Moulins à vent, ou girouettes ?

J’avoue regarder avec un certain scepticisme l’arrivée sur la scène médiatique des Enfants de Don Quichotte, et l’irruption fracassante du « droit opposable au logement« . Trois blogueurs juristes émérites se sont longuement, et avec plus d’ardeur que je ne l’aurais fait, penché sur la question et – sous réserve d’une relecture approfondie, ceci étant dit pour me ménager la possibilité d’un désaccord – je partage leur moue dubitative.

Qu’il s’agisse de Jules, de Diner’s Room, d’Eolas ou de Monsieur le Professeur, le juriste se lève comme un seul homme contre l’expression bien plus politique que juridique de « droit au logement opposable« . Mieux encore, parce qu’il est rompu à une recherche efficace, il ne manque pas de dénicher moultes affirmations solennelles du droit au logement dans les différents textes dont notre législateur a bien voulu nous pourvoir.

Frédéric Rolin le relève dans une loi de 1990 « visant à la mise en oeuvre du droit au logement » :

« Ce droit est inscrit dans la loi, de 1990, de manière très claire, dès l’article 1er : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation ». »

Jules, lui, en trouve également la mention dans une loi de 1989, relative aux baux d’habitation :

« Le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent. »

Certes, certes, les uns comme les autres précisent que ledit « droit au logement » ainsi affirmé ne concerne pas le droit de bénéficier d’un logement – je vous laisse découvrir chez les auteurs précités ce qu’il recouvre précisément[1] – mais dans les termes du moins, il existe.

Et ce seul fait souligne un autre motif d’agacement du juriste : l’emploi de formules obscures et abstraites, mais politiquement girondes, dans nos textes de loi. Que de belles déclarations, dans ces textes ! « Un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation« , « un droit fondamental« … Marchons, marchons, qu’un sang impur, abreuve nos sillons, rom plon plon

Dix-sept ans (!) après le premier d’entre eux, on ne peut donc plus se contenter d’évoquer un quelconque « droit au logement« . Encore faut-il qu’il soit « opposable« … Et Eolas a bien raison de souligner qu’il est ainsi fait usage d’un terme juridique abscon (pour la plupart des français), utilisé pour donner à la formule un caractère magique, pour ne pas dire incantatoire. Bra ca da bra ca da bra logement opposable au droit… opposable au logement droit … droit logement au opposable … Pouf ! Voilà le « droit au logement opposable« .

Les politiques se trouvaient donc face à un dilemme rapidement résolu : soit l’on évoquait un droit au logement effectif, et c’est la Politique qui souffrait, soit l’on évoquait le droit au logement opposable et là, c’est le Droit qui se plaint. Ce sont les politiques qui décident : va, donc, pour le sacrifice du Droit !

Car au final, qu’est-ce que donc que cette opposabilité soudaine, sinon le constat de l’inefficacité politique ou, plus encore, le syndrôme du législateur arrosé ? Ce dernier[2], après avoir utilisé plus que de raison la formule déclaratoire, consacrant solennellement un « droit au logement » qu’il s’empressait de définir de façon restrictive ensuite, se trouve désormais dans l’obligation d’en rajouter une couche : cette fois, on vous promet un « droit au logement« , oui, mais pour de vrai ! Parce qu’avant, c’était pas ça. Pas que l’on pipeautait, non, mais vous connaissez notre péché mignon, l’amour de la langue.

Quand donc Dominique de Villepin entend-il entériner l’existence d’un « droit au dialogue social… opposable » ?

Alors, voilà, « les enfants de Don Quichotte« , ça reste un peu présomptueux comme titre. Don Quichotte se battait contre des moulins à vent, eux, contre des girouettes. Foin de lances, il suffit de souffler assez fort au bon moment, pour qu’ils prennent le sens du vent…

* * *

Je n’ai pas réussi à l’intégrer dans le corps de ce billet, mais je me permets de vous proposer la lecture de Polluxe et, en contrepoint du scepticisme ambiant, Frédéric LN.

  1. En ce qui me concerne, comme vous vous en doutez, je resterai superficiel et me consacrerai juste à quelques circonvolutions autour des sales manies législatives []
  2. de quelque bord qu’il soit, soit dit en passant, mais soit tout de même bien souligné []

Billets à peu près similaires

16 commentaires

  • on peut faire confiance à Chirac » le courageux » pour regler ce douloureux probleme au mieux.
    Tu fais un peu de barouf mediatique et tu decroches 70 m d’euros alors que depuis des années des associations font un travail de fond sur le sujet,sans obtenir beaucoup de consideration. Mr Emmanueli que je respecte aurait du mettre en avant ces dernieres au lieu de sembler ceder à cette grande gueule de don quichotte venue soudainement d’ailleurs.
    Autre consideration, 60% de ceux qui dorment dans la rue sont des etrangers, faut il les loger , c’est evidemment tres charitable et humain, mais la France pourrait ainsi devenir un vaste hotel!!

  • S’ils sont en situation régulière, il me semble difficile de leur réserver un traitement différent. Mais il n’est effectivement pas totalement incohérent de faire un lien entre nos capacités d’accueil et d’hébergement, bref de s’enquérir un tant soit peu des perspectives (en termes de logement notamment) des « entrants ».

  • Je suppose que nous devons remercier Nicolas Sarkozy de savoir foutre bien assez les pétoches aux chiraquiens, mais aussi peut être aux socialistes bardés de casseroles judiciaires.

    On aura quand même bien rigolé en politique depuis mai 2005. Dommage que ça se finisse bientôt. ça me donnerait presqu’envie de voter risible pour faire durer le plaisir, tiens.

  • Azer a écrit : « Autre consideration, 60% de ceux qui dorment dans la rue sont des etrangers, faut il les loger , c’est evidemment tres charitable et humain, mais la France pourrait ainsi devenir un vaste hotel!! »

    Un je ne sais quoi me laisse penser que si Azer était sans-abri et étranger, il aurait un avis totalement opposé 🙂 Il estimerait alors, et à juste titre, qu’il est immoral de conditionner aide et réconfort à la nationalité des ETRES HUMAINS qui en ont besoin.

  • Ca sent la manip dans tous les sens cette affaire… D’abord des « enfants de Don Quichotte » sortis de nulle part mais apparemment rompus à l’agit’med (agitation médiatisation), ensuite un adjectif tout nouveau (opposable) qui semble être la panacée… j’ai l’impression que nos politiques ont tous une main dans le dos et un bout de drap qui pendouille à l’arrière du pantalon et que le but du jeu est d’enlever ce bout de drap aux copains sans se faire enlever le sien.

    Remarquons aussi que souvent la solution aux problèmes se trouve dans le dictionnaire. Pour le logement, il y a un droit désormais opposable, pour l’environnement il y a une charte (« charte » c’est quasi religieux, signer une charte ça vous engage pour la vie) sans oublier les inusables « principe de précaution », « devoir de mémoire », voire « droit d’inventaire » qui sont les véritables piliers de notre démocratie.

    Vous parlez en titre, mon cher Koz, de moulins et de girouettes, rapport au gentilhomme de la Manche probablement. Le propre de ces ustensiles n’est-il pas de brasser de l’air ?

  • Les Enfants de Don Quichotte ont permis de mettre le logement au centre de la campagne, même si la méthode peut énerver et énerve, le résultat est là.

    Quant au droit au logement opposable, peut-on avoir un droit qui n’est pas opposable ??? Si oui, comment peut-on dire que c’est un droit ?

    A noter que le Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées (HCLPD) a rendu aujourd’hui son rapport (consultable sur son site) et explique le droit au logement opposable.

    Moi je veux bien rendre le droit au logement opposable mais si on n’a pas de logements (ce qui est le cas), on aura pas beaucoup avancé… et pire, on aura donné de faux espoirs chez des gens qui ont déjà eu probablement leur lot de déceptions.

  • à OTB : c’est beau et emouvant cette leçon de bonté chretienne,mais si on est un tant soit peu responsable, on perçoit bien qu’un pays ne peut loger toute la misere du monde , alors comment ferez vous?

  • [quote comment= »118″]Autre consideration, 60% de ceux qui dorment dans la rue sont des étrangers, faut il les loger, c’est évidemment tres charitable et humain, mais la France pourrait ainsi devenir un vaste hotel!![/quote]
    D’où vient ce chiffre de 60% ?

  • Les éoliennes sont de retour. Quand on a fait une bêtise – le tout nucléaire, comment s’en débarrasser ? -, le plus est de faire une autre bêtise. Les éoliennes, au moins, sont renouvelables, après chaque tempête. Entre deux élect…, pardon, tempêtes, on peut ramasser les oiseaux, recueillir les décibels, et gagner, avec un bon tirage, quelques kWh… à partager dans un village. Au lieu de démonter quelques dizaines de tentes, on pourrait en rajouter une couche de deux ou trois et résoudre infailliblement le problème des sans-abri, sans emploi, sans papiers, sans rien.

    « on aura donné de faux espoirs chez des gens qui ont déjà eu probablement leur lot de déceptions. »

    Non, non, on peut faire plus.

  • J’ai vu hier sur M6 une émission sur des squats dans Paris.
    Les jeunes gens squattaient des immeubles (anciens bureaux) pour en faire des apparts.
    Ces bureaux étaient vides depuis plusieurs années.
    Il y a eu un Ministre ou un Premier Ministre, je ne sais plus qui, qui avait eu l’idée de transformer, il y a quelques années déjà, ces milliers de mètres carrés disponibles de bureaux vides en logements.
    L’idée avait été abandonnée, car trop honéreuse à cette époque.
    Quand serait-il maintenant, compte tenu du prix du m2, et ne serait-il pas préférable d’en faire des logements plutôt que de laisser toutes ces surfaces inoccupées, surtout lorsque l’on sait qu’à Paris, comme dans beaucoup d’autres grandes villes, les terrains constructibles sont rares et très chers.

  • Pingback: » Ca commence comme une toux…

  • Pingback: » Sanity Check

Les commentaires sont fermés