L'Eglise est laïque

Puisque, à en lire Isabelle de Gaulmyn, le Père Lombardi, directeur du Bureau de Presse du Vatican, n’entend pas étancher notre soif légitime d’information sur la présence de Carla aux côtés de son mari vendredi à l’aéroport, pas plus qu’il ne nous révèlera la couleur de sa toilette et la présence éventuelle d’une mantille, à porter avec la même grâce qu’une écharpe tibétaine, nous voilà contraint de nous rabattre sur des sujets moins essentiels, telle la laïcité.

Car l’évocation de ce thème n’est plus une hypothèse, c’est une « probabilité ». C’est en tout cas ce qu’a affirmé le Père Lombardi. Une probabilité de bon niveau, au demeurant, puisque l’heure et le lieu de sa réalisation sont fixés : vendredi prochain à 13 heures, au Palais de l’Elysée.

Alors, puisqu’il est désormais acquis que le sujet sera abordé, autant profiter du conseil du Père Lombardi, et nous reporter à un « bon résumé » de la question de la laïcité, la lettre adressée par Jean-Paul II aux évêques de France sur la fin de sa vie, le 18 février 2005. Cela nous évitera, par exemple, de refaire le débat comme si rien n’avait jamais été écrit sur le sujet. Donc, oui, oui, je vais retoucher un mot de la laïcité. « Encore ?! Mais tu en as déjà parlé !« , telle fut la réaction ingrate et déroutante de ma propre femme, mère de mes enfants, comme si je ne pouvais aborder juste une deuxième fois ce sujet alors que l’Eglise, elle, n’arrête pas.

Car voilà : l’Eglise est laïque, profondément laïque. Elle est religieuse, « aussi », bien sûr, mais elle est très profondément laïque. Bien sûr, quand on a dit cela, on a surtout dit à quel point les conceptions de la laïcité sont diverses. Mais prenons-le ainsi, et jetons un rapide regard sur la laïcité selon l’Eglise.

Confondant l’Histoire et la doctrine, certains peuvent en effet penser que l’Eglise est opposée à la laïcité. Pourtant, il n’en est rien, et la lettre de Jean-Paul II permet notamment de relire Pie XII qui, en 1953, évoquait la « légitime et saine laïcitéi ». Admettez que, sur un sujet fort récent en Europe, la réaction n’a pas été trop tardive.

Jean-Paul II renvoie également à l’un des documents les plus importants pour l’Eglise actuelle, puisqu’il s’agit de Gaudium et Spes, en soulignant que l’Eglise ne doit pas « gérer le temporel » car, « en raison de sa charge et de sa compétence, elle ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique ».

Que dit encore Jean-Paul II, dans sa lettre ? Il célèbre la non-confessionnalité de l’Etat !

« la non-confessionnalité de l’État, qui est une non-immixtion du pouvoir civil dans la vie de l’Église et des différentes religions, comme dans la sphère du spirituel, permet que toutes les composantes de la société travaillent ensemble au service de tous et de la communauté nationale. »

La non-confessionnalité de l’Etat est donc socialement bénéfique.

Et Jean-Paul II cite encore le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, qui rappele (n°571, 2°§) que :

« Quand le Magistère de l’Église intervient sur des questions inhérentes à la vie sociale et politique, il ne méconnaît pas les exigences d’une interprétation correcte de la laïcité, car il « n’entend pas exercer un pouvoir politique ni supprimer la liberté d’opinion des catholiques sur des questions contingentes. Il veut au contraire — conformément à sa mission — éduquer et éclairer la conscience des fidèles, surtout de ceux qui se consacrent à la vie politique, afin que leur action reste toujours au service de la promotion intégrale de la personne et du bien commun. L’enseignement social de l’Église n’est pas une ingérence dans le gouvernement des pays. Il établit assurément un devoir moral de cohérence pour les fidèles laïcs, intérieur à leur conscience, qui est unique et une ». »

Et vous apprendrez, peut-être (je ne parle pas pour les pointures qui officient sur ce blog), que ce faisant, le Compendium cite lui-même une Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, Note doctrine émise par… ? Allez : émise par la Congrégation pour la doctrine de la foi, en 2002, et donc signé par… Par ? Par « Joseph Card. Ratzinger, Préfet et Tarcisio Bertone, S.D.B., Archevêque émérite de Vercelli », soit – les plus vifs se le seront déjà écriés, devant leurs voisins de bureau médusés : le Pape et son bras droit, qui s’exprimait sur le sujet dans les colonnes de La Croix avant-hier.

Autant dire que le sujet a une certaine antériorité et un passé récent, que celui qui s’exprimera vendredi à 13 h a d’ores et déjà formulé sur le sujet une pensée prise en compte dans le Magistère de l’Eglise, et que l’observateur attentif mais en retard n’aurait plus – afin d’apprécier l’éventuelle nouveauté du propos de Benoît XVI – que quelques heures pour prendre connaissance de ces documents, des documents auxquels ils renvoient, et de ceux que ces derniers citent… jusqu’à cette phrase par laquelle Jésus invitait les hommes à rendre à César la monnaie et à Dieu, la gloire.

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2 commentaires

  • posté par Philo le 11 sept 2008 à 13:29

    En lisant le début de l’article, j’ai tout de suite pensé à “rendre à César”. Et puis m’est venu “mon royaume n’est pas de ce monde” (Jean 18-36).

    Pour moi, élevée dans les actions paroissiales de ma mère, la laïcité de l’Eglise à toujours été une évidence. Les religieux, ce sont les prêtres, moines, moniales. Toutes celles et ceux qui ont prêté serment pour entrer dans une vie donnée à l’Eglise. Tous les autres, même les plus fervents paroissiens sont des laïcs, en comparaison.
    Je suis même allée regarder mon Larousse: “laïc: 1° qui n’appartient pas au clergé”.

    Bon, bien sur laïc à un autre sens lorsque l’on parle de l’État. Les différents extraits que tu donnes, Koz, me semblent assez limpides sur la position de l’Eglise actuelle par rapport au pouvoir temporel.

    Il existe néanmoins toujours une partie de la population pour laquelle la simple évocation d’un discours religieux (sans même parler d’évangélisation) n’est que le masque d’un impérialisme forcément autoritaire, préparant le terrain pour des cohortes de commerçants pillards et de politiques avides de pouvoir absolu. Un mélange de vieux souvenir de siècles de colonisation, une vague mémoire des travaux des missionnaires et une peur panique des fondamentalistes religieux de toute obédience, entretenue quotidiennement par les médias.

    Dans ce contexte, répéter encore et encore la véritable portée du message du Christ et la façon dont Son Eglise le porte, l’inscrit dans le monde des hommes, tout en se démarquant du temporel, c’est une nécessité, y compris peut-être pour les laïcs catholiques mais pas trop comme moi.


    2 posté par Paul le 11 sept 2008 à 13:34

    Koz,

    Je suis en train de lire Ratzinger’s Faith: the Theology of Benedict XVI http://www.amazon.com/Ratzingers-Faith-Theology-Pope-Benedict/dp/0199207402 et ça m’amène à relativiser ce que tu dis sur Gaudium et Spes : c’est l’un des documents de Vatican II que BXVI a le plus critiqué, notamment parce qu’une interprétation qui sépare nature humaine et grâce divine conduit à séparer l’histoire de l’histoire du salut, et donc la sphère publique de la foi. Séparation que BXVI refuse (et il y a des bons arguments – théologiques et philosophiques (et non pas politiques) – pour ça).


    3 posté par Laurent le 11 sept 2008 à 14:41

    Merci Koz !
    Militant de la laïcité et chrétien, certes aujourd’hui plus attaché à l’Eglise catholique pour des raisons historiques que religieuses, voilà des rappels bienvenus à l’heure où les médias ressortent les images d’Epinal. D’un côté le militant de la laïcité forcément anticlérical. De l’autre le catholique enfermé dans sa tour d’ivoire sur les questions de société et hostile à la laïcité.
    Encore merci Koz !


    4 posté par Koz le 11 sept 2008 à 16:48

    Paul, j’ignore les arguments que tu évoques. Et je dois avouer ne pas être en mesure de juger du fond de Gaudium et Spes. Il reste que, si Benoît XVI critique ce document, Jean-Paul II le citait, qu’il s’agit d’une constitution pastorale de Vatican II et que c’est, donc, l’un des documents les plus importants émis par l’Eglise.

    Thaïs, je n’entendais pas “laïque” dans le sens que tu indiques.

    Pour le reste, je suis d’accord avec toi. je suis même choqué parfois d’entendre invoquer la laïcité en des lieux où elle n’a strictement rien à faire (ie pas des lieux officiels). Bon, manifestations passagères d’intolérance…

    Laurent, oui, indeed, l’Eglise catholique n’a pas de problème avec la laïcité. Elle a une conception de la laïcité, qui revient à la non-immixtion dans la gestion des affaires temporelles, et qui s’oppose à séparation entre une foi présente dans la sphère privée et muette dans la sphère publique. Donner son opinion, faire valoir ses convictions, ce n’est pas “s’immiscer”.


    5 posté par Hussard82 le 11 sept 2008 à 20:07

    j’aime beaucoup la façon que l’auteur de cet article a de nous expliquer ce que le terme “laïcité” implique pour l’Eglise, car il est souvent mal compris par les fidèles (et moi la première). merci pour ces précisions.


    6 posté par Guinea Pig le 12 sept 2008 à 20:02

    Philo,

    une distinction doit être faite entre laïc (n’appartenant pas au clergé) et laïque, qui n’est pas le féminin du précédent, mais désigne le tenant de la laïcité.

    Soit dit sans que cela ne retire rien à votre commentaire.


    7 posté par Paul le 13 sept 2008 à 14:53

    Koz: le Cardinal Ratzinger a publié un certain nombre de commentaires des textes du Concile, en tant que théologien, pour préciser la manière dont il pense qu’il faut les intérpréter. Cela a beau être un texte concilaire, il n’a pas pour objectif (contrairement aux conciles précédents principalement convoqués pour préciser un point de dogme suite à des hérésies) de fermer le débat.

    Pour Gaudium et Spes, selon Rowland (doyenne et professeur de philo politique à l’institut Jean Paul II de Melbourne, et préfacée par le Cardinal Pell, de Sydney), BXVI pense que le texte a été mal interprété car écrit à une époque où la philosophie sous jacente n’avait pas encore atteint sa maturité.

    Rowland distingue 5 réactions à Gaudium et Spes:
    – la première (des libéraux), qui intérprète ce texte comme une adaptation ou corrélation de la foi catholique à la culture moderniste et y voit un bien.
    – la deuxième (des tradis), qui partage ce diagnostic, mais rejette donc ce texte qui serait une réconciliation de la foi avec une ère inaugurée en 1789 faite de la scission de la personne en personne publique et privée, de la ‘libération’ sexuelle, du déclin de l’autorité a pu avoir des conséquences proches du génocide en Vendée)
    – une troisième interprétation qui y voit un équivalent catholique de la révolution bourgeoise moderniste, qui attend encore son versant prolétaire (idée des partisans de la théologie de la libération)
    – une quatrième est que l’idée même de vouloir adapter le catholicisme au modernisme alors même que les intellectuels qui portaient ce projet le déclarent mort d’un point de vue philosophique est un échec et une erreur.
    – Vient enfin la position de BXVI: il pense selon Rowland que l’objectif de Gaudium et Spes n’est pas d’accommoder le catholicisme au modernisme; tout en gardant avec les libéraux l’idée que les théologiens doivent garder un dialogue avec les intellectuels non catholiques. Il partagerait les appréhensions des traditionnalistes vis à vis d’une interprétation “reformatrice” de ce texte, dont l’esprit, dans la pensée des pères du Concile serait loin de l’interprétation populaire qui en a été faite dans les années 1960-70. S’il reconnaitrait avec les partisans de la théologie de la libération que ce document semble écrit pour les classes moyennes européennes et américaines, il réfuterait cependant la théorie marxiste d’un progrès par étapes dans l’histoire humaine.

    Pour lui, le rejet du modernisme et du post-modernisme ne s’accompagne pas nécessairement d’une “restauration médiévale”, mais il résout cette dualité en partageant la théorie du Cardinal Newman sur le développement de la doctrine, et l’idée selon laquelle la Tradition, comme la Révélation, s’inscrit dans l’histoire, et n’est pas désincarnée.


    8 posté par carredas le 15 sept 2008 à 10:50

    A propos de laïcité
    Serge Moati, frémissant devant la laïcité française en danger, a réuni quelques personnes autour du sujet dans son émission Ripostes hier sur France 5.
    J’ai cru entendre JC Guillebaud intervenir pour souligner le grand humour du Pape qui a choisi sa visite en France pour critiquer l’idole l’apparence et l’argent, personnalisés par le bling-bling du président français et ses montres hors de prix.
    Réduire la parole du Pape- même pour plaisanter- à une critique de N.Sarkozy paraît si creux que je me demande si j’ai bien compris…
    Comme ce commentaire a été suivi par l’intervention vigilante de la représentante de Charlie-Hebdo, dernier rempart devant le retour des religions rampantes, j’ai utilisé le rempart ultime de la liberté du téléspectateur, le zapping…
    La suite était peut-être d’un autre niveau mais je ne l’ai pas vue.

  • Pour entretenir la réflexion:

    Extrait d’un article de Bertrand Saint-Sernin (philosophe) paru dans la revue Nunc de septembre 2008. Article intitulé : « Rationalité scientifique et communion des saints »

    La laïcisation de l’idée de communion des saints constitue un défi et même un paradoxe : en effet, le christianisme des premiers siècles, avant de devenir religion officielle, reste fidèle à la parole du Christ « Mon royaume n’est pas d’ici-bas. » En outre, une religion de l’Incarnation implique que l’action des hommes, dès l’instant où ils se convertissent, exprime l’idéal de leur foi. Il s’ensuit que, même si la tension entre les deux Cités (celle de Dieu et celle des hommes) reste un thème constant de la pensée chrétienne, l’idée de transcrire l’idéal chrétien en terme de législation et d’action politique fait partie du message.

    En même temps, à la différence de ce qui se passe dans le judaïsme et dans l’islam, les penseurs chrétiens ne conçoivent pas la laïcisation comme une projection de la loi divine dans les institutions humaines : peu à peu, au contraire, se fortifie l’idée, déjà présente dans les Lois de Platon, que Dieu laisse (ou même veut) les hommes responsables de l’organisation de leurs cités. Dans ces conditions, « laïciser » ne veut pas dire « traduire » la loi divine en préceptes législatifs, mais inventer des institutions ou des actions qui, tout en étant inspirées de l’idéal de la communion des saints, soient intégralement sous la responsabilité de l’homme et de son « imagination constructive ».

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