Réconciliation en Ulster. Un exemple à méditer.

Ils se sont réconciliés et ils ont posé pour la postérité. Parue dans la presse pendant notre campagne électorale la photo prise au Stormont, le parlement d’Irlande du Nord, n’a guère suscité de commentaires. Pourtant peu d’observateurs auraient imaginé voir un jour ensemble outre Tony Blair, Bertie Ahern, son homologue de la République d’Irlande du Sud, Peter Hain, le ministre britannique de l’Irlande du Nord, et surtout le catholique Martin McGuiness, numéro 2 du Sinn Féin, la branche politique et visible de l’IRA, à côté du Révérend Ian Paisley chef des ultras protestants. Ce dernier qu’on avait toujours vu le visage renfrogné est hilare sur le cliché. Non sans raisons puisqu’il va devenir Premier Ministre de la province d’Ulster. Pourtant, en choisissant Martin McGuiness comme Vice-Premier Ministre, Ian Paisley tourne le dos à tout ce pour quoi il s’est battu.

Nous assistons à une belle illustration du pragmatisme britannique, même si la réconciliation arrive un peu tard.

Un rapide retour en arrière va nous permettre de mesurer l’importance de l’événement.

Conquise par l’Angleterre au Moyen-Age, la très catholique Irlande ne fut jamais soumise. L’histoire de ce pays ne parle que de révoltes et de rébellion. Cromwell crut avoir trouvé un moyen radical de briser l’unité religieuse de l’île des Saints en encourageant l’émigration vers l’Irlande de protestants radicaux. Cette colonie de peuplement s’implanta particulièrement bien dans le nord. Cromwell ne fit que léguer une bombe à retardement à ses lointains successeurs.

Lorsqu’en 1921, au terme d’une âpre lutte contre la tutelle anglaise, l’Irlande obtint l’autonomie, les protestants d’Ulster refusèrent d’être intégrés au sud catholique. Ils préférèrent amputer leur province de quatre comtés plutôt catholiques pour s’assurer la majorité. La guerre civile qui fit rage dans le sud, entre partisans et adversaires du traité, les renforça dans leur idée qu’il fallait maintenir l’Union avec la Couronne. L’indépendance totale de l’Irlande du Sud, quelques années plus tard, devait les conforter dans leurs opinions.

Seulement voilà, il y avait aussi des catholiques en Ulster. Leur nombre était même important : 40% de la population. Les Unionistes protestants se dotèrent d’un suffrage censitaire digne d’un autre temps pour s’assurer la suprématie aux élections législatives nationales et régionales. Pour être électeur il fallait payer beaucoup d’impôts ou être propriétaire foncier, ce qui excluait de facto la plupart des « calotins », trop pauvres pour posséder quoi que ce soit. Pire, les propriétaires protestants pouvaient voter plusieurs fois si leurs locataires catholiques ne pouvaient prétendre voter. On avait ainsi par exemple un immeuble de rapport où s’entassaient vingt familles catholiques dont aucune ne pouvait voter mais dont le propriétaire protestant et sa femme bénéficiaient de quatre votes chacun. Ce système inique, indigne d’une grande démocratie moderne perdura jusqu’à la fin des années 1960. Théoriquement les élections municipales étaient ouvertes à tous mais le découpage électoral, le fameux « gerrymandering », était pratiqué sans retenue. La ville de Derry (Londonderry) bien que catholique à 80% avait encore dans les années 1970 un conseil municipal à 100% protestant. Chaque quartier catholique avait été rattaché à un vaste secteur rural protestant permettant à une communauté de dominer l’autre.

Ajoutons à ces injustices politiques l’extrême pauvreté des catholiques : manœuvres sous-payés, ouvriers sans grande qualification, leur seul espoir était l’émigration vers la Grande-Bretagne ou l’Amérique. Emigration souhaitée, bien sûr, par les Unionistes qui par ailleurs multipliaient les provocations. C’est ainsi que chaque année les loges orangistes défilent (aujourd’hui encore) dans les quartiers catholiques pour célébrer leurs victoires sur les papistes.

Le plus intrigant est que des gens censés aient pu un instant imaginer qu’un système aussi désuet et réactionnaire pourrait perdurer. Les poètes ne s’étaient cependant pas privés d’écrire des mises en garde. « Ireland unfree shall never be at peace » disait l’un. « Beware of the thing that is coming » disait l’autre.

La minorité catholique ne devait pas tarder à relever la tête. Dès 1965 un vaste mouvement de protestation agite le pays sur le thème « one man, one vote ». Les manifestations sont réprimées avec une telle violence par une police à 90% protestante et acquise aux thèses unionistes que dès 1969 le pays bascule dans le terrorisme et la guerre civile. D’autant plus facilement que l’IRA n’a jamais vraiment cessé d’exister et que très bientôt des mouvements terroristes moyen-orientaux s’intéressent à elle. On dit même que Kadhafi lui enverra armes et fonds, trop content de voir l’anarchie s’installer dans une province britannique.

On connaît la suite : Belfast coupée en deux par un mur de la honte avec ses check-points, le marasme économique, les enfants qui jouent pour de vrai à la guerre. L’armée britannique est envoyée pour suppléer une police partiale et incapable de rétablir l’ordre. Accueillis avec sympathie par la communauté catholique les paras anglais sont bientôt détestés par tous. Mal préparés au maintien de l’ordre en milieu urbain ils se rendent coupables de graves exactions qui ajoutent à la haine entre les communautés. Cette haine, on peut en voir une traduction désolante sur les vidéos prises, il y a deux ou trois ans seulement, un jour de rentrée scolaire. On y voit des petites filles catholiques dont le seul tort est d’être inscrites dans une école installée dans un quartier protestant. Hagardes, terrorisées, accompagnées de leurs parents, elles passent entre deux cordons de policiers et de soldats qui contiennent à grand peine une foule protestante qui éructe sa haine.

Dans un tel contexte l’accord de Stormont semblait invraisemblable il y a encore quelques mois. Le pasteur Paisley qui a passé sa vie à attiser les oppositions, à encourager les foules à brûler des églises romaines, qui s’était fait le porte-parole des ultras les plus durs, dont le mot d’ordre était « not an inch », a donc révisé totalement sa position.

Nous ne céderons jamais un pouce proclamait-il. Et il partage le pouvoir.

C’est tant mieux mais s’il l’avait accepté plus tôt il aurait évité à ses compatriotes 38 ans d’une guerre civile atroce avec 3500 tués (2/3 étaient catholiques), 47 500 blessés, 16 000 attentats, 17 600 prisonniers dont certains verront leur innocence reconnue après avoir passé 20 ans en prison. Si seulement les concessions avaient été acceptées plus tôt !…

On ne médite jamais assez les leçons de l’histoire.

Les français aussi n’ont montré qu’intransigeance et fermeté devant le conflit algérien. Confrontée au terrorisme aussi odieux qu’aveugle, la gauche représentée par Mendès-France et Mitterrand, puis Guy Mollet, ne trouva pas d’autre réponse que la répression. C’était certes nécessaire dans le contexte de l’époque, devant l’ampleur des crimes abjects et autres massacres. N’aurait-on pas pu néanmoins essayer de s’entendre avec les nationalistes les plus modérés comme Messalli Hadj, le fondateur du MNA, Ferhat Abbas, Abderamane Fares ?

Je reconnais volontiers que De Gaulle ne fit pas mieux et qu’après avoir gagné sur le terrain il remit l’Algérie au FLN représentant la faction la plus anti-française, la plus anti-occidentale, la plus dure. La gauche comme la droite craignait, paraît-il, les ultras européens d’Alger. Le résultat fut que tout le monde perdit tout, sauf le FLN. Que se serait-il passé si on avait tenté une sortie plus douce, plus honorable, à l’anglaise ?

Une sortie honorable à l’anglaise

Nos pires amis, pourtant passés maîtres dans l’art du compromis, ne l’ont pas toujours réussie. Lorsque en 1965 il s’agit d’accorder l’indépendance à la Rhodésie du Sud, les anglais sont incapables de trouver un statut suffisamment favorable aux 275 000 blancs qui détiennent l’essentiel du pouvoir politico-économique. Ils ne peuvent empêcher la sécession des blancs menés par Ian Smith. Ce dernier croit pouvoir se maintenir contre le monde entier. Il proclame l’indépendance, la République. Il ruse avec Joshua Nkomo, un leader noir plutôt modéré, et le pousse ainsi à s’engager dans un terrorisme sanglant. Smith refuse plus tard une sortie de crise équitable proposée par le gouvernement d’Harold Wilson. Il espére obtenir plus. Il tient le coup 14 ans mais doit céder en n’obtenant que de vagues promesses jamais tenues par ses successeurs.

La dictature de Mugabe qui est en train de liquider les derniers fermiers blancs du Zimbabwe aurait-elle pu être évitée sans l’intransigeance de Ian Smith ? On peut le penser.

« Les plus accommodants sont les plus habiles » me répétait-on autrefois au cours des leçons de morale à l’école primaire.

On aimerait que l’exemple de l’Ulster ou le contre-exemple de la Rhodésie donne à réfléchir aux uns et aux autres. Notamment aux Basques de l’ETA qui risquent fort de perdre beaucoup en refusant la main tendue par Zapatero.

Plus encore peut-être qu’au Pays Basque, on souhaiterait que l’accord de Stormont soit analysé par les différentes parties impliquées dans le conflit israélo-palestinien.

On est en train de célébrer le quarantième anniversaire de la guerre des 6 jours et la formidable victoire de l’état hébreu.

Israël a eu raison d’en finir avec les rodomontades de Nasser en donnant un coup d’arrêt au nationalisme arabe. On peut se demander toutefois si la conquête de la Cisjordanie, des hauteurs du Golan, de la bande de Gaza a assuré la sécurité des juifs. Elle n’a pas empêché la guerre du Kippour, elle n’a pas mis fin au terrorisme. Le nationalisme arabe a été remplacé par le fondamentalisme musulman.

L’ennemi était à l’extérieur. Il est désormais à l’intérieur.

Il aurait fallu se montrer généreux et audacieux après cette victoire. Il aurait fallu susciter des mouvements modérés, leur proposer un état palestinien.

Les palestiniens sont-ils réalistes lorsqu’ils prêtent une oreille attentive aux chefs de factions qui prônent l’éradication pure et simple d’Israël ? Certainement pas.

La seule attitude raisonnable est de reconnaître le droit à l’existence de l’état juif dans des frontières reconnues et garanties.

De l’autre côté les israéliens ne sont-ils pas en train de faire une erreur historique en se réfugiant à l’abri d’un mur qui ne fera qu’exacerber les ressentiments, en remettant toujours à plus tard la création d’un état palestinien ? Et surtout en tolérant, voire en favorisant l’implantation de colonies juives en terre palestinienne rendant un peu plus problématique chaque jour la constitution d’un état palestinien cohérent et viable? Ce n’est pas par des tracasseries et vexations incessantes que l’on mettra fin à une situation tragique. Ce n’est pas en tuant, en faisant sauter des bombes que les autres gagneront la sympathie de l’opinion.

Oui il serait temps de méditer l’exemple irlandais.

On me rétorquera que rien n’est facile en terre d’Orient. Peut-être, mais il faudrait faire vite. « Beware of the thing that is coming ».

Si un homme comme Paisley a réussi à faire la paix avec ses ennemis, franchement tout le monde doit pouvoir en faire autant.

Billets à peu près similaires

Aucun billet similaire (même à peu près).

21 commentaires

  • [quote post= »364″]Si un homme comme Paisley a réussi à faire la paix avec ses ennemis, franchement tout le monde doit pouvoir en faire autant. [/quote]

    oui cela resume bien l’esprit que tu donne à cet article, quand on se plonge dans ses choses là c’est comme plonger en soi , tellement de choix , de possibilitées , de chemins , des croisées de chemins dépassées ou empruntées, c’est tellement complexe et simple à la fois , en tout cas tres bel article comme souvent Dang.

  • J’aurais aimé un peu plus de nuances dans les rappels historiques sur l’Irlande (les nationalistes ne sont pas que des victimes, les unionistes ne sont pas tous « ultra »). Eviter le raccourci catholiques/protestants aurait aussi été appréciable…
    Mais en dehors de ça, très bon article !

  • @Dimitri : si tu veux me faire dire qu’il y a des salauds chez les nationalistes et de braves types chez les unionistes je suis entièrement d’accord, mais de là à trouver des nuances chez les unionistes… j’ai cherché je n’ai pas trouvé. Si nuance il y a ce n’est pas depuis longtemps. Quant au raccourci catholiques/protestants, je ne sais pas comment faire autrement. On ne peut quand même pas dire que le conflit en Ulster est un conflit uniquement social ou international ou politique. On peut prendre le problème par n’importe quel bout on retrouve l’opposition catholiques/protestants. Lorsque le conflit a commencé le parti unioniste comportait en tout et pour tout UN membre catholique.

  • Au hasard, Trimble, prix Nobel de la Paix, n’est-il pas unioniste ? si… L’unionisme ne se résume pas au DUP. Il y a beaucoup plus de nuances que tu ne sembles le voir (des deux cotés d’ailleurs).

    Le raccourci catholique/protestant a été utilisé par le passé par le gouvernement britannique pour justifier l’envoi de l’armée : deux communautés religieuses s’affrontent, et l’armée est donc envoyée pour s’interposer, pour protéger la « paix ». En pratique, il s’agit d’une confrontation politique (colons contre population « locale », pour faire bref), et l’armée soutenait nettement un des deux camps, celui pro-union, sans surprise.
    L’identité religieuse des deux communautés n’est que très annexe dans le conflit, et n’est clairement pas la source des affrontements.

    Pour revenir à ton post, Paisley et le DUP ne sont pas les seuls à avoir fait barrage par le passé. On ne peut pas dire que Adams et McGuinness aient fait preuve de bonne volonté. Nombre de leurs collaborateurs se refusent encore à condamner toute violence, sous le prétexte qu’ils ne reconnaissent pas la légitimité des institutions (ni au Nord ni dans la République) et ne considère donc pas que la loi soit forcément « respectable »… Ca ne met pas très en confiance les interlocuteurs, tu en conviendras.

  • Dimitri a écrit plus haut :
    [quote post= »364″]On ne peut pas dire que Adams et McGuinness aient fait preuve de bonne volonté. [/quote]

    Tout à fait d’accord avec toi. Les blocages se trouvent aussi bien chez les républicains que chez les unionistes.
    La haine accumulée depuis des lustres les explique largement. Nos positions ne sont d’ailleurs pas forcément éloignées sauf peut-être que tu me donnes l’impression de prendre le problème depuis l’intervention militaire britannique alors que je le vois dans une perspective beaucoup plus large.

    En revanche je ne te suis pas lorsque tu dis :

    [quote post= »364″]L’identité religieuse des deux communautés n’est que très annexe dans le conflit, et n’est clairement pas la source des affrontements.[/quote]

    Je pense le contraire. Ne voir dans le problème qu’un conflit politique c’est faire l’impasse sur une attitude anti-catholique qui a prévalu non seulement en Irlande du Nord mais aussi en Angleterre et en Ecosse jusque dans les années 70. On m’a par exemple rapporté que dans un quartier populaire de Manchester vers 1960 il y avait deux familles catholiques dans une rue et elles étaient frappées d’ostracisme. Les enfants ne jouaient pas avec leurs enfants, les voisins ne leur adressaient pas la parole. C’est difficile à croire aujourd’hui mais c’était la triste réalité d’autrefois et c’est dans ce contexte qu’il faut placer la situation en Irlande du Nord.

  • Article impressionnant qui questionne sur la volonté réelle de tous les protagonistes de guerre civile, en France ou ailleurs, à faire la paix, chose excessivement difficile surtout lorsque l’on est impliqué jusqu’au cou.

  • [quote comment= »28770″]Nos positions ne sont d’ailleurs pas forcément éloignées sauf peut-être que tu me donnes l’impression de prendre le problème depuis l’intervention militaire britannique alors que je le vois dans une perspective beaucoup plus large.[/quote]
    Non, je pense au contraire le prendre depuis le début, c’est-à-dire depuis qu’un roi irlandais (Dermot MacMurrough) est allé demander l’aide de Henry II, suite à une guerre perdue qui avait été déclarée pour des affaires conjugales.
    Henry II accepte de l’aider et confie la mission à Strongbow (Richard FitzGilbert de Clare), qui s’engage dans la bataille après avoir obtenu comme garantie la fille du roi (Aoife) et la succession du trône de Leinster, ouvrant ainsi la porte à l’invasion normande.
    Je ne vais pas te faire tous les chapitres suivants, mais je connais l’Histoire du pays dans lequel je vis, merci… 😉

    Tu peux rester convaincu que le caractère religieux est primordial, je n’y peux rien, si ce n’est par exemple te conseiller de venir parler avec des irlandais.
    Et si le voyage ne tente pas, tu peux aussi jeter un oeil à certains livres, par exemple « Guerre de religion et terrorisme en Irlande du Nord : Mensonges et Manipulation », qui malgré quelques défauts, est clair sur un point : le conflit n’est pas religieux.

    PS: il y a bien sûr d’autres ouvrages sur le sujet, mais l’avantage de celui-ci est qu’il s’agit la version grand public d’une thèse de doctorat (sociologie) défendue à Genève. Ca donne une certaine garantie de « neutralité »… 😉

  • @Dimitri : Nos positions seraient-elles irréconciliables?

    i) je sais que tu habites Dublin et que tu es bien placé pour parler de l’Irlande. Tu me feras quand même l’amitié d’admettre que je ne dis pas n’importe quoi.

    ii) tu me conseilles d’interroger des irlandais.
    Si tu demandes à de jeunes français de parler de la guerre d’Algérie, de la guerre froide, ou à leurs parents ou grands-parents de parler de l’épuration, de l’occupation, ils auront beaucoup de mal à rendre la période dans toute sa complexité car ils ne l’ont pas vécue au jour le jour.
    Un irlandais d’aujourd’hui peut avoir du mal a saisir toutes les composantes et subtilités des conflits d’hier.
    iii) tu sais comme moi qu’il y a en histoire comme en sociologie des écoles de pensée fort différentes et parfois opposées. Disons que nous ne sommes pas influencés par la même école.
    iiii) ignorer le fait religieux dans le conflit irlandais revient pour moi à dire que l’identité de l’Irlande ne s’est pas faite autour du catholicisme et de la langue gaélique. C’est un peu comme si on disait que la Pologne ou la Croatie n’ont pas cultivé leur identité catholique face aux russes ou aux serbes.
    iiiii) si la religion n’a rien à voir avec le conflit :
    -pourquoi est-ce que la presse de Belfast titre vers 1920 : « home rule is Rome rule ».
    -pourquoi est-ce que Lord Craigavon, le premier Premier Ministre d’Irlande du Nord, en 1921, déclare « they (de Valera et ses amis) still boast of Southern Ireland being a Catholic State. All I boast is that we are a Protestant Parliament and a Protestant State ». Il précise sa pensée dans une interview à la presse un peu plus tard « a Protestant Parliament for a Protestant people ». Or il y avait à l’époque 30% de catholiques en Ulster.
    -pourquoi est-ce qu’en 1935 l’Attorney General d’Irlande du Nord s’adresse-t-il à un jury en ces termes : « the murdered man was a publican and a Roman Catholic, and therefore liable to assassination ».
    -pourquoi est-ce qu’en 1970 la presse de Belfast affirme qu’il est évident que le Taoiseach va chercher ses ordres à Maynooth (un peu comme si on disait Fillon va chercher ses ordres auprès de Mgr Vingt-Trois).
    -pourquoi est-ce qu’aujourd’hui encore les loges orangistes défilent dans les quartiers catholiques et pas seulement dans les quartiers protestants.
    Last but not least, pourquoi est-ce que la presse de Belfast estime en 1969 que l’article 44 de la Constitution de la République d’Irlande qui affirme « the special position of the Holy Catholic Apostolic and Roman Church » rend impossible toute discussion avec la République.

    L’Irlande a beaucoup changé j’en conviens, les mentalités ont évolué c’est vrai, l’Eglise n’a plus l’emprise qu’elle avait il y a encore une génération, c’est évident. Mais pour ce qui est du conflit je crois pouvoir prouver tout ce que j’affirme. De plus le but de mon billet n’était pas de faire un cours d’histoire sur l’Irlande.

  • Mon but n’était pas non plus de faire un cours d’Histoire sur l’Irlande. Je posais seulement deux points et, de réponse en réponse la discussion est plus rentrée dans les détails. C’est aussi ça l’intérêt des blogs…

    Je me permets de reprendre la même numérotation pour répondre, ce sera plus clair, enfin j’espère… 🙂
    Ca risque de paraître un peu austère, ou tendu, mais promis, je suis tout calme… 😉

    i) J’admets tout à fait que tu ne dis pas n’importe quoi, et je l’ai dit à plusieurs reprises dans mes précédents commentaires. Je suis en désaccord sur un seul point : la place que tu donnes à la religion dans le conflit.

    ii) En l’occurrence, le conflit « d’hier » n’est pas si loin, et les irlandais d’aujourd’hui (et notamment la plupart des élus, au Nord comme au Sud) l’ont vécu au jour le jour. Ce qui ne garantie pas qu’ils en ont saisi toute la complexité, je suis bien d’accord, mais ils savent bien, eux, si ils se sont battus pour une question de religion.

    iii) Quelle école (historique ou sociologique) place la religion comme cause principale du conflit irlandais ?

    iv) Je n’ignore pas le fait religieux, je dis qu’il est secondaire. Le conflit commence presque quatre siècles avant la Réforme !

    v) – “home rule is Rome rule” : c’est un titre de presse…. La presse, en temps de guerre civile, est très sujette à la propagande. De plus, le fait que l’Irlande des débuts de l’indépendance soit sous contrôle de l’Eglise locale (ce qui est vrai!) ne veut rien dire que la religion est à la source du conflit, qui à cette époque a déjà 750 ans…
    – le fait que Lord Craigavon se moque d’une République sous influence catholique ne veut pas dire que la source du conflit est religieuse. Les unionistes ne s’opposent pas aux Catholiques parce qu’ils d’une certaine obédience religieuse : ils s’attaquent à eux parce que les Catholiques sont (presque exclusivement, à l’époque) nationalistes et veulent mettre fin à l’Union. Il s’agit de défendre la Couronne, pas de défendre le Protestantisme.
    – même remarque : l’ennemi est Catholique parce que l’ennemi est le nationalisme, pas l’inverse. La religion n’est qu’un moyen rapide de repérer le danger. Si en 1920 tu te poses à la sortie d’une église et tires dans le tas, de nombreux nationalistes tombent sous les balles. De même si tu vas à un match de hurling. Et pourtant ce n’est pas un conflit basé sur le sport.
    – elle affirme cela parce que c’est vrai… Tout comme la presse de la République l’affirmait il y a quelques années lors du dernier référendum sur l’avortement. Encore une fois, cela ne met pas la religion en source du conflit.
    – elles défilent dans les quartiers catholiques par provocation en raison de la symbolique liée : ces loges célèbrent la défaite de James II face à William II (of Orange). Le poids est fort : toute l’Irlande (sans distinction de religion) soutenait James, et s’opposait donc au pouvoir central. La défaite de James lors de la bataille de la Boyne (et sa fuite) sont le symbole de la suprématie du Royaume-Uni sur ses différentes provinces.
    – Encore une fois, c’est la presse… Il est facile en temps de crise de détourner l’attention sur autre chose. Ce passage de la Constitution a d’ailleurs été retiré le 5 janvier 1973, ce qui n’a pas pour autant débloquer la situation. Comme quoi ça ne devait pas être si décisive que cela…

  • Cher Dimitri, puis-je oser encore une ou deux remarques sans trop te prendre la tête? Tu as raison de parler des nationalistes par opposition aux unionistes. Tu aurais d’ailleurs pu faire valoir que Parnell, le chantre du home-rule, était protestant. Il n’en reste pas moins, à mes yeux, que la conscience nationaliste s’est forgée très largement autour de l’église catholique, mais tu ne seras pas d’accord. Je conçois que dans le monde sécularisé qui est le nôtre maintenant cela soit difficile à admettre, même en Irlande. Il est difficile dans un pays aussi religieux (au moins autrefois) de faire la part du religieux et du politique. L’école historique à laquelle je fais allusion se trouvait à Paris III autour du regretté professeur René Fréchet, lui-même protestant.
    Pour ce qui est des orangistes ils ne célèbrent pas uniquement la bataille de la Boyne mais aussi la résistance des Apprentice Boys of Derry lorsque James II assiégea la ville.
    Un petit détail marrant : lorsque fut connue au Vatican le résultat de la bataille de la Boyne, le Pape fit illuminer Saint-Pierre de Rome. Croyait-il que c’était une victoire ou était-il complètement gaga, je n’en sais rien.

  • [quote comment= »29001″]Il n’en reste pas moins, à mes yeux, que la conscience nationaliste s’est forgée très largement autour de l’église catholique, mais tu ne seras pas d’accord.[/quote]
    Nous ne sommes pas loin d’être d’accord…
    Je remplacerais simplement « largement » par « aussi ». Je ne nie bien sûr pas le poids de l’Eglise. Ce serait idiot dans un pays où la fête nationale est la célébration du Saint-Patron, et où les députés prient en ouverture de session !
    Cependant, le conflit a commencé quand les deux « camps » (ne rentrons pas dans les détails des sous-groupes) étaient de la même religion, et cette question de religion ne peut donc tout simplement pas être la source du conflit, et le raccourci catholiques/protestants n’est donc que cela, un raccourci.
    C’est, je crois, notre seul point de « discorde ».

    Pour ceux qui est des Apprentice Boys, ça ne remet pas en cause ce que je disais : la bataille de la Boyne , et leur résistance, donc, sont un symbole politique tout autant que religieux.

    Pour ce qui est de la santé mentale du Pape de l’époque, no comment… 😉

  • j’avais écrit un billet, il y a longtemps (oct. 2005) qui se rapprochait un peu du thème de celui-ci… Israël & Irlande du Nord, en comparant les attitudes de Sharon et d’Adams. Deux phrases faisaient un peu écho à ce que l’on t’enseignait et qui est, somme toute, le fond de ton billet, qu’illustre l’Histoire : « les plus accommodants sont les plus habiles ».

     » Mais sur le seul plan de la stratégie, je trouve que dans chaque cas, le premier qui tend la main a véritablement tout à gagner. (…)

    Etre le premier à déposer les armes serait ainsi stratégiquement payant. Il reste un léger obstacle moral : les milliers de morts qui crédibilisent ce geste.

    Désolé si la touche finale n’est pas des plus optimistes mais, si le geste de Sharon, comme celui de l’IRA, sont salués, c’est aussi du fait de l’intransigeance qui a précédé (attention, même si je suis assez sévère sur l’attitude que peut avoir Israël vis-à-vis des palestiniens, je n’en suis pas assimiler son action au terrorisme de l’IRA).

    Le « malheur » est que cela vient toujours en second temps. Cela dit, il ne faut pas être béat : la violence, la rancoeur, le « ressentiment », quels que soient les efforts faits pour les éviter, existeront toujours. Ta série de billet milite plutôt dans le sens de l’intérêt réel qu’il y aurait à baisser la garde le premier.

  • Koz a écrit plus haut :[quote post= »364″]

    Ta série de billet milite plutôt dans le sens de l’intérêt réel qu’il y aurait à baisser la garde le premier.[/quote]

    Oui c’est tout à fait cela. Je pense qu’il est très habile d’être le premier à baisser la garde, que cela évite de le faire sous la pression des événements, cela évite aussi des drames inutiles. Si on prend l’Afrique du Sud et le potentiel de haine et de frustration accumulé depuis l’instauration de l’apartheid, on pouvait craindre un bain de sang. Le président de Klerk eut l’intelligence de lâcher du lest assez tôt et de remettre le pouvoir à Mandela qui était en fait un modéré.

  • Pingback: Le Journal d’Odanel » Les p?pites de la semaine (6)

  • On apprend beaucoup dans cet article (l’on ne peut parler de billet) . L’intransigeance des protestants irlandais se retrouve assez souvent dans l’histoire de nos « amis » anglo-saxons.
    Il est cependant, assez curieux de constater que dans les anciennes colonies britanniques où ces mêmes britanniques se sont conduits comme des seigneurs arrogants, méprisants, spoliateurs sans scrupules puisqu’en tant que sujets de sa gracieuse majesté tout leur était dû.
    Dans ces mêmes ex-colonies, les gens sont en général très respectueux, courtois, bien élevés ce qui est loin d’être le cas là où les républicains français sont passés ! A méditer…

  • @Dimitri : sans vouloir relancer la polémique entre nous (surtout que nous sommes presque d’accord) je vois une grosse différence entre les différents conflits qui ont émaillé l’histoire de l’Irlande et celui qui agite l’Ulster. Il y a toujours l’aspiration nationaliste, certes, mais on ne peut comparer tout à fait des irlandais qui veulent chasser la puissance occupante (série de conflits jusqu’au home rule) et des irlandais qui en ont assez d’être dominés par une majorité non autochtone (conflit à partir de 1969).

  • Je ne pense pas qu’il y ait eu de polémique, et je n’ai pas l’intention d’en lancer une…

    Si on prend l’aspect nationaliste, il s’agit du prolongement direct des conflits passés, qui ne se sont pas arrêtés au Home Rule (cf. campagnes de l’IRA dans les années 30 et 50). Il suffit de voir les « Brits out » souvent associés aux rassemblements pro-IRA, ou même le programme politique du Sinn Féin, dont la priorité numéro 1 est très ouvertement l’unification de l’ile.
    Aujourd’hui encore, C-IRA et R-IRA continuent à lutter militairement (à leur échelle, heureusement faible) pour chasser la puissance occupante, pas pour des droits (et c’était pareil pour l’IRA, jusqu’à l’arrêt de la campagne armée).

    En parallèle, il y a les « revendications égalitaires » (menées par exemple par la NICRA dans les années 70) qui sont en effet très différentes, je suis tout à fait d’accord, et qui rentrent dans ta deuxième catégorie.

  • C’est marrant que vous utilisiez le terme de Ulster pour parler d’Irlande du Nord: l’Ulster est une région qui compte 9 comtés. Or, l’Irlande du Nord ne comprend que 6 comtés. Du coup, utiliser le nom d’Ulster est tres connoté politiquement et n’est utilisé que par les unionistes (ce qui n’a rien de péjoratif a mes yeux mais mérite d’etre souligné).

    Hey les gars, vous oubliez de parler de l’Europe pour la résolution du conflit:
    http://lecrochepied.blog.lemonde.fr/category/norn-iron/

    Aussi: « Le pasteur Paisley qui a passé sa vie à attiser les oppositions, à encourager les foules à brûler des églises romaines »

    Assez curieux de connaitre la source, jamais entendu parler.

    Thomas Lefebvre (Belfast)

  • @Thomas L. Merci pour le lien (le crochepied).Très intéressant.

    Vous écrivez plus haut :

    [quote post= »364″]C’est marrant que vous utilisiez le terme de Ulster pour parler d’Irlande du Nord: l’Ulster est une région qui compte 9 comtés. Or, l’Irlande du Nord ne comprend que 6 comtés[/quote]

    Vous avez raison un observateur étranger devrait dire « Irlande du Nord », mais cela ne change pas grand chose au problème.
    J’en profite pour faire amende honorable. Je dis dans mon billet que l’Ulster s’est amputée de 4 comtés pour maintenir la suprématie protestante. En fait comme le dit Thomas L. seuls 3 comtés de l’Ulster ont été rattachés au Sud : Donegal, Monaghan, Cavan. J’ai malencontreusement ajouté le Tyrone qui après de longues hésitations est resté rattaché au Nord. Il avait aussi été question du Fermanagh. Toutes mes excuses donc mais je le répète, mon billet voulait réfléchir sur la fin de la guerre civile, sur la paix et non faire un cours sur l’Irlande.

    Pour ce qui est de Paisley vous n’allez tout de même pas le présenter comme un modéré?
    Mes sources sont les archives de l’Irish Times qui est considéré comme l’un des journaux les plus sérieux d’Europe. Dès 1966 Paisely s’illustre par sa violence anti-catholique. En 1972 il apparaît à la télévision, montre un gaufrette et dit « voilà, les catholiques vous diront que c’est le corps du Christ ». Beaucoup de non-catholiques, en tout cas en Angleterre seront outrés par son sectarisme. En 1969 après l’un de ses discours tonitruants trois églises catholiques sont saccagées. Plusieurs pasteurs viendront aider les paroissiens catholiques à nettoyer les débris en signe de bonne volonté. Donc Paisley était désapprouvé par certains de ses confrères. En revanche l’analyse des scrutins électoraux montre qu’au début des années 1970 il y a des catholiques qui votent pour lui. Le professeur René Fréchet (Paris III) expliquait ce phénomène par le fait que Paisley avait une certaine conscience sociale et par exemple s’opposait à ce que les catholiques de sa circonscription soient exclus des aides sociales. C’est bien compliqué l’Irlande du Nord!

  • Intéressant, mais l’entame nuit nettement à la crédibilité : parler de pragmatisme BRITANNIQUE en Irlande est un peu déplacé, pour ne pas dire autre chose.

Les commentaires sont fermés