Habitus ou confort du ressentiment

Ma tendre et chère épouse m’avait offert un ouvrage de Marc Ferro, Le ressentiment dans l’Histoire, dont je n’ai jamais achevé la lecture, son propos me semblant un peu trop évident. Que nombre de guerres, violences, prennent leur source dans le ressentiment ne me paraissait pas définitivement digne d’un ouvrage. Peut-être devrais-je le reprendre.

Ce sont les récents débats – localisés – sur les Harkis qui me font revenir quelque peu sur ce ressentiment et, en particulier sur une certaine disposition d’esprit : vivre dans le ressentiment, vivre avec le ressentiment, si longtemps qu’aussi bien on finirait par ne plus imaginer vivre sans. Tant et si bien que l’on finit même par l’entretenir, aveuglément et parfois contre tout cohérence.

En l’occurrence, j’apprends qu’un des sites d’information des harkis, harkis.info, ferme, avec fracas. Le responsable de ce site d’information, dont je recevais la lettre d’information régulièrement, estime en effet que la France continue de les tromper, qu’elle les trompera toujours, et ne cessera jamais de les mépriser. « Rien ne changera« . Et il en veut pour preuve le discours de François Fillon, pourtant prononcé un jour d’Hommage national, en un lieu aussi symbolique que les Invalides, et alors même que le Président de la République a lui-même tenu des propos que l’on peut considérer comme historiques.

Paradoxal, n’est-ce pas ?

Voici le propos du webmaster :

« Rien ne changera. Si j’avais encore un doute, François FILLON, l’a dissous lors de son discours de la journée d’hommage aux Harkis : Ils ont rejoint les Groupes mobiles de sécurité, les groupes d’autodéfense, les sections administratives spécialisées. L’histoire les a dressés contre d’autres hommes qui, la veille, étaient leurs frères.« 

Pour lui les Harkis s’étaient battus contre leurs frères. Pour lui les Harkis ne s’étaient pas battus pour leurs « frères Français ». Pour lui les Harkis n’étaient tout simplement pas des Français mais des Arabes qui se battaient contre leurs frères Arabes. Comment peut-on appeler des frères, ces monstres qui égorgeaient vos familles pour vous imposer un combat dont on voit le désastre aujourd’hui. Ce type de rhétorique sert surtout à justifier le massacre des Harkis et à atténuer… la responsabilité de leur France. Et voilà une vision raciale de l’Histoire qui ne le grandit pas et qui ne l’aidera pas dans son approche des véritables problèmes qui nous préoccupent. »

Voilà où j’estime que le ressentiment se transforme en habitus. Sûr de son propos, l’auteur donne le lien vers le discours de François Fillon. Il faut donc le lire, en commençant par l’affirmation de la reconnaissance de la République française. Il faut y lire notamment ceci :

« Trop longtemps, la France a baissé les bras devant l’obligation contractée à l’égard des Harkis. Parce que le sacrifice de leurs biens, de leurs terres, de leurs droits et de leur sécurité, parfois de leurs vies, dépassait toute mesure, elle n’a pas su le reconnaître.

De son impuissance, elle a fait un abandon. Au moment où les Harkis s’en remettaient à elle, elle les a conduits par les chemins de l’oubli vers les camps de transit de Lascours, de Rivesaltes, de Saint-Maurice-l’Ardoise, de La Rye, de Bias, de Bourg-Lastic, de Sainte-Livrade. Elle les a écartés dans une soixantaine de « hameaux forestiers », cantonnés dans les 42 « cités urbaines ». Elle a prolongé leur angoisse, leur détresse, leur déchirement.

(…)

A cet instant, dans tous les départements français, les Harkis reçoivent un juste hommage, et celui-ci doit rejaillir sur leurs enfants et petits-enfants. Ici, aux Invalides, où résonnent les cris de gloire et de douleur de l’histoire militaire française, c’est l’hommage du Gouvernement que je leur rends devant vous.

Vive la République, vive la France ! »

Comment ne pas voir qu’à l’évidence, il y a dans ce discours une association profonde des harkis à la communauté nationale ? Comment ne pas voir qu’il y a dans ce discours une reconnaissance des erreurs de la France, de ses fautes ? Comment comprendre que l’on puisse y voir un rejet des harkis, qui ne seraient pas français ? Oui, bien sûr, « la veille »[1], les harkis et les membres du FLN étaient « frères« , aussi frères que peuvent l’être deux membres d’une même communauté, quand bien même leurs idées et comportements sont aussi diamétralement opposés que ceux-là.

Le même jour, Nicolas Sarkozy prononçait également un discours à l’Elysée devant les Associations des Anciens Combattants d’Afrique du Nord et de Rapatriés Harkis. Certes, l’expression littérale de « responsabilité de l’Etat français » n’y figurent pas. Mais on y trouve, dans un discours qui leur est très majoritairement consacré, des mots aussi forts que ceux-ci :

« Pour la France, il s’agit aujourd’hui d’une question d’honneur : il faut réparer les fautes qui ont été commises car pendant très longtemps, les Harkis n’ont pas bénéficié des mesures qui auraient permis d’assurer dignement leur insertion au sein de la communauté nationale.

(…)

Alors à tous les Harkis envers lesquels la France a une dette, je dis, au nom de la République, que la France leur doit réparation. »

Comment ne pas comprendre qu’évoquer des fautes, qu’évoquer une réparation, c’est reconnaître, à mots si peu couverts, la responsabilité de l’Etat ? S’il y a faute, il y a responsabilité. S’il y a réparation, c’est aussi qu’il y a responsabilité.

Certains ont compris qu’il y avait là « un pas de géant« . D’autres, qui ont entendu les mêmes discours, en ont conclu que rien ne changeait. Ils enragent que la France n’ait pas reconnu sa responsabilité. Comment le comprendre si ce n’est par l’incapacité à sortir d’une certaine pose ? Si ce n’est que le ressentiment est devenu une habitude, un habitus, si ce n’est encore un confort ? On dit qu’il faut savoir terminer une grève. Plus généralement, il faut savoir terminer un combat.

On peut certes comprendre, de la part de certains harkis que l’habitus du ressentiment soit difficile à perdre. Même si l’on referme la plaie, il faut encore qu’elle cicatrise.

*

J’ai moins d’indulgence pour certains de leurs soutiens. Ils vivent – et encore : prétendument – la souffrance par procuration. Chez eux, j’aurais tendance à voir l’habitus se transformer en confort. Confort du ressentiment. Je parle bien sûr de certains soutiens d’extrème-droite, qui ont certes été de ceux qui les ont le plus fidèlement soutenu, mais dont le compagnonnage ne leur a pas rendu les meilleurs services.

Avec les harkis, ceux-là rejettent le pas énorme fait par la France à l’occasion de cette journée d’hommage. Elle ne serait pas allée assez loin. L’Etat n’a pas reconnu la responsabilité de la France.

N’est-ce pas de la plus haute incohérence de la part de ceux qui refusent que la France reconnaisse une responsabilité quelconque dans la déportation des juifs ou dans la traite des esclaves ? De ceux qui refusent que la France présente quelque excuse que ce soit pour les comportements des générations passées ?

A leur égard, j’ai parfois le sentiment, donc, que le ressentiment a dépassé l’habitude, il est devenu un mode de vie, pire, un confort. On y est bien, parce qu’on y est seuls, qu’on est les victimes et l’élite tout à la fois. Et rien ne saurait les en écarter, car en perdant ce rapport au monde, il perdrait aussi le sentiment d’être une élite, il rejoindrait la communauté nationale, au même titre que d’autres, et ça…

Encore faut-il accepter que son rapport au monde soit guidé par le ressentiment, plus que par l’action.

« La nostalgie est la solitude des époques finissantes : elle conduit à des postures plus routinières que révolutionnaires, à des conservatismes dissimulés derrière l’expression de la radicalité ou de la colère indignée.

(…)

On ne devient pas réformiste parce qu’au fond rien ne presse et qu’on a le temps. On devient réformiste parce que, las d’attendre de grands soirs qui ne viennent pas et servent d’alibi à la passivité boudeuse, on veut se mettre en mouvement tout de suite. »

François Chérèque[2], lui, parlait de l’extrème-gauche. Mais de toutes façons, ne sait-on pas que le ressort est le même ?

  1. mais quelle « veille » ? C’est une précision sur laquelle n’insiste pas l’auteur du site, pressé d’en venir à ses conclusions []
  2. Réformiste et Impatient !, Seuil, p. 11 []

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17 commentaires

  • Je suis tout à fait d’accord avec toi pour dire que l’extrême-droite se complaît dans le ressentiment.
    C’est même ce qui l’empêche finalement de jouer la carte politique que ses succès électoraux l’autoriserait à tenter. D’aucuns diront que c’est tant mieux.
    Si Le Pen, au lieu de vivre dans le passé, se projetait dans l’avenir il serait infiniment plus redoutable.
    Le ressentiment des harkis est d’une bien autre nature.
    On ne doit jamais oublier que ceux qui sont arrivés ici auraient dû être massacrés comme les 50 à 80 000 autres qui sont restés en Algérie, torturés puis tués dans la plus totale indifférence des autorités françaises et de la nation tout entière.
    Les harkis rescapés sont là parce que des initiatives privées les ont sauvés contre les avis émis dans les directives gouvernementales de l’époque.
    Ils ont été accueillis comme des parias alors qu’on avait été bien contents de trouver 200 000 supplétifs pour se faire casser la gueule sous notre uniforme.
    Cela soulageait d’autant l’armée française et le contingent. Les officiers français leur disaient « tu es français comme moi, tu dois te battre comme moi pour ton pays. Jamais la France ne t’abandonnera ».
    Ce que je veux dire c’est que la maladresse de Fillon est d’avoir vu la guerre d’Algérie comme une guerre civile entre algériens alors qu’on avait dit aux harkis qu’ils défendaient leur pays, La France.
    Ces gens ont trop souffert, et Fillon le montre très bien dans son discours, pour ne pas être des écorchés vifs.
    Les fils de harkis ne sont pas fiers de leurs parents, c’est bien là tout le problème et ce n’est pas en leur rappelant que le choix des pères aurait pu être autre qu’on leur donnera cette fierté qu’ils devraient avoir.
    Sarkozy est allé plus loin que tous ses prédecesseurs, c’est à son honneur.
    Mais cela ne lui coûterait pas beaucoup de dire solennellement que la France est fière de ses harkis, qu’elle est fière qu’ils aient répondu à son appel il y a 50 ans et qu’elle déplore qu’on ait laissé massacrer ceux qui n’ont pas eu la chance d’être rapatriés.

  • Dang, tu le sais (en totu cas, je sais que tu le sais) que je n’ignore pas les harkis, leur sacrifice, les massacres, et leur douleur, bien que je ne sois pas l’un des leurs, et que je n’ai pas vécu la période, ce qui m’en donne, je le concède, une connaissance théorique, livresque.

    Je reconnais volontiers que cette douleur explique leur ressentiment. Etre abandonnés, rejetés puis relégués par ceux qu’ils ont choisi de défendre, permet de le comprendre. Lorsque tu parles d’écorchés vifs, tu peux en parler au figuré, comme au propre. Je me souviens de témoignages, dans une revue d’Histoire, sur des hommes écorchés vifs puis ébouillantés.

    C’est pour cela que j’ai distingué habitus et confort, ce que je n’avais pas fait à l’origine, le mot confort étant difficilement acceptable à leur égard.

    Mais (here we are), il y a précisément une certaine façon de s’entretenir dans le ressentiment à focaliser ainsi sur un détail (oups) de l’intervention de Fillon en omettant l’essentiel, le principal, ou à vouloir encore plus que ce qu’a dit Sarkozy.

    Lire ce que lit le webmaster de harkis.info dans l’intervention de Fillon, c’est verser dans une surinterprétation guidée par sa souffrance, ou son ressentiment (bon, en l’occurrence, je finis par me demander si ce terme est bien choisi à leur égard). Transposons : si des basques prenaient le parti, dans un conflit armé, pour la France, contre d’autres basques, on considèrerait bien, sans offense, que l’Histoire a dressés de frères contre d’autres frères.

    Et c’est oublier l’essentiel. Tu me dis qu’il faudrait que la France exprime qu’elle est fière d’eux. Ce serait, donc, l’étape de plus… Si le Premier Ministre français rendait hommage à ton père aux Invalides, en évoquant les « cris de gloire et de douleur de l’Histoire militaire française« , ne comprendrais-tu pas qu’il y a là comme l’expression d’une fierté ? Rend-on hommage à ceux que l’on ignore, méprise, ou dont on a honte ?

    A la relecture, je trouverais même encore plus l’expression d’une telle fierté dans le discours de Fillon que dans celui de Sarkozy. Alors, chercher la maladresse précisément dans celui-là, n’est-ce pas d’une certaine façon ne jamais vouloir « en finir » ?

    Et encore. Le Président de la République (et je dis exprès « le Président de la République ») dit également :

    « Lorsque je parle de la France, ici comme à Alger, de son identité, de ses valeurs, je pense également aux Harkis.

    Il est légitime et juste qu’ils reçoivent l’hommage solennel de la Nation car, pour les Harkis aussi, si les accords d’Evian ont scellé la fin des hostilités militaires, ils n’ont pas marqué la fin des souffrances. D’autres épreuves douloureuses sont venues s’ajouter aux peines endurées au cours de huit années de guerre. »

    Le premier paragraphe ne souligne-t-il pas à suffisance que les Harkis sont bien, bel et bien et incontestablement, français, font partie de la France, de son identité, de ses valeurs ?

    Et, à nouveau, une Nation rend-elle un hommage solennel par la voix du Chef de l’Etat à ceux dont elle n’est pas fière ?

    Ne faut-il pas, aussi, remarquer que le Chef de l’Etat et le Premier Ministre ont tenu à faire un discours lors de cette journée d’hommage ? On aurait pu imaginer qu’un seul s’en charge…

  • Je vois tout à fait ton point de vue et je le partage en grande partie puisque je pense qu’aucun gouvernement n’était allé aussi loin dans sa reconnaissance de la souffrance des harkis. Cependant si je n’approuve pas forcément la réaction épidermique du webmaster de « Harkis.info », je la comprends.
    Je la comprends car la mauvaise volonté a été évidente depuis 45 ans du côté des autorités françaises.
    Je la comprends car les harkis dont les enfants ont souvent été élevés dans un cadre disciplinaire strict et dans l’amour de la France, sont victimes du racisme ordinaire et de la désapprobation qui a suivi les émeutes de 2005.
    Quand on refuse une embauche à un fils de harki parce qu’on est habité par la peur ou le racisme anti-arabe, on ne cherche pas à savoir si le père ou le grand-père s’est battu pour la France, on refuse le boulot à un arbe ordinaire et c’est pour les harkis une souffrance supplémentaire.
    Si le gouvernement ou plutôt l’UMP, avait voulu faire un geste fort vers les harkis il aurait investi Jeannette Boughram dans une circonscription où elle aurait pu être élue au lieu de l’envoyer au casse-pipe.
    Cette femme attachante, professeur d’université, fille de harki, aurait pu symboliser ce que toute la communauté harki attend : être partie intégrante de la communauté nationale.
    Ce qui a été fait avec Rachida Dati aurait pu,aurait dû, être fait avec Jeannette Boughram.
    L’exemple que tu donnes d’un conflit au Pays Basque met bien sûr en valeur ton point de vue.
    Je t’accorde la justesse du raisonnement.
    Tu fais fi cependant de la geste patriotique qui animait la France des années 50 et particulièrement outre-mer.
    Il suffit de relire le « chant des africains » pour s’en persuader. Il y avait la grande France et tous ses enfants de Dunkerque à Tamanrasset d’un côté et les renégats de l’autre.
    Les harki ne se sont jamais sentis renégats puisqu’ils étaient simplement français.

  • @ Koz:

    En politique, il faut aussi être pragmatique. Si la France commence à reconnaitre toutes les victimes de son histoire, je ne vois pas au nom de quoi les victimes proches de l’extrême-droite seraient exclues, et ce même si en effet, dans ce mouvement d’idées, on est plutôt hostile à la repentance mémorielle. Dans un monde idéal, non communautarisé, ce serait une aberration, dans notre société, telle qu’elle est aujourd’hui, c’est une revendication légitime.

    Ce n’est pas une contradiction, c’est du pragmatisme.

    « Je parle bien sûr de certains soutiens d’extrème-droite, qui ont certes été de ceux qui les ont le plus fidèlement soutenu, mais dont le compagnonnage ne leur a pas rendu les meilleurs services. »

    On fait avec ce qu’on a, pas avec le mieux de ce qui existe…

    Enfin, les harkis sont rejetés par tout le monde. Eux-aussi sont victimes du racisme au quotidien, mais dans le même temps, sont vus comme des traitres par certaines personnes d’origine maghrébine (ici en France). Ils sont vraiment pris entre le marteau et l’enclume. On comprend donc mieux leur douleur au quotidien, qui n’a pas grand-chose à envier aux malheurs des cités, dont ils font aussi partie.

    Bon, sinon d’accord avec toi, qu’à lire la teneur du discours, ça me parait excessif de jeter la pierre à Fillon. Tu remarqueras que le webmaster ne s’offusque pas seulement de cela, mais aussi du silence entourant les différents éléments compromettants, que ce soit la planification par Boutef’ du massacre des harkis ou le paiement de l’impôt révolutionnaire par De Gaulle afin de préserver les gazoducs français dans le Sahara.

  • Je ne me prononcerai pas sur l’habitus ou le confort du ressentiment.
    Parce que la lecture de ton billet Koz, celle des discours de Fillon et de Sarkozy et la réaction de ce webmaster m’évoquent autre chose.

    Cette personne visiblement abandonne, et je n’ai aucun jugement à porter là-dessus. Qu’il soit usé, même désespéré, d’un combat rude, long, ingrat, et ô combien important et légitime, je ne peux que le comprendre et le respecter.
    Mais, son argument principal semble être que Fillon a dit quelque chose d’inacceptable qui démontre à quel point la France trompera toujours les harkis comme par le passé, et ça, je ne le comprends pas en lisant les discours du premier ministre et celui du président.

    Et toi, Dang, je crois comprendre que tu « demandes » à la France de donner aux descendants des harkis les moyens d’être fiers de leurs parents, de leurs grand-parents.

    Mais, n’est-ce pas là mélanger deux, voire trois notions distinctes ?

    – Il y a ce que la France n’a pas fait pour protéger les harkis restés en Algérie et ce qu’elle n’a pas fait pour ceux et les descendants de ceux qui sont en France.

    Mais en quoi ces deux discours de FF et NS sont répréhensibles à ce sujet ?
    Ils expriment la reconnaissance de la souffrance, de l’abandon, des erreurs graves commises par la France. Et surtout dans celui de NS, ils demandent qu’il y ait hommage, réparation, et volonté politique pour les aider eux, tout particulièrement, parce qu’on le leur doit et que c’est juste de considérer et honorer notre dette et notre reconnaissance envers eux.

    – Il y a le temps qui court et jamais ne s’arrête.
    Aujourd’hui, nous en sommes à continuer de vouloir que l’Algérie et la France, puisque c’est de ces deux pays en l’occurrence qu’il s’agit, évoluent vers toujours plus de paix et de prospérité. Et nous devons continuer à bâtir sur un passé bancal, douloureux, et certainement ni tout noir, ni tout blanc.
    Comment la France d’aujourd’hui, ou plutôt, disons, ses représentants modérés, responsables et non-ignares de la réalité de la colonisation et de la guerre de décolonisation de l’Algérie, déjà incapable elle-même, et c’est une marque de raison, d’avoir un avis tranché sur son propre passé pourrait-elle dire aux harkis et à leur descendants, vous devez être fiers de vous-mêmes et de vos aînés ?

    N’y a-t-il pas dans cette réclamation des harkis le remarquable oubli que la France elle-même patauge complètement à distinguer, a posteriori, ce qu’elle a fait au nom d’un détestable orgueil, ou de ce qu’elle croyait sincèrement relever de l’humanisme, ce que ses ressortissants ont commis de bien, de bon et ce qu’ils ont commis d’abject et d’indéfendable, et la double-liste est longue…

    -Enfin, il y a le travail historique. Et il est inévitablement cruel.
    Et il l’est parce qu’il décrit. Il décrit avec de simples mots, utilisés ailleurs, pour d’autres conflits, et même d’autres situations y compris heureuses et très positives (« frères ») ce qui constitue des histoires personnelles très dures voire particulièrement sanglantes et horribles.
    Mais comment l’Histoire peut-elle s’écrire si elle ne le fait pas avec des mots ?

    Ces mots, les mots, ne seront jamais assez complets, assez forts pour exprimer au Monde passé, présent et futur ce que les personnes concernées savent et ont vécu. Doit-on cesser d’écrire l’Histoire à ce titre ?

  • Il se trouve surtout que l’exercice du discours politique en matière de guerres coloniales semble impossible, et tout particulièrement vis à vis de la Guerre d’Algérie.

    Le gouvernement aujourd’hui se trouve dans une position dans laquelle il doit à la fois reconnaître le principe même de la colonisation comme un crime ; reconnaître les crimes plus spécifiques qui ont préludé à la colonisation de l’Algérie et par la suite, au maintient du contrôle de ce territoire par l’état français ; reconnaître également l’état d’esprit, la mentalité et les actes inacceptables des colonisateurs français depuis les origines jusqu’aux années trente ; reconnaître la réticence ou même la résistance aux réformes des lois, des pratiques et des mentalités, entre ces années 30 et la guerre d’Algérie proprement dite ; reconnaître l’existence entre autres de massacres dans le cadre de répressions anti-insurrectionnelles ayant entraînés des milliers de morts dont le massacre de Setif fut certainement le point culminant ; reconnaître la participation à l’effort de libération du territoire pendant la deuxième guerre mondiale des milliers « d’indigènes » ; reconnaître les horreurs commises par l’armée française pendant la guerre colloniale ; reconnaître les horreurs commises par les différentes factions algériennes dans la même période ; reconnaître les bienfaits en matière de structures physiques ou administratives, de culture, d’éducation ou autre apportés par la colonisation ; reconnaître que tout ceci pourrait être tout aussi bien désigné comme étant des « bienfaits collatéraux » ; reconnaître l’aide dans un état d’esprit patriotique apportée par les harkis à l’armée française ; reconnaître malgré tout, l’ambiguïté de leur position si on se réfère aux données ci-dessus ; reconnaître aux anciens combattants leurs statuts ; reconnaître que les conditions même de la décolonisation ont spolié des milliers d’européens de leurs biens et du fruit de leurs efforts consentis sur parfois plusieurs générations ; reconnaître que toute généralisation peut être invalidée en partie par une étude des détails (par exemple, beaucoup de colons n’étaient pas racistes, beaucoup de colons étaient sincèrement convaincus qu’ils participaient à une œuvre constructive et fraternelle avec les populations locales, beaucoup de colons innocents de tout crime ont été massacrés) ; etc. ; etc. ; etc. parce que j’oublie bien évidemment des milliers d’autres victimes, de bourreaux, de points de vue, de nuances dans le fond comme dans la forme.

    Bref, je n’aimerais pas à avoir à rédiger un discours politique sur ce sujet. Même un travail d’historien se révèlerait forcément difficile. Cela fait partie de ces sujets indémêlables auquel tous les ressentiments peuvent venir puiser leurs eaux. Et c’est un puits sans fond que seuls le recul, le temps, l’adoption de points de vue multiples pourront un jour assécher. Un discours politique, quel qu’il soit ne pourrait que léser un point de vue ou un autre.

    Une de mes meilleures amies est fille d’un colon et m’a longuement parlé de son défunt père. Il était exactement à l’image de cette complexité : un fermier breton qui partit très jeunes dans ces territoires ; qui à force d’années efforts construisit une entreprise agricole de tout premier plan ; dont le meilleur ami était un arabe avec qui il passait des heures à discuter et à qui il aurait donné sa vie ; qui, en même temps, aurait probablement « étranglé » sa propre fille si elle était sortie avec un arabe ; qui perdit tout et surtout tout intérêt à vivre après la décolonisation et vécut rongé par ses ressentiments ; qui participa à certaines opérations de l’OAS ; qui, sur son lit de mort, réclama son ami arabe comme la seule personne avec qui il voulait vivre ses derniers instants.

  • @ Polydamas : ta ta ta, elles ne sont en rien proches de l’extrème-droite. Ils sont déjà vus comme des traîtres dans leur pays, mal considérés et victimes de racisme ici (faut dire aussi, avec ceux qui donnent dans l’amalgame facile entre les musulmans et les violeurs, hein, ils sont pas sortis de l’auberge), tu vas pas leur coller ça aussi sur le dos.

    Sinon, Polydamas, tu ne devrais pas t’engager sur la voie du pragmatisme, ça t’éloigne de l’extrème-droite 😉 .

    Mais reconnais que, une fois exigée une reconnaissance de responsabilité de la France vis-à-vis des harkis, il n’est plus possible de s’opposer à une reconnaissance de responsabilité de la France vis-à-vis d’autres victimes. Et notamment, plus possible de refuser une telle reconnaissance de responsabilité vis-à-vis de victimes de l’esclavage ou du colonialisme au seul motif que les fils ne sauraient être responsables des fautes de leurs pères. C’est pourtant un argument d’une neutralité certaine qui me convient (non, évidemment – je précise avant les procès d’intention – que j’adhère à l’esclavage ou considère le colonialisme comme un excellent régime).

    Bref, dans ce cas, il faut reconnaître qu’il y a des victimes à l’égard desquelles on accepte une telle responsabilité, et pas d’autres. C’est alors un autre débat.

    Sinon, je te trouve sur une pente dangereuse vers le relativisme. Tu te laisses corrompre mon gaillard, au nom du pragmatisme. A propos du meurtre d’Anne-Lorraine Schmitt, tu expliquais que bon, ok, il n’y avait probablement pas de motivation religieuse mais que bon, puisque les autres jouent la carte du communautarisme, pourquoi pas nous, et là, tu brades la responsabilité de la France parce que bon, puisque les autres font des erreurs, on a bien droit aussi ? Ressaisis-toi, que diable.

    @ Cilia : à propos du temps qui passe, il faudra aussi qu’une génération passe. Avec Bouteflika, l’Algérie reste dirigée par une personne on ne peut plus impliquée dans la guerre d’Algérie, y compris dans ses pages honteuses pour les algériens.

  • @Cilia : il faut voir les choses en face, pour une majorité de français, les harkis étaient d’affreux collabos, l’équivalent algérien de la milice de Vichy. Le fait qu’ils aient été au service de la France ne change rien à leur mauvaise image. Et c’est bien cela qui est le coeur du problème. Eux ne voient pas les choses de la même façon parce qu’on leur a répété à satiété qu’ils étaient français. Ils ne se voient pas en collabos de la France contre les algériens mais en français qui ont aidé leur pays à combattre des sécessionistes. C’est sûrement ce qui les fait le plus souffrir : être considérés comme des traîtres à leur patrie (l’Algérie) par ceux-là même qui leur disaient que leur pays était la France.
    Quand un beur dont le père a combattu la France dans les rangs du FLN dit que celui-ci faisait partie des « indigènes » qui ont libéré Strasbourg en 1945, on ne retient que l’engagement dans l’armée française, et on a sans doute raison. Quand un fils de harki dit que son père était harki on pense aussitôt « traître à son pays », et c’est cela qui fait qe les enfants et petits-enfants de harkis ne sont pas fiers de leurs parents. C’est cela qu’il faudrait changer.

  • @Eponymus : tu dis qu’il y avait une certaine ambiguité dans l’engagement des harkis au service de la France.
    Tu donnes donc raison à Fillon qui ne dit pas autre chose dans la toute petite partie controversée d’un discours qui autrement serait plein de vérité et d’humanité.
    Je ne vois pas les choses de la même façon et c’est pour cela que je parle de maladresse de Fillon.
    Comment la position des harkis pourrait-elle être ambigüe alors que dès le début des hostilités Mitterrand et Mendès-France s’écrient « l’Algérie c’est la France »?
    Dès 1954 on ne cessa en haut lieu de proclamer que les algériens étaient français à part entière.
    Même De Gaulle le redira en 1958.
    Comment dans ces conditions de déclarations officielles et de propagande relayée par l’armée française dans le bled peut-on parler d’engagement ambigü?
    Il n’y avait aucune ambiguité.
    Ou bien ils se rangeaient du côté de leur pays, la France, ou bien ils étaent traître à leur patrie.

  • @Koz : j’apprends par l’émission « Ripostes » de ce soir que Sarkozy avait l’intention d’aller très loin dans le sens de ce que les harkis réclament mais qu’il a reculé devant le coût énorme des indemnités qu’il faudrait verser. Si cela est vrai et si tout est question d’argent c’est triste. Je persiste à penser pour ma part que les harkis ont surtout besoin de reconnaissance.

  • @Dang

    Ambigu, au regard de l’histoire oui, tel que nous pouvons l’analyser aujourd’hui. Au regard, d’un membre survivant d’une famille massacrée à Setif. Au regard même de ce que tu soulignes. Et de bien d’autres. L’ambiguïté c’est la pluralité de sens. Le sens que tu mets en évidence, tout à fait exact, en est un parmis d’autres. C’est tout le problème.

  • « Sinon, je te trouve sur une pente dangereuse vers le relativisme. Tu te laisses corrompre mon gaillard, au nom du pragmatisme. »

    T’as pas tort, mais si on n’essaye pas de trouver des compromis, si l’on ne met pas les mains dans le cambouis, la critique ne sert pas à grand-chose. Par ailleurs, tu oublies qu’aujourd’hui, je pense que la nation a été tuée par la république. Ce n’est pas moi qui la relèverait, qui me sacrifierait, m’investirait là où les hussards noirs ont abandonné le terrain, qui, si ils avaient le défaut de construire une mentalité anti-cléricale sévère, avaient également le mérite de construire quelque chose autour de l’idée de la France. Aujourd’hui, rien ou presque.

    Dans ce cadre, il est logique que cela soit du « tout pour ma gueule » ou « tout pour ma communauté ». C’est peut-être triste, ce que tu veux, mais c’est comme ça que je vois les choses, et c’est la tendance lourde de notre société. Je ne vais pas m’investir, prêcher l’amour de la France éternelle quand je vois concrètement qu’il s’agit de défendre des valeurs avec lesquelles je suis en désaccord.

    Ça me désole toujours de voir des types dont je suis proche s’engager dans l’armée, alors qu’ils savent très bien qu’ils seront en désaccord avec les ordres qu’on pourra leur donner, puisque leurs idées n’ont justement aucun poids au niveau politique. Ils savent pertinemment qu’ils sont utilisés. Très bien, mais qu’ils souffrent que je ne suive pas cette voie, et que je pense non pas à la nation, mais à ma communauté. L’état et la nation sont des choses bien distinctes, et pour moi, la nation, si elle n’est pas morte, est en tout cas à l’agonie. On va donc faire avec.

    Sinon, t’as raison, on n’a pas fini, et notamment, il ne faudra pas oublier la Vendée, les Chouans, les aristos, le clergé, etc. Il y a de quoi faire. Mais certains lobbys verront clairement où leurs conneries risquent de les mener. C’est pas plus mal. Viendra un jour où l’on se posera des questions sur la pertinence de l’initiative de départ.

    « (faut dire aussi, avec ceux qui donnent dans l’amalgame facile entre les musulmans et les violeurs, hein, ils sont pas sortis de l’auberge), »

    Concernant le racisme, je peux constater tous les jours que des types qui s’offusqueraient qu’on les compare à le Pen ou qu’on les traite de raciste, tiennent des propos autrement plus scandaleux que ce que raconte le Pen. Le racisme n’est absolument pas l’apanage de l’extrême-droite.

  • @Dang,
    et tu trouves que dans les discours de NS et FF, tout ce qui ressort, c’est que les harkis étaient des traîtres ?
    tu ne trouves pas qu’il y a beaucoup de reconnaissance dans leurs propos ?
    et pour ce qui est de la majorité des français…tu as peut-être raison, mais ce n’est pas du tout l’impression que j’ai.
    Il me semble plutôt que la majorité des français n’en sait rien parce qu’il faut bien trop de connaissances historiques pour avoir un avis, et qu’une grande partie sait confusément que la France a mal agi envers les harkis.

  • @Cilia : si la majorité des français sait que la France a mal agi envers les harkis, c’est récent et c’est tant mieux. Sinon je n’ai pas dit que tout ce qui ressort des discours de Fillon et Sarko est que les harkis sont des traîtres. J’ai seulement dit qu’il y a une maladresse dans le discours de Fillon qui est au demeurant excellent par ailleurs. Disons que les jeunes gens qui lui ont écrit ce discours méconnaissent la sensibilité à fleur de peau des harkis et Fillon aussi puisqu’il a laissé passer. En fait je dis que je comprends que des harkis aient pu être peinés ou choqués.
    Je croise tous les jours un vieil algérien défiguré. Il n’a plus de nez. On m’a expliqué que c’est un harki qui a été ainsi mutilé et qui a réussi à se sauver avant d’être exécuté.Il porte au revers de sa veste élimée l’insigne de la croix de la valeur militaire. C’est dire qu’il a dû se battre. Qui oserait lui dire qu’il ne servait pas la France et qu’il était traître à sa patrie algérienne? Il ne pourrait même pas comprendre nos subtilités de 2007. Il en est forcément resté à ce qu’on lui disait en 1957 quand l’armée française lança une grande campagne de recrutement de supplétifs algériens.

  • @ Polydamas « Le racisme n’est pas l’apanage de l’extrème-droite« … Mais je n’ai jamais prétendu qu’elle en avait l’exclusivité.

    @ Dang Il n’y a pas de maladresse dans le discours de Fillon. Il est parfaitement possible de le comprendre comme disant que les Harkis étaient « la veille » les frères des FLN (tout comme les républicains espagnols ont été les frères des franquistes).

    C’est justement là que je pense qu’il y a une volonté de trouver une maladresse, pour trouver une raison de poursuivre le « combat ». Et c’est bien là, je pense, qu’il y a une incapacité à sortir du ressentiment (aussi légitime soit-il).

    Cette façon de focaliser sur une seule expression de tout un discours me paraît révélatrice à cet égard.

  • @Koz : je comprends très bien ton point de vue. Tu vois du réalisme là où moi je vois une maladresse de Fillon.La maladresse, pour moi n’est pas dans le texte lui-même, la maladresse c’est de ne pas avoir imaginé que les harkis seraient peinés par la phrase en question.
    Il est évident que les guerres coloniales et les guerres civiles, et la guerre d’Algérie fut les deux à la fois, traînent derrière elles un cortège de souvenirs douloureux.
    Si on interroge les résistants du Vercors sur les miliciens, je doute fort qu’ils les considèrent comme des frères passés du mauvais côté. J’imagine plutôt qu’ils les voient comme des traîtres.
    Je ne veux d’ailleurs pas me prononcer sur l’ « Habitus » que tu dénonces. Il ya peut-être, il y a sûrement, des gens qui entendent vivre éternellement dans le ressentiment.Je n’avais même pas eu vent de la réaction du webmaster harki avant de lire ton post.
    Je veux juste dire que dans le contexte des souffrances des harkis, je comprends cette réaction.
    Je ne suis pas choqué quand j’entends des algériens dire que les harkis étaient des traîtres. C’est logique. Ce qui l’est moins c’est la position de l’état français depuis 45 ans. Ce n’est évidemment pas le cas de Fillon ou de Sarkozy mais il y a eu dans le passé des hommes politiques qui devaient estimer qu’après tout les harkis avaient joué et perdu, qu’ils avaient choisi le mauvais camp et qu’ils devaient en subir les conséquences.

  • Le concept d’habitus tel qu’il est forgé par Pierre Bourdieu, est à l’origine de la prise de position qui détermine les discours. Votre usage du mot habitus, au contraire en fait une conséquence du ressentiment. On a beaucoup parlé du ressentiment de ce sociologue et j’ai été pris d’une sorte de besoin d’exprimer mon inquiétude par ce rappel en voyant se rapprocher les deux termes.

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