Appelez-moi France

L’ordre fut maintenu, peut-être, par l’exposition de ses forces. Mais les noms égrenés des villes ayant annulé leurs célébrations de la fête nationale ont sonné toute une semaine comme un signal lugubre. Quelques jours plus tôt, entendant répondre à la polémique suscitée par les propos de Bruno Retailleau sur une « régression vers les origines » des émeutiers, Gérald Darmanin répondait en substance qu’ils étaient nombreux, comme lui, à être issus de quartiers difficiles et à « aimer leur pays ».

Ont resurgi alors des mots connus de la philosophe Simone Weil, écrits dans L’enracinement. Elle y évoque la nécessité de donner à la Libération comme « remède » aux Français d’avoir « quelque chose à aimer. Et leur donner d’abord à aimer la France » poursuivant ainsi : « Concevoir la réalité correspondant au nom de France de telle manière que telle qu’elle est, dans sa vérité, elle puisse être aimée avec toute l’âme ».

Le sentiment d’évidence qui accompagnait peut-être encore l’écriture et la lecture de ces pages s’est évaporé. Qui se fixe encore seulement pour objectif de donner à aimer la France ? On met bien facilement en cause l’attachement des nouveaux arrivants, mais les Français de vieille souche aiment-ils toujours leur pays, tel qu’il est, tel qu’il change ? Peut-on l’attendre quand, dans tout le pays, l’idée même d’aimer la France est accueillie avec pincettes et suspicion ?

On débat, ce n’est pas illégitime, du registre émotionnel de cet appel. On brandit les pages sombres, avec parfois le sentiment de supériorité de ceux qui ne seraient pas dupes. Mais ne percevons-nous pas que, face à l’archipel que devient notre France, à la tentation de l’affrontement, il y a une urgence vitale à ce que nous partagions une communauté de destin ? Notre objectif ne peut pas être de rendre seulement possible la multiplicité de nos destinées éparses et vite concurrentes, d’assurer l’absence de regard social sur les actes posés, de discours collectif pour la seule recherche de l’autonomie individuelle. Si, incontestablement, nous ne pouvons tous avoir le même rapport à notre pays, nous pourrions au moins nous fixer chacun la haute ambition, dans la vérité que nous en percevons, que la France « puisse être aimée avec toute l’âme ». Faute de nous accorder sur sa traduction concrète, la conjonction de nos efforts pourrait, sans qu’on y pense, nous y conduire.


Chronique du 18 juillet 2023, Photo de Mat Napo sur Unsplash