de la contrarier, nous devrions nous adapter au réchauffement en refusant la bétonnisation, et vous comprenez que j’impute le réchauffement au béton. Je vous détrompe en renvoyant au texte et vous m’expliquez que je considère que nous n’avons rien à faire personnellement contre le réchauffement climatique. Vous ne m’en voudrez pas si je vous laisse à vos compréhensions parallèles.

  • Beau billet, comme souvent. Non seulement il faudrait que l’Europe se mobilise pour avoir une flotte de Canadairs capable d’intervenir partout sur son sol, mais aussi un arsenal pour interdire la spéculation et la construction sur les sites incendiés et organiser le reboisement (y compris sous sa forme naturelle qui semble la plus efficace, bien que plus longue). Car que l’origine du feu soit criminelle, accidentelle ou même naturelle, la reconstruction des forêts brûlées est bloquée par la spéculation immobilière sur les terres ainsi « libérées » (on peut espérer que la Suède parvienne à y échapper, mais pour les autres…)
    Cela s’appelle la désertification, car c’est ainsi qu’elle se passe, non par avancée magique du désert mais parce que l’évolution du climat, activité humaine ou pas, empêche la reconstitution de l’écosystème détruit, aboutissant à ce que nous connaissons sous le terme de garrigue et ailleurs en Afrique sous forme de savane ou de semi-désert à la marocaine. L’Europe tient là un sujet de consensus…

  • Bonjour,
    Je comprends votre inquiétude Koz et je la partage. Les feux de forêt sont un signe avant-coureur d’une série de catastrophes à venir, catastrophes causées par les changements climatiques dont l’origine anthropique ne fait plus doute que pour quelques esprits égarés. A partir de là deux réactions sont possibles: continuer à soutenir, sur un plan personnel et politique, le statu quo économique et politique et l’utilisation irraisonnée des ressources naturelles, le consumérisme qui en dépend et les pollutions de tous ordres qui en résultent. Avec un vernis de « développement durable » ou de « transition écologique » pour faire joli. Ou bien décider d’entrer résolument dans une démarche de décroissance de nos économies et d’adopter un mode de vie compatible avec la survie de tous. Décroissance qui nous concernera d’abord nous, occidentaux bien nourris et à l’empreinte bien supérieure à celle de nos congénères miséreux – on ne peut pas décroître quand on a faim. On sera surpris de s’apercevoir que moins de confort matériel ne signifie pas automatiquement moins de bien-être, au contraire. Et pas besoin de retourner à la bougie ou aux peaux de bêtes non plus. Néanmoins ce choix nous obligera à abandonner nos idoles « progressistes » – compétitivité, culte de l’efficacité, démesure. En somme, renoncer à l’illusion de la toute-puissance et retrouver le sens de nos limites. Vaste programme.

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