« Et c’est le temps qui court, court,
Qui nous rend sérieux,
La vie nous a rendus plus orgueilleux »
C’était certes Alain Chamfort qui, quelques années plus tôt, avait écrit ces paroles étonnantes. Si le doute est permis sur l’interprétation de la version initiale, les chanteurs d’Alliage, eux, revendiquaient cet orgueil. Il y a quinze ans déjà, je me demandais comment, quand tout le monde affirme que la vie rend humble, on pouvait avancer crânement que la vie vous avait rendu orgueilleux. Quinze ans plus tard, le temps a couru. Et il a fait son œuvre de bien diverses manières.
Il y a un parfum de parabole dans les destins parallèles de Quentin Elias et de Steven Gunnell : « Un homme avait deux fils… » . Mais c’est un goût de parabole tragique, comme s’il était donné de voir les conséquences d’une simple, lorsqu’elle est poussée dans les extrêmes d’une vie réelle. Car il ne s’agit pas ici d’une simple histoire destinée à édifier l’auditoire. Au bout du compte, l’un des deux fils n’est pas revenu. Mort, avant 40 ans.
Le web charrie son monceau d’aigreur et de médiocrité. Et puis, au milieu du torrent, la surprise d’une pépite, là où ne l’attendrait pas. Je reste persuadé que je l’ai vue la première fois dans lefigaro.tv. J’ai lu l’interview de Steven Gunnell comme on travaillerait une pépite. Lisez-la, merci.
Comme Quentin Elias, il a connu le violent parcours du (presque) gamin propulsé au plus haut et jeté au plus bas en quelques mois. Au plus bas, « la vie [lui] était devenue de plus en plus absurde ». Quentin Elias a creusé l’absurde, Steven Gunnell a retrouvé du sens.
Il y a tout dans l’histoire que raconte Steven Gunnell.
Il y a l’amour d’une mère. Une mère inquiète pour son fils et qui, chaque jour, va prier pour lui. Une mère qui lui donne ce conseil simple, mystérieux et inspiré : « Quand tu étais petit, tu avais la foi. Retrouve-la ». Comment peut-on retrouver la foi, la foi de son enfance ?
Il fallait l’humilité et il y a l’humilité. « Certains vertus sauvent : j’ai obéi ». Voilà qui est dit simplement. « Certaines vertus sauvent // J’ai obéi ». L’obéissance, vertu chrétienne, n’a pas la cote. On n’en voit que la soumission. Elle offre pourtant ce bénéfice : l’oubli de soi, véritable antidote dans le cas présent, quand un autre a sombré dans le culte de lui-même.
Il fallait la grâce et il y a la grâce. Steven Gunnell a poussé la porte d’une petite église. « Dieu a refait mon âme, il a rendu toute chose nouvelle, comme dans l’Apocalypse ». Peut-être a-t-il retrouvé un peu de son enfance, une atmosphère ? Peut-être, comme d’autres, s’est-il senti de retour à la maison. Une maison toute simple, sans trompettes ni skytracers, mais toujours là.
Il y a la réconciliation. Dix ans après s’être quittés, Steven Gunnell a choisi d’écrire à Quentin Elias, pour se réconcilier. Cette démarche, qui paraît absurde, incongru et peut-être impossible à certains, est bien celle d’un artisan de paix. Et, comme souvent, elle a permis à l’autre de s’ouvrir et de faire paraître une autre face. Finalement, au milieu d’hommages de surface, ressassant complaisamment la caricature qu’il était devenu, Steven Gunnell est le seul à rendre un véritable hommage à Quentin Elias, en laissant entrevoir au monde une personnalité méconnue.
Il y a l’espérance. Quand Steven Gunnell a bifurqué, Quentin Elias, lui, avait poursuivi dans la logique de ce monde. Poursuivi dans le culte de soi, la recherche de la célébrité, le sexe jusqu’au porno. Il y avait deux hommes : l’un a construit sa maison sur du roc, l’autre sur du sable. Mais même chez celui qui s’est abîmé dans la plus évidente superficialité il y avait un homme qui méritait d’être connu, celui qui s’est livré dans sa réponse à Steven Gunnell. On peut espérer en l’Homme, aussi. En chaque personne, même la plus éloignée de nous, même celle qui nous rejette le plus évidemment. Au-delà même de Quentin Elias, il y a l’ensemble du groupe Alliage, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas reçu toute ma considération à l’époque. Il recelait pourtant, outre deux autres membres dont j’ignore tout, un homme à libérer, Quentin Elias, et Steven Gunnell, qui nous offre aujourd’hui parmi les pages les plus poignantes que j’ai lues récemment. C’était Alliage hier, et il y en a d’autres aujourd’hui, à ne pas condamner trop vite, à ne pas condamner du tout.
Il y a la sagesse. Quand leur producteur d’alors s’est empressé de se faire offrir, dans une émission qu’il produit, une séquence douteuse d’auto-absolution, Steven Gunnell ne s’exonère pas : « Quentin, comme moi, comme les autres, on a été les victimes volontaires d’un système. On a voulu tout ça par orgueil, par naïveté, par manque de sagesse ».
Aujourd’hui, il rejette avec acuité le discours ambiant pour délivrer les mots justes, ceux qui font grandir authentiquement, empreints d’une bienveillance sincère, loin des conseils de ceux qui semblent vouloir vous faire passer par les mêmes impasses. Des mots magnifiques.
« Contrairement à ce que j’entends depuis toujours, ce ne sont pas les expériences qui nous construisent.
(…)
« Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même: c’est au cœur de l’homme qu’habite la vérité » : c’est du saint Augustin, qui s’était lui aussi pas mal cherché. Trouve-toi d’abord, avant de vouloir exister par le regard des autres, le succès….
(…)
La vie n’est pas une expérience, c’est un appel. Le mariage n’est pas une expérience, c’est une promesse éternelle. Avoir des enfants, ce n’est pas une expérience, c’est répondre au mystère d’incarnation de la vie, ce pour quoi on est fait.
Construis-toi d’abord par ce mystère qui est en toi : la vie, la vraie. »
Merci de relayer cette « pépite », comme vous l’appelez :
Je n’avais aucun souvenir du groupe « Alliage », mais j’avais déjà remarqué ce jeune homme : au cours des retraites de confirmation de lycéens, que j’accompagne, on leur propose de recevoir le sacrement de réconciliation (d’aller se confesser, quoi !), et on illustre cela par un petit film de témoignages sur ce sacrement, au cours duquel Steve Gunnel intervient, pour raconter, justement, sa première confession après avoir poussé la porte d’une église sur les conseils de sa mère. C’est un témoignage très fort, qui touche beaucoup les jeunes qui le voient, même s’ils ne réalisent probablement pas quel niveau de gloire ce jeune homme a pu atteindre pour retomber presque aussitôt…
Et tout ce qu’il dit dans l’entretien au Figaro est parfaitement en résonance avec ce premier témoignage (qui date d’au moins 6 ou 7 ans si ce n’est plus)…
http://bcove.me/nk5l9kja
Merci Raoul pour le lien, c’est bien ça !
Je ne connaissais pas. J’avais eu vent de son parcours mais sans plus. Merci pour le lien.
J’ai un souvenir particulier d’Alliage : une reprise de leur fameux « Baïla » avec mon frère et mes cousins pour l’anniversaire de mes grands parents. C’était bien. 16 ou 17 ans déjà.
J’ai aussi acheté l’album solo de Steven Gunnell quand il est sorti, son parcours m’intriguant. Sombre.
J’ai aussi aimé l’interview de Steven Gunnell dans le Figaro.
Je ne reprendrai qu’une phrase du « Temps qui court » : « le manque d’amour nous fait vieillir »
Merci pour ce bel article.
Tout simplement merci ! tout est tellement vrai…
Etant moi même une artiste, cela me permet de me recentrer sur l’essentiel : Jésus, la Source de la Vie.
Nathalie.
Très beau billet. Il donne envie de creuser un peu plus le sujet.
Pour l’instant, j’ai du mal à identifier la petite église à Piccadilly Circus…
La présence de Dieu dans nos vies… Souvent nous avons du mal à la voir. Voilà un bel exemple de quelqu’un qui l’a vue, et qui s’en est servi de base pour construire quelque chose de beau et de solide. Merci à lui d’avoir partagé, et à Koz d’avoir relayé.
Steven est très pote avec Anuncio, qui diffuse un court métrage réalisé par ce dernier
http://www.anuncio.fr/2013/05/passeurs-desperance/
Tu pourras avoir des contacts par http://www.anuncio.fr
Et il a sorti un bouquin de témoignage atuobiographique très fort où Gérard Louvin en prend déjà pour son grade dans sa façon de traiter ses « artistes » comme du bétail…
Le titre: « Sacrifié »
http://www.amazon.fr/Sacrifi%C3%A9-Steven-Gunnell/dp/2856169740
Tout simplement, MERCI pour cette pépite, ce partage.
Bonsoir,
je suis convaincu de la nécessité du « spirituel » dans une vie, et je pense que l’histoire que tu cites est un bon example.
C’est pour cela qu’il me semble si dangereux que la religion historique en France ne soit plus audible pour 80% de la population, qui se retrouve de fait aussi privée de tous les rites de passage traditionnels.
Pour ne parler que des derniers épisodes, je pense que l’épisode de la « Manif pour tous », qui n’a pas su s’arrêter à temps, a fait encore du mal.
On s’éloigne du sujet. Mais c’est du doigt mouillé. Je peux, en réponse, vous dire que je pense que l’épisode de la « Manif pour tous » a aussi eu pour effet de montrer qu’il y avait des personnes fermes dans leurs convictions.
Il reste en outre à être certain du lien entre ces mobilisations politiques – certes fortement fournie en catholiques – et le spirituel. Sans compter que le catholicisme n’a jamais eu pour vocation d’être « audible », de surcroît pour 80% d’une population. Il a à assumer, certes dans le cadre d’un dialogue, d’être un « signe de contradiction » pour le monde. Il n’a pas à être en opposition par principe mais n’a pas non plus à rechercher un accord forcené avec son temps.
Si l’on veut une offre qui se fixe pour objectif d’être audible par 80% d’une population, il vaut mieux se tourner vers la politique ou les marques de lessive.
Koz a écrit :
Bonsoir,
je suis complètement en désaccord avec ce point de vue. Je pense d’abord que la grande majorité de la population française a plutôt une existence honorable, en essayant de concilier comme ils le peuvent les différentes contraintes de notre monde moderne. Certes, il y a de la médiocrité, de l’égoisme et des millions de choses à parfaire, mais rien à mon avis d’irrécupérable.
Il me semble que la vocation du christianisme n’est surtout de se limiter à un petit groupe de « pharisiens » modernes, et de les encourager à vivre encore plus en dehors du reste de la société qu’ils ne le font déjà. Je crois aussi que l’on donne à des sujets de moeurs qui ne sont pas centraux dans la foi chrétienne une importance beaucoup trop grande qui cache tout le reste.
Il me semble que ce que je dis est d’ailleurs assez proche de cet article dont j’ai trouvé le lien ici http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350737?fr=y
Tout dépend, alors, de la définition que l’on a du terme « audible ».
Merci, mille mercis pour cette page et le lien vers cette interview qui m’avait échappée.
Une belle claque, ça fait du bien de lire des choses comme ça. Du sens, du fond, de l’humilité, de la foi. C’est juste et touchant.
J’étais (jeune) adolescent au moment du boom d’Alliage… Le coeur de cible, quoi, bien que garçon.
Le monde se divisait alors radicalement entre ceux qui pensaient qu’ils étaient « trop cons » (plutôt les gars), et ceux pour qui ils étaient « trop cons d’accord, mais trop beeeeaux » (plutôt les filles). Nous avions tous en commun de ne pas chercher à considérer Quentin ou Steven comme autre chose que l’objet de consommation que nous l’on vendait.
Et puis nous les avons oublié, bien sûr.
Merci à Steven de nous obliger à fouiller dans nos poubelles, et de nous montrer qu’il a pu se réaliser comme personne, finalement.