Mes enseignement légers

Je ne sais si vous avez suivi cette petite affaire, mais il semblerait qu’il y ait une embrouille au sujet de dessins de Mahomet. Pour ma part, j’ai publié, mercredi dernier, alors que la France n’était encore qu’indirectement concernée, une position tout ce qu’il y a de plus concensuelle. Celle-ci m’a valu la broutille, ici et, surtout, sur agoravox, de quelques 300 commentaires majoritairement peu enclins à la compréhension, voire parfois, limite discourtois.

Ainsi en fut-il de Parisii, illustre parmis les illustres, qui m’affuble du titre de “leader d’opinion de sa cage d’escalier“, ce qui, il faut bien l’avouer est toujours ça de pris, un autre me qualifiant de taliban, quand un troisième se contentait de nous gratifier d’un laconique “un non-musulman qui te dit merde“. Ainsi encore, ici même, d’entropie, qui décroche la timbale avec son inénarrable “je suis entropie, sans religion et je vomis cette piteuse connerie qui accable encore les hommes et les femmes et qui voudrait soit disant les “élever”, à mort les religions, à mort“. Que des bons défenseurs de la liberté d’expression, indignés par l’intolérance des autres.

Je ne poursuivrai pas sur cette pente un peu facile, bien qu’elle m’amuse. On aura compris que le sujet, sensible, s’il déclenche d’excessives réactions au nom de la religion musulmane dans d’autres pays, povoque quelque tension en notre bon pays de France au nom de la religion laïque, qui ne semble parfois reconnaître leur liberté d’expression aux croyants qu’à condition qu’ils se taisent.

Je ne ferai pas davantage le naïf. Comme le dit Dalil, “qui sème le vent peut récolter la tempête“. Le ton de mon billet était véhément, correspondant pleinement en cela à mon sentiment. Il a généré des commentaires du même tonneau.

Pour autant, maintenant que cette petite tempête personnelle est un peu passée, je voudrais jeter quelques observations, certaines étant d’une parfaite évidence, d’autres étant probablement vouées, à supposer que l’on y prête attention, à être contestées. Qu’importe, “l’important n’est pas de réussir, ce qui ne dure jamais…

(1) Comme précédemment indiqué, le ton d’un billet influence fondamentalement le ton des commentaires;

(2) L’esprit de nuance n’est pas encore le mieux répandu : faire comprendre que l’on peut tout à la fois réprouver ce que l’on considère comme une absence de respect et l’appel au meurtre nécessite – le croirait-on – une patience infinie et une remarquable capacité de renouvellement dans la formulation du même argument.

Faire comprendre que réprouver un manque de respect d’autrui est fondamentalement cohérent avec le fait de réprouver des menaces de mort relève, semble-t-il, de l’impossible, à tout le moins dans un tel contexte passionné. Reprenant cette conversation dans deux mois, je suppose que cela s’imposera comme une évidence;

(3) Dans la suite logique de ce qui précède, je remarque que si le blog a l’intérêt de permettre à chacun de mener un raisonnement complet, dans son éventuelle complexité, il s’agit toutefois d’une garantie hypothétique lorsque la passion s’en mêle.

Ainsi n’a-t-il servi à rien que j’écrive en toutes lettres que je considérais que les réactions des musulmans étaient excessives – quand bien même, à l’heure où j’écrivais ces lignes, elles étaient encore limitées à des appels au boycott – ni que je rappelle les excuses du journal danois, chacun ne retenant en fin de compte de sa lecture qu’un sentiment global;

(4) Le moins que l’on puisse dire est qu’il est délicat de faire passer l’idée que respecter une opinion ou une croyance ne signife pas nécessairement la partager.

Le fait qu’il s’agisse de religion n’est évidemment pas neutre, tant il paraît communément admis qu’il serait inconvenant de porter un jugement quelconque sur les pratiques parfois déviantes de notre société mais beaucoup moins concevable que l’on respecte les croyances fondamentales. Ainsi, le “qui suis-je pour juger ?” tient lieu de morale à beaucoup mais la demande de respect est inacceptable. Nous sommes en fin de compte devenus les champions de la “tolérance” qui revient en quelque sorte à supporter la présence des autres – chacun chez soi, je t’emmerde pas si tu m’emmerdes pas – mais pas du respect qui, s’il n’est pas exclusif d’un jugement, témoigne aussi de la considération que l’on porte à l’autre.

Pour préciser certaines choses, non, le fait que je respecte le caractère sacré de la personne de Mahomet pour les musulmans ne m’a pas amené depuis mercredi à faire mes cinq prières quotidiennes ni à entreprendre un pélerinage à la Mecque, aussi surprenant que cela puisse paraître à certains. Le fait d’avoir du respect pour les croyances des autres ne signifie pas s’y soumettre.

(5) La ligne de fracture entre croyants et non-croyants est bien plus vive, et violente, que je ne le pensais.

Bien sûr, le fait que des musulmans soient en cause, dont la frange fondamentaliste est incomparablement plus violente que la frange intégriste d’autres religions (en ce qui me concerne, je préfère avoir affaire à un suppôt de Lefebvre qu’à un soutien d’Oussama) n’est pas indifférent au rejet engendré. Pour autant, on remarquera que l’ensemble des représentants des diverses religions – avec certains membres de notre bonne société laïque – ont regretté l’offense, quand tant d’autres refusent tout simplement d’admettre son existence (lire les réactions rapportées par Le Nouvel Obs’).

Au travers des réactions que j’ai pu lire à mon billet, le rejet des religions m’a semblé incroyablement puissant. Celles-ci ont véritablement un statut à part, presque de “sous-opinions“, moins dignes de respect que d’autres. Le sentiment est probablement excessif mais il m’a semblé clairement que si l’on a le droit d’exprimer toute opinion, on est sommé de taire ses convictions religieuses. De là à penser que l’athéisme est devenu l’opinion – à défaut d’être une religion – officielle en France, voire en Europe… Sauf à ce que seule une certaine frange de la société ait souhaité réagir. Serais-je un exilé dans mon propre pays ?

[on peut retrouver les commentaires de l’époque sur webarchive]

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