Du droit de vivre dans la dignité

Aucune dénégation. Il a suffi que soit publié Les Fossoyeurs pour que l’ensemble du personnel politique lui emboîte le pas. Car non, personne ne découvre que tous les EHPAD ne traitent pas convenablement leurs résidents, que le personnel y est en sous-effectif. Personne n’est réellement surpris que les rationnements virent à la maltraitance. Seul le fait que ce soit aussi le lot d’EHPAD privés parmi les plus dispendieux pouvait surprendre. Cette situation est d’autant mieux connue que certains dirigeants du secteur entretiennent des relations de grande proximité avec le monde politique, jusqu’à être membres des instances nationales de partis politiques. Le résultat de cette enquête a été accepté comme une évidence honteuse, et le fracas de l’indignation soudaine a tenté de couvrir un si long silence coupable.

La mobilisation autour du grand âge durera-t-elle plus longtemps qu’une séquence de campagne ? L’enjeu est immédiat, mais c’est aussi de façon certaine notre avenir à tous. En l’espace d’un siècle, de 1970 à 2060, le nombre de centenaires en France aura été multiplié par 200. Il n’est plus possible de cacher ce sujet, et les vieux avec. Il est urgent de rompre avec l’âgisme général. Car il n’en va pas que de la dignité des personnes âgées. Si nous acceptons de vivre en sachant que nos parents sont laissés dans leurs protections sales, jusqu’à en produire des plaies, c’est nous qui sommes indignes.

Nous devons remettre notre société sur ses pieds, qui ne peut pas se contenter de renvoyer l’âge et la fin de vie à une prétendue liberté. Sans y chercher un marchandage conscient, n’oublions pas que la même année, la loi Grand âge et autonomie a été abandonnée tandis que l’Assemblée Nationale entreprenait de légaliser l’euthanasie. Or nous savons, par les chiffres officiels belges, que 70% des euthanasies sont pratiquées sur des personnes de plus de 70 ans. Comment ne pas craindre que les logiques budgétaires et autres mauvais traitements n’exercent sur elles une insupportable pression ? Comment ne pas voir que lorsque l’on est relégué et humilié, l’euthanasie n’est jamais l’ultime liberté que l’on nous vante mais juste une évasion funèbre ? Notre société semble si incapable d’assurer à ses membres les plus âgés un traitement qui fasse droit à leur dignité qu’elle n’envisage plus de la préserver qu’en leur donnant la mort – ce qui n’empêchera jamais de traiter encore les autres de façon indigne. Notre pays est à l’heure des choix : à lui de voir s’il mérite encore le respect.

Chronique du 1er février 2022

Photo by Visual Stories || Micheile on Unsplash

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9 commentaires

  • Bonjour, je viens de lire la 4e de couverture de votre livre « Fin de vie en République. Avant d’éteindre la lumière ».
    Contrairement à vous, je suis pour le vote d’une loi sur l’aide médicale à mourir en France qui permette à celles et ceux qui le souhaiteraient de bénéficier d’une fin de vie sans aller au bout du bout. Mais je suis aussi en faveur de SP moins sectaires et mieux développés que ce qui existe actuellement dans l’hexagone. La « dignité » à mes yeux est le respect de ma volonté, tout comme je respecte la volonté de ceux qui ne veulent pas d’une loi autre que l’actuelle…peu souvent mise en pratique, ce qui prouve que ce n’est pas une bonne loi. Lorsque la loi Veil a été votée, toutes les femmes n’ont pas avorté, mais en ont eu la possibilité, ce sera la même chose si la France a le courage de légiférer sur la fin de vie. Les Français doivent avoir le choix !

    • Vous avez lu la 4ème de couverture du livre ? Très bien, alors vous avez lu la seule partie du livre que je n’ai pas écrite. Je vous donne rendez-vous après lecture du livre.

  • Bonjour,
    Je serais d’accord avec vous, Koz, si une loi dépénalisant l’Aide Médicale à Mourir permettait ensuite à n’importe qui, de demander une euthanasie pour un des siens à cause de souffrances qu’il jugerait lui personnellement, indigne pour lui. Genre ma mère doit trop souffrir, merci d’en finir docteur, ce sera pour son bien.
    La loi que les français réclament depuis longtemps, c’est pas du tout ça je peux vous rassurer. En Belgique même en Suisse, c’est la personne elle-même qui DOIT exprimer sa propre demande qui sera d’ailleurs très étudiée avant un éventuel accord. Après, si vous, Koz, vous préférez continuer à vivre jusqu’au bout, même dépendant pratiquement à 100% dans une chambre d’Ehpad sous effectivé comme c’est hélas souvent le cas, libre à vous et ce sera TOUT A VOTRE HONNEUR, aussi. Une fin de vie que vous ne seriez pas le seul à connaître puisque dans les faits, dans les pays où l’euthanasie est dépénalisée, peu de personnes demandent finalement une aide à mourir. Les gens acceptent souvent leur sort quel qu’il soit tout au long de leur vie, et il n’y a rien d’indigne s’ils veulent continuer ainsi jusqu’au bout. Cela peut correspondre à leur philosophie. Personnellement je suis plus du genre à prévoir et à anticiper les choses, et là, ayant travaillé plus de 25 ans en ehpad, je sais que parfois, parfois seulement on est bien d’accord, on peut savoir à l »avance le grand désastre que pourraient nous réserver certains diagnostics.
    C’est très dommage mais je le crains, des personnes, des marchands de médocs etc.. ayant de très gros intérêts dans le gros business qu’est pour eux l’aide aux souffrants et aux dépendants, ceux-là doivent jouer les lobbies auprès des grands prêcheurs qui ne vivent que de dons, et auprès de faiseurs de loi qui sont je pense, souvent enclins à vendre leur âme honnête.
    Koz, penser à nos enfants, qui se remettraient sûrement mieux d’un départ très bien préparé que s’ils avaient eu à voir un de leur parent ou les deux, pendu(s) ou défenestré(s), y penser n’est pas une posture à blâmer. Vice versa d’ailleurs, car j’ai bien connu une directrice d’ehpad dont le fils, jeune avocat au barreau de Nantes en souffrance, s’est jeté du pont de Cheviré sans dire aucun aurevoir à aucun de ses enfants, ni à ses parents ni à de ses amis. Bonjour le deuil.
    Vous êtes libre dans vos choix personnels et le serez toujours n’ayez crainte. Je demande juste cette même liberté, même s’il se peut que jamais je n’aurai à utiliser ce sésame.

    • Je vous remercie pour votre message et me permets de ne pas nécessairement partager votre avis lorsque vous dites connaître le sujet aussi bien que moi. Je ne vois d’ailleurs pas bien ce que cela signifie. Connaître le monde des EHPAD n’est pas la garantie de lui appliquer un juste discernement. Connaître ce monde et penser que demander l’euthanasie sera le choix de personnes libres et autonomes me paraît d’ailleurs incongru. Il est pour le moins étonnant et contradictoire de se référer à une logique d’autodétermination pour des personnes que l’on reconnaît dépendants. Oui, bien sûr, des personnes continueront leur vie naturellement jusqu’à leur terme. Non, évidemment, personne n’a prétendu qu’on allait euthanasier les gens de force, cette réfutation est donc foncièrement inutile. Mais oui, évidemment, des personnes seront conduites à accepter l’euthanasie par fatigue, isolement, dépendance, valorisation de la mort par euthanasie. Cela se produit déjà ailleurs, il en sera de même chez nous. Quand bien même ils seraient minoritaires, c’est une réalité inacceptable.

      Pour ce qui est des « faiseurs de loi », rassurez-vous, ils sont une majorité à applaudir, enthousiastes à la perspective de l’euthanasie. Quant au business, il se portera bien. Les maisons de retraite s’en foutent un peu : ils ne risquent pas de manquer de clients. En revanche, avec des arguments comme les vôtres, ils pourront plus facilement continuer de porter leur attention sur les économies à réaliser – étant admis que, si vous n’êtes pas contents, vous pouvez toujours mourir dans la dignité.

      • Merci pour votre réponse. Vous avez raison, une connaissance des ehpad n’est jamais parfaite. Malgré tout, je me permets de penser qu’arrive un moment la vie humaine peut paraitre inhumaine à jamais pour un souffrant. Et bien sûr que si, pas toutes mais certaines personnes dépendantes en ehpad peuvent avoir encore suffisamment de conscience pour non pas « accepter » une aide médicale à mourir, mais pour en « demander » une, si cela était autorisé. Je ne dis pas qu’elles seraient nombreuses, ça ne peut être qu’exceptionnel. Après tout, ce qui peut sembler humain pour l’un peut ne pas l’être pour le voisin. C’est une affaire personnelle et jusqu’au bout.
        Je connais assez bien le sujet, oui Koz. Vous le connaissez aussi, mais si je vous dis Alzheim, que pensez vous aussitôt? Zéro souffrance car zéro conscience!? Vous auriez faux. A moins que trop de psychotropes transforment le malheureux Alzheim en zombie ayant plus envie de vomir que de réclamer quoique ce soit merci docteur, une personne Alzheimer a sa conscience et peut être très très inquiète, angoissée souvent, à longueur de jours, de semaines, et de mois damnés. La mémoire et la conscience sont deux choses un peu différentes. La personne a conscience de se sentir perdue, ne se rappelant plus où elle est, même si on lui redit 20 fois par jour qu’elle est dans une bonne maison de retraite. Mais elle aura sa conscience et vous dira pardon si elle a peur de vous déranger.
        Moi si j’ai le diag un jour, je veux bien continuer à vivre tant que je pourrai rester chez moi et tant que je reconnaitrai ce chez moi. Mais quand je devrai être placée, cela voudra dire que je serai devenue « complètement » paumée, alors là pour moi ce sera niet, et j’aimerais avoir une aide médicale à partir après un aurevoir avec des bulles et des petits fours si on veut. Une aide à partir pour une vie surhumaine oui, mais inhumaine à mes yeux, non. Le tableau de bord, je le connais vraiment et je ne veux pas qu’en plus, mes enfants soient obligés un jour de vendre mes deux maisons pour me payer 10 ans de purgatoire que je méritais pas!
        Oui les faiseurs de lois sont majoritairement « pour » cette loi-là, ce serait désespérant, c’est un progrès tellement évident! Le corps d’une vieille au fond d’un puits, c’est digne de quand? Mais oui il a suffi qu’un petit groupe voit de bonnes raisons pour en empêcher le vote. C’est un peu lucratif la souffrance des autres.
        Oui, certains ehpad pour qui un sou est un sou pourraient craindre de manquer de clients si la Loi passait. Déjà avec Les Fossoyeurs… Partir tout net ressemblerait à un raccourci pouvant nuire à certaines courbes, mais si peu…
        Merci encore pour cette tribune, Koz!

  • Bonjour, vous n’avez pas posté le commentaire que je me suis donné la peine de rédiger et vous envoyer hier. Je serai obligée de vous faire part de mes opinions d’une autre manière. Ayant été membre d’équipe soignante en ehpad depuis plus de 25 ans je pense connaître autant que vous, ce sujet que vous abordez ici.

    • Bonjour, aussi étonnant que cela puisse paraître, il se trouve que j’ai une vie personnelle, professionnelle, des engagements, et que ma priorité n’est pas à la validation des commentaires. Chose faite, désormais.

      Sur le fond et votre si bonne connaissance du dossier, voir plus haut.

  • Il nous appartient de nous occuper de nos parents mais certains préfères les cacher car ils sont une charge temporelle en plus d’ économique.

  • Pourquoi ne parler que de ce qui va mal en France ? Pourquoi ne citer que les EHPAD de mauvaise réputation alors qu’il en est aussi où les personnes âgées sont bien traitées au grand soulagement de leur famille ? J’ai depuis peu atteint ma 90ème année, je suis autonome en compagnie de mon épouse octogénaire. Nous vivons notre grand âge sans problèmes autres que ceux afférents au vieillissement inexorable. Loin de nous l’idée d’avoir recours à l’euthanasie pour abréger ce moment de sérénité et de bonheur. Oui il existe encore dans notre beau pays des vieux heureux de vivre.

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