Alors, amère ?

Il faudrait encore franchir ce seuil dont le goût du pouvoir nous préserve : voter pour les ministres que l’on garde et ceux qui quittent l’aventure. Bien sûr, il faudrait réserver à la prod’ le choix des nominés, au moins dans un premier temps, mais ensuite les Français pourraient envoyer un SMS en tapant 1 s’ils veulent garder Rama Yade, 2 s’ils veulent garder Nora Berra, 3 s’ils veulent garder Borloo etc. Après tout, faut-il vraiment exclure que l’on nous présente ceci comme un progrès démocratique dans quelques temps ? Le feuilleton – parce que le président n’est pas crédible en disant qu’il n’y a pas eu feuilleton : c’est comme s’il me disait qu’il n’y a pas NCIS le vendredi, alors qu’on est tous témoins du contraire – s’est achevé, donc, et cette semaine m’a fait irrésistiblement penser aux plateaux de la Star’ Ac ou du Loft et à la semaine qui suit les éliminations.

De studio en plateau télé, la question revenait : bon et donc, là, vous êtes amer ? Il semble d’ailleurs que l’amertume soit le sentiment consacré pour un évincé. De même que l’on « condamne fermement » un « acte lâche et odieux », le sentiment nécessaire ou admis est l’amertume. On a donc cherché à savoir si Hervé Morin, si Fadela Amara, si Jean-Marie Bockel étaient « amers ». Pour Jean-Marie Bockel, l’interviewer d’Europe 1 voulait vraiment savoir s’il se positionnerait désormais en flingueur. Question : « vous avez été viré, là, non ?! ». Et encore question : « donc, là, vous êtes au chômage ?! ». Ca ne manque pas de refléter une certaine conception de la politique à laquelle contribuent politiques et medias et qui peut légitimement nous les briser menues. On recherche le sentiment. Même rapport aux politiques qu’aux peoples : on demande pareillement à un ancien ministre comment il se sent qu’à notre ami Bruce.

Bien sûr, ce n’est pas indifférent. L’amertume, l’humiliation sont aussi des « moteurs » de l’action politique. De même que la soif de pouvoir : demandez à Eric Besson ou à Marie-Anne Montchamp. Tenez, par exemple, même s’il a semblé s’en repentir cette semaine, le Fillon le fut, amer. « Quand on fera le bilan de Chirac, on ne se souviendra de rien. Sauf de mes réformes » avait-il lâché, avant de se mettre à travailler ardemment à l’élection de Nicolas Sarkozy.

Mais ne peut-on pas attendre afin de constater si, oui ou non, l’homme ou la femme évincée en a conçu de l’amertume ? Son action ultérieure en dira plus long que son sentiment sur le pas de la porte. Faut-il tendre le micro à l’expression des sentiments petits ? Les ministres ne se grandissent pas, et ne grandissent pas la politique, en exprimant ainsi des états d’âme et en accréditant l’opinion – fondée ou non – que la politique est menée par les sentiments personnels, de la rancune à l’ambition. La mode semble pourtant s’être installée de courir les micros, ou de les tendre, pour commenter ce grand malheur.

Un bémol toutefois et peut-être une petite déception pour les amateurs du petit bout de la lorgnette : les ministres qui se sont exprimés ont pour la plupart fait assaut d’élégance (revendiquée parfois, ce qui manque… d’élégance). Qu’il s’agisse par exemple de Borloo ou de Jean-Marie Bockel et Fadela Amara, qui ont tous deux remercié le président et souligné que le poste est par nature précaire. La nature du remaniement les aura certainement aidés. Un remaniement restreint fait passer le message qu’on se sépare des incompétents. Il est à l’inverse plus facile de prendre avec panache un remaniement aussi large et manifestement politique que le dernier.

credit photo : net_efekt

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19 commentaires

  • Pour l’assaut d’élégance de Fadela Amara, tu n’aurais pas raté ces déclarations là ?

    http://www.lepoint.fr/politique/fadela-amara-denonce-inerties-et-sectarisme-politique-16-11-2010-1262727_20.php

    Entre le « bourgeois de la Sarthe » et le flirt avec l’accusation de racisme (ah non, de sectarisme)… Mais bon, tant qu’ « elle ne veut insulter ou blesser personne ».

    Ce n’est pas forcément idiot d’analyser les réactions en terme de panache, surtout que comme tu le soulignes celui-ci n’est pas vraiment encouragé par le traitement médiatique de la politique. Plus en tout cas qu’en terme d’orientations politiques, tant les protestations d’indépendance du centre-droit Borloo-Morin semblent scénarisées, par exemple… Au moins, on sait que le panache est forcément quelque chose d’artificiel, même si c’est important.

  • C’est plutôt à nous d’être amers.
    Avec Xavier Bertrand comme ministre de la Santé et la défection morale de Jean Leonetti, les prochains débats (euthanasie, bioéthique) à l’Assemblée vont être particulièrement sportifs.

  • Et sous la revue du web, la pub, c’est « Eden flirt » !

    Soit les robots de ciblage de pub ont encore des progrès à faire, soit les commentateurs de Koz..

    🙂

  • « M. Frédéric Lefèbvre, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. « 

    Alors, heureux ?

    Sinon, je suis d’accord avec vous : Traiter les politiques comme des « peoples » n’est pas très heureux ; en fait c’est déplorable. Mais je ne sais pas trop si, c’est du à la presse ou aux politiques eux mêmes.

  • L’interview post-éjection est une sorte de figure imposée de la politique, dans laquelle on ne peut normalement s’attendre à aucune espèce de sincérité. C’est plutôt un test: le gars est-il capable d’avaler une grosse claque tout en souriant gentiment à la caméra ? Continue-t-il à faire humblement allégeance au suzerain qui l’a viré ? Le résultat signale plus la volonté du sortant de continuer une carrière que son élégance véritable. Ceux qui échouent à ce test d’hypocrisie sont généralement mal jugés (Mme Boutin est un bon exemple) et potentiellement punis de quelques années de placard. Mais cela dépend de leur capacité de nuisance: ceux qui n’ont pas beaucoup de poids ont intérêt à se montrer pleins de reconnaissance et d’humilité s’il veulent être recasés décemment, et peut-être avoir une chance au prochain tour.

    En ce sens, l’attitude de Mme Amara n’est certainement pas élégante, mais elle est beaucoup plus honnête que la moyenne. Son message est qu’elle pense n’avoir rien à attendre, et qu’elle s’en fout. Réaliste.

  • Dans la mesure où les média télévisés se veulent aujourd’hui d’une neutralité exemplaire et surtout ne pas tomber dans le délit d’opinion qu’on laisse à la presse écrite, ils ne leur reste que les chiens écrasés et la forme en écartant au plus vite le fond.
    C’est ce que nous avons à longueur de journal télévisé ( people, incendie, noyade, tremblement de terre etc…) et ……….l’amertume, la joie, la malhonnêteté des politiques quand il n’y a pas un évènement politique grave à l’étranger.
    Dormez braves gens .

  • Ce qui me choque, ce sont les médias TV. Ce qu’ils cherchent à nous montrer, c’est de l’émotion, plus il y en a, plus ils font d’audience, ils le savent alors ils y vont à fond.

    Le ministre viré qui enrage, le couple people qui se sépare, l’homme politique trahi par un affidé, l’oiseau tombé du nid…

    Il faut croire que nous les spectateurs ça nous attire plus que des informations sérieuses !

  • @ Vivien: il est vrai que j’ai davantage en mémoire la réaction par laquelle elle remerciait le président.
    Vivien a écrit : :

    Ce n’est pas forcément idiot

    Merci ! 🙂

    @ Obéron: on attendra de voir, pour Léonetti. Je l’ai entendu, et j’ai suivi ce qu’il disait sur l’euthanasie, je doute fort qu’il change de position.

    nicolas a écrit : :

    Mais je ne sais pas trop si, c’est du à la presse ou aux politiques eux mêmes.

    Responsabilité conjointe. C’est aussi dans l’air du temps. Mais qui a commencé : le ministre qui le premier a chigné aux micros ou le journaliste qui le lui a tendu ? Cela dit, dès lors qu’ils peuvent espérer une bonne petite phrase (d’expérience), les journalistes tendent le micro… Bref, c’est une coproduction.

    Gwynfrid a écrit : :

    Ceux qui échouent à ce test d’hypocrisie sont généralement mal jugés (Mme Boutin est un bon exemple) et potentiellement punis de quelques années de placard. Mais cela dépend de leur capacité de nuisance: ceux qui n’ont pas beaucoup de poids ont intérêt à se montrer pleins de reconnaissance et d’humilité s’il veulent être recasés décemment, et peut-être avoir une chance au prochain tour.

    Oui, et en même temps, je trouve malvenu de se plaindre. Le côté « on m’a mal traité », on s’en fout un peu. Et on ne s’attarde pas sur des pleureurs. Sans compter que l’on analyse ensuite les actions à l’aune d’un : il/elle n’a toujours pas digéré d’avoir été évincé(e) du gouvernement, ce qui donne ce côté « petite politique » et rancunier qui ne grandit personne.

  • @Koz

    Rhooo, tout de suite…

    Bon, je te l’accorde, ce n’était pas forcément très heureux comme formulation :-).

    @Gwynfrid

    D’accord pour l’hypocrisie générale de l’exercice. Donc moi, je me mets sur le bord du terrain et j’applaudis les beaux gestes. Il y a que ça à faire de toute façon, et ça fait partie de leur métier après tout.

    Bon ensuite, pour ce qui est de décerner un point d’honnêteté à Fadela Amara… Il existe plusieurs manières de continuer à exister en politique. Ma petite interprétation personelle: il semblerait qu’elle ait joué le mauvais cheval pour Matignon. Tactiquement à raison: virer les « divers » aurait pu brouiller la ligne « sociale » incarnée par un Jean-Louis Borloo.

    Du coup elle dézingue Fillon dans l’espoir qu’on pense à elle la prochaine fois que quelqu’un veuille faire dans la rupture-mais-pas-trop, en jouant des gros sabots « la meuf de banlieue et issue de l’immigration » vs « le bourgeois de la Sarthe », parce que c’est sa principale (et dernière?) carte à jouer. Ni honnête, ni classe, à mon avis, et je prends note.

  •  » Les ministres ne se grandissent pas, et ne grandissent pas la politique » :

    je dirais plutôt que c’est les médias…

    libre à eux de porter d’autres questions ,

    plus essentielles que le sentiment passager de tel ou tel.

  • Bonjour,

    je pense qu’en politique ou en entreprise, il est très souvent nécessaire de cacher ses sentiments personnels, pour éviter de tomber dans des querelles de personne sans intérêts (les américains appellent cela « relations toxiques », je trouve le terme bien trouvé). On peut à mon avis exprimer ses idées de façon vive et tranchée (mais de préférence pas humiliante pour ses adversaires) dans un débat d’idées, mais il est à mon avis inutile de s’exprimer trop sur les problèmes de personnes. La vraie vie, du simple salarié au ministre, est faite de compromis, d’humiliations, et de victoires aussi, pas toujours méritées.

    Je crois que ceux qui se sortent bien de ce genre d’exercices montrent qu’ils savent d’abord maîtriser leurs émotions, et qu’ils acceptent aussi de ne pas toujours gagner, ce qui est indispensable quand on travaille à une oeuvre collective, et qu’on n’est pas (encore) le chef.

    Quand je faisais du recrutement, je recherchais ce genre de qualités. Rien de pire que quelqu’un de trop fier pour travailler en équipe, mais si cette personne est très intelligente. L’idéal, c’est quelqu’un qui a la force de caractère pour continuer son travail malgré les perturbations, mais l’humilité d’accepter aussi de se prendre des claques (et certaines injustes) quand cela ne tourne pas rond.

  • @ Vivien:

    Votre interprétation se rapproche fortement d’un procès d’intention, mais elle ne peut pas être réfutée, donc je dirais que je ne sais pas. L’avenir dira si Mme Amara a envie de goûter de nouveau à l’expérience. Par contre je serais quand même un peu surpris qu’on aie un jour envie de lui confier de nouveau une responsabité de ce type. Mais bon, en politique il ne fait jamais dire jamais.

  • les érections présidentielles (cf Dati ) sont dans 18mois .Je sais bien qu’il faut vendre du papier mais j’en ai un peu ma claque de tous ces sondages ,toutes ces unes , toutes ces élucubrations ,tous ces jugements éclairés d’experts confortablement assis sur leur fauteuil moelleux ,. Et si on laissait le gvt travailler, il sera toujours temps dans 18 mois de sanctionner .Entre temps on aura sauvé qqes hectares de foret. Avec un mandat de 5 ans, il serait bon qu’un gvt puisse travailler plus de 100 jours sans être harcelé comme un délinquant le 101 nieme

  • Plus que leurs états d’âme, ce qu’il m’intéresserait de connaître, c’est ce que feraient ces amers aujourd’hui si NS avait nommé JLB à la place de FF.

  • azerty a écrit : :

    .Je sais bien qu’il faut vendre du papier mais j’en ai un peu ma claque de tous ces sondages ,toutes ces unes , toutes ces élucubrations ,tous ces jugements éclairés d’experts confortablement assis sur leur fauteuil moelleux.

    Bien que passionné de politique (j’essaie même d’en faire un blog), je comprend très bien ce sentiment. Quand l’on a déjà un travail dur, et une famille à gérer, on souhaite aussi se détendre un peu le reste du temps. Cela peut expliquer le succès par exemple du cinéma indien (histoires à l’eau de rose), ou même du Bruce Willis au 20 heures qui a choqué Koz. Et honnêtement, le sort de figures secondaires de la politique est quand même peu intéressant. Je pense sérieusement que l’on se détend mieux avec quelques minutes sur le divorce de Tony Parker par exemple, ou un bon San Antonio.

  • Louis XIV disait que lorsqu’il nommait un ministre, il faisait un ingrat et 40 mécontents !
    Les « Toutçapourças » en sont en effet un peu pour leurs frais ils se sont frottés trop tôt les mains en supputant des commentaires venimeux des ex-ministres ; les politiques ont semble-t-il plus d’élégance que prévu !
    Mais heureusement nous avons le setter irlandais !

  • C’est marrant j’ai ressenti aussi ce vague relent de télé réalité dimanche dernier, ça m’a d’ailleurs inspiré un petit billet, à chaud, qui ne sera pas mon meilleur mais qui devait sortir tant ça m’a exaspéré de voir à quel point les médias mettent en scène les politiques, à leur corps plus ou moins défendant selon la sincérité de l’engagement au service des citoyens.
    Les politiques ont longtemps joué avec les médias, avec plus ou moins de réussite, parfois avec leur complicité. Je crains qu’ils aient finalement créé un monstre qui leur échappe totalement.

  • Ce qui est toujours assez marrant aussi, au-delà des « sombres héros de l’amer », c’est de voir le changement de comportement des politiques selon qu’ils sont « en cour » ou non. L’exemple de Rachida Dati est par exemple assez étonnant. Jadis intégrée à l’équipe gouvernementale, fidèle parmi les fidèles, récitant avec zèle les éléments de langage de l’Elysée, elle ne manque pas aujourd’hui une occasion de lancer une pique visant son mentor ou son entourage et affirmant avec force son indépendance et sa liberté de parole.
    Dans un autre genre, Villepin ou Bayrou, jadis collègues loyaux de Sarkozy au gouvernement (avec les mêmes idées et la même politique) et aujourd’hui opposants virulents se présentant en rupture totale avec leur ancien compagnon de route, ne sont pas mal non plus…

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