Et rien ne sera plus comme avant

On l’entend, on l’attend, parce qu’on ne peut accepter l’idée qu’une telle épreuve ne soit qu’une parenthèse avant que ne reprennent le bruit, la pollution, la course. Alors, on le répète, comme une prophétie auto-réalisatrice. « Rien ne sera plus comme avant ». Vraiment ? Nous l’avons dit, après la crise de 2001. Nous l’avons dit, après celle de 2008. Nous l’avons dit, surtout, lorsque les attentats ont frappé la France. Chaque fois, pourtant, le monde a repris sa marche inchangée. Alors, si rien ne doit être comme avant, ce ne sera ni sur intervention divine ni par une soudaine communion collective. Ce ne sera pas sans notre volonté. Si rien ne sera comme avant, ce ne sera pas sans l’exiger.

Rien ne devra être comme avant au nom de notre souveraineté, c’est certain. Depuis les composants de notre industrie jusqu’aux respirateurs, aux masques ou réactifs pour les tests, nous nous retrouvons dépendants – et dépendants du bon vouloir de pays (la Chine, les Etats-Unis) qui ne sont pas ou ne sont plus nos amis. Rien ne sera plus comme avant, et certes il faut applaudir tous nos soignants, chaque soir. Mais ceux qui se montrent amers en songeant aux années de combat perdu dans l’indifférence contre les logiques comptable et technicienne ont raison. Rien ne devra être comme avant et c’est la mort qui s’insinue, dans nos rues et nos esprits, pour nous rappeler soudainement à notre humanité, fragile et fugace. Il nous la faudra, cette révolution humaniste pour remettre l’Humain, la relation, les cœurs, les mains, au centre.

Mais aujourd’hui, ce sont les jours de solidarité et de responsabilité, ce sont les jours de l’attention fraternelle. Car, à cet instant précis, en cette semaine où s’abat sur nous la vague, rien ne sera surtout plus comme avant sans les visages de ceux qui partent, sans le sourire de cet ami, son rire, sans l’oreille de cette mère, l’épaule de ce frère. Rien ne sera plus comme avant pour ceux qui vivent ces heures dans l’angoisse d’un appel funeste, qui ne peuvent être au chevet de leur proche, ni le veiller, ni l’enterrer. Rien ne sera comme avant l’absence. Pour ceux qui partent et pour leurs proches qui restent, le temps n’est pas à la prospective, même si penser demain aide à supporter chaque jour. Aujourd’hui, soutenons chacun. Mais demain, ce sera bien en leurs noms, chargés du souvenir des morts, habités de leurs visages, que nous devrons assurer qu’advienne un autre temps.

5 commentaires

  • Bonjour, espérant que tout va bien chez vous. Je partage votre avis dans cette chronique notamment sur ce que cette expérience va changer en nous. D’autant plus difficile à estimer que les expériences sont en plus différentes d’un milieu à l’autre, d’une profession à l’autre. Je me permet également de vous proposer, si vous ne l’avez déjà fait la lecture de l’interview de Dany Laferrière dans La Croix de ce jour, notamment la difficulté du « changement de société » quand la vie revient. Reste l’absence de ceux que l’on ne voit plus… très bonne semaine sainte a vous et à vos proches

    • Bonjour,

      Tout va bien chez moi. Contrairement à ce qui est indiqué en fin de billet, cette chronique a 15 jours. Je l’ai écrite en pensant fortement à un ami proche qui venait d’entrer en réa. Ces 15 jours ont été rudes, denses, aléatoires. Il nous a fait de belles frayeurs et n’est pas toujours passé loin de basculer, mais enfin, depuis 2 ou 3 jours, il est sorti de réa !

      Je vais lire l’interview dont vous me parlez. Je suis perplexe sur ce « changement de société », entre l’inertie, la volonté de retrouver la vie comme avant, le fait que chacun voit midi à sa porte. Mais tout de même, et je l’esquisse dans ma prochaine chronique, on ne peut pas occulter au minimum deux faits : le rapport entre cette épidémie et notre relation à la nature; la nécessité de repenser nos priorités et en particulier la situation du soin, des métiers de la relation humaine. Il y a aussi, de toutes façons, des choses que l’on ne peut pas anticiper, tout simplement parce que leur effet ne s’est pas encore produit.

      Comme d’autres le soulignent, il va aussi falloir prendre garde à ce que la volonté de redémarrage ne se fasse pas sur le mode d’un redémarrage forcé d’une activité débridée, que ce soit par de grands chantiers ou par des industries polluantes. C’est la préoccupation exprimée dans cet article : « Quoi qu’il en coûte » : la relance économique porte le risque de futures crises pandémiques , et il y en aura, des pressions en ce sens.

  • En fait nous sommes confinés non pas parce que quelques Français se comportent mal mais parce qu’il n’y a pas de masques, de gants, de vêtements de protection, de tests de dépistage, de respirateurs, de lits de réa en nombre suffisant.

    Ce qui me surprend depuis le début de la crise c’est que je ne l ‘ai pas vue venir. Ce qui me surprend c’est ma passivité, j’avale tout ce qui passe en boucles sur toutes les chaînes de télé. Je fais tout ce qu’il m’est demandé de faire. Car c’est sûr cette fois-ci je vais mourir. Je suis dans la tranche d’âge de ceux qui meurent. J’ai toutes les caractéristiques des personnes qui meurent: homme vieux, obèse, diabétique.

    Tous les matins je suis étonné d’être encore là. Je guette mes moindres éternuements, je surveille les courants d’air dans la maison, les déplacements d’air de mon ombre quand je suis dans le jardin.

    Je tonds la pelouse deux fois par jour par tout petits carrés pour faire durer l’activité longtemps. Je tonds avec des lunettes de plongée et je me fais des masques avec des serviettes de table. C’est pas le moment d’attraper un rhume des foins ni de faire une allergie aux pollens.

    Mes enfants et petits enfants ne viennent plus me voir: ils me considèrent comme une bombe humaine capable de les tuer. Je m’interdis d’aller les voir car je ne veux pas qu’ils tombent malades par ma faute.

    Nous vivons une époque formidable. Mais tragique pour les personnes qui meurent et pour leur famille qui ne peuvent les accompagner au moment du mauvais passage.

    Ainsi soit-il.

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