Pleurer Adolf H.

Mourant en Californie, entouré de ses petits-enfants et de la fille qu’il eut de Sarah Rubinstein, fille d’un leader sioniste désabusé, ayant succombé lui-même à la désillusion d’un voyage en Palestine, lorsqu’il comprit qu’Israël n’existerait jamais. Adolf H qui a aimé, tendrement et passionnément une Onze-Heures-Trente douce et trépidante, et Sarah, qu’il a appris à aimer, après avoir souffert. Adolf H blessé au front, et sauvé par Soeur Lucie, Soeur Lucie qui nous offre un doux témoignage de foi et d’amour (… , notamment), qui bien plus tard dialoguera longuement avec Adolf, du doute, des certitudes… Adolf H, peintre surréaliste, Adolf H si humain, blessé par le deuil. Adolf H, dont j’aurais pleuré la mort, dans son fauteuil, les yeux tournés vers le Ciel, avec dans le regard l’impatience de retrouver celles qu’il aime. Je l’ai aimé, Adolf H.

Cet Adolf qui n’est pas l’autre. Celui qui fut recalé à l’Académie des Beaux-Arts, le petit-bourgeois des asiles, le caporal “invincible” que la guerre socialise enfin…

La part de l’autre est indissociable du journal qui l’accompagne, postface d’Eric-Emmanuel Schmitt, dans lequel il traduit ses doutes, ses angoisses, les réactions de son entourage, qui l’adjure de renoncer à son livre, à ce sujet pervers, conduit tel un schyzophrène, puisque EES raconte de front les vies d’Adolf Hitler, et d’Adolf H, celui que le premier aurait pu devenir s’il n’avait pas été recalé à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne le 8 octobre 1908.

J’avoue que, malgré toute l’émotion que cette lecture m’a procuré, malgré le plaisir que j’ai à lire Eric-Emmanuel Schmitt, j’ai été moins bousculé par La part de l’autre que par L’Evangile selon Pilate (une critique), ou par Le Visiteur, bien sûr parce que je suis intimement convaincu par son propos. Adolf Hitler n’est pas un monstre. Hors de notre humanité. Si “la part de l’autre” fait référence au refus de l’altérité par Adolf Hitler, au refus de la relation vraie, elle résonne aussi comme la part de l’autre que je porte en moi. Plus ou moins forte, endormie, maîtrisée, dominée, il y a en moi, comme en vous, une part d’Hitler.

Eric-Emmanuel Schmitt évoque dans son journal de fin l’amitié mise à mal avec deux (re)lecteurs qui se sont refusés à accepter cet état de fait : Hitler est un homme, aussi désagréable que cela puisse être. Et, homme, il n’est pas davantage une aberration génétique. Et pourtant, nous aimerions bien le reléguer hors de nous-mêmes, le refouler, nous aimerions qu’il ne soit qu’une créature surnaturelle, satanique, insaissable, peut-être même fantasmée tant son existence est difficile à accepter. Et vient l’objection ultime : le comprendre, c’est l’excuser… Je suis pourtant tellement convaincu que cette attitude est ridicule, voire stupide, que j’ai du mal à concevoir que d’autres la partagent, la défendent, si fortement, comme en témoigne notamment la polémique autour de La Chute, film que je veux voir. Cette discussion, cette opposition, je l’ai eue récemment avec une personne pourtant (presque) brillante.

D’ailleurs, que sait-on d’Hitler, en France ? En France où, comme le souligne Eric-Emmanuel Schmitt, la recherche sur la personne Hitler semble tabou, engoncés que nous sommes dans notre honte de la défaite et de la compromission, quand les britanniques, aux élites pourtant guère moins compromises, étudient cet homme qu’elles ont combattu, qu’elles ont défait.

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