Des femmes et nous

J’écris souvent quand j’ai la tête en vrac. « J’écris pour savoir ce que je pense » avait un jour dit Frédéric Beigbeder, l’ex-directeur de la rédaction de Lui, dont l’évocation dans un billet sur le harcèlement sexuel des femmes est, déjà, un exercice de voltige. En quoi est-ce compliqué ? En quoi serait-ce compliqué d’entendre les témoignages, la souffrance ou le malaise qui les accompagne ?

Certes, le phénomène est notamment alimenté, dans sa dimension médiatique, par un milieu féministe dont la défense des femmes sacrifie à une vision partiale, revêt parfois les atours d’un autre asservissement, et fleure l’esprit de revanche sur l’homme. Mais laissons-là leur agenda : d’autres femmes aux idées bien divergentes posent les mêmes questions. Le sujet est rien moins que le respect de la dignité de la personne humaine. A dire vrai, que la promotion de l’« amour en vérité » rejoigne la « lutte contre le patriarcat », si la cause est juste, grand bien nous fasse. Pourquoi la réticence perceptible chez certains ? Peut-être cela nous échauffe-t-il que l’évocation de la chasteté (la vraie) et en particulier de la « chasteté du regard » soit ringardisée. Sans doute cela nous titille-t-il d’être brocardés quand, pourtant, on ne cesse d’être invités à « respecter la femme que tu aimes »[1]. Et, vraisemblablement, cela nous agace que le discours de l’Église sur la sexualité soit dénigré quand il vise aussi à ce que les femmes ne soient pas réduites à satisfaire les désirs des hommes. Mais est-ce bien essentiel ?

Je vous arrête : je la ressens aussi, fugacement, cette jubilation mauvaise de voir qu’un Mouvement des Jeunes Socialistes au sectarisme outrancier a entrepris de renouveler la figure du Tartuffe et a gardé les yeux grand fermés sur une « culture du viol » effective et publique en son sein, quatre ans après DSK, quatre mois après Baupin. Mais elle est mauvaise, cette jubilation. On sera moins sectaire et plus réaliste : l’enjeu est transpartisan voire, si le terme existait, transconfessionnel, et l’on connaît des hommes publics, de toutes parts, dont il faut espérer qu’ils ne dorment pas bien depuis six semaines.[2]

Alors oui, l’envie peut nous prendre, coupablement, de dire à certains : « demerdenzizieche, maintenant, avec votre société de m… ». Mais non. On se moque de savoir comment ça arrive, et soixante-dix sept fois sept fois on remettra l’ouvrage sur le métier, parce que nous en sommes, de cette société. Alors si, par des chemins différents, on se rapproche du respect de la dignité de la personne humaine, admirons le fruit, apportons notre soutien.

Mais il n’y a pas que ça.

Je dois vous le dire : je suis un homme.

Je suis donc un peu emmerdé.

Emmerdé, parce qu’il est difficile de ne pas se sentir personnellement mis en cause, et désagréable de ne plus entendre parler des hommes en tant que tels que pour les dépeindre en oppresseurs, en agresseurs, en prédateurs. Nous ne mourons plus au feu, nous ne chassons plus le cerf, les femmes n’ont plus besoin de nous pour les protéger, nous ne servons plus à grand-chose et quand on parle des hommes, c’est en ces termes-là. On se demande parfois si, engagées dans une lutte des sexes, certaines féministes ne s’arrêteront que lorsqu’elles auront remplacé la domination masculine par la soumission des hommes. Mais là n’est pas l’essentiel.

Parce que je dois bien reconnaître que je n’ai pas toujours été très fin. Remontant le temps, j’ai deux ou trois épisodes en mémoire, de plus de vingt ans tout de même, dont je n’ai pas de raisons d’être fier, même si je ne vais pas vous faire mon #MeToo. Ceci dit, non, je ne fais pas de propositions déplacées, je ne mets de mains ni aux fesses ni ailleurs, je ne siffle pas les femmes et si je confesse une tendresse particulière pour les robes légères, je suis malgré tout de ceux qui s’efforcent d’éduquer leur regard et de ne pas laisser la rêverie s’éterniser. Je ne devrais me sentir ni accusé… ni exonéré.

Parce qu’il faut bien que nous admettions, les gars, que nous ne voyons pas tout et ne percevons pas toujours ce que nous voyons pourtant. Je dois  admettre que ce qui, dans ma psychologie masculine, n' »est pas bien grave » peut participer d’une menace latente pour une femme, et que ce n’est pas forcément à elle de « ne pas faire sa mijaurée ». Je n’ai, par ailleurs, jamais été témoin d’un cas de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle dans les transports en commun, ni même dans la rue. Je n’ai jamais croisé de ces « frotteurs du métro », jamais entendu de réflexions déplacées, jamais perçu de comportements menaçants, à peine entendu des réactions courroucées aux heures de pointe, rétrospectivement suspectes. Je prends pourtant ces transports de façon quotidienne depuis trente ans, et les femmes nous disent que ces réflexions sont courantes. Je dois donc admettre que ma perception est faussée.

Parce qu’il n’est pas si aisé de suivre la redéfinition à marche forcée des rapports entre les hommes et les femmes à laquelle nous assistons : les frontières n’y sont pas aussi nettes que quelque tableau l’affirme et les injonctions, un peu contradictoires. Plusieurs commentateurs ont regretté aussi que l’on place des comportements très différents sur le même plan. A la suite de Weinstein dont le comportement relève de l’agression sexuelle ou du viol, un commentaire sur un décolleté se trouve balancé comme une même porcherie[3]. Le tableau précité considère lui-même, à égalité, que « prendre le refus d’une personne pour de la timidité » constitue un harcèlement  tout comme « envoyer des SMS sexuels à une personne qui n’a pas consenti à ce jeu » ou « user de sa position pour obtenir des faveurs »[4]. Dans Les liaisons dangereuses, j’entends certes que la morale est sauve : Valmont meurt à la fin et Madame de Merteuil perd sa réputation mais le jeune homme que j’étais avait aussi constaté qu’avec un peu d’insistance Valmont était parvenu à ses fins avec Michelle Pfeiffer. Les Liaisons relèvent certes d’une fiction datée, mais cette représentation d’une femme prude dont il faudrait vaincre les défenses successives n’est-elle pas répandue ? Où finit la cour assidue et où commence le harcèlement ? Et quand Valmont usait de persuasion, quand on cherchait encore à sauver la morale, que penser d’une société inerte face à des représentations amorales, s’accommodant de la force ?

Comment ne pas trouver notre société foncièrement incohérente ? Société hypersexualisée, dont les sites d’info multiplient les blogs de cul (pardon, de sexologie), les conseils sur les sex-toys, qui entend dans le même temps émettre une typologie des comportements admissibles que les dévots d’avant ne renieraient pas, et considère qu’un « commentaire sur la tenue d’une personne qu’on ne connaît pas » est du harcèlement. Comment ne pas être perplexe devant telle séquence dénonçant les représentations dans le cinéma et notamment une scène d’Indiana Jones et le Temple maudit, parce qu’Indiana Jones embrasse sa partenaire par force, ou par surprise quand s’élever contre des scènes fréquentes simulant un viol dans des films pornos serait de la pudibonderie ?

Le porno n’a évidemment pas inauguré les violence sexuelles, mais force est de constater une explosion de la violence sexuelle des mineurs (+50% en dix ans) parfaitement concomitante au développement d’Internet – au sein duquel le porno prend une part économique massive. Simple concomitance, me répond-on. Aucun impact, m’assure-t-on. Pourtant, quand on laisse la parole à un représentant de l’industrie, il n’a pas de difficulté à se vanter, lui, que « l’accès illimité au porno via Internet [ait] déjà profondément modifié la manière dont les hommes et les femmes appréhendent les relations sexuelles dans le monde réel. »[5] Personne ne me fera admettre qu’un même accès illimité au porno ne modifie pas plus profondément encore la façon dont des enfants ou adolescents appréhendent les relations sexuelles.

Pour ne pas effaroucher les petits soldats du porno en avançant l’hypothèse d’une causalité, remarquons à tout le moins l’inconséquence foncière qu’il y a à appeler au respect de la femme sans jamais s’élever contre un phénomène massif dont tous les scenarios reposent sur la domination ou la soumission de la femme.

Comprenez-moi : il n’est pas si facile de prendre au sérieux une société qui, dans le même mouvement, prône le premier et soutient les seconds.[6]

*

Comme homme, il reste à entendre les femmes. Les témoignages sur les réseaux ne sont pas tous fiables, sont parfois excessifs ? C’est le propre d’une libération de la parole. Ce que les femmes réclament, c’est le respect de leur dignité. Ce que l’on ne peut pas ne pas entendre, c’est le caractère massif du phénomène, c’est l’inconfort des femmes ou leur crainte constante.

On se prendrait à imaginer que ceci débouche sur une éducation sexuelle qui ne soit pas techniciste.

On se prendrait à rêver que la pudeur, la galanterie, la décence reviennent, en grâce.

On vous épargne encore la chasteté (la vraie).

Pour l’instant. Pour ne pas vous brusquer.

  1. ce qui n’exclut certes pas celle que tu n’aimes pas, mais différemment []
  2. Tout juste relèvera-t-on que le passage d’une impunité absolue à une mise au pilori nominative en Une d’un quotidien interpelle autant sur le pilori d’aujourd’hui que sur l’impunité d’hier – au point de se demander si la soudaineté et la force de la mise au pilori n’a pas aussi pour but d’effacer quelques complaisances politiques ou journalistiques passées. []
  3. Entendons-nous bien : un commentaire sur un décolleté peut être vulgaire et déplacé, mais pénalement répréhensible, non []
  4. Le « harcèlement » étant d’ailleurs conçu bien au-delà de sa définition, ce qui n’aide pas à l’appréhender correctement []
  5. Permettez-moi de vous refourguer à ce titre mon premier livre, chapitre IXPermis sur une vache, interdit sur une poule []
  6. Laurence Rossignol avait annoncé une réflexion en ce sens peu de temps avant de quitter son ministère. Il semble que Marlène Schiappa ne soit pas indifférente à ce sujet, qu’il serait bon de voir avancer []

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27 commentaires

  • Encore une fois Merci !
    Difficile d’avoir d’aboutir à une pensée équilibrée sur ce sujet, surtout quand on voit la virulence des petits soldats du porno.
    Manifestement écrire pour savoir ce que vous pensez vous réussit bien

    • Merci. Le porno est la pointe avancée du sujet, mais la question du respect de la femme serait tout de même plus facile à traiter avec plus de cohérence.

      Je suis toujours frappé de voir l’ardeur que mettent certains sur ce sujet, et j’ai du mal à la comprendre. Bien sûr, j’imagine que les uns ou les autres défendent leur petite faiblesse. J’imagine aussi que, dans leur esprit, restreindre (je ne parle même pas d’interdire) l’accès au porno est un retour à l’ordre moral voire aux heures les plus sombres de notre Histoire. Mais je suis tout de même toujours surpris par l’inventivité des uns et des autres pour défendre le porno, comme si l’on touchait à une activité fondamentale.

      Bref. Je suis évidemment touché par la question du respect de la dignité de la femme mais on s’arrête en chemin. Et, tout de même, s’efforcer de restreindre l’accès au porno aux enfants, ce n’est pas revenir à un quelconque puritanisme passé.

  • Et bien merci Koz, encore une fois de mettre les mots sur ce que je ressens moi aussi confusément.

    Et les incohérences, notre société n’en manque pas.

    Aujourd’hui, nous avons l’impression qu’il ne reste, en matière de sexualité, de désir, qu’une seule ligne de pour nos contemporains largués: la notion de libre consentement. (cf l’annonce de l’instauration d’une « présomption irréfragable » de viol dès lors qu’il y aura une relation sexuelle avec un mineur de 15 ans)

    Et ce consentement, mis à toute les sauces, va bien nous donner un jour ou l’autre des contrats pour l’organiser sur tous les domaines du corps humain: bras, vagin, utérus, rein….

    Alors éduquons, éduquons…et cela renvoie à votre dernière note de lecture 🙂

  • Bonjour, je partage bien sûr le contenu et l’intention du billet. En revanche, je suis moins fan du ton et du vocabulaire parfois trop cru. Puritanisme ? Pas vraiment. Etant passé par les facultés (de médecine) et fréquentant depuis de longues années un milieu pas franchement réputé pour être innocent et plutôt porté sur la grivoiserie et la gaudriole, je ne suis pas convaincu que l’usage d’un vocabulaire un peu leste fasse mieux passer le message… que je partage à 100%. Que je dise quand même que si les hommes ont une grande responsabilité sous diverses formes et qu’ils reçoivent en pleine poire le retour du balancier, il faudrait aussi cesser de dire « tous les hommes, tous pourris »! Je sais, vous ne l’avez pas dit mais c’est presque sous-entendu dans bien des milieux ultra féministes. Continuez à secouer le cocotier mais un peu plus de nuance les noix tombent tout pareillement.

    • Le ton, c’est le mien, et je n’ai pas prévu de le soumettre à discussion, à censure ou à Index. Si « emmerdé » et « cul » vous dérangent, attendez que j’aie écrit « bite » et « couille ».

  • je ne peux que vous remercier de cet article que je partage à 100% (le Schadefreunde vis a vis du MJS inclu, je l’avoue.. réaction toute aussi fugace car à la lecture de libération on perçoit la souffrance de militantes te leur déception) étant à peu près dans le même cas que vous, à la fois sur le comportement vis à vis des femmes comme sur l’absence de constatation ou de perception de comportement déplacés dans mon entourage ou dans la vie courante; ma femme m’ayant fait part récemment d’avoir subi un comportement déplacé pendant ses études sur lequel elle à mis un voile, je veux bien comprendre comme vous que ma perception est faussée.
    Et pourtant sans penser avoir trouvé une méthode infaillible, ou prétendre que je puisse être parfait ou que je ne pourrais jamais déraper, je suis amusé de constater, un peu comme vous le sous entendez en conclusion d’ailleurs, que cette éducation « réac » ou « conservatrice »que j’ai « subi » est pour beaucoup le respect que j’essaye de mettre en pratique pour ma femme et plus généralement dans la vision d’une égale dignité de tout être humain quelque soit son sexe.
    je reste aussi comme vous sans voix sur l’absence de réaction ou la complaisance vis a vis du porno.. l’accès aux images « légères » pour les adolescents ne date pas d’aujourd’hui, mais l’âge semble baisser de fait et le coté « léger » des images est de moins en moins perceptible.. ceci étant, je suis perplexe sur l’influence du porno sur les affaires dont on parle actuellement… les personnes cités ayant été éduquées avant cette « explosion » ( je ne partage pas par exemple les positions de Th Hargot sur ce point: je vois bien certaines de ses intuitions, mais elle part un peu dans tous les sens). je ne connaissais cependant pas vos chiffres sur le +50% de violences sexuelles des mineurs… ce n’est pas très encourageant!
    merci encore d’arriver en écrivant à aider aussi d’autres à savoir ce qu’ils pensent!

    • Sur la relation avec le porno, je dirais… a fortiori.

      Comme je l’ai écrit, il ne s’agit pas de dire que le porno a créé les violences sexuelles. Mais, a fortiori, si des adultes qui n’ont pas grandi avec le porno se comporte ainsi, j’ai du mal à penser que l’accès libre et massif au porno conduise les plus jeunes à un plus grand respect de la femme.

      Bref, ce n’est pas le porno qui crée le problème, mais ne lui opposer aucune restriction ne contribuera certainement pas à le résoudre.

      Par ailleurs, oui, le chiffre que j’ai indiqué a de quoi laisser perplexe. Quand je le cite, on me répond « surdéclaration », sans m’expliquer en quoi la société du début des années 2000 aurait changé au point que l’on aurait subitement déclaré davantage les violences sexuelles commises par des mineurs, alors qu’en revanche un phénomène massif est clairement concomitant. Ca ne fait pas une corrélation ou une certitude, mais cela ne s’écarte pas d’un revers de la main.

  • Comme souvent, je suis tellement en phase, et cela me fait tellement plaisir d’être d’accord avec vous, sur beaucoup de sujets.

    C’est bien écrit, fin et nuancé. Cela décrit exactement ce que j’ai vécu (nous avons à peu près même âge) est-ce que je n’ai pas vu.

    Voilà.

  • Oui, il y aurait beaucoup à dire sur cette incohérence, qui fait qu’un acte considéré comme 100% anodin quand on y consent devient 100% destructeur quand il est contraint. Et je ne remets pas en cause le second terme du paradoxe, bien sûr.

    On assiste en fait à l’imposition absurde d’une morale pratique puritaine hors-sol, totalement déconnectée de ses fondations philosophiques.

    J’ajouterai qu’il ne s’agit pas que de dignité de la femme, mais de celle de l’homme également.

  • Je me sens très concerné par le paragraphe « emmerdé ». Je pense qu’évoquer les méfaits du porno sur nos enfants et petits-enfants c’est important et ce que vous avez écrit m’interpelle. J’y ajouterai la prostitution qui dans certaines villes, dans certains quartiers est très présente malgré la nouvelle loi pour lutter contre. Avec beaucoup de prostitués et prostituées jeunes et de clients jeunes.

    « Dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est masquer le fait que les hommes ont le droit de les acheter. » (Françoise Héritier)

  • Sans entrer sur le débat autour du porno (il n’est que le révélateur des travers de nos sociétés), je précise que les violences massives contre les femmes ne datent pas de l’apparition du porno… Le décès de Françoise Héritier nous donne l’occasion de revenir sur ses enseignements, à savoir la constante historique et territoriale de la domination masculine, qu’il y ait porno ou pas. Le problème est ailleurs, le porno n’étant qu’un facteur aggravant disons.

    • Sans entrer dans le débat autour de votre commentaire, je crois avoir écrit trois fois, entre le billet et les réponses, que les violences ne dataient pas du porno.

      Et, en fait, non, il n’est pas un révélateur. Ou alors un révélateur à 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires, ce qui n’en fait plus un élément sociologique mais le tout premier business du web, entretenu bien au-delà de nos éventuels travers.

  • Merci pour cet article, je vais me permettre de reprendre quelques points, non par contradiction car je le partage, mais j’espère par précision, de la part d’une femme qui lit aussi les blogs féministes, et partage parfois leur point de vie, parfois non.
    Tout d’abord vous êtes le premier à noter la convergence entre la chasteté (notion incomprise de nos jours) qu’enseigne l’Eglise et les revendications issues du mouvement #MeToo actuel. Je la replacerai chez les féministes, c’est en tout cas une riche découverte pour moi.
    Ensuite, « l’amour en vérité » rejoint de fait « la lutte contre le patriarcat », .. si on veut. Il y a une différence fondamentale entre respecter une femme parce qu’on l’aime (au sens de l’amour du prochain) et respecter une femme parce qu’elle est son égale, même si au final le comportement qui en résulte est similaire. D’un côté, l’amour qui va de soi vers l’autre, objet de l’amour, de l’autre des droits et une égalité qui est attachée à la personne elle-même, sujet de droit, et qui ne dépendent pas de votre amour du prochain. Débat de fond, difficilement surmontable, entre chrétiens et non-chrétiens.
    Sur la vision chrétienne de la sexualité perçue dans les milieux féministes, entre anti-cléricalisme primaire, vision déformée par une mauvaise information, mauvaise foi, et part (tout de même) de désaccords réelles et profonds, rien à ajouter.
    Sur votre comportement et celui des commentateurs : oui une éducation catho, « conservatrice » fait que vous et, fort heureusement, la majorité des hommes, avez un comportement irréprochable envers les femmes. Oui, quand on bazarde la morale chrétienne et qu’on n’a rien à la place, il y a un vide, et donc des problèmes, et depuis maintenant 50 ans on assiste à une redéfinition (certes) mais aussi une déconstruction-reconstruction, ce passage douloureux du relais entre la morale traditionnelle imprégnée de religion et une régulation sociale qui se reconstruit, sur une base individualiste, légaliste, démocratique aussi, autour des notion de respect et de consentement, dans un processus politique et non religieux. Et donc cela n’a rien à voir avec la pudeur, la décence ou la galanterie.

    Vous n’avez jamais été témoin de quoi que ce soit. Peut-être n’avez vous pas vu, mais peut-être aussi n’y a-t-il rien eu. Et figurez vous que moi qui suis une femme, parisienne trentenaire qui prend les transports en commun, y compris la nuit et seule, vit, travaille, sort, je n’ai jamais, absolument jamais, été victime d’un quelconque harcèlement (du harcèlement scolaire il y a longtemps mais c’est un autre sujet). Ca existe, 100% des femmes ont déjà été harcelées c’est faux, peut-être que c’est 98% mais non, il n’y a pas sous vos yeux, en permanence, un harcèlement que vous (et moi) ne verriez pas. Bref soyons encore plus vigilants et réactifs qu’avant, mais évitons une paranoia ou une culpabilisation injustifiées.

    Le porno. Ah, porno…. je me refuse à parler d’incohérence sociale là-dessus. Il y a intérêts contradictoires, combats, mais pas incohérence. Il y a ceux qui soutiennent le porno pour des raisons principalement financières, et d’autres qui s’y opposent pour des raisons principalement éthiques. Et les féministes luttent aussi contre l’invasion de la pornographie, contre le porno violent d’aujourd’hui, contre le machisme paroxystique qui règne dans l’industrie du porno, contre d’ailleurs le porno comme industrie, qui enrichit presque exclusivement des hommes. Marlène Schiappa est de celles-là, en effet. Les associations féministes se retrouvent à parler du porno avec les jeunes pour déconstruire la vision des relations hommes femmes qui y sont montrées, etc. Elles reconnaissent la causalité entre explosion d’un porno trash et augmentation des violences sexistes. Là aussi il y a convergence des luttes. La différence s’opère sur le principe, la plupart des féministes ne sont pas défavorables par principe au porno, ce qui peut les amener à montrer aux jeunes des films pornos égalitaristes (ça existe), poétiques, de bonne qualité artistique, etc. Chose que l’Eglise ne fera pas, parce qu’elle propose une autre démarche éducative et sexuelle. Mais je suis désolée de voir le féminisme sans cesse accusé d’incohérence ou de complaisance au sujet du porno, car c’est faux.

    Donc la conclusion d’Exilé est assez juste : il reste le respect, le droit, et le consentement, et donc oui, tout est possible entre adultes consentants, même des choses que la morale chrétienne (et beaucoup d’autres morales) trouve choquantes. C’est une ligne de partage qu’il sera difficile de franchir, notons qu’elle existe aussi au sein du féminisme, où elle s’exprime violemment sur la GPA (la quasi-totalité des féministes s’y opposent), les vêtements islamiques (les camps sont plus équilibrés), la prostitution. Car leur définition du consentement va au-delà de la loi pour entrer dans le contexte, aussi une personne qui dit oui parce qu’elle est dans la misère n’est pas consentante, elle est forcée. Vous saurez mieux que moi dire comment juridiquement cela est considéré, mais politiquement c’est l’idée. La nouvelle éducation sexuelle risque d’être moins technicistes et plus juridique, est-ce suffisant, satisfaisant? Pas pour moi, mais libre à chacun d’aller au-delà du droit, aussi.

    Enfin, le « not all men » : stop. Aucune des femmes qui parlent, aucun des féministes, ne dit ou ne pense « tous les hommes ». Mais le sujet ce sont toutes les femmes, ou presque toutes, concernées. Par des agresseurs. Qui sont des hommes. Le sujet ce sont les femmes et les agresseurs, point. Si vous n’êtes ni l’un ni l’autre, on ne parle pas de vous, même si on en parle avec vous et que vous avez des choses intéressantes à dire, et à faire. S’il a des camps à déterminer, c’est d’un côté les femmes, de l’autre les agresseurs, et il me semble assez facile pour un homme honnête de choisir. Dire « pas tous les hommes » quand on parle des agressions ou du harcèlement, c’est aussi détourner la conversation qui portait sur les femmes par une conversation sur les hommes, et ça, c’est une façon de ne pas nous respecter. On peut aussi parler de comment les hommes vivent cela, Koz le fait très bien, mais à d’autres moments, où on évitera si possible, nous les femmes, de tout ramener à nos problèmes.

    Ah et oui, bien sûr, la dignité de l’homme est évidemment atteinte par ces comportements. Il faut le redire, car les féministes l’oublient souvent, ou alors ils pensent que c’est secondaire…

    • Je précise pour éviter toute ambiguité que certaines de mes remarques concernent des commentaires et non votre texte lui-même. La fonction prévisualisation n’étant pas accessible, je n’ai pas pu modifier mon texte avec ces précisions, je m’en excuse.

    • Merci pour votre commentaire et pour cette voix informée des deux univers. Quelques éléments de réponse ou développements de mon côté :

      – Je ne crois pas que le débat que vous indiquez sur le fait de respecter une femme parce qu’on l’aime ou parce qu’elle est notre égale soit insurmontable. Mon propos n’était pas d’opposer les deux mais d’illustrer deux approches : de même que le féminisme est probablement plus développé que « la lutte contre le patiarcat », le christianisme se déploie au-delà de l' »amour en vérité ». L’égalité entre hommes et femmes est d’ailleurs professée dès l’origine du christianisme, même si elle a mis son temps à se déployer. Même les textes prétendument mysogines de Saint Paul sont loin de l’être quand on les prend dans leur ensemble et que l’on connaît l’état de la société dans laquelle il s’exprime et des sociétés alentour.

      – Que la reconstruction s’opère autour des notions de respect et de consentement (surtout de consentement) me paraît assez cohérent en effet avec l’air du temps, finalement très individualiste, qui veut le moins de normes possibles, conçoit parfaitement les devoirs de l’autre mais n’entend pas s’appliquer quelque filtre que ce soit. Nous sommes un peu au dernier rempart, et uniquement à ce stade : le consentement, c’est tout de même la base. Le respect peut venir modérer cela, et donner un peu plus de consistance. Mais il me semble qu’il faut aussi avoir à l’esprit d’autres éléments de savoir-vivre. La décence ne serait pas malvenue dans notre société. La pudeur aussi, de façon générale et parfois appliquée aux femmes (on s’entend : pas jusqu’à la conception salafiste). Il n’est pas absurde d’être conscient de l’effet que l’on peut produire, et de garder une juste réserve. Une femme peut être valorisée, peut être séduisante sans être sexy. On a parfois l’impression que certaines confondent les deux.

      – Eviter la paranoïa généralisée me paraît juste, en effet.

      – Le porno : en ce qui me concerne, je ne reproche pas de complaisance ou d’incohérence au féminisme, mais à la société. Il ne manque pas de féministes pour s’insurger contre l’image dégradante de la femme qui y prévaut. Je suis réservé sur le porno égalitaire (outre le fait que, bon, le porno…). Ne va-t-il pas être l’alibi de l’industrie pornographique, et l’alibi pour ne rien faire ? Parce que, fondamentalement, c’est un peu : « le porno égalitaire existe, je l’ai rencontré ». Qui l’a rencontré ? Et les industriels du porno le disent de façon très claire : pour survivre dans le secteur, il faut toujours du plus trash (et je vous passe les détails des pratiques). Je ne vois pas que l’évolution soit vers un porno respectueux des femmes.

      – Le « not all men » : raison pour laquelle je ne l’ai évoqué que brièvement. Votre reproche, sur le fait de reprendre la discussion à son compte, et se faire plaindre alors que les victimes véritables sont bien les femmes, est tout à fait fondé. J’entends que les féministes n’affirment pas que tous les hommes soient concernés. Il reste que, quand une fille, sur Twitter, veut faire un thread sur les mecs bien, elle se fait violemment laminer. Je comprends un peu ce qu’on lui reproche mais, de fait, on a un peu le sentiment qu’il n’y a plus rien de bien à dire sur les hommes. Là aussi, il y a une forme de reconstruction à faire. Et, à vrai dire, je me demande (à l’instant) si ça ne joue pas un rôle aussi dans les résistances masculines aux demandes féminines : si les hommes entrevoyaient le rôle qui pourrait être le leur dans ce nouveau monde, peut-être lâcheraient-ils plus aisément celui dont ils ont hérité. Stratégiquement, ne pas négliger la réflexion sur le rôle de l’homme et du père ne serait peut-être pas improductif pour les femmes.

  • Il y a aussi une autre incohérence, dont les autres procèdent peut-être, c’est celle relative au statut du sexe.

    D’un coté, on nous dit que c’est un acte totalement anodin, normal, naturel, qu’il faut pratiquer, discuter, montrer sans restriction.

    De l’autre, la question du consentement est traitée, pour le sexe, et pour lui seulement, d’une façon parfaitement exceptionnelle. Il faut qu’il soit explicite, continu, répété et tout refus ou absence de réponse est irrévocable.

    C’est curieux, parce que le consentement, dans une société libre, c’est un concept assez central. Et pourtant, on est beaucoup plus tolérant dès lors qu’on ne touche plus au sexe. Personne n’appellera la police si un vendeur est trop insistant. Personne n’appellera la DRH si un collègue demande 5 fois si on peut le déposer en voiture. Dans la vie il faut faire des efforts pour obtenir ce qu’on veut; faut-il faire une exception pour la séduction amoureuse? Est-ce seulement possible?

    Il en est de même sur l’attitude vis a vis des victimes. Si je vais me balader seul un soir dans une banlieue craignos avec un costard à 5000 boules, une Rolex au poignet et un iPhone en platine à la main, et que je me fais casser la gueule et dévaliser sous la menace d’un couteau, on va me dire : « t’es trop con Lib, c’est super dangereux, t’aurais pu y laisser ta peau », et on aura raison. Avisez-vous à tenir un discours similaire pour un viol et vous allez vous faire plein d’amis. Pourtant ce discours n’exonère pas le criminel de sa responsabilité, ne dit pas qu’il a le droit de faire ce qu’il a fait ou qu’on n’a pas le droit de se promener où on veut comme on veut. Il dit seulement que le mal existe et qu’il faut être prudent.

    Il en va encore de même pour la charge de la preuve. Dans un état de droit l’accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire. Il faut démontrer sa culpabilité sinon il partira libre. Ce principe fondamental d’un état de droit est menacé en matière de délinquance sexuelle parce qu’il est souvent difficile de prouver un viol, encore plus un harcèlement. Aux USA, dont Koz nous rappelait récemment qu’ils ont parfois des évolutions délétères, l’administration Obama a imposé aux universités des procédures qui restreignent les droits de la défense en matière de délits sexuels. Emily Yoffe a écrit un immense article il y a 3 ans sur le sujet.

    L’égalité devant la loi est elle aussi menacée. C’est un fait qu’en matière de crimes et délits sexuels, les coupables sont le plus souvent des hommes et les femmes sont le plus souvent victimes. Cela ne doit pas conduire à établir une discrimination basée sur le sexe. Ainsi, si le consentement des femmes fait depuis peu l’objet de toutes les attentions, celui des hommes est présumé. Ca peut se comprendre mais ça donne des situations troublantes. Deux jeunes qui picolent et font l’amour, le lendemain la fille a des regrets. L’ébriété de la fille sera une circonstance aggravante pour le garçon (il a profité de la faiblesse de la fille dont le consentement n’était pas éclairé), mais celle du garçon sera au mieux neutre (il doit se contrôler en toute circonstance, il aurait dû s’arrêter de boire)

    On n’améliore pas le droit en déplaçant le critère du doute. On l’améliore en réduisant le doute, en recevant les plaintes et en enquêtant. Clairement les commissariats doivent être formés et équipés pour mieux recevoir les plaignantes. Ca demande de la volonté et des moyens. Clairement c’est jugé moins prioritaire que d’installer un plug anal géant place Vendôme. On retrouve ici l’incohérence de notre société face au sexe.

    Je pense qu’une façon de corriger cette incohérence est de reconnaître que le sexe n’est pas du tout quelque chose d’anodin. C’est une pulsion très forte qui structure les êtres humains et la société.

    Je ne suis pas surpris de l’ampleur du phénomène « révélé » par #balancetonporc. Je ne suis pas surpris que la majorité des femmes aient déjà subi une forme d’agression sexuelle. Tout simplement parce que la majorité des gens ont déjà subi des formes d’agression et que le sexe est asymétrique.

    Pour autant, je pense que c’est une énorme connerie d’en faire un combat hommes contre femmes (raison pour laquelle je n’adore pas le titre de ce billet). La plupart des crimes sont commis par des hommes (97% de la population carcérale) mais la justice est l’affaire de tous. Il en est de même ici.

    • L’article de Yoffe m’a fait me souvenir d’un article que j’ai lu il y a bien longtemps dans The Economist, selon lequel 30 à 40 % des jeunes Anglaises étaient ivres quand elles perdaient leur virginité.

      Cela en dit long sur la qualité des relations humaines dans nos sociétés. Et il est par ailleurs irréaliste de s’attendre à un comportement « responsable » dans de telles circonstances, qu’il s’agisse de s’assurer de la réalité du consentement du partenaire ou de prendre au moins les précautions requises pour éviter une grossesse ou la transmission d’une MST.

    • J’ai un peu de mal à te suivre sur ton premier exemple : pourquoi est-on moins tolérant envers du sexe que vis-à-vis d’un vendeur ? Eh bien, parce qu’à la fin, l’un met son zigouni dans le piloupilou et pas l’autre ? Je veux dire qu’il est question là d’intégrité corporelle. Et si l’on n’en reste qu’aux mots, ces mots sont davantage problématiques parce qu’ils portent sur ce que l’on est… et aussi par la violence latente qu’ils suggèrent. Il est vraisemblable que le mec qui fait un commentaire dans la rue sur les fesses d’une fille n’a aucune intention d’aller plus loin, comme il est vraisemblable qu’outre le désagrément de voir commenter son physique, la fille ressent la menace d’une situation qui pourrait dégénérer.

      Je te suis davantage sur la question du gars qui se balade dans un quartier qui craint avec sa rolex au poignet. En effet, le mal existe et il faut en tenir compte. Et je trouve un peu inconscient ce discours sur le fait que les femmes ont le droit de s’habiller comme elles le veulent. Bien sûr qu’en théorie, elles le peuvent. En pratique, si elles tombent sur un pervers, l’idée qu’il doit respecter son consentement sera bien théorique. Faut-il vraiment inciter les filles à ne pas faire attention à leur tenue ?

      J’ai en plus à ce sujet ma petite théorie, très empirique. Mais le fait est que la sexualité de l’homme est bien plus visuelle que celle de la femme (non, je ne dis pas qu’il y a rien de visuel chez la femme et rien de cérébral chez l’homme). Le porno pour les femmes est résiduel. Avant cela, il n’y avait pas de magazine érotique pour femmes. Est-ce parce que les hommes sont par nature des pervers ? Je pense plutôt que c’est que, biologiquement, il faut que la sexualité de l’homme soit plus simple, pour qu’il puisse assumer son rôle fonctionnel dans la reproduction. D’où une sensibilité particulière à la stimulation visuelle. Or, je pense que beaucoup de filles sous-estiment cela : elles s’habillent, se regardent, se trouvent jolie voire sexy, mais sous-estiment la réaction suscitée.

      Dernière chose : je ne vois pas bien en quoi mon titre suggèrerait un combat. J’écris à titre personnel et s’il y a bien une chose que je ne peux pas être, c’est une femme. Je réagis quoi qu’il en soit en tant qu’homme. Je peux me projeter, je peux généraliser mais je ne crois pas indifférent de prendre conscience que nous ne regardons pas exactement ce genre de sujets avec la même perspective que les femmes. Le fait est que « Des femmes et nous », c’est « comment, nous, hommes, réagissons à ce sujet, et traitons-nous les femmes ».

      • J’ai écrit vite. Je ne veux pas dire que tu en fais un combat hommes vs femmes. Je veux dire que beaucoup en font un combat hommes vs femmes.

        Pour le reste, je ne sais pas si les femmes tendent à sous-estimer l’effet qu’elles nous font. Les plus jeunes, probablement. Elles acquièrent brusquement une sorte de superpouvoir et mettent un peu de temps à le maîtriser.

        Assez mal à l’aise effectivement avec l’injonction bizarre faite aux jeunes femmes d’abandonner toute prudence. Je viens de tomber sur une interview très intéressante d’Emily Yoffe (encore elle) où elle raconte notamment l’hostilité qu’elle a rencontré en publiant en 2013 un article intitulé « College Women : Stop Getting Drunk »

        C’est une connerie de se bourrer la gueule. Qu’on soit homme ou femme, ça peut très mal finir. C’est encore plus risqué pour les femmes. Je ne comprends pas en quoi il peut être féministe de nier ça.

  • je suis une femme et je trouve votre billet équilibré. Il y a en effet des incohérences : absence de réflexion sur la responsabilité des images pornographiques dans l’impression qu’une femme est « à disposition » pour certains hommes ; insistance sur des broutilles (écritures inclusive) alors que l’essentiel est mal sanctionné (sinon par des dénonciations publiques sur twitter) ; silence autour du « Domestikator », exposé sur le parvis de Beaubourg en pleine affaire Weinstein ; piétinement de la présomption d’innocence qu’on sort comme un bouclier dans d’autres cas (post sur le sujet : https://mypapiers.org/2017/10/13/pourquoi-nont-ils-rien-dit/). Si votre billet inaugure une phase de réflexion plus apaisée sur ces sujets, on ne peut que s’en réjouir.

    • Que ce soit le Domestikator ou le « Tree » / Plug anal place Vendôme, on est effectivement dans l’exposition monumentale d’une sexualité. Certes, elle se pare d’autres objectifs mais c’est tout de même assez frappant.

      Et je pense aussi à un certain nombre d’interviews durant lesquels on en arrive à des questions sexuelles auxquelles les invités sont priés de se prêter de bonne grâce de peur de donner l’image d’un puritain (Ardisson en est le champion). Toutes ces vannes plus ou moins contrôlées, et l’on imagine que le grand public, lui, contrôlera mieux ?

      Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que « c’est la faute à la télé ». Pas plus que le porno n’a créé les violences sexuelles, la télé n’a inauguré les vannes salaces (je ne revendique pas le fait de pouvoir faire des vannes « osées » mais je ne prétends pas non plus avoir eu besoin de la télé). Mais est-ce vraiment nécessaire de normaliser, banaliser, parce qu’après tout « on le voit à la télé » ?

  • Ce qui arrive en ce moment est comme un barrage dont on aurait ouvert les vannes ou qui craque. Il y a tout qui part: l’eau, les poissons et la boue qui va avec. Et tout est noye, et tout se noie, tout se confond. Je crois qu’il faut attendre que le flot s’apaise pour regarder a nouveau la societe avec des yeux qui ne sont plus voiles.
    Je comprends que devant cette violence du flot beaucoup d’hommes soient decontenances voire se sentent aggresses. Je suis feministe et je lutte contre les effets sociaux du patriarcat. Mais oui, je milite pour une egalite des droits et non un

  • Bonjour,

    nous sommes au milieu d’une transition multi-séculaire de notre société portée par des changements de fond: abondance, démocratie, liberté de communication: nombre de ces changements poussent inexorablement à l’égalité entre hommes et femmes… Je suis persuadé qu’à la fin de cette transition, nous n’aurons pas beaucoup de complaisance pour ceux qui abusent de leurs positions de pouvoir pour obtenir des faveurs sexuelles. J’espère aussi que nous aurons des règles claires de savoir-vivre sur la limite acceptable entre grivoiserie de bon aloi et comportement inacceptable.

    Comme pendant toutes les transitions, il y a des excès, il y a des gens qui défendent mal, ou pour de mauvaises raisons, ou avec excès, les bonnes idées. C’est très facile de décrier une idée en s’attaquant à ses défenseurs les plus maladroits ou malhonnêtes, mais cela ne prouve rien pour moi.

    Condamner sans complaisance les abus sexuels n’empêche pas d’ailleurs de prodiguer des conseils de prudence aux femmes prenant en compte le comportement probable des hommes les plus entreprenants. Il y a tout un savoir vivre en train de se construire.

    Notre société évolue vers un monde de plus en plus sécurisé et aseptisé sur la plupart des aspects (tabac, excès de vitesse…), et j’ai l’impression qu’il devra préserver, à la manière des jeux du cirque à Rome, une part de « sauvagerie » permettant de se défouler avec le moins de dégâts collatéraux possibles: je pense par exemple que le football, y compris une certaine violence dans les stades, remplit assez bien ce rôle, et nous devrons aussi probablement garder un certain nombre de drogues légales. Je ne sais pas dans quelle mesure, à la fin, le porno gardera une place dans la liste de nos défouloirs. Il sera peut-être un peu moins accessible qu’aujourd’hui.

  • Merci Koz pour la réponse à mon commentaire, que je partage. Lib souligne des points importants. L’exemple de l’alcool comme celui du refus irrévocable invitent à souligner un point assumé mais peu médiatisé par les féministes : l’augmentation de la liberté des femmes augmente aussi celle de leur responsabilité. Je vous accorde que en ce moment on peut en douter, mais passé ce moment de libération de la parole, il faudra bien en venir là.
    Oui, si un homme ne peut plus insister dans sa cour sans être taxé de harcèlement, il va falloir que les femmes sachent dire oui, et si elles regrettent leur non parce que l’homme a laissé tomber parce qu’il a respecté leur non-consentement, et bien tant pis pour elles (aussi), ou alors à elles d’aller vers l’homme pour exprimer un regret ou un changement d’avis. Le discours actuel sur le consentement nie la complexité des relations humaines et semble penser que les femmes (comme les hommes) sont en toutes circonstances capables de dire « oui » ou « non » sans nuance et sans hésitation. Irréalisme total, le temps je pense amènera la nuance.
    L’homme était en charge de l’initiative et de l’insistance, et cela aussi doit changer si on veut être cohérent avec le primat du consentement. On n’en est pas là et cela joue sans doute dans les difficultés actuelles des relations hommes femmes, une adaptation est en cours (les sites de rencontres en sont un symptôme) On ne peut nier que certaines femmes qui revendiquent l’égalité sont les mêmes à se plaindre du manque d’initiative des hommes en matière de séduction. Nous aussi, nous devons apprendre à faire le premier pas. Là encore je vous passe sur les diatribes anti contes de fées dans le discours féministe (la Belle au bois dormant étant sans doute le pire à leurs yeux), qui est cohérent sur ce point.
    L’exemple à la fois très juste et surtout très quotidien de l’alcool est du même ordre, oui il va y avoir un retour de bâton sur la responsabilité des filles : puisque on reconnaît la primauté de ton consentement, fais en sorte de pouvoir le donner, et donc ne boit pas au point de ne pas être lucide.
    Comme dans toute expérience de libération, les anciens dominés découvrent qu’être libre implique des responsabilités parfois compliquées à tenir, beaucoup trouvent cela passionnant, certains trouvent cela trop lourd, cela dépend aussi de l’histoire de vie, des capacités de chacun, son éducation, etc. Si, à contre-courant du mouvement égalitaire, se développent divers mouvements de retour à la « tradition » (en particulier dans les milieux moins aisés ou la « liberté » professionnelle des femmes se transforme vite en précarité et en galère), c’est aussi parce que certaines se rendent compte qu’il y a un certain confort à dépendre d’un homme « fort », pour peu qu’on manque de ressources pour assumer son autonomie, et qu’on ait choisi « un mec bien » (ce qui arrive la plupart du temps, tout de même). Evidemment c’est dur à admettre pour un.e féministe qui se positionne aussi sur le plan des principes et des valeurs, mais c’est une réalité.
    Pour la tenue vestimentaire, je partage les remarques sur une certaine inconscience, en la nuançant sur un point : dans la plupart des cas cet argument vient après une agression pour contrer le discours, hélas courant, « elle l’a bien cherché ». On peut recommander la prudence en amont, on doit refuser que l’imprudence de la victime ne soit une circonstance atténuante pour l’auteur, là est l’enjeu. Du reste, le statut particulier de cette revendication tient aussi à l’aspect cumulatif des choses : les femmes aussi sont susceptibles de se faire agresser dans une banlieue craignos avec pour une montre en or, un smartphone en platine et un manteau à 5 000 €. Egalité là-dessus. Le risque d’agression sexuelle, lui, est (quasi)-exclusivement féminin, vise la personne et donc sans échappatoire (abandonner sur place le manteau…), raison pour laquelle le féminisme se focalise beaucoup dessus.

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