État d’urgence

cocktail_gdJoyeux anniversaire, Monsieur le Président. Inexplicablement, la France est restée silencieuse pour l’anniversaire de votre élection, il serait malheureux de rater celui de votre entrée en fonctions. Les Français sont sévères, ils oublient de mettre à votre crédit une chose, la seule : vous avez réhabilité la politique. Ceux qui pensent qu’une élection ne change rien, que tous les politiques se valent, se trompent : certains peuvent mener le pays au désastre. Il n’y a pas un angle de votre campagne de 2012 sur lequel vous ne soyez en échec. La finance, votre ennemi ? Que les Français aillent mieux au bout de cinq ans ? Que la courbe du chômage s’inverse ? Tous les indicateurs que vous vous êtes vous-même choisis pointent votre échec.

Pour votre anniversaire, le préfet d’Ille-et-Vilaine, représentant de l’État, a eu cette petite attention : il a demandé aux habitants de Rennes, l’une des plus grandes villes de France, de rester chez eux et de ne pas sortir. Nous sommes en état d’urgence mais ce sont les habitants qui se retrouvent en état de siège. Le pire a été évité, mais le ridicule ne l’a pas été. Ainsi le préfet annonçait : « On ne les laissera pas manifester, cette manifestation n’aura pas lieu. On fera respecter la loi, on fera respecter l’État de droit ». Que croyez-vous qu’il arrivât ? Ils les ont laissés manifester, cette manifestation a eu lieu, ils n’ont pas fait respecter la loi, ils n’ont pas fait respecter l’État de droit.

« On ne les laissera pas manifester, cette manifestation n’aura pas lieu. On fera respecter la loi, on fera respecter l’État de droit ».

Que croyez-vous qu’il arrivât ?

Et à Rennes, pour la troisième fois, dans l’indifférence la plus totale de la classe politique et de la presse, un commissariat a été attaqué. L’indifférence journalistique et politique qui a accueilli cet événement souligne leur lâcheté et leur complaisance. Des digues ont sauté quand des lycéens ont tenté d’incendier leurs établissements, quand des manifestants ont attaqué des commissariats.

Mais ces digues-là n’intéressent pas. La protestation aurait pourtant dû être vive et unanime sur les bancs républicains. Il est incroyable qu’aucune voix ne se fasse entendre, que personne ne se lève. Il y a des symboles qui ne devraient jamais être touchés, des limites qui ne devraient jamais pouvoir être franchies. Elles l’ont pourtant été, et la réaction de l’État a été d’une rare couardise. Tout juste avait-on interdit la vente d’alcool à proximité de la place de la République. Le signal était lancé que tout était permis. Ce que je dénonçais déjà il y a un mois, je pourrais le reprendre ligne à ligne aujourd’hui, car rien ne s’est passé depuis. Aucune reprise en main, aucune défense de l’État de droit.

Cela fait plusieurs semaines que je me retiens à grand peine de faire le parallèle avec la Manif Pour Tous. La période a été suffisamment douloureuse pour que je n’ai pas envie de raviver les blessures. Mais comment ne pas comparer la situation actuelle avec le traitement des manifestants d’alors, quand il suffisait de porter un sweat-shirt avec un logo qui déplaisait au pouvoir pour finir en garde à vue ? Quand le fait de s’asseoir par terre avec des bougies vous conduisait au poste ?! Que Nuit Debout occupe pacifiquement un espace public n’est guère critiquable, même si l’on n’a évidemment pas entendu ceux qui, dans la presse ou sur Twitter, s’étranglaient de l’illégalité alléguée des Veillées. Leur incohérence ne doit pas nous empêcher, nous, d’être cohérents. Mais cette occupation ne pouvait être tolérée qu’aussi longtemps que cela ne suscitait pas de casse et de heurts. Au lieu de cela, ils ont laissé, à Paris comme à Nantes et à Rennes, se créer les abcès de fixation qu’il fallait éviter. Englué dans son péché originel, élu sur un coup du sort, un mensonge et un malentendu[1], François Hollande enchaîne démission sur démission face à l’extrême-gauche… pendant que son premier ministre roule des yeux furibonds et inconséquents.

On n’énerve pas le démocrate-chrétien François-Régis Hutin comme on irrite Eric Zemmour, on n’exaspère pas Ouest France comme on insupporte Valeurs Actuelles. Mais alors que la presse parisianiste est toute entière préoccupée par les réflexions salaces au travail[2] et pressée de relayer les accusations de fascisme à l’encontre des Français qui ne jugent simplement pas bienvenu de danser sur des tombes, le fondateur du premier quotidien de France[3] le crie aujourd’hui à François Hollande : « Ça suffit ! ».

C’est à vous de faire rapidement cette véritable révolution, en espérant que la droite la comprenne. Sinon la révolution se fera sans tarder dans la rue avec beaucoup de violence, de souffrance et d’humiliations que vous, peut-être, vous pouvez encore épargner au pays.

Difficile de nourrir le même espoir que François-Régis Hutin. Car d’ici, je ne vois pas ce qui pourrait survenir durant cette année. Parce qu’il reste un an. Sur cinq, ce n’est pas négligeable. On peut encore espérer que cela tienne, cahin-caha, en colmatant les fuites, mais rien ne le garantit. Ce n’est pas à un an de l’élection que les partis gomment leurs différences, bien au contraire. Ce n’est pas à un an de l’élection qu’un président va prendre des risques, bien au contraire. Notre pays a pourtant d’autres défis à relever, au nombre desquels la plus grave menace terroriste depuis des dizaines d’années – dont on oublie un peu facilement qu’elle va se rappeler à nous – et une situation économique qui ne s’améliore décidément pas. Reste l’hypothèse d’une prise de conscience de François Hollande. Celle de sa responsabilité historique. Sa réélection est si improbable qu’il lui pourrait essayer de sauver au moins l’honneur. D’éviter de transformer l’échec en désastre et d’être le président de gauche qui aura porté l’extrême-droite au pouvoir.

Il y a urgence, pour l’État.

  1. Hollande est tout de même parvenu à se faire passer pour le gauchiste qu’il n’a jamais été, et ses électeurs ont beau jeu de prétendre aujourd’hui avoir été trompés, alors que personne n’a jamais pu imaginer sérieusement qu’Hollande soit autre chose qu’un social-démocrate ou un social-libéral []
  2. certes un sujet, mais qui pourrait laisser une place à d’autres, quand une ville est en feu []
  3. plus de deux fois le tirage du Figaro, près de trois fois celui du Monde et de huit fois celui de Libération – Chiffres ACPM []

Billets à peu près similaires

16 commentaires

  • Bonjour,

    Ça fait du bien de lire un tel billet. On en arrive à se demander si on n’appartient pas à une race d’extra-terrestre quand on compare ses réactions à celles ordonnés par la doxa officielle. Nombreuses sont les personnes que je côtoie qui éprouvent des sentiments identiques face à la dégradation rapide de la situation. Ça touche progressivement mais sûrement le coeur de l’appareil d’état.

    Je ne crois absolument pas à une quelconque prise de conscience par celui qui restera dans l’Histoire sous le surnom peu flatteur mais si juste de Normal 1er. Sa soif de pouvoir et sa fatuité sont trop importantes pour cela. Il est comme dans l’histoire de frères Grimm, « Les habits neufs de l’empereur ». Non seulement l’empereur est nu mais il est très loin d’être un Adonis. Il est tout simplement ridicule et totalement déconsidéré. Gagner la prochaine élection satisferait probablement son triste ego mais ne solutionnerait aucunement les problèmes dans lesquels ce pays se débat par sa faute et par la faute d’une classe politique en-dessous de tout. Sa victoire serait encore plus une victoire par défaut que la fois précédente et si, par le plus grand hasard, il obtenait une majorité aux législatives, il ne se passerait pas six mois sans que la marasme actuel ne resurgisse avec encore plus de vigueur pour le plus grand malheur du pays.

    Bonne fin de journée malgré le fait que nous sommes en Socialie.

  • Sinon, tout à fait d’accord… devant ce qui se passe, on a presque envie de dire :  » c’est pas comme si on était en état d’urgence, n’est-ce pas? Comment ça, on y est? » Pas rassurant, tout ça…

  • Cela n’excuse rien à la situation présente et ne justifie rien car les choses pourraient effectivement être bien mieux qu’elles ne sont mais à mon avis la situation dans notre pays se dégrade depuis la mort de Pompidou. Et tirer à boulets rouges sur Hollande, sur la classe politique de notre pays c’est ne pas faire de remise en cause personnelle de nos responsabilités individuelles dans cet état de fait. C’est se dédouaner à bon compte sur une personne d’une situation de laisser-aller et de décomposition dont nous avons tous plus ou moins une part de responsabilité. Depuis des années étapes par étapes les composantes de la gauche se divisent, les composantes de la droite se divisent. Et dans les deux camps la haine monte. Et pas seulement la haine de l’adversaire mais aussi la haine de son allié, de son partenaire politique. Je rentre de Gênes. C’est la première fois de ma vie que je vais dans cette ville. Par rapport à notre pays j’ai eu l’impression d’être sur une autre planète. C’est une ville belle, propre, accueillante, qui donne l’impression qu’il y fait bon vivre. Deuxième port de la Méditerranée, 1 150 000 habitants, quatrième meilleure université d’Italie, zone la plus industrielle d’Italie, une ville magnifique qui mérite bien son surnom: Gênes la superbe. Depuis 1992 les maires de cette ville ont été de gauche modérée, de droite modérée.

  • Rassure-toi, voilà le sursaut.

    Hollande a assuré que l’Etat était « prêt à mettre les moyens pour sécuriser un éventuel concert de BlackM »

    On connaissait le Washington Monument Syndrome, phénomène qui voit les bureaucraties systématiquement couper en priorité les dépenses les plus utiles.

    On en voit ici la phase terminale : il s’agit de ne plus agir que pour les choses les plus inutiles voire nuisibles. Le préfet recommande de ne pas sortir, les écoles demandent aux parents de reprendre leurs enfants à cause des manifs. Mais on trouve des flics pour emmerder les chauffeurs privés, coller les veilleurs en GàV ou « sécuriser » BlackM.

    Ce n’est pas fortuit.

  • La situation d’aujourd’hui montre bien qu’en 2012 la France n’avait pas besoin d’un président et d’un gouvernement socialistes. Ce qui arrive maintenant est bien le résultat de l’œuvre de Hollande ces dernières quatre années. Il est totalement responsable du chaos actuel. Tout le monde peut le voir, mais chaque groupe d’intérêts l’exprime à sa manière, ce qui renforce l’état de déconnexion de Hollande avec la réalité.

    On serait tenté de penser que du point de vue stratégique on ne devrait pas empêcher Hollande de se représenter à l’élection présidentielle pour ainsi être sûr que la gauche ne passe pas, mais il y a tout de même des limites à quel point on peut se moquer du monde.

    Beaucoup de gens ont arrêté depuis longtemps de critiquer l’actuel président parce qu’on ne tire pas sur une ambulance et qu’il avait humblement admis qu’il ne se représenterait pas si à la fin de son mandat s’il n’avait pas résolu le problème du chômage. Maintenant il nous dit que tout va bien Madame la marquise. Il y a de fortes chances que d’ici la fin de l’année les choses soient encore pires. Il a encore une dernière chance qu’il agisse en homme d’Etat et démissionne avant la fin du mois.

  • @Pepito: « Il est totalement responsable du chaos actuel. »

    Oui, mais il n’est pas le seul. Les Français qui descendent dans la rue pour défendre leurs droits-z-acquis à tout bout de champ y contribuent aussi.

  • Le terme de « chaos » n’est-il pas un brin exagéré?

    Comment agir concrètement sur notre société sans se laisser aller à la facilité du rejet sur autrui de nos difficultés, de nos frustrations?

  • Peut-être faut-il garder de la mesure.

    Pour les nostalgiques, pensez à Sarkozy dernière période, après le discours de Grenoble, à la succession de délires sur les Roms, les lois sécuritaires délirantes, le débat sur l’identité nationale, etc.

    Oui, la France va mal ; Non le monde n’est pas en train de prendre feu. Des manifestants s’emportent : ça arrive. Le gouvernement est contesté : c’est normal. Des gens allument des incendies : la police les poursuit ou les poursuivra. Le Président veut être réélu : Sarkozy, Chirac, Mitterrand l’ont fait ou ont voulu le faire.

    Votre inquiétude me fait penser aux commentaires sur les événements de 2005, quand les banlieues ont flambé. On a crié à la fin de la civilisation. Quelque chose a-t-il changé ? Oui, mais tout va moins bien (crise, chômage, enfants qui sortent illettrés du système scolaire). Est-ce que ça brûle encore ? Non.
    Ca fait des années qu’on dit que la France est en 1788.

    Est-ce que ça veut dire que tout va bien et qu’il ne faut rien faire ? Non. Mais quand on jure que c’est bientôt la fin des temps et que la fin des temps ne vient pas, on n’a rien fait avancer et on a déconsidéré son camp.

  • Armand017 a écrit :

    Mais quand on jure que c’est bientôt la fin des temps et que la fin des temps ne vient pas, on n’a rien fait avancer et on a déconsidéré son camp.

    De fait. Et NS ne faisait guère mieux en fin de mandat.

    Mais la bonne comparaison me paraît être la suivante. Si un goutte-à-goutte emplit lentement un vase, il est quasiment impossible de prédire quelle goutte va faire déborder le vase. En attendant, on peut être inquiet quand le goutte-à-goutte (le refus de toute réforme tant soit peu sérieuse) continue, jour après jour, mois après mois, année après année, président après président.

  • Armand017 a écrit :

    Pour les nostalgiques, pensez à Sarkozy dernière période, après le discours de Grenoble, à la succession de délires sur les Roms, les lois sécuritaires délirantes, le débat sur l’identité nationale, etc.

    Je n’ai rien d’un nostalgique de Sarkozy. Mais… Les Roms ? Les sorties de Valls sur ceux-ci n’ont rien à envier à celles de Sarkozy, et quand on pense au sketch, que dis-je, à la saga Leonarda, avec en sommet, en apothéose, le « elle peut rester mais elle seule sans sa famille » de Hollande, on se dit que la période Sarkozy était presque sobre et digne finalement !

    Pour les lois sécuritaires délirantes, qui nous maintient dans un état d’urgence permanent inutile et injustifiable ?

    Pour le débat sur l’identité nationale, c’est la façon dont il a été mené qui a été totalement foirée. Mais le fait de soulever le sujet est parfaitement légitime, et c’est notamment le procès contre la légitimité même du débat, initié par une certaine gauche, qui a causé le naufrage.

    Donc, non, François Hollande n’est pas juste un président qui veut se faire réélire… Comme tous les autres. Le billet de Koz montre bien à quel point Normal 1er n’est justement pas normal, pas ordinaire, mais extraordinairement plus mauvais – et pourtant il y avait du niveau en termes de médiocrité.

  • Humpty-Dumpty a écrit :

    es sorties de Valls sur ceux-ci n’ont rien à envier à celles de Sarkozy

    C’est vrai, mais il est Premier Ministre (et l’était-il déjà au moment de ces sorties ?), pas Président de la République en exercice.

    Ceci dit, J’ai simplement voulu introduire un peu de mesure. Je ne suis pas un sectateur fanatique de M. Hollande, c’est peu dire, mais je ne crois pas qu’il faille faire de lui un antéchrist. C’est tout.

  • Il aura fallu attendre que des permanences du PS soient saccagées pour que la gauche prenne conscience de la violence des manifestants et les condamne.
    Jusqu’alors, il n’était pas « anti-démocratique » de brûler des établissements scolaires, d’attaquer des commissariats ou de brûler des voitures. Et naturellement, il était tout à fait convenu de saccager les agences bancaires, l’ennemi étant rappelons-le, la finance.

  • De tout temps on a laissé ( voire un peu titillé ) les casseurs bruler des voitures , casser des vitrines etc…. C’est de fait le seul moyen de faire basculer une majorité de français, ravis de voir d’autres en découdre avec l’autorité , vers le camp des craintifs pour leur bagnole, leurs vacances, leur tranquillité de réformateurs en pantoufles. Hollande le sait lui aussi et mise sur l’usure. Sa grande erreur a été de ne pas identifier immédiatement le danger d’un mouvement qui est « contre » ( on ne peut rien argumenter ) et la descente des étudiants dans la rue qui a toujours été le signe avant coureur de l’utilisation de cette masse aisément manipulable par le parti socialiste ( front de gauche dans le cas présent). Bref, une erreur de débutant assez surprenante de sa part. Est il a ce point persuadé de sa réussite ?

  • Il est possible que la CGT ait commis une énorme erreur de jugement en allant trop loin sur la loi Travail.

    Blocus du carburant, chantage aux journaux, grèves dans les centrales nucléaires, tout cela s’ajoutant aux classiques galères SNCF/RATP et aux menaces sur l’Euro 2016… La parole se libère et l’exaspération contre les syndicats grandit très vite dans une population engluée dans une passe difficile.

    Si Hollande arrive à briser l’échine de la CGT sur cette épreuve de force, il aura plus fait pour le pays qu’aucun président depuis 40 ans.

    Et il sera réélu triomphalement.

  • @ Lib:

    De là à le réélire, vous allez un peu loin. Mais il est fascinant de voir les armes dont disposent les syndicats, même quand la grève est aussi nettement peu suivie.
    Enfin, comme disait Villepin en 2006 « ils vont voir que je suis assez con pour aller jusqu’au bout ».
    On a vu.

  • Bonjour,
    Il est délicat de discuter un billet qui pose comme certitude des hypothèses de travail largement discutables. Je ne suis en rien convaincu que le PR actuel est plus désastreux que les deux précédents, par exemple.

    Suis-je le seul à penser que juger sérieusement les résultats d’un mandat ne peut se réduire à comparer les promesses et les résultats (sans compter la difficulté d’évaluer sans recul aucun les dit résultats)? Vous même Koz soulignez assez dans votre note de bas de page [1] que les promesses de campagnes sont un critère non-pertinent. Pourtant vous semblez regrettez avec les gauchistes présumés le peu d’entrain de Hollande à être un véritable ennemi de la finance. Je m’y perd.

    Je cherche un peu vainement ce que vous suggérez pour l’immédiat et pour l’année qui reste. S’agissant des abcès de fixation que « on » a laissé s’installer, par exemple, que suggérez vous? Envoyer les CRS foncer dans le tas?

Les commentaires sont fermés