A Marin, mon frère

Tu avais vingt ans, la vie devant toi, une petite amie, de bonnes études. Tant d’autres ne vivent que dans la poursuite de leur seul et petit bonheur. Alors pourquoi es-tu intervenu ce soir-là, pour défendre ce couple qui s’embrassait ? Si seulement, comme d’autres pressent le pas, tu avais regardé ailleurs… Combien doivent penser que ton histoire est la preuve qu’il faut suivre son seul chemin, se mêler de ses seules affaires.

Ce soir-là, tu as posé un acte auquel rien ne t’obligeait, hormis l’amour. Car c’est la justice et c’est l’amour qui ont dicté ta main, ta voix. Certains le raillent, d’aucuns le méprisent : l’amour serait le sentiment des faibles et la foi qui t’anime, une religion efféminée. Mais voilà, pour ton malheur, tu as rappelé aux Hommes que l’amour est une noblesse. Que l’amour risque tout. Car c’est bien l’amour qui t’a soufflé ce courage.

Ce vendredi, tu as rencontré ton agresseur au tribunal. Tu t’es présenté à cette épreuve la démarche heurtée et la gueule cassée, la tête haute et le regard droit. Tout le monde aurait compris la haine, tu as opposé le pardon. Il a ruiné la vie qui t’était promise, tu t’es soucié de la sienne. D’un jeune à un autre, tu lui as dit que tu espérais qu’il se construirait, qu’il « changerait, qu’il ferait des études, pour ne plus être le même qui est la cause de ce que [tu] es aujourd’hui ». Et puis tu as encore eu ces mots d’une bouleversante justesse, Marin : « Je pourrai peut-être un jour te pardonner, mais je ne t’excuserai pas ». L’amour n’est pas pour les faibles, et le pardon n’est pas l’oubli, ce n’est pas la complaisance. Ce sera, en conscience, la décision de libérer ton agresseur de sa dette à ton égard, et te libérer un peu toi-même.

Tu as agi comme le chrétien que, je crois, tu es. C’est bien sûr trop facile à écrire quand c’est l’autre qui la porte, mais le christianisme ne va pas sans la Croix. Tu paies le prix fort, oui, mais j’ai en tête une longue cohorte de noms de ceux qui ont pris tous les risques pour l’amour, et le tien, Marin, s’inscrit à leur suite.

Tu as agi en digne citoyen d’un pays qui porte dans sa devise une vertu qu’il oublie un peu trop, et tu la lui as rappelée : la fraternité. Tu as été frère du couple agressé, frère aussi de ton agresseur. Tu es le nôtre encore. Le mien. Merci, Marin, mon frère.

Initialement publiée le 5 mai 2018

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3 commentaires

  • Bonjour
    Sur la page d’accueil de votre site ( et avec mon navigateur) se côtoient l’article sur Marin et celui sur Me Angot la consternante; c’est un mystère pour moi qu’il y ait encore des Marin, des colonel Beltrame dans « notre république, notre royaume de France » alors que les avatars de la consternante Me Angot polluent les ondes, les journaux, les réseaux sociaux en continu…
    Force de la grâce et de la prière certainement et de l’Esprit qui souffle encore sur de belles âmes.

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