Affaire(s) de coeur

Une fois encore, un don de la famille Arnault a donné lieu à la plus française des poussées de fièvre. Avec ses ambiguïtés. Quand donc la passion égalitaire se consume-t-elle en flambée de ressentiment, d’aigreur ? « Je ne dis pas merci », clame tel député. Ne pas remercier impose-t-il, plus encore, de fustiger ? Une semaine durant ? J’entends bien : un don de 10 millions d’euros aux Resto du Cœur par la famille Arnault serait l’équivalent d’1€50 pour le Français moyen. Prenons un autre angle : quelles sont les potentialités de ces dons respectifs ? Si je renonce à 1,50€, je renonce à moins d’un paquet de carambar (2,55€ le sachet de 320g). 10 millions d’euros, c’est une villa avec piscine sur la Côte ou, si l’on en a déjà trop, une participation majoritaire dans une start-up prometteuse. C’est, aussi, cet arbitrage qu’a fait la famille Arnault, et qu’elle pourrait faire différemment à force de voir ses dons accueillis par la même vindicte.

Il y a pour autant un sujet de fond que nos élus furibards se seraient grandis à aborder davantage. Il met en cause le modèle français. La présence même de la Ministre des Solidarités Aurore Bergé aux côtés des fils Arnault lors de l’annonce de leur don avait des airs de passage de témoin, pour ne pas dire de passation de pouvoir. Car l’une des raisons de la déroute des Restos du Cœur est la chute des subventions publiques. Là encore, on s’interroge : pourquoi est-ce le cas, dans un pays où le poids des prélèvements obligatoires dans le PIB est passé de 41,2% en 2009 (son plus récent minimum) à 45,4% en 2022 ? Poids de la dette, mauvaise gestion publique, hausse de la précarité : par quelque côté que l’on cherche une explication, cette affaire sonne l’échec d’un modèle.

Mais si l’on imagine s’en remettre à la seule bienfaisance privée, il faut entendre les inquiétudes : plus l’Etat se désengage, plus la solidarité repose sur les personnes privées et fortunées, sans l’obligation d’impartialité qui incombe à l’Etat, sans responsabilité politique ni juridique, et en entretenant l’illusion que la solidarité nationale repose sur les plus riches, ce qui ne se traduit pas dans les chiffres des dons. La réponse à cette crise de la solidarité nationale mériterait cette fois un vrai grand débat, plutôt que les moulinets médiatiques sur le patrimoine comparé de la famille Arnault et du Français moyen auxquels nous avons assisté.

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