Vos visages nous accompagnent depuis deux semaines. Photographies des moments heureux, des verres partagés, des sourires échangés, images du bonheur. Vous n’êtes plus là parce que le mal a frappé, encore. Aujourd’hui nous faisons mémoire de vos destinées arrêtées dans le fracas de la haine difforme, surgissant dans vos moments simples de légèreté et d’amitié. Avec vous nous pensons à vos proches, enfants qui ne sentiront plus le parfum d’une mère, les bras d’un père, parents auxquels on a arraché la joie, l’amour, la chair. Et aux survivants, celui qui ne marchera plus, celui qui ne sourira plus, tous ceux dont le visage n’a pas rejoint la triste mosaïque des disparus mais qui sont irrémédiablement blessés dans leur corps et leur âme. Victimes innocentes parce que des petites frappes, des délinquants, des déficients et des idéologues abjects sacrifient encore à l’esprit de vengeance, à l’idée primaire qu’assassiner un innocent peut venger la mort d’un autre innocent. Idée disqualifiée depuis plus de vingt siècles, mais idée enracinée dans le plus profond mal.
Nous devons penser avant tout à vous, morts et blessés. A vous, ceux du 13 novembre, j’aimerais associer ceux de janvier dernier et les victimes de Merah. Je voudrais associer le sergent-chef Alexis Guarato, mort hier pour la France dans l’exercice de sa mission, notre défense, et tous ceux qui nous protègent : nos soldats, ceux que nous croisons désormais sur nos quais, nos policiers, spécialement ceux qui montent à l’assaut.
Nous devons garder en nous les visages de chacun d’entre vous, aux vies et opinions diverses, unis dans la tragédie. Pouvons-nous faire en sorte que vous ne soyez pas « morts pour rien » ? Je crains que non. Nous tentons aujourd’hui de comprendre pourquoi vous êtes morts, blessés, mais pouvons-nous seulement chercher un pour quoi dans votre assassinat lâche et aveugle ? Nous devons nous efforcer d’être à la hauteur, à tout le moins de nous élever un peu, en hommage, en mémoire.
Vos visages rassemblés dans ces tableaux singuliers soulignent assez l’unité dans la diversité. Diversité de chaque visage isolé, de chacune de vos vies et de vos convictions variées. En ce jour particulier, se superpose à vos visages rapprochés le drapeau national. Il est notre première réponse collective à la sauvagerie primaire, qui s’est abattue et s’abattra encore.
S’il n’y a pas de quoi pavoiser, il y a de quoi communier. Ils veulent susciter la panique et l’effroi, c’est dans la gravité, la détermination et la dignité que nous devons lever les yeux vers le drapeau. Ils veulent diviser, séparer, affronter, confronter, nous voulons unir. Chaque drapeau arboré est l’occasion d’une pensée pour vous, et pour la France.
Drapeau à l’histoire singulière, aux origines débattues, qu’il ne sert à rien de figer : pour certains, il emprunte aux couleurs de la république, de la monarchie et de la révolution. Interprétation contestée mais qui souligne l’unité dans nos diversités. D’aucuns soulignent l’utilisation permanente des trois couleurs, bleu, blanc et rouge. Couleurs de Paris. Blanc du roi et blanc de la France tout ensemble. « Drapeau tricolore [qui] a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie », comme a pu le dire Lamartine pour le sauver. Bannière portée dans l’Histoire, dans nos révoltes, nos combats, nos joies, nos libérations. Certains sont morts pour le relever, morts pour le porter, parce qu’ils avaient au cœur les visages de leurs proches, l’amour de leur pays, et l’exigence, et l’ambition, sont morts en portant un dernier regard vers ce drapeau sacré, parce qu’il porte en lui nos pères, nos proches, notre terre, notre message et notre avenir.
Oui, il se trouve dans le monde entier des gens qui lèvent avec espoir le regard vers cet étendard, qui fait rêver de liberté, d’égalité et de fraternité. Ces trois valeurs ensemble qui fondent l’égale dignité de toute personne sont notre réponse à cet islam bédouinisé[1], qui ne connaît ni la liberté, ni l’égalité, ni la fraternité, mais la soumission.
Nous regarderons maintenant ces couleurs en conscience de ce qui a été attaqué hier et, nous le savons, le sera dès demain. Nous garderons vos visages à l’esprit tant que cette mémoire durera, mais nous garderons certainement en mémoire votre mort dans chacun des regards que nous porterons désormais vers notre drapeau, signe de notre Histoire, de notre héritage, emblème de gratitude envers ceux qui l’ont porté haut et étendard des valeurs avec lesquelles nous continuerons, envers et contre eux, à construire l’avenir.
Aujourd’hui, nous pensons aux nôtres. Au nôtre.
MERCI du fond du cœur pour ce texte magnifique : si profond et si vrai !
Merci, Koz, pour ce bel hommage à nos morts. Parviendrons-nous, cette fois, à préserver l’unité du pays plus de quelques semaines? J’ose espérer que oui. Alors, nous aurons vraiment honoré leur mémoire.
Merci pour ce texte beau et juste. Espérons qu’il puisse être entendu longtemps en effet…
Merci, vous m’aidez à chaque fois à réfléchir, et à prendre du recul. Même si je ne suis pas toujours pleinement d’accord avec vous. Question de génération peut-être. Cette fois-ci a été particulière, puisque jeudi j’étais à la messe d’obsèques d’un ami très proche, âgé de 29 ans, jeune marié qui plus est, assassiné au Bataclan. Je dis assassiné, car le terme est selon moi tout à fait juste, même si les média préfèrent parler de « tué » ou « abattu », ou « mort », ou « victime ». Il faut parfois oser utiliser le mot juste.
Très peu de personnes sont toujours pleinement d’accord avec moi. Moi-même, parfois, je me demande.
Mes pensées vous accompagnent, ce jeune homme et son épouse également.
C’est dans des moments si pénibles que la France découvre qu’elle a beaucoup d’amis dans le monde qui l’aiment. Elle aurait bien pu s’en passer, mais au moins elle sait qu’elle n’est pas seule et que dans beaucoup de pays les gens ont été profondément touchés par ce drame. Je pense beaucoup aux victimes ainsi qu’aux familles et amis de vos braves femmes et hommes tués ou blessés.