Considération Nationale

Nous devrions tous épouser une enseignante. Outre les agréments propres à la personne, c’est l’occasion d’aller vérifier ce dont nos professeurs n’ont pas réussi à nous convaincre et d’évacuer les poncifs paresseusement relayés par des parents mal remis de leurs années d’écoles, ou confits en dévotion devant leur enfant-roi. Car élèves, nous n’avons jamais crus nos profs lorsqu’ils nous affirmaient qu’ils n’aimaient pas mettre de mauvaises notes. Et pourtant, un mauvais paquet de copies est une remise en question personnelle. Lorsque, tard le soir et jusque les week-ends, le professeur corrige des copies sans mérite d’un devoir pensé pour rattraper les élèves, il en ressent une déception véritable. A l’inverse, chaque progrès d’élève, chaque « déclic », est pour lui une joie personnelle.

Or, il en faut de l’engagement personnel pour soutenir sa motivation, tant l’enseignant ne peut rien attendre de son administration. Il faut de la ressource personnelle, quand vos efforts et les « rendez-vous de carrière » n’ont aucune incidence sur celle-ci. Il faut endurer cette gestion des ressources humaines qu’aucune entreprise ne s’autoriserait, quand les premiers salaires sont payés avec des mois de retard ou lorsque, à la suite d’un congé maternité, l’Education Nationale ampute sans préavis les traitements des enseignants des trop-perçus dont elle est responsable. Et encore, quand les paiements sont faits. En ces jours de résultats du bac, quel trésor d’engagement attend-on d’un enseignant auquel on demande de faire passer les oraux sans lui avoir seulement payé ceux de l’année précédente ? Où est la considération quand, après des heures de correction et avant même leur harmonisation, les rectorats augmentent unilatéralement les notes sans seulement en avertir les enseignants ? Ou, plus largement et trop habituellement, quand enseignants et directions apprennent réformes du lycée ou protocoles sanitaires par la presse et non par leur ministre ?

Parmi tous les télétravailleurs et même au ministère, qui a eu rien qu’un mot pour ces enseignants, fragiles ou conjoints de personnes fragiles, qui ont passé le plus fort de la pandémie à quarante dans des salles trop longtemps fermées ? Comme d’autres professions liées à l’Etat, le corps professoral est en souffrance. Il serait temps que sa hiérarchie se soucie d’exemplarité. Par principe. Et parce qu’il est vain d’attendre le respect des élèves pour leurs professeurs quand l’administration elle-même leur en manque.

Chronique du 4 juillet 2022

Photo by Sharon McCutcheon on Unsplash

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12 commentaires

  • Bonjour
    Vos propos m’intéressent et m’interrogent .

    Quand je lis les messages des enseignants sur les réseaux sociaux et quand j’entends les responsables syndicaux, j’ai tendance à considérer que les enseignants , décidément sont ingérables et incapables d’accompagner une vraie réforme.
    Ce sentiment est corroboré par des contacts avec d’anciens enseignants ( anciens normaliens , enfants d’instituteurs..schéma classique …) qui ont fui ce milieu ) ou par des enseignants qui ont ont fait ce choix professionnel, « pour les vacances » après avoir fui le monde de l’entreprise …
    Est ce le système en place qui est en cause ou le fait que l’enseignement constitue un refuge, dont ils dénoncent l’inconfort, mais refuge quand même ,pour ceux qui préfèrent se mettre en retrait et en contestation d’une société plutôt que de travailler à la faire évoluer ?
    Je suis fils d’institutrice , j’ai connu comme instituteur de village des hommes et femmes plus proches des « hussards de la république » chers à C Peguy que des militants du SNU et la question du pourquoi de cette dérive me taraude :
    – perte de statut social comme beaucoup de métiers hors du secteur marchand ? ( santé…)
    – Échec de la démocratisation de l’enseignement ? Quand je retourne dans ma vallée en Lozère , le nombre d’anciennes écoles dans les plus petits hameaux me frappe . Avant on investissait ..
    – Baisse de l’exigence , de la discipline …?
    – Missions basiques de l’école dévoyées : le niveau de maîtrise du français des bacs + est étonnant ?
    – Non remise en cause des enseignants devant des résultats problématiques ?
    – Entraves diverses face à toute réforme depuis .. des décennies ?
    – Presence en nombre de Diafoirus de l’éducation dans les rouages ministériels ?
    – j’ai de la sympathie, malgré leurs maladresses, pour les Ministres , tel Blanqer , qui se sont coltiné ce MINISTERE en ayant envie de le faire bouger et le fait qu’il soit parti vilipendé par ceux qui en sont venus à bout renforcé cette sympathie
    => Réflexions très générales qui, bien sûr, ne sauraient mettre en cause les personnes et ceux qui s’épuisent , semble t’il , écrasés par le système
    Bien cordialement

    • Je note une prémisse qui risque aussi d’influencer le reste des considérations : « anciens enseignants ( anciens normaliens , enfants d’instituteurs..schéma classique …) qui ont fui ce milieu ) ou par des enseignants qui ont ont fait ce choix professionnel, « pour les vacances » après avoir fui le monde de l’entreprise « . Peut-être ceux qui sont partis, dégoûtés, et ceux qui sont venus pour de mauvaises raisons ne sont pas les meilleurs témoins de ce que peut être un enseignant ?

      L’enseignant qui a fui l’entreprise et choisi l’Education Nationale pour les vacances devra être présenté à l’enseignant qui corrige ses copies le dimanche jusqu’à 23h pendant que le salarié mate son film. Il y a de fait, et j’en ai rencontré, des enseignants qui choisissent le métier après un parcours en entreprise, forts de leur conviction que les profs sont des branleurs et que le métier est une bonne planque grâce aux vacances. Ils déchantent généralement assez vite – même s’il est évident que les vacances sont un avantage du métier, qui permet aussi d’être présents avec ses enfants quand on en a. Mais à tout prendre, ils devraient choisir la banque : les avantages sociaux y sont conséquents, et c’est plus rémunérateur. On ne peut pas forger son appréciation en fonction des moutons noirs, il y en a dans tous les métiers. La différence, c’est que l’on se fout bien des moutons noirs du service comptabilité, ou des boîtes de design, alors que tout parent est en contact avec des enseignants.

      Je suis également plus que surpris que vous puissiez considérer que l’Education Nationale soit un endroit où l’on renonce à travailler à faire évoluer la société. S’il y a bien un lieu où l’on est en prise directe avec la société, c’est celui-là.

      Pour ce qui est de Blanquer, tout n’est certainement pas à jeter, et j’avais initialement un a priori favorable. Mais le fait qu’il se trouve bien peu d’enseignants pour défendre ses réformes, quelles que soient leur orientations personnelles, est un signal. Parce qu’il est passé assez maître dans l’art d’imposer des réformes sans se soucier de leur mise en oeuvre effective (il ne suffit pas de dénoncer des entraves aux réformes), des protocoles sans daigner en informer les personnes concernées imprimant un vrai sentiment de mépris chez les enseignants (combien de protocoles sanitaires des directeurs et directrices ont-ils découvert dans la presse, comme s’il était inconcevable de leur envoyer avec un peu de préavis les détails de ce qu’on leur demandait d’appliquer ?) etc. Sans parler des mathématiques, qu’ils affirment aujourd’hui mensongèrement avoir réintroduit dans le tronc commun, alors qu’il ne s’agit que d’une option, en première.

      • Oui.
        Je ne prétends pas connaitre le monde de l’enseignement de l’intérieur tel qu’il est aujourd’hui.
        Mais, les « hussards de la Republique » considéraient qu’ils avaient une mission et is faisaient tout pour être dignes de leur mission.
        Est ce que ceux qui viennent dans l’enseignement ne le font pas ,en majorité ,par défaut ? Pas tous , bien sur, mais , pou rester sur des généralités, le problème du recrutement se pose .
        Ce n’est pas propre à l’enseignement , mais quand les « meilleurs » ( terme sujet à caution, certes, mais ceux qui ont une ambition pour la société) se réfugient dans les banques d’affaires ( ingénieurs de tous corps, élevés des grandes écoles …) , fuient la santé, la politique, l’enseignement …on a une société de marchands qui se déstructure.
        Ce débat m’interesse …merci de l’avoir ouvert

      • Eh bien, je pense qu’une part de la réponse est dans mon billet. Les « hussards de la République » étaient considérés. Aujourd’hui, nos professeurs sont méprisés et considérés, a priori, comme des branleurs. Il est possible que cela influe sur l’attractivité du travail.

        Or, malgré cela, moi qui n’ait pas abordé ce monde avec un préjugé très favorable mais qui ait de multiples occasions de le faire aujourd’hui, je veux rendre hommage à ces profs qui se dévouent malgré les sarcasmes et les procès d’intention. De fait, j’en connais. Et pas uniquement dans des établissements « faciles ».

        Il faudrait peut-être aussi tenter de ne plus les accabler de notre mépris pour que la profession attire.

        Après, il est certain (et cela répond en grande partie à l’une dé vos questions précédentes) que c’est aussi affaire de priorités de la société. Lorsque la société dévalue l’autorité, lorsqu’elle valorise la réussite financière, cela complique à la fois le recrutement et le respect que l’on porte à ces professions.

      • Les hussards noirs (et jusque dans les années 70 leurs successeurs) avaient presque droit de vie ou de mort sur la poursuite des études, en plus d’être une des rares personnes dans le coin à avoir fait des études. Entre temps, il y a eu démocratisation puis massification des études supérieures. Et comme plein d’autres notables, leur statut a chuté du fait de la hausse du nombre de gens qui pouvaient leur en remontrer ou qui se sentaient en droit de le faire (et leur rémunération aussi, comme ceux dont on attend une vocation, un sacerdoce).

        Il y a moins de défaut qu’avant dans la profession. Avec l’obligation (débile à beaucoup de points de vues) du Master, eh bien s’il faut faire des études longues, autant que ce soit aussi plus rémunérateur si c’est dans une discipline qui le permet.

        Et les candidats savent qu’ils n’ont rien à attendre de leur administration. Pas de soutien en cas de coup dur, dans les déicisions quotidiennes, même pas un stylo.

        • Il est certain que, dans les disciplines scientifiques spécialement, demander à quelqu’un d’avoir bac+5 pour le payer 1.500€ quand il a le Capes, pour ne parler que des conditions de rémunération, ce n’est pas viable.

        • Il faut à l’évidence mieux rémunérer les enseignants .
          En ce qui concerne les dysfonctionnements de gestion du ministère ( lourdeur , non reconnaissance …) que vous dénoncez , il me semble qu’il faudrait instiller dans le système une dose de décentralisation et d’autonomie .
          Par similitude avec un secteur que je connais mieux , la santé : pourquoi ne pas laisser en central, les programmes et les diplômes et donner l’autonomie aux établissements sous l’autorité d’un chef d’établissement qui constituerait son équipe? A noter que cela n’empêcherait pas d’avoir un corps national d’enseignants. La reconnaissance serait induite par la proximité des responsables . On ne peut pas attendre d’une administration centrale qui gère des centaines de milliers de personnes de les accompagner pertinemment .
          Pourquoi les enseignants refusent avec véhémence cette perspective préférant un système anonyme ?
          J’ai essayé d’aborder ce sujet au moment où le président xe la république a proposé des expérimentations dans ce sens sur les réseaux sociaux et j’ai reçu une « volée de bois vert » .
          Est ce que la réussite de beaucoup d’écoles privées sous contrat avec un vrai projet éducatif ne repose pas sur ce principe ?
          Depuis j’ai tendance à considérer , ce qu’on fait la plupart des ministres de l’EN , qu’il fallait cogérer ce monstre , sans faire trop de vagues , en épousant l’air du temps .. avec ce 2 e mandat , on y est …

      • « On ne peut pas attendre d’une administration centrale qui gère des centaines de milliers de personnes de les accompagner pertinemment . »

        C’est le problème premier de ce ministère, l’absence de gestion un minimum sérieuse du personnel (certes très important en nombre). Le nombre de fois où le rectorat découvre en septembre qu’une enseignante est en congé maternité, justement le genre d’absence prévisible (le problème réside en partie dans le fait que le personnel administratif prend aussi ses vacances en juillet-août)… Chaque année remplir le même formulaire mais tout de même se voir signifier que vous avez déjà demandé il y a vingt ans un calcul de la retraite et que donc vous n’y avez plus droit …

        « Est ce que la réussite de beaucoup d’écoles privées sous contrat avec un vrai projet éducatif ne repose pas sur ce principe ? »
        Il repose sur un contrat que l’on signe « en vrai », pas celui de type rousseauiste à la valeur ajourd’hui très dégradée. Deux, on paie. Trois, on peut se faire virer. Trois éléments, qui hors projet (souvent léger à mon avis), font une très grande différence au delà du choix des enseignants et certes d’une relation autre au directeur d’établissement.

  • « Je suis également plus que surpris que vous puissiez considérer que l’Education Nationale soit un endroit où l’on renonce à travailler à faire évoluer la société. S’il y a bien un lieu où l’on est en prise directe avec la société, c’est celui-là. »
    Je ne crois pas, mais ma vision est peut être fausse, que les enseignants soient dans le monde réel;
    J’entends, dans ce que vous dites que les enseignants sont confrontés à certaines difficultés de la société, et je partage. Tout comme l’hopital our la police ou la justice.
    Mais je crois que le monde enseignant, grand pourvoyeur de militants LFI et très enclin à manier les idees ,a une approche très théorique des problèmes .

    • Je ne crois pas, pour ma part, que vous soyez en contact avec l’Education Nationale réelle. Voir dans les enseignants de « grands pourvoyeurs de militants LFI » est tout de même un poil caricatural.

      Le fait est, peut-être, que le fait qu’ils ne choisissent pas leur métier pour sa rentabilité, qu’ils s’extraient du monde marchand, est probablement de nature à susciter une vision alternative du monde. Mais non seulement celle-ci – sans verser nécessairement dans LFI – n’est pas forcément inutile, mais si le milieu « comme il faut » bourgeois, ou bourgeois bohème, n’accablait pas l’enseignement de son mépris et n’envoyait pas ses enfants de préférence dans les carrières rémunératrices – commerce, finance, écoles d’ingés voire un certain nombre de spécialités médicales (qui ne sont pas toutes choisies par altruisme) – la question se poserait moins.

  • Vraiment je n’arriverai pas à plaindre les profs. Leur comportement lors de la pandémie à été détestable. Combien de profs sont morts dû au virus ? à peu près zéro.

    • Peut-être, à défaut de les plaindre, auriez-vous une chance de les comprendre si vous ne cédiez pas à des généralisations imbéciles ?

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