Mère Teresa, l'Indienne

« Considérez que vous êtes ces femmes qui dans le récit de la passion du Christ viennent porter les parfums, les myrrophores ! Le corps qu’elles viennent parfumer n’est plus là ! L’être de Dieu est de l’autre côté du corps qu’elles cherchent à toucher ! L’être profond des personnes est de l’autre côté de l’amas de chair que vous avez devant vos yeux. Il faut aller le chercher, et en prendre soin. Même si vos yeux ne le voient pas, votre cœur doit l’entendre gémir, pleurer, s’angoisser, dans la prison de sa misère. Le corps du souffrant est le corps du Christ. Vous êtes des pietà. » (163)

* * *

On touche l’ultime, avec Mère Teresa. L’ultime et l’essentiel. Le cœur, et l’incontournable. La mort, la mort ignoble, l’indignité sociale, la misère absolue. « Teresa appuie la jeune femme contre son sein et saisit un linge pour la nettoyer. Elle ramasse les cheveux dans sa main et la recoiffe. Subha pousse un cri d’horreur. Le visage de la malheureuse a été rongé par les vers qui s’en régalent encore. Un énorme rat s’échappe de l’encolure du sari. Subha vomit. » (117) On aimerait que ceci soit faux, que cela soit définitivement « romancé » pour atteindre le lecteur, que cela n’ait pu, éventuellement, exister qu’en Inde. Et en 1947. Mais qui d’entre nous a jamais mis les pieds dans une léproserie ? Et qui n’a vu des images d’enfants décharnés ? Nous savons que cette misère existe encore. Mais nous ne sommes pas Mère Teresa.

C’est même devenu une expression, « je ne suis pas Mère Teresa »…

Mère Teresa, justement.

Avant d’être Teresa, avant d’être Mère, elle était Gonxha, de Skopje. Qui était-elle, au-delà de ce que nous connaissons tous, le visage de cette vieille femme en sari, vivant auprès des miséreux de Calcutta ?

Le mouroir, la léproserie, nous connaissons. Ou pensons-nous connaître. Car Daniel Facérias – dans son ouvrage, Mère Teresa, L’indienne – nous fait entr’apercevoir ce que peuvent être, effectivement, la lèpre, la mort, dans la misère ultime.

Surtout, quelle force lui permettait de presser contre elle cette lépreuse aux « lèvres déchirées », aux « orbites déchiquetées » ? Sa foi, oui, sa foi, évidemment. Mais nombreux sont ceux qui pensent croire, et se savent incapables d’une infime part de sa charité. Daniel Facérias, dans ce « livre sur l’être de Mère Teresa (…) écrit comme on peindrait une icône », nous fait entrer dans la spiritualité de Mère Teresa, spiritualité inconnue de tant. Et de moi. Une spiritualité profondément incarnée, incroyablement incarnée ! Lors d’une rencontre au cours de laquelle Mère Teresa voulait lui demander d’être déchargée de sa mission, Jean-Paul II lui répond : « Entourez-vous, mais restez ! Le Christ est en vous et le Christ ne démissionne pas ! » (p. 187). Sa vie est bien une incarnation du Christ – double incarnation, s’il en est, donc – venu pour le plus pauvre, le plus humble. Comme une allégorie du christianisme.

Daniel Facérias dépeint une spiritualité originale, ou comment Teresa est devenue indienne, est devenu « Mère », au sens indien. Parfaitement ignorant de la spiritualité indienne, il me serait difficile – autant qu’il serait déplacé de le faire – de « pérorer » sur la spécificité indienne de la spiritualité de Mère Teresa. Tout au plus perçoit-on la place fondamentale de l’« être », le « Soi », le « Divin Soi », qu’il faut entendre et laisser résonner… « Par votre culture indienne, vous baignez dans la recherche de la conformité à l’Essence. Vous avez une image qui peut vous aider à comprendre ce combat intérieur. Votre sagesse décrit la personne comme composite, le « moi » et le « Soi ». Le « moi » étant votre nature, votre ego et le « Soi » étant le divin enfoui à l’intérieur du cœur. Le Christ en nous est d’une certaine manière ce « Soi » dont vous connaissez le principe. Ainsi, laisser le Christ agir en nous-mêmes efface notre ego pour que ce Divin Soi, Notre Seigneur soit le seul maître à bord. A partir de ce moment-là, nous sommes libres (…) » (p.165)

La lecture achevée, on a tout loisir de revenir sur soi, sa vie, sa situation, son pays, et je repense à Céleste, ce père jésuite qui l’accompagne. « Il éprouve comme un trouble. Une traînée noire a traversé le ciel de l’Occident, comme si quelque chose s’était perdu. Un mal être. Une confusion (…) A chaque voyage qu’il faisait dans son pays, il semblait que le monde se délitait davantage. Le sens de l’être se noyait dans une course effrénée à l’argent et au pouvoir. » (p. 67)

Alors, face au pauvre, au malade, résonne encore :

« Dieu est devant vous ! insista Teresa. Il est cette femme, allez, allez, vos dollars ne peuvent rien pour vous. Donnez-nous de votre être ! Mettez-vous à genoux ! » (p.191)

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