Ina-Ich est une blanche colombe qui vient de se poser sur la nouvelle scène rock française. Quand je dis « se poser », je devrais plutôt parler de cet oiseau abattu en plein vol par une balle perdue alors qu’il ne faisait que survoler un de ces nombreux conflits où des hommes s’entretuent.
Fille d’un couple de vietnamiens chassé par la guerre et l’oppression exilé en France, elle grandit entre un père musicien qui écoute Brel et Van Halen et une mère passionnée de poésie. Après des études de piano au conservatoire doublées d’une formation d’accordeuse, elle chante d’abord en anglais, passant d’un groupe à l’autre sur de petites scènes. Elle touche un jour à une guitare saturée et en découvre le pouvoir d’impact. Par la même occasion, elle se dit qu’elle pourrait utiliser sa plume pour remplacer les « I love you Baby », qui ne lui suffisent plus, par des textes plus profonds. Elle choisira le français pour mieux se faire entendre.
Mais attention, méfiez-vous d’elle. Ce n’est ni une gamine de banlieue nourrie au sein par Diam’s, ni une voix acidulée qui vous sert un potage onctueux, ni une perle d’un Orient sensuel aux allures de geisha. C’est une musicienne de trente ans qui pense que l’art consiste à aller chercher des émotions que l’on n’exprime pas dans la routine de la vie et surtout, pas de la même façon. C’est une furie qui vous éclabousse de notes dures et de mots rauques.
Le rock souvent synonyme de révolte et de rage puise ses sources dans les chants des esclaves noirs, dans leur émancipation aussi lorsque ceux-ci découvrirent les possibilités données par les instruments classiques pour nous offrir le jazz. C’est une fusion qui compose un alliage entre la culture blanche populaire en perpétuel mouvement et les racines primitives de l’homme. C’est une écriture adolescente, à vif, naïve, impolie et mal léchée d’une jeunesse pas toujours d’accord avec le futur proposé. C’est aussi un creuset créatif. Mais dans ce monde musical dominé par cinq ou six majors dont la prise de risque se limite à bien choisir les titres de sa prochaine compile ou à promouvoir les carrières éphémères des « nouvelles stars » élues par SMS sur tarifés, il est rare d’y voir éclore un bourgeon prometteur qui ne sacrifie pas sa nature à la normalité.
Il est plus difficile qu’il n’y paraît d’écrire sur une musique rock. Le rythme se prête mal aux circonvolutions poétiques d’un Ronsard. Ceux qui s’y essaient obtiennent au mieux une pâle imitation dont la puissance initiale nous semble mièvre et édulcorée ou des chansons « à texte » de grande qualité mais sur une musique qu’il est bien difficile d’apparenter au genre. Si vous prêtez l’oreille aux paroles d’Ina-Ich, derrière leur rugosité parfaitement adaptée à ce style, ils vous emportent dans une guerre pas si anticipée que cela (Ame Armée) dans laquelle il arrive qu’une femme soldat doive tuer le beau gosse du camp adverse – elle vous livre sa réponse à ceux qui ne voient qu’une pute thaïlandaise derrière un joli minois aux yeux bridés (Belle Asiatique) – ou vous fait part, non sans une certaine autodérision, des affres du pauvre crapaud désespéré de ne pouvoir atteindre la blanche colombe (Sale Crapaud).
Ina-Ich signifie « bruit persistant » en vietnamien… C’est vous dire, qu’Ina-Ich, c’est pas du Pink Martini. C’est pas l’apéritif au coin du feu de cheminée ni une ballade romantique dans le parc sous un ciel étoilé. Ca n’incite pas à la rêverie. C’est lourd et vif comme le mercure. C’est urbain. Ca sent le goudron chaud et c’est rouge comme de l’acier fondu. Me dites pas que je ne vous avais pas prévenu.
tu aurais pu en mettre un petit bout dans deezer qui par ailleurs est vide, bon w.e.
Bon, j’ai été voir sur dailymotion et écouter âme armée
cela m’a fait penser à Noir Désir, je ne sais pas si je suis à côté de la plaque…
Cette jeune Ina-ich vaut le détour.
Question musique, je suis passée à côté de celle de ma génération et j’ai découvert Led Zep, Deep Purple, Queen après mon fils.
Aujourd’hui pour les jeunes, c’est plutôt comment s’y retrouver dans cette masse de chanteurs et ce flot de musique, je pense que les avis et les coups de coeur des amis servent de petits cailloux blancs dans cette jungle.
Depuis plusieurs mois, je fais une longue escale sur la musique de Goran Bregovic et j’y suis bien.
Je viens d’écouter.
Effectivement, c’est surprenant mais très intéressant.
Généralement je ne suis pas fan de ce genre de musqiue mais là j’aime bien.
– on comprend bien les paroles et j’aime bien les textes « Ame armée » et « sale crapaud »
– j’aime beaucoup les contrastes musicaux entre ce qui « arrache » et ce qui est en retenue.
Merci epo pour cette découverte
De rien, Thais…
En fait, j’avoue – vu que je me doutais qu’il ne s’agissais pas de ton univers musical – que je demandais comment allais tu réagir en parlant de cette furie d’Ana Ich sur le blog de Koz…
Mais il faut croire que lorsqu’un seuil de qualité est atteint, quel que soit le genre et les goûts personnels, cette qualité est perceptible.
epo que connais-tu de mon univers musical ? On a pas élevé les cochons ensemble 🙂
Je n’aime pas cataloguer les artistes et surtout je ne sais pas car quand on écoute « sale crapaud » le rapport avec le rock (pas les instruments habituels) ? ou il faut que je prenne des cours…
Mais tu as raison ce n’est pas du Pink Martini car PM j’arrive à écouter en boucle pendant 15 minutes voire 30 (surtout dosde….)alors qu’Ina-Inch, j’arrêterais au bout de 10 !
Bon. Evidemment, je bondis quand je lis « Le rock souvent synonyme de révolte et de rage puise ses sources dans les chants des esclaves noirs « . Mais ça, ce n’est pas contre toi, puisque tout le monde le dit et que donc, c’est moi qui ai tort. Ca m’énerve quand même, on ne se refait pas.
Sinon, quel style ! Tu fais des papiers pour Rock & Folk ? Non ? Tu devrais 😉
So, Ina-Ich.
Je ne suis pas spécialiste de ce genre musical (d’ailleurs d’aucun, mais celui-là fait peu partie de mon quotidien), mais dès les toutes premières notes de âme armée, le moins que je puisse dire c’est que c’est efficace. Et comme c’était une écoute sérieuse 😉 j’ai lu les paroles et réécouté les deux ensemble. C’est là que je trouve ça très rock au sens positif du terme.
Je trouve l’angle qu’elle utilise pour traiter de la guerre très percutant, original (à ma connaissance), scotchant.
Pour belle asiatique, je cherche depuis ce matin l’adjectif et je ne le retrouve pas. Alors, je dirais, un côté licencieux.
Le fantasme grossier, gras, lourd des mecs et les capacités que tout le monde relie aux races sans vraiment y réfléchir sont, je trouve, traités sans appel et pourtant, je peux me tromper, sans provocation. Ca me semble plus subtil que la provocation. Mais le traitement licencieux, bien-sûr, c’est à elle-même qu’elle l’applique…
Pour sale crapaud -je ne serais pas cilia si je ne te donnais pas moi-même une bonne raison de me mettre en boîte- je ne crois pas avoir compris véritablement ce à quoi elle fait allusion. Tu m’expliqueras ?
Pour conclure, selon mon petit avis à moi rien qu’à moi : une vraie voix chantée. Peut-être pas typée au sens de Patti Smith par exemple, mais une volonté et une capacité très réelles d’en jouer comme d’un instrument. Une écriture musicale efficace et prometteuse. Des textes qui, pour moi, ne relèvent pas tant de la rugosité que de la non-occidentalité, mais de toute façon à des kilomètres des paroles convenues et non éprouvées.
J’ai été un peu longue, pardon.