D’une vallée à l’autre

Il n’est pas incroyable que la mort vienne avec l’âge. Jean d’Ormesson n’esquivait pas cette perspective.

Je ne voudrais pas pleurer l’homme aujourd’hui. Je ne crois pas que ce soit ce que l’on doit espérer en partant et, plus encore, ce que Jean d’Ormesson pouvait désirer. Dans notre époque lacrymale, où la souffrance exposée est un sésame, il semblait tenir pour inconvenant l’exposition d’un mal-être personnel.

Plus que des pleurs, l’hommage véritable se trouve toujours dans la fidélité à une vie écoulée. N’écrivait-il pas dans l’un de ses derniers livres, en cabotin d’outre-tombe : « Et je me désole de mon absence à mes propres funérailles. Un peu de gaieté fera défaut » ?

Peut-être était-ce aussi cette ultime impertinence, celle de ne pas vouloir s’éteindre, qui nous touchait si largement. Entendons largement « extinction » : il y avait toujours, au soir d’une vie, autant de lumière dans ses yeux si bleus, et autant d’éclat dans son esprit si vif. Sur l’un de ses derniers plateaux, il disait : « la vie est naturellement une vallée de larmes, elle est aussi une vallée de roses ». Il ne faut jamais se croire plus lucide parce que l’on ne voit que les larmes.

A son corps défendant probablement, il incarnait aussi une certaine nostalgie. Nous contemplions en lui un autre temps, temps où le style, l’esprit, la finesse et l’élégance étaient de mise. Ce matin, son journal, Le Figaro, annonçait sa mort en page d’accueil. Suivait un article sur le niveau de français en baisse… puis Donald Trump. Cruauté involontaire. Si la comparaison est peut-être triviale, son esprit français me semblait faire écho au succès de Dowtown Abbey et, s’il n’y avait la touche condescendante de cette réplique qu’on ne lui trouvait pas, on aurait pu l’entendre reprendre la comtesse de Grantham : « Don’t be defeatist, dear. It’s so middle-class ».

Oui, dans ce monde, on se tenait.

Il ne faut pas s’abîmer dans l’espoir d’un retour de ce monde. Nul n’a jamais restauré un passé. La fidélité véritable serait de tenir plus haut cet esprit français, esprit de panache, esprit de gaieté, esprit d’élégance – et le tenir au-delà de ces quelques jours de mémoire.

Dans l’un de ses derniers dernier livre, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, il avait eu ce mot de la fin, que je lui laisse en espérant qu’aujourd’hui il ait enfin trouvé :

Vous le savez, mon Dieu. J’ai aimé les baies, votre mer toujours recommencée, votre Soleil qui était devenu le mien, plusieurs de vos créatures, les mots, les livres, les ânes, le miel, les applaudissements dont j’avais honte, mais que je cultivais. J’ai aimé tout ce qui passe. Mais ce que j’ai aimé surtout, c’est vous qui ne passez pas. j’ai toujours su que j’étais moins que rien sous le regard de votre éternité et que le jour viendrait où je paraîtrais devant vous pour être enfin jugé. Et j’ai toujours espéré que votre éternité de mystère et d’angoisse était aussi une éternité de pardon et d’amour. Je n’ai presque rien fait de ce temps que vous m’avez prêté avant de me le reprendre. Mais avec maladresse et ignorance, je n’ai jamais cessé, du fond de mon abîme, de chercher le chemin, la vérité et la vie.

3 commentaires

  • Un homme remarquable nous quitte, qui parvenait à allier brillant bavardage et réflexion profonde, humilité et humour dans le même texte. Ne soyons pas nostalgiques de l’époque et de la société qui ont produit un tel homme, mais gardons-lui une place dans le tiroir des bons souvenirs. Que Dieu vous accueille en sa maison, M. d’Ormesson.

  • Très beau billet. Effectivement il ne faudrait pas que ce genre d’esprit bien français finisse par disparaître petit à petit.

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