Initialement publié et longuement commenté ici [à toutes fins utiles, précisons que ce billet a été écrit aux premiers jours de la polémique, et que les réactions évoquées ici ne comprenaient notamment pas l’incendie des ambassades]
Ainsi, un quotidien danois a-t-il eu le courage insigne, pour « tester la liberté d’expression au Danemark« , de caricaturer, dans dix dessins, le prophète Mahomet. Et un autre quotidien, norvégien, celui de lui emboîter solidairement le pas. Et les occidentaux de faire corps. Et certains émérites camarades blogueurs, fiers de suivre et frétillants à la seule idée du risque incroyable qu’ils encourent à republier ces caricatures, d’exiger qu’aucune excuse ne soit présentée (voir le « récidiviste » Hertoghe)…
Quelle misérable illustration des valeurs de l’Occident… Quel dérisoire et ridicule « combat« … Quel pathétique occidental !
Bien sûr, les réactions « musulmanes » sont excessives, depuis les interdictions de territoire opposés aux norvégiens et danois, jusqu’à la demande de résolution de l’ONU par la Ligue Arabe. Mais, plutôt que d’en sourire (amèrement) ou de s’en offusquer, il conviendrait de comprendre cette mobilisation.
L’injure faite au prophète et l’offense aux musulmans sont évidentes. Le quotidien danois Jyllands-Posten , sur son site, présente ses excuses, affirmant en substance être extrèmement respectueux de la liberté religieuse, du droit de chacun de pratiquer sa religion, et que la publication des dessins concernés, « sobres« , n’avaient aucunement pour objectif d’offenser les musulmans. Tristes imbéciles… L’offense était connue, manifeste, prévisible. Personne, et encore moins ceux qui ont programmé cette misérable opération, n’ignore l’interdit de la représentation du prophète. Personne ne pouvait prétendre ignorer qu’une telle représentation offenserait l’ensemble des musulmans, modérés comme fondamentalistes, insérés comme exclus. Y compris ceux qui, par souci d’insertion, tairont leur peine.
Bien sûr, nous ne sommes pas soumis à cette interdiction. Je suis bien évidemment libre selon les lois de mon pays de représenter le prophète, et je peux m’en réjouir. Mais…
« Tester la liberté d’expression » ? Quel doute avons-nous à cet égard ? Et surtout, est-ce dans l’offense qu’il convient de tester la liberté d’expression ? Je suis libre de la proférer, et je veux l’être, mais je suis surtout suffisamment responsable pour m’en abstenir. Je sais que je dispose de cette liberté, mais au-delà de celle-ci, la valeur absolue, c’est le respect.
J’ai honte de cet Occident qui ne comprend pas que, si la liberté d’expression s’arrête lorsque commencent l’insulte et l’offense, la nature de celles-ci doit aussi être perçue depuis l’offensé ! Ne suis-pas incroyablement plus grand d’être libre de représenter Mahomet, et de refuser de le faire ?
Ô combien je préfère, dans la figure de l’occidental à la rencontre du Moyen-Orient, un Lawrence d’Arabie, à tout le moins celui du film… ou, sans contestation possible, les moines de Tihbirine. Plutôt que l’occidental arrogant, persuadé de la supériorité de sa civilisation, fier de pouvoir brandir sa liberté d’insulter et de mépriser les croyances fondamentales des autres. Quelle tristesse de voir à nouveau à quelle bassesse nous nous réduisons et quelle image nous offrons à tous les fidèles musulmans.
Car voilà bien l’image de l’Occident que nous leur présentons, et qui justifierait toutes les mobilisations : un Occident qui croit démontrer la supériorité de ses valeurs dans sa liberté d’offenser les autres civilisations. Pauvres types que nous sommes… Pitoyables caricatures de nous-mêmes que nous devenons.
Alors, je comprends ces musulmans qui se dressent, et je comprends les excès auxquels ils en viennent, puisque ce serait cela, l’Occident. L’Occident qui fait corps dans cette ridicule célébration de sa liberté d’expression. Quelle belle initiative que cette campagne pour assurer le choc des civilisations.
Alors, en tant qu’occidental, et même si ma personne est bien dérisoire, je les présente, moi, mes excuses à nos frères musulmans.
Aujourd’hui, je suis musulman.
Allah Ahkbar !
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Salam Aleikoum Koz,
Merci pour cet article qui illustre si justement le sentiment de nombreux fidèles musulmans… Il est dommage que des réflexions de cette qualité soient si rares.
Je vous conseille, alors, la lecture de la chronique d’Eric-Emmanuel Schmitt dans le dernier Panorama. Mieux balancée que mon billet, et écrite après quelque temps de réflexion (alors que le mien l’avait été au moment le plus « chaud ») elle équilibre bien la liberté d’expression, et le respect d’autrui. Bref, un usage éclairé de la liberté.
Pingback: ylyad » Liberté d’expression
Tiens, un lien vers les commentaires de l’époque.
Pingback: Koztoujours, tu m’intéresses ! » Quand l’Occidental alangui cherche dans la connerie les limites de la liberté d’expression…
Amusant.
Avec la distance, on réalise à quel point le contenu de ce billet est du tout grand n’importe quoi.
Même pour moi qui suis musulman, cette affaire de caricatures n’a jamais été que le révélateur des manipulations dont peuvent être si facilement victimes non seulement les communautés islamiques en Europe par quelques habiles barbus, mais aussi ailleurs dans le monde et à quel point il est facile de les mobiliser contre tout et n’importe quoi au prétexte que leur foi aurait prétendument été « insultée ».
Inversement, les médias occidentaux n’ont rien fait de plus que ce qu’ils font d’habitude, c’est-à-dire publier des dessins aigre-doux de caricaturistes sur des des sujet divers et variés ( et l’islam, que cela nous plaise ou non, en fait partie, à l’instar des autres religions ).
La publication de ces caricatures n’a rien été d’autre qu’une tentative de traiter les musulmans qui vivent en occident comme des occidentaux. Leur réaction a clairement prouvé que, collectivement, ils n’avaient absolument aucune intention de le devenir.
« Aujourd’hui, je suis musulman. »
hahaha!
Vous ne m’en voudrez pas de défendre mon texte… même avec la distance.Avec, donc, le temps, je le trouve certes virulent. Je préciserais qu’il a été écrit juste au moment où les occidentaux commençaient à brandir la « liberté d’expression » , soit le mardi soir ou le mercredi, l’affaire étant sortie le WE. Ce n’est que le lendemain ou le surlendemain que des ambassades ont été brûlées. Mon texte aurait été le même sur le fond, mais différent sur la forme, s’il avait été écrit à ce moment-là.
Maintenant, une caricature avait manifestement pour message une assimilation des musulmans, au travers de la figure de Mahomet, aux terroristes.
Quelques dessinateurs en mal de frissons se sont demandés s’ils étaient libres de s’exprimer. Alors ils ont décidé de gratter un peu là où ça fait mal.
C’est con. Mais nous sommes d’accord, en Occident, on a le droit d’être cons. Y’a même une pelletée d’intellectuels qui sont sur le qui-vive pour défendre ton droit à être con. C’est beau, c’est la liberté. Ca n’empêche que c’était con.
Je préfère que l’Occident se manifeste par sa capacité à respecter l’autre. C’est probablement plus efficace lorsque l’on veut enseigner au monde la démocratie, la tolérance. Dans les pays musulmans, ils auront surtout vus que les occidentaux étaient prêts à se mobiliser pour avoir le droit de dépeindre Mahomet en chef terroriste. Je comprends que l’idée d’être occidental les fasse pas bander. Je suis assez vieux jeu, moi, vous voyez, j’ai une certaine tendresse pour le respect des parents, des convictions des autres, y compris religieuses. Plus que pour le droit imprescriptible de dire des conneries. Ce qui ne signifie pas que je le remette en cause.
Maintenant, oui, cette affaire a aussi mis en lumière la capacité particulière de mobilisation/instrumentalisation des foules dans les pays musulmans. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait qu’un enseignement.
« Maintenant, une caricature avait manifestement pour message une assimilation des musulmans, au travers de la figure de Mahomet, aux terroristes.
Quelques dessinateurs en mal de frissons se sont demandés s’ils étaient libres de s’exprimer. Alors ils ont décidé de gratter un peu là où ça fait mal. »
A ma connaissance, il semblerait plutôt que certains dessinateurs se sont candidement demandé pourquoi il était si difficile de s’exprimer de façon critique à propos de l’islam dans les médias officiels alors que tout le monde y passe et ont tenté de briser
ce tabou ( car les occidentaux aiment bien « briser les tabous », c’est une sorte de sport progressiste ). On peut clairement affirmer que leurs interrogations ne sont pas restées en suspens…
« C’est probablement plus efficace lorsque l’on veut enseigner au monde la démocratie, la tolérance. »
« Je suis assez vieux jeu, moi, vous voyez, j’ai une certaine tendresse pour le respect des parents, des convictions des autres, y compris religieuses. »
Sur ce dernier point, je suis parfaitement d’accord avec vous*, mais si l’on veut être absolument respectueux des valeurs des autres, on a aucune raison d’aller leur enseigner nos conceptions toutes occidentales sur la démocratie ou la tolérance s’ils n’en veulent pas ( sauf si, hum, on pense tout bas, mais vraiment tout bas, que nos valeurs sont quand même un peu meilleures que les leurs… ).
Mais évidemment dans ce cas, toutes choses étant égales et nos valeurs étant tout aussi respectables que celles des autres, nous n’avons non plus pas de leçon de respectabilité à recevoir d’eux que eux de nous.
*Je suis tout de même un produit de l’éducation islamique, avec le Respect et tout et tout.
J’ignorais qu’il fût difficile de s’exprimer de façon critique sur l’Islam dans les medias officiels danois. Au demeurant, il semble bien que, dans un premier temps, tout le monde se soit fichu comme d’une guigne de leur provoc à deux balles.
C’est voyez-vous que vous me disiez précédemment que, manifestement, les musulmans ne souhaitaient pas tant que cela devenir occidentaux. Or, même si je considère que nous avons des valeurs qui méritent la considération – et qu’il y a dans les pays musulmans des pratiques qui y contreviennent – j’ai aussi du respect pour une certaine culture musulmane (je termine Les sirènes de Bagdad, aussi…).
Pour revenir à mon propos, dans l’idée de générer davantage un dialogue des cultures qu’un choc des civilisations, il me semblait (et il me le semble toujours) regrettable de donner le sentiment aux pays de culture musulmane que l’Occident communiait dans la célébration de la liberté de conchier leur religion.
Parce qu’au final, on peut faire les comptes. A quoi a servi cette affaire ? Est-ce que cela a changé quoi que ce soit dans notre conception de la liberté d’expression ? Non. Est-ce que cela a contribué à dresser deux cultures (si l’on veut) l’une contre l’autre ? …